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agrégation de sciences économiques et sociales
préparations ENS 2003-2004
Les réseaux sociaux
Sociométrie, réseaux et communication (Parlebas, 1992)
Fiche de lecture réalisée par Selvame Calviac (ENS Ulm)
PARLEBAS Pierre (1992), Sociométrie, réseaux et communication, Paris, PUF, 239 pages
Table des matières
Chapitre 1. Portrait de la sociométrie
Chapitre 2. L’enquête sociométrique
Chapitre 3. Sociogrammes et théories des graphes
Chapitre 4. Traitement des données sociométriques
Chapitre 5. Réseaux et dynamique relationnelle
Jacob Levy Moreno crée la sociométrie, qui a pour objet l'étude des réseaux d'affinité au sein d'un groupe.
Il s'agit de savoir s'il est possible d'effectuer une radiographie socio-affective des groupes. Comment alors évaluer
la cohésion d'une équipe de terrain, repérer la présence de sous-groupes, calculer l'évolution d'une communauté,
interpréter les changements observés ?
L'outil principal est le questionnaire, complété par des entretiens et des observations de terrain
Chapitre 1. Portrait de la sociométrie
A. La sociométrie a un statut ambigu
Les années 50-60 ont été marquées par un réel enthousiaste pour la sociométrie qui s'est tassé par la suite.
L'ouvrage de René Marineau "Moreno et la troisième révolution psychiatrique", 1989 a mis au clair l'itinéraire
morénien qui se confond avec l'histoire de la sociométrie. La vocation de Moreno en faveur des relations sociales
est alimentée par ses premières expériences professionnelles auprès de communautés défavorisées. Dès 1913, il se
joint à une équipe qui tente d'aider les prostitués de Vienne à s'organiser et à se prendre en charge collectivement.
C'est surtout son expérience des camps des réfugiés qui sera à l'origine de la sociométrie. Il constate l'immense
détresse affective de ces déracinées qui fuient la guerre et suggère de repenser l'organisation du camp en fonction
des courants d'affinité et d'intérêts.
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Lancé par ailleurs, dans le théâtre, il s'oriente vers 1919 vers le théâtre "improvisé", vers la mise en scène des
fantasmes personnels et des symptômes de ses patients (a un cabinet médical depuis 1911).
L'expérience d'une recherche à la prison de Sing-Sing, offre à la sociométrie une occasion de se faire reconnaître.
Il obtient le poste de directeur de recherche dans un institut de rééducation pour jeunes filles, de l'Etat de New
York, à Hudson. Il y mène une enquête sociométrique de grande envergure. Il y affine ses concepts et ses outils :
questionnaires, sociogrammes, atome social, observation des comportements, traitement des données.
L’ouvrage majeur de Moreno, "Who shall survive ? " 1934 [survivront ceux qui auront recouvré spontanéité et
créativité grâce aux techniques sociométriques] ajoutée au lancement d'une revue spécifique de sociométrie va
déclencher un engouement évident des chercheurs psychosociologues ambitionnant d'améliorer les techniques
elles-mêmes.
B. Définir la sociométrie
En termes de méthode, la sociométrie mélange des genres opposés, lie quantitatif au qualitatif.
- La mesure et la mathématisation. "sociométrie" : mesurer (metrum) le social (socius) : "étude mathématique des
propriétés psychologiques des populations". Il s'agit d'une approche métrique (scores, indices, coefficients, tests..)
des sentiments et des relations socio-affectives assez audacieuse et originale.
- Le vécu subjectif : idée de favoriser l'expression des sentiments profonds à l'égard d'autrui, idée que ce sont les
sentiments, les représentations à chaud et les préférences intimes de chaque personne qui deviennent l'humus de la
recherche sociométrique. La subjectivité est revalorisée, le sujet est un véritable acteur décidant
Sur le plan de l'objet, il semble exister une certaine confusion qui conduit l’auteur à définir la sociométrie au sens
restreint essentiellement empirique et qui regroupe l’enquête de terrain, le jeu de les et toutes les techniques
dramatiques, et la sociométrie au sens large, qui est une véritable interprétation du monde et de l’homme dans le
monde.
Pour Ancelin-Schutzenberger, introductrice de Moreno en France, la sociométrie réalise finalement la synthèse
des disciplines tant dans sa portée que dans ses méthodes.
Parlebas considère qu’il demeure encore une grande confusion malgré les efforts de clarification des différents
auteurs. Selon lui, la sociométrie est l’étude tant métrique que clinique des relations affectives et des relations
d’influence au sein des groupes ou des communautés, étude dont les outils préférentiels sont le questionnaire,
l’entretien et l’observation.
L’objet est bien l’analyse des relations interpersonnelles, l’analyse de la communication.
C. Critiques faites à Moreno
Moreno a une tendance à transformer la réalité dont il parle : modification de la date et du lieu de sa
naissance…Aurait-il réellement rencontré Freud ?
Sur le plan conceptuel et épistémologique, son incapacité à séparer l’arrière plan émotionnel et fantasmatique lié à
la conception de la vie, des propositions rationnelles et contrôlables de son système scientifique.
Il semble avoir une excessive prétention à transformer la société : le développement de la sociométrie pourrait, dit-
il, « aider à résoudre les tensions internationales qui opposent les sociétés communistes et les sociétés
occidentales ».
En ce qui concerne son outillage méthodologique, il semble foisonnant et pas toujours reconnus dans le domaine
scientifique
Enfin, épistémologiquement, la sociométrie n’est pas une discipline autonome. Elle ne prend sens et portée pour
l’auteur qu’en étroite interdépendance avec de multiples autre branches de recherche.
D. Quelques idées-forces de Moreno
Les sujets ne sont pas passifs et deviennent des acteurs qui participent à des expérimentations et en évaluent les
résultats. Moreno redore le blason de l’individu, quelque peu terni par les conceptions sociologiques qui voient
dans le comportement des individus que le produit des structures sociales.
Moreno situe son cadre dans une théorie de l’action et est à l’origine du courant actuel de la « recherche-action »
(Elton Mayo dans les ateliers de confection du téléphone de la Western Electric ; Kurt Lewin habitudes
alimentaires des ménagères américaines…). Ce sont donc des situations sociales réelles et leurs évolutions qui
sont étudiées.
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Moreno semble avoir réussi à formaliser de façon objective les attitudes subjectives les plus intimes des personnes
en relation.
Moreno a été un précurseur de la communication par ses analyses et mise en scène des phénomènes de la
communication.
E. Trois orientations de la sociométrie
- Une méthodologie de recherche expérimentale
- Un outil d’intervention psycho-sociologique
- Un corps de connaissances sur la « dynamique des groupes »
F. Actualité de la sociométrie
Par rapport aux autres branches de la sociologie, ici, ce sont les préférences individuelles qui vont s’agréger pour
former la configuration du réseau collectif.
Chapitre 2. L’enquête sociométrique
A. Mise en œuvre et planification
La notion de test est à écarter, car il n’existe pas d’épreuve standardisée : chaque situation est originale et seule de
son espèce. Le test oriente les recherches dans un sens purement métrique et de hiérarchisation des personnes. Il
est préférable d’employer des termes plus neutres, comme l’enquête, questionnaire, passation ou épreuve
sociométriques.
D’ailleurs, ce n’est pas le test qui lui accorderait son caractère scientifique, mais un dispositif planifié de recueil
des données et de contrôles des variables, définissant une démarche expérimentale. Ici, il s’agit d’une recherche
associée à une intervention sur le terrain, qui évalue avec soin les effets qu’elle produit en même temps qu’elle
s’accomplit (recherche-action au sens de K. Lewin). Il semble évident que le modèle canonique du modèle
expérimental ne pourra être satisfait, l’auteur parle de « quasi-expérimentation ».
L’enquête sociométrique met à l’épreuve des variables indépendantes fort variées (âge, sexe, catégorie sociale,
tâches de coopération ou d’opposition…). Les variables dépendantes sont fournies d’abord par les réponses au
questionnaire, complétées par des entretiens et observations. L’auteur insiste sur la dimension expérimentale de
sociométrie, trop souvent écartée : même si elle est délicate à mener sur le terrain, elle est riche d’éléments
interactionnels qui alimente la dynamique des groupes réels.
B. Le questionnaire sociométrique
Il doit être simple, reçu de manière « naturelle », mais doit bien être le résultat d’un travail approfondi préalable.
Les formulations du questionnaire sont ajustées aux circonstances de vie des groupes auxquels il s’adresse.
Trois principes fondamentaux :
- Acquérir une connaissance approfondie du groupe et de son contexte (découvrir la spécificité du groupe, les
motivations et les représentations…)
- Fuir une sociométrie « froide » au profit d’une sociométrie « chaude » : Moreno souligne que les questions
doivent être greffées sur un projet d’action réelle et le questionnaire est « destiné, à guider la reconstruction du
groupe ». Il faut que le sociométricien gagne la confiance des interrogés.
- Les critères de choix, c’est nature de l’activité pour laquelle chacun est invité à désigner ses partenaires
préférentiels.
L’auteur retient 3 critères :
1. Il est difficile de séparer les attraits affectifs et capacités techniques (ex : « avec quel camarade feriez-vous un
atelier de langue ? »)
2. Le critère socio-affectif, difficile à verbaliser et à analyser, existe.
3. Le critère de leadership : la relation d’autorité explique également le fonctionnement du groupe.
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C. Le tableau sociométrique
Il s’agit de reporter sur un document de synthèse unique et facilement exploitables toutes les données recueillies,
de façon à distinguer émetteurs et récepteurs, la nature des réponses, le type de critère et le rang de chaque
réponse, sous forme de tableau croisé.
Les concepts à retenir :
- les réciprocités (des attentes, des rejets)
- la disposition des individus sur les listes d’entrée (ordre doit être le même en colonne et en ligne)
- les scores individuels
Les scores d’émissions : ce sont les scores d’extrémité de ligne = addition des unités d’émissions d’un individu.
Les scores de réception : ce sont les scores d’extrémité de colonne = addition des unités de réceptions d’un
individu (émissions des autres).
- les scores collectifs : ils donnent les grands traits du paysage groupal et sous-groupal, propices à des
comparaisons avec d’autres groupes et avec le groupe lui-même lors de passations successives.
D. Le tableau des dyades
« Dyades » : ensemble des liaisons unissant deux personnes, unité de base de l’analyse morénienne. L’univers des
possibles comprend 34 = 81 dyades différentes. En effet, chaque sujet possède 2 postes d’attentes et 2 postes
d’émissions associées à 3 modalités (choix, rejet, indifférence) : ce modèle présenté par Tagiuri et Maisonneuve
semble rationnel et indiscutable.
Mais la réalité peut être différente entraînant des « dyades paradoxales » : un individu peut choisir un partenaire à
la première question et la rejeter à la troisième. De fait, l’univers des possibles est plus important.
L’atome social : un sociogramme individuel : Il s’agit d’une rosace relationnelle de chaque personne. En un coup
d’œil, il offre une information significative sur la situation du sujet à l’égard de ses partenaires et permet une
première appréciation de son intégration socio-affective dans le groupe (conflictuel, en totale harmonie) et permet
le calcul des indices d’empathie et d’intégration affective individuelle qui peut être recensés dans un tableau des
dyades (qui condense les données sociométriques en rendant sensibles et immédiatement lisibles les liaisons des
sujets deux à deux). Le tableau des dyades favorise le calcul des indices de cohésion sous-groupaux et
d’intégration affective individuel, outil de base servant à la construction de matrices de transition.
E. Les triades
Ensemble des liaisons entre trois individus, figuré par un triangle équilatéral dont chaque côté représente l’un des
acteurs. Il articule les 3 dyades unissant ceux-ci deux à deux.
Le sociogramme triadique individuel : on obtient un polygone étoilé dont le nombre de branches augmente très
rapidement avec l’effectif du groupe. La détection des triades les plus favorables est importante pour envisager
une meilleure insertion groupale des acteurs les plus vulnérables. Il y a une réelle dimension groupale qui
s’exprime par rapport à la dyade.
Le sociogramme triadique collectif : il rassemble toutes les triades de la collectivité considérée. Il permet
d’apprécier les constellations micro groupales et permet d’apporter des réponses d’insertion aux moins bien
intégrés dans le groupe.
Mais, la notion de réseau peut-elle être illustrée par un sociogramme global ? En effet, il permet d’améliorer la
modélisation des phénomènes de communication et de rendre plus performante l’enquête sociométrique.
Chapitre 3. Sociogrammes et théories des graphes
En sociométrie, on n’évalue pas les attributs et caractéristiques d’un sujet (ex : le leadership) mais un système de
rapports, des chaînes d’interdépendance liant chaque individu à un entourage précis. Ce seront les liaisons entre
les sujets qui offriront le matériau de base ; les individus seront caractérisés non pas par ce qui est en eux, mais par
ce qui est entre eux. Idée de « réseau » qui est constamment présente.
A. Le sociogramme : un réseau
Un sociogramme se présente comme un schéma, un ensemble de lignes qui relient un ensemble de points.
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Le réseau : ensemble de liaisons reliant les éléments d’un ensemble d’objets ou de personnes. C’est une foison de
configurations fort diverses : réseaux ferroviaires, de pipe-lines…
Très tôt, Moreno propose de dresser des « cartes de géographie psychologique » qui mettent en évidence les
courants relationnels d’une collectivité. Il s’agit de mettre en évidence un réseau d’interactions, de déboucher sur
une véritable radiographie socio-affective des groupes. Le sociogramme a un rôle de recherche et de découverte.
En sociométrie, la clarté du graphique est la raison d’être du sociogrammme : la configuration la plus simple et la
plus évocatrice qui mette en valeur les propriétés structurales du réseau est préférable. Il doit faire surgir les
phénomènes les plus saillants : configuration du groupe, clivage en sous-groupes, positions individuelles. Les
autres informations peuvent être fournies dans les tableaux sociométriques, le tableau des dyades, matrices de
transition.
Pour explorer les faits, on peut utiliser la théorie des graphes qui offre un arsenal de concepts, de théorèmes,
d’algorithmes et de raisonnements particulièrement propices à l’analyse des sociogrammes. Le sociogramme n’est
donc qu’une étape du traitement des données, les résultats des tableaux, matrices, observations, entretiens sont
indispensables pour une analyse plus exhaustive.
Il existe différents types de sociogrammes : des choix et des rejets réciproques, des sociogrammes individuels…
B. Le sociogramme en tant que graphe
Théorie des graphes et sciences sociales
Le sociogramme est un réseau. Il trouve une traduction mathématique bien adaptée en termes de graphe.
L’un des seuls ouvrages de psychologie sociale qui intègre de façon réussie et précocement les connaissances de
la théorie des graphes est la « Théorie des graphes et structures sociales » de Claude Flament, en 1965. Plus
récemment, Alain Degenne a repris le flambeau et mène des travaux explicitement orientés vers l’analyse des
réseaux sociaux (1978).
Dans le domaine anthropologique, il existe des analyses sur le système de parenté de Claude vi-Strauss qui fut
aidé des apports du mathématicien A. Weil (1950) ; en 1967, Jean Cuisinier (« Economie et sociométrie ») prend
en compte des relations entre firmes et sociétés industrielles, leurs rapports hiérarchiques et leurs liaisons
d’échanges.
Une perspective plus générale est développée aujourd’hui par des chercheurs anglo-saxons qui s’attachent à
approfondir l’analyse des réseaux sociaux (J. Barnes, M.S. Granovetter, J.H. Levine, H.C. White, V.Lemieux…).
En France, cette voie est de plus en plus explorée par A.Degenne, A. Ferrand, M ; Forsé, F.Héran. Les travaux de
macrosociologie s’inscrivent dans ce prolongement. Des procédures communes se mettent en place entre les
mathématiques et les sciences sociales.
Graphes et relations
Un graphe est composé de sommets (symbolisant les personnes des groupes étudiés et les arcs (correspondant aux
liaisons attestées entre individus). Chacune des relations (choix effectifs ou de leadership) donne lieu à un graphe
distinct et la famille de relations sur un même graphe donne un « multigraphe orienté ».
Il existe des graphes orientés ou non orientés : le premier tient compte de la direction de la relation (désignation
précise de partenaire), sinon, le graphe est dit non orienté.
Dans un graphe orienté, il existe des « arcs » et on s’intéresse au « chemin », au « circuit, à la « longueur du
chemin »…
Dans un graphe non orienté, il existe des « arêtes» et on s’intéresse à la « chaîne », à la « longueur de la
chaîne»…
Les graphes sont dits complets lorsque tous les sujets sont deux à deux reliés au moins par un arc. Il est possible
de dire que les sujets appartiennent à un sous-groupe commun (cas orienté). Lorsque chaque paire de sommets
sont identiques (similitude comportementale), on parle de cliques. Ils traduisent le désir d’une forte cohésion,
cultivant les mêmes valeurs, normes. La forme la plus achevée de cliques sera donnée par le graphe complet de
flux empathiques. Dans de tels cliques, la communication tend à devenir communion.
C. Une propriété de base : la connexité
La connexité : notion importante car elle rend compte des possibilités de cheminement et de communication à
l’intérieur d’un réseau. Elle informe sur la présence des liaisons directes ou indirectes, unissant les sommets d’un
graphe, et des caractéristiques globales de l’orientation de ces liaisons.
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