Considérée comme une chance pour les uns, une menace pour les autres, le phénomène de la mondialisation qui, pour beaucoup de monde, semble déterminer désormais l’avenir de la planète suscite des débats passionnés, des controverses savantes et des proclamations politiques aussi simplistes que péremptoires. Mais d’abord, de quoi s’agit-il lorsqu’on parle de mondialisation ? A l’origine, la mondialisation était essentiellement perçue par les auteurs comme un fait économique et financier qui indiquait la suppression progressive de barrières douanières et réglementaires pour les entreprises industrielles, commerciales et financières ce qui permettait le déploiement sans entrave et la délocalisation des activités dans l’espace mondial. Les firmes multinationales se trouvaient ainsi au cœur d’un processus productif de dimension mondiale commandé par la recherche d’un profit optimal axé sur l’exploitation des dotations factorielles naturelles des pays. Le phénomène s’est par la suite élargi au point d’affecter aujourd’hui le politique, le social et le culturel. Cela soulève beaucoup d’interrogations. Pourtant, le concept malgré son utilisation abusive fait l’objet de plusieurs compréhensions tant au niveau des chercheurs qu’à celui du grand public. Le sujet est vaste, complexe, largement débattu, souvent diabolisé au détriment d’analyses robustes avec des statistiques crédibles. Selon la remarque de R. BOYER, «quand des ouvriers d’un abattoir de poulets se mettent en grève pour contester un aménagement de leurs horaires de travail, on décrète qu’ils se battent contre la mondialisation qui impose sa rationalité aux entreprises de ce secteur étroitement dépendant de ses performances à l’exportation. Lorsqu’un gouvernement choisit de renoncer à exercer ses prérogatives pour s’aligner sur les positions des lobbies favorables au tout-déréglementation, il se justifie en se fondant sur les nouvelles exigences de la mondialisation1 ». Bien que les termes de « mondialisation », « globalisation », « internationalisation » soient à la fois flous et empreints d’ambiguïté, chacun pense que leurs conséquences (sans pouvoir les cerner précision) sont importantes. Pour certains économistes, l’entrée dans la mondialisation se mesure par un pourcentage significatif du PIB de la nation réalisé avec l'extérieur alors que pour d'autres, ce pourcentage est moins significatif que la «dépendance » ou «l’indépendance» de la nation vis-à-vis de décisions prises par des acteurs de l'étranger : firmes ou Etats compte tenu du caractère de "price taker" ou de "price maker" que détiennent ces acteurs sur le marché mondial. Pour d'autres enfin, la mondialisation s’exprime à travers l’ensemble des « mécanismes d’accumulation à l’échelle mondiale » qui enrichit les partenaires les plus riches et appauvrit les autres par l’échange inégal caractéristique des distorsions dans le processus de formation des marchés internationaux et de distribution des revenus. Malgré sa forte présence dans plusieurs secteurs et dans plusieurs régions du globe, la mondialisation n’est pas encore universelle. Au contraire, une de ses particularités marquantes est qu’elle est paradoxalement non homogène et fortement asymétrique, dans la mesure où toutes les activités économiques, financières comme culturelles ne se mondialisent ni au même rythme ni de la même manière. Certaines, telles que la finance et les entreprises sont mondialisées depuis des siècles, alors que d’autres encore solidement chevillées dans des frontières géographiques nationales dont elles portent les marques. C’est bel et bien une mondialisation à plusieurs vitesses entraînant des chocs asymétriques. 1 R. Boyer et al : Mondialisation au-delà des mythes, Edit. La Découverte, 1997, 174p. Considérée comme un phénomène polyforme, elle pose des questions déterminantes pour l’ordre national : Offre-t-elle les mêmes chances et les mêmes avantages à tous les partenaires ou participants? Quelles sont objectivement ses conséquences directes et indirectes sur les différents partenaires singulièrement les plus faibles d’entre eux?2 Pourra-t-elle contribuer positivement à la croissance économique des pays d’Afrique sub-saharienne, au développement de l’emploi, à l’éradication de la pauvreté et à la réduction des inégalités ? Quel sort réserve-t-elle aux acteurs nationaux les plus fragiles et les plus déficients ? Va-t-elle harmoniser les structures institutionnelles et les normes et valeurs propres aux sociétés ? Estelle inéluctable ou contournable ? 1) 2) La mondialisation, c'est d'abord l'extension de l'économie de marché à l'ensemble de la planète. Les craintes qu'elle suscite ne sont donc pas nouvelles : les salariés ont toujours redouté d'être mis en concurrence, leurs employeurs ont toujours cherché à le faire afin de réduire les salaires et les entreprises ont toujours été prêtes à investir leurs capitaux à l'étranger si cela pouvait assurer une meilleure rentabilité +. 3) Evoquer la mondialisation, ce n'est pas seulement renvoyé à un processus sociohistorique qui soulève polémiques et affrontements doctrinaux. La mondialisation est avant tout le fruit d'un système mondial d'acteurs hétérogènes et innombrables. Il convient d'en appréhender les interactions complexes si l'on veut pouvoir ensuite évaluer la part plus ou moins déterminante qui revient aux uns et aux autres dans la redistribution de l'autorité politique qui se joue aujourd'hui au plan mondial. 4) Habituellement, les ouvrages sur la mondialisation + ne font pas dans la dentelle : ils la portent aux nues ou, plus souvent, la dénoncent. Daniel Cohen refuse l'une et l'autre de ces deux voies, fausses à ses yeux. Les adorateurs font fi des réalités. L'abolition des distances et des obstacles aux échanges enrichit davantage le fort que le faible, car le différentiel d'efficacité joue en faveur de celui qui dispose des atouts : le Massif central a nourri le développement de l'agglomération parisienne plus que l'inverse. 5) La mondialisation + productive se double d'une mondialisation + financière. Même si les règles sont différentes, les principes sont les mêmes : les institutions financières + qui jouent le jeu de la mondialisation + collectent et placent des capitaux dans le monde entier. Leur rôle n'est pas seulement de faire circuler, comme au temps de la première mondialisation +, l'épargne entre les pays à excédent d'épargne et les pays à déficit +, entre financeurs et emprunteurs, en assumant le risque de faillite de l'emprunteur. Il est, de plus en plus, de gérer les risques issus de cette circulation et liés soit aux fluctuations de taux de change +, soit aux fluctuations de taux d'intérêt. 6) Un triple défi Avec cette troisième étape de la mondialisation +, nous sommes donc devant un triple défi. Le premier est social : portée par des firmes nomades, la mondialisation fait des gagnants et des perdants. Les uns perdent leur emploi, les activités qui les Moustapha KASSE (2003) : De l’UEMOA au NEPAD : le nouveau régionalisme africain, Edition Nouvelles du Sud, 256 p 2 rémunéraient tendent à se délocaliser, le tissu productif au sein duquel ils se trouvent s'affaiblit et se paupérise. Les autres voient leurs marchés s'étendre, des opportunités s'offrir et leurs revenus progresser. Globalement, la mondialisation fait plus de gagnants que de perdants, mais sans régler pour autant la question de savoir comment faire pour compenser les pertes des uns par les gains des autres. Comme l'écrit Suzanne Berger, " les bénéfices de la mondialisation + sont largement distribués à l'ensemble de la société, mais ses coûts sont concentrés ". Ce qui complexifie la question, car les gagnants y voient le résultat de mérites personnels et ne se sentent guère solidaires à l'égard des perdants. Et ceci d'autant plus que les firmes nomades menacent souvent de faire défection et d'aller voir ailleurs si les charges de cohésion sociale + grossissent. Le second défi est économique : pour un pays, sortir gagnant de la mondialisation implique de renoncer à certaines activités et d'en développer d'autres, plus performantes, plus novatrices, moins concurrencées. Cela implique des efforts considérables en matière de formation et de recherche. Donc une reconversion non négligeable des priorités collectives, aujourd'hui davantage tournées vers le soutien de certains secteurs (l'agriculture, par exemple) que vers ces investissements collectifs porteurs d'avenir. Le rôle de l'Etat ne décline pas, mais il se transforme, et cette transformation ne va pas de soi. Le troisième défi est politique. Suzanne Berger fait remarquer que, pour le pays dominant, " les avantages [qu'il] retire d'une ouverture économique internationale dans un contexte de paix sont si grands, qu'il pourrait prendre à sa charge une bonne partie du coût du système ". Ce fut le cas lors de la première mondialisation : le Royaume-Uni et la France acceptèrent des règles contraignantes, en matière monétaire, d’exportations + de capitaux et de liberté de circulation des hommes, parce que c'était le prix à payer pour que le système de la spécialisation fonctionne sans trop de problème. Mais, aujourd'hui, ajoute-t -elle, en s'exemptant de tout ce qui pourrait être contraignant pour elle, en matière sociale ou environnementale, " l'Amérique refuse de payer le prix des institutions et des normes internationales, c'est-à-dire d'accepter les règles qui pourraient contraindre ses propres actions. Du coup, la mondialisation + est plus vulnérable, aussi bien aux attaques dont elle fait l'objet de l'intérieur qu'aux coups qui lui sont portés de l'extérieur". Dit autrement : le monde, aujourd'hui, a besoin de régulation, qu'elle soit environnementale, financière ou sociale. Pour que cela puisse se concrétiser, il faut que les plus puissants donnent l'exemple, ce qui est loin d'être le cas. La mondialisation + n'a pas fini d'agiter l'humanité... 7) 8) Selon la théorie orthodoxe, tout le monde gagne au libre-échange, et donc à la mondialisation +. Bon nombre d'acteurs sociaux sont persuadés du contraire. Hélas, aucun des chiffrages des effets de la mondialisation + sur l'emploi ne permet de les départager, tant ils s'appuient sur des méthodes peu fiables. 9) Il ne faut pas pour autant céder à la résignation et croire que les forces du marché, désormais mondialisées, s'imposeront à des Etats et à un mouvement social enfermé dans des territoires exigus et donc impuissants à les dompter. 10) A n'en pas douter, la mondialisation économique est l'un des faits marquants du monde contemporain. Souhaitée par les uns, contestée par les autres, elle se trouve placée au coeur du débat politique. Avec raison : il semble bien que notre époque connaisse un niveau historiquement élevé de circulation internationale des marchandises, des capitaux et d'expansion internationale des entreprises. Cette extension géographique de l'économie de marché est portée par un nombre de multinationales et de banques de plus en plus restreint, au pouvoir croissant 11) Les multinationales cherchent également à organiser une division internationale du travail pour bénéficier des meilleurs rapports qualité-prix, délocalisant leurs activités intensives en main-d'oeuvre dans les pays à bas salaires et leurs sièges sociaux dans les pays à faible fiscalité. Le stock mondial d'investissements directs à l'étranger est ainsi passé de 719 milliards de dollars au début des années 80 à 1 889 milliards en 1990 et à 6 314 milliards en 2000. 12) Le secteur financier apparaît, en revanche, plus mondialisé. La libéralisation + financière a véritablement démarré, pour la période contemporaine, en 1957 à Londres, avec les débuts du marché des eurodollars +, des dollars déposés et prêtés en dehors des Etats-Unis. C'est un nouveau marché proprement " international " (c'est-àdire déconnecté des règles qui encadrent alors l'activité financière nationale) qui apparaît à l'intérieur du marché monétaire + britannique. 13) D'autres acteurs économiques font figure de grands ordonnateurs de la mondialisation: les opérateurs des marchés financiers. La liberté donnée aux mouvements de capitaux, acquise grâce à la suppression des cloisonnements administratifs et facilitée par l'apport des nouvelles technologies de la communication, se traduit par une grande mobilité internationale, permettant une déconnexion de la sphère financière + et de la sphère de l'économie réelle 14) Concrètement, la mondialisation + financière est surtout une affaire de pays riches. Ils concentrent l'essentiel des flux + de capitaux internationaux. Les pays du Sud qui ont réussi à attirer une partie de l'épargne mondiale ont également dû importer l'instabilité qui l'accompagne, comme le montrent les exemples récents de la Turquie ou de l'Argentine. Une instabilité qui coûte d'autant plus cher à ces pays que leurs dirigeants n'ont pas toujours utilisé cette manne financière à bon escient. 15) Les années de mondialisation + ont donc été également celles d'une forte montée des inégalités globales. Corrélation vaut-elle causalité ? 16) Depuis vingt ans - ceux où la progression de la mondialisation + a été la plus rapide -, la richesse mondiale a été multipliée par 2,8. Mais là où le PIB + des grands pays industrialisés faisait plus que tripler, celui des pays à revenus moyens ne progressait que de 2,2 fois et celui des pays les plus pauvres, 1,5 fois. Ainsi, alors que ces derniers représentaient 36 % de la population et 6,3 % du PIB + mondial en 1980, leur part est passée à 40,6 % de la population et 3,4 % du PIB + en 2000. A l'autre extrémité de l'échelle, les 15 % d'habitants des pays les plus riches se partageaient 80 % de la richesse mondiale en 2000. 17) A la fin 2002, le stock mondial d'investissements directs étrangers s'élevait à 7 100 milliards de dollars, dix fois plus qu'en 1980. 64 000 multinationales, à la tête de 870 000 filiales +, ont produit l'an dernier 10 % du produit intérieur brut + ( PIB +) mondial (5 % en 1982). Les ventes mondiales des filiales + ont atteint 18 000 milliards de dollars (contre 8 000 milliards d' exportations + mondiales de biens et de services) et un tiers du commerce mondial correspond à du commerce intrafirme, interne aux réseaux des multinationales. Dans un contexte aussi confus, il est utile de débattre sans œillères. 18) Quelles en sont les conséquences directes et indirectes ? 19) La mondialisation de a production et des échanges, phénomène plus ancien, a –t-elle aussi, dans le même temps, véritablement changé de nature ? 20) Les multinationales sont-elles devenues « globales » ? 21) Quelles seront les conséquences à moyen terme de la concurrence des pays à bas salaires pour les vieux pays industrialisés ? 22) Qu’en est-il du rôle des Etats-nations ? Sont-ils irrémédiablement condamnés au déclin 23) Faut-il se résigner à abandonner toute ambition en matière de politique économique et se contenter de constater des contraintes ? 24) Se dirige-t-on, comme cela est souvent dit, vers une uniformisation et une dilution des cultures nationales ou locales dans un grand «tout» parcouru par des flux et des réseaux de communication ? Comment dans cette hypothèse, expliquer que les valeurs dites universelles apparaissent contestées au nom des particularismes culturels ? Et comment comprendre le sens de ces mouvements politiques radicaux qui s’habillent d’oripeaux ultranationalistes ou religieux et qui parviennent à mobiliser de vastes secteurs de certaines sociétés ? S’agit-il là de « replis identitaires » exprimant une réaction contre la mondialisation et l’idéologie globalitaire ? Ou bien ces mouvements entretiennent-ils une relation plus complexe avec celles-ci ? 25) Quels leviers politiques actionnées ? 26) Que peuvent les politiques économiques 27) La constitution d’ensembles régionaux est-elle une stratégie alternative à la mondialisation ou contribue-t-elle au même processus ? 28) Que faire contre la culture de compétition et de conflit 29) N’y a-t-il d’autre alternative que le guerre économique ? 30) 31) Les vieilles nations industrialisées, talonnées par des pays émergents, dominent encore les échanges internationaux. Les pays les plus pauvres peinent à entrer dans le jeu. 32) Qui échange quoi ? Répondre à cette question, c'est mettre à jour les structures de la mondialisation + contemporaine. D'un côté, les Etats les plus riches, qui échangent entre eux des produits industriels, le jeu s'étendant désormais à la Chine et à quelques pays émergents. De l'autre, des pays pauvres, qui n'exportent que quelques matières premières agricoles et minérales 33) La libre circulation des marchandises, des investissements et des capitaux permet aux multinationales de localiser au niveau mondial leurs activités comme elles l'entendent. Elles parviennent ainsi à payer moins d'impôts en faisant apparaître les bénéfices là où la fiscalité + est la plus douce 34) Le mode d'insertion dans le commerce mondial n'est que le reflet du niveau de développement d'un pays. Les vieilles nations industrialisées jouent encore un rôle prépondérant, mais leur position dominante n'y est pas immuable. Plusieurs pays ont déjà réussi à les forcer à en partager les bénéfices. De quoi laisser espérer que ceux qui en subissent les soubresauts puissent demain tirer leur épingle du jeu. 35) En cassant l' Etat providence + et en affaiblissant la nation comme espace politique, la déréglementation + libérale a créé des laissés-pour-compte et des élites corrompues, dont l'alliance a développé un " marché de l'immoralité ", pour le plus grand bonheur des mafieux et autres fraudeurs en tout genre 36) L'incitation pour les autres firmes à se défendre par l' innovation + les amène alors à privilégier des procédés économes en travail ou à des délocalisations partielles (portant sur les segments de productions basiques). L'emploi et le salaire des moins qualifiés, selon le degré de flexibilité + du marché du travail +, sont alors poussés à la baisse, provoquant une dualisation croissante entre gagnants (les travailleurs qualifiés) et perdants (les autres). 37)