Réflexivité et déclin de l`institution

publicité
Cours du 19 septembre Master professionnel
Introduction
Premier cours d’une série de trois qui se donnent pour objectif d’esquisser une
méthode d’approche des pratiques professionnelles qui visent à une transformation de
l’autre (les pratiques de l’esprit humain) et l’impliquent nécessairement comme un coauteur. (éducation, enseignement, formation, soin ). L’entrée constituée par les identités
professionnelles se poursuivra par une plongée dans les logiques du faire, à travers la
place du langage et des représentations dans les pratiques. Ce qui conduira à une
exploration des diverses modalités de retour réflexif sur les pratiques.
L’identité est un concept que vous allez retrouver tout au long de votre formation
utilisé dans de nombreux contextes, le plus souvent de manière positive et volontariste. Ceci
sur le mode de l’identité du formateur…ce qui le distingue, le définit en propre par rapport à
des « voisins » professionnels. Politiquement le concept a plutôt connu une période de
disgrâce, les logiques identitaires étant référées à de sombres projets, évoquant la pureté donc
l’épuration, songeons par exemple aux mécanismes liés à la désagrégation de l’Europe de
l’est. Cependant, force est de constater que dans le domaine de la formation il jouit d’une
actualité multiforme.
Identité suppose stabilité et essentialisme, stabilité de soi et stabilité du monde des
objets et des autres sujets. Or, il convient de penser un processus d’identification plutôt qu’un
stock de qualités stables qu’il s’agirait d’acquérir ou de reconquérir. Ceci nous entraîne sur la
question de la perte ou du manque et cette logique double de la question de l’identité : « je
suis ceci parce que j’ai telles qualités » « tu es cela parce que tu es femme, juif ou
bourgeois ».
Exploration notionnelle : Identité « identité propre à chacune des cultures ou chacun
des sujets et l’horizon de la nature humaine. Oscillation entre invariance et différence ». Les
conceptions où l’individu appartient totalement à sa différence le renvoient à une nature
différente. (base du racisme…etc.). Cette oscillation est une problématique que l’on
retrouvera au sein même des ensembles professionnels que l’on étudiera entre un noyau dur et
des segments ou sous-groupes. (instituteurs remplaçants, psychologues et médecins
scolaires…) Ceci peut tout à fait être rapproché du phénomène décrit par Georges Devereux,
« Toute société se crée un idéal de groupe, mais toujours de façon à ce que le nombre d’individus appartenant à cette
catégorie privilégiée soit assez restreint. De plus la nature même de cet idéal exige toujours qu’il y ait un assez grand
nombre de représentants soit du « contre idéal » de groupe, idéal négatif, soit d’un groupe complémentaire à
fonctions réciproques, mais moins privilégié que le groupe qui incarne l’idéal de groupe »1.
Liée aux processus généraux de socialisation et d’apprentissage le concept d’identité
convoque beaucoup de théories sociologiques et/ou psychologiques. Sans penser passer en
revue l’ensemble, il paraît utile de planter quelques notions dans le décor qui s’avèreront sans
doute utiles dans d’autres domaines. Georges Herbert Mead : « la façon dont les sujets
s’approprient subjectivement « l’esprit » de la communauté à laquelle ils appartiennent,
s’identifient à des rôles en apprenant à les jouer de manière personnelle ».
C. Dubar : « L’identité sociale est une articulation entre deux transactions une interne à
l’individu et une transaction externe entre les institutions avec lesquelles il entre en action.
1
« La psychanalyse et l’histoire », Annales, 20, 1965, p. 31.
1
Cette double transaction produisant des formes identitaires structurant la socialisation – en
particulier professionnelle- des individus ».
Notions connexes :
Rôle : « définit une zone de contraintes normatives auxquelles sont censés se plier les
acteurs qui les détiennent et de droits corrélatifs à ces contraintes ». Autonomie
conditionnelle, réduction de l’incertitude, produire des conduites attendues, rôles définis et
flous. Plus on va vers la rationalisation de la division du travail, plus les rôles s’universalisent,
deviennent affectivement neutres et tournés vers l’action.
Statut : position d’un individu dans un groupe et d’un groupe dans une société.
Horizontal et vertical, axe hiérarchique, le statut désigne la position dans ce qu’elle a de stable
et codifié. Il se situe du côté du juridique de l’organigramme formel. Mais le statut a un
retentissement important, il affecte la personnalité et la culture de groupe.
Options théoriques : anthropologie culturelle, interactionnisme (M.Weber et filiations
O. Becker, A. Strauss…etc.), structuralisme génétique (Bourdieu).
Synthèse des propositions de J.C. Kaufmann : L’invention de soi, une théorie de l’identité,
Paris, A. Colin, 2004.
Si l’on considère le passage des sociétés holistes aux sociétés structurées par l’Etat et le
programme institutionnel, on envisage la question de l’identité à partir de la crise. C’est à
dire dans les périodes où le passage d’un modèle social à un autre crée une instabilité une
perte de repère. L’identité est donc subjectivement arrimée à la question de la perte et du
retour à une stabilité idéale, nostalgique. Elle renvoie à un substantialisme, un noyau, un
donné qu’il s’agirait pour chacun de retrouver. Il s’agit d’une notion vague et circulante
qui s’est imposée sans être discutée. Elle renvoie soit à l’individu, soit à des ensembles
culturels ou sociaux.
-
Identité personnelle et sociale chez E. Goffman, Stigmates les usages sociaux du
handicap, Minuit, 1975.
Mêmeté et ipséité chez P. Ricoeur, Soi même comme un autre, Seuil, 1990.
Identité pour soi et pour autrui C. Dubar, La socialisation, construction des identités
sociales et professionnelles, A .Colin 1991.
Soi intime et soi statutaire, F. de Singly Le soi, le couple et la famille, Nathan 1996.
Kaufmann parle d’un concept barbe à papa, dans lequel on se prend les doigts.
Néanmoins une définition consensuelle existe sur trois points :
1. C’est une construction subjective.
2. Elle ne peut ignorer les « porte-identités » la réalité concrète de l’individu ou
du groupe, les institutions.(Voir à ce sujet R. Castel, C. Haroche, Propriété
privée, propriété sociale, propriété de soi, Fayard 2001)
3. Ce travail de malaxage par le sujet se fait sous le regard d’autrui qui infirme ou
confirme.
Ce consensus provisoire masque de réelles questions sur l’articulation entre objectif et
subjectif. Les modes de socialisation par intériorisation inconsciente ou par choix délibéré et
conscient. On retrouve donc autour de ce concept la grande partition des sciences humaines.
2
Au niveau des disciplines on pense à la psychologie, psychologie sociale, puis à la sociologie
qui postule de la façon la plus adéquate à dépasser le problème socialisation/individuation.
L’individu est un processus, N.Elias La société des individus, Fayard, 1991.
« individu » et « société » ne sont à la limite que des facilités de langage. Il n’y a pas une
entité autonome qui subirait des influences du social, les cadres sociaux ne lui sont pas
extérieurs. La formule de Pascal « je comprends le monde mais le monde me comprend »
illustre cette position. Pour approcher l’identité il faut accomplir deux opérations théoriques :
séparer individu et identité, et inscrire le phénomène identitaire dans l’histoire.
« L’individu peut-être vu comme l’articulation continuelle de deux processus. D’une
part un stock de mémoire sociale, à l’architecture spécifique individuellement incorporée,
extraordinairement mouvant et contradictoire. D’autre part, un système de fermeture
subjective, conférant le sens tout en créant l’illusion d’une totalité évidente. » JC. Kaufmann
p. 55
Les sociétés communautaires de l’ancien régime étaient organisées en castes et
corporations, la captation progressive par l’Etat de la production du lien social sur d’autres
bases à ouvert la fabrication de statuts reposant sur autre chose que la volonté divine. Le
sentiment d’identité individuelle s’est s’accentué au cours du XIXème siècle, naissance des
journaux intimes. L’Ecole et sa généralisation a eu bien évidemment un effet très important
dans la structuration des modes de transmission des savoirs dans un lieu séparé et clos.
C’est pourquoi je voudrais faire ici le détour d’une présentation de la forme
scolaire.
Le recours à ce concept nous conduit d’emblée à une historicisation des pratiques de
transmission de savoirs, c'est-à-dire concrètement à ne pas penser et agir comme si le contexte
dans lequel nous évoluons avait toujours été le même. Ou bien, ce qui revient un peu au
même, comme si nous étions dans une logique de croissance continue de l’activité éducative à
travers l’évolution des institutions de l’école et de la formation.
Il sera ici question de la forme scolaire, concept développé par G. Vincent, B. Lahire,
D. Thin, dans un ouvrage intitulé : L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Presses
Universitaires de Lyon, 1994.
Leur démarche restitue la socio-génèse de la forme scolaire et du mode de
socialisation qu’elle instaure. Elle étudie les conditions de possibilité de l’école et les
modalités d’un rapport pédagogique nouveau entre la fin du XVIème et le début du XVIIème
siècle en France.
« C’est une forme inédite de relation entre un maître (nouveau sens) et un écolier. Elle est
inédite en ce qu’elle est distincte, qu’elle s’autonomise par rapport aux autres relations
sociales : le maître n’est plus un artisan « transmettant » des savoir-faire à un jeune homme
[…] Cette autonomisation par rapport aux autres relations dépossède les groupes sociaux de
leur compétences et prérogatives. »2 Avant l’apparition de ce rapport original, apprendre se
faisait par voir faire et ouï dire, par la participation aux activités. Apprendre n’était pas
distinct de faire. On peut tout à fait à cet endroit penser aux distinctions faites entre savoirs
de métiers et savoirs professionnels, compétences situées compétences transversales.
La relation pédagogique instaure donc un lieu spécifique, autonome et distinct des
lieux où s’accomplissent les activités sociales. Les enfants urbains commencent à fréquenter
l’école sous l’égide de l’église, c’est une entreprise d’ordre public mais pas simplement de
police. L’enfant apprend l’obéissance à des règles, plus que des contenus moraux ou
2
Op. cit., p. 16
3
religieux. L’enseignement du catéchisme se scolarise (manuels, leçons, questions-réponses).
Ce qui était fondé sur une relation de personne à personne, d’apprentissages par imitation
dans le cadre de métiers, devient l’objet d’une transmission. Le maître et l’élève sont soumis à
des règles impersonnelles qui les dépassent, dans un espace clos où les apprentissages sont
réglés et ordonnancés. Il y a donc un lien entre forme scolaire et forme politique, la mutation
des formes d’exercice du pouvoir entraîne dans son sillage la généralisation de la forme
scolaire de transmission.
« Tout mode de socialisation, toute forme de relations sociales implique à la fois
l’appropriation de savoirs (constitués, objectivés, systématisés) et l’apprentissage de
relations de pouvoir. »3 Dans cette codification, la forme scripturale scolaire joue un rôle
fondamental, elle instaure en même temps un rapport distancié au langage et au monde. C’est
une différence très importante avec les formes de transmission des sociétés orales (où savoirfaire et savoir être sont confondus). Dans le mode de relation oral, les savoirs sont incorporés
par l’apprentissage de situation en situation, de génération en génération. Il ne s’agit pas là de
voir un simple progrès avec le remplacement d’une forme par l’autre. Formes sociales orales
et scripturales coexistent toujours dans une situation de formation, mais leurs caractéristiques
sont différentes.
Les formes sociales orales de transmission sont toujours locales, toujours
contextualisées. Rien des règles qui font le groupe n’apparaît aux yeux des êtres sociaux, ils
les possèdent et les produisent, mais sont surtout possédés par elles. Les implications
cognitives de ce mode de connaissance sont difficiles à cerner, les savoirs et savoir-faire
n’existent que dans l’action. « Le corps croit en ce qu’il joue, il pleure s‘il mime la tristesse, il
ne mémorise pas le passé il l’agit le revit ». Dans ce cas, la transmission est coûteuse en
répétitions très normées, en imitations du fait du caractère peu formalisé des savoirs transmis.
Il est possible de codifier, dans le cadre scolaire ou formatif, une partie des
fonctionnements oralisés. C’est ce que pratiquent des pédagogies telles que celles de Freinet
et la pédagogie institutionnelle. De la même manière, l’animation participative de groupes de
formation qui intègrent dans leur dispositif la régulation des activités.
Identité, imaginaire collectif et occupation sociale des postes.
F. Muel Dreyfus, Le métier d’éducateur, Minuit, 1987
Identité professionnelle : Première approche, la rencontre entre l’histoire sociale d’un poste
et les générations successives qui l’occupent. « L’histoire de la genèse d’une profession est
aussi celle d’une occupation au sens militaire du terme, d’autant plus que ce moment est un
moment de lutte entre l’individu et le poste, lutte dont l’issue n’apparaît évidente qu’après
coup, une fois l’histoire faite, les hommes et les femmes disparaissant au profit de figures
mythiques » F. Muel Dreyfus, p. 9 Le métier d’éducateur, Minuit, 1983.
Les individus se font en faisant le poste. Il est important de faire à la fois l’histoire
sociale d’un poste et celle sociale, familiale individuelle de celui qui l’occupe. Ceci est vrai
pour les origines mais ensuite les générations successives produisent de nouvelles manières
d’occuper les postes qui eux-mêmes changent de support institutionnels, de missions
assignées…etc. A travers cet ouvrage F. Muel Dreyfus effectue ce travail pour les professions
d’instituteur et d’éducateur spécialisé à travers leur opposition fondatrice.
3
Op. cit., p. 20
4
Si l’on revient sur les questions d’identité telles qu’elles se dessinent aujourd’hui dans
le champ des professions de l’interaction humaine, on constate que l’impératif identitaire
implique la réflexivité permanente, une forme de déconstruction de soi. Dans ce sens les
identités peuvent être des ressources références éthiques et cognitives, sources d’énergie et
d’estime de soi. C’est bien évidemment ce sens qui est valorisé dans le champ professionnel.
Il n’en reste pas moins que l’avertissement de J.C. Kaufmann est important à prendre en
compte : « L’identité est un processus de fermeture et de fixation qui s’oppose à la logique
d’ouverture et de mouvement de la réflexivité. Elle fabrique continuellement un système unifié
de valeurs, qui fonctionne sous forme de grilles de perception du monde, donnant le sens de
la pensée et de l’action. Utilisant pour cela des images, qui se construisent toujours par
réduction du réel[…] antagoniques quant à la logique de leur fonctionnement l’identité et la
réflexivité sont en réalité souvent associées dans des articulations complexes . » p. 110
Réflexivité et déclin de l’institution
F. Dubet considère le programme institutionnel, c’est à dire celui issu de la mise en
forme des institutions de l’école, de l’hôpital (laïcisation), du travail social pendant la
troisième République comme une fiction nécessaire. L’idée que ces institutions avaient le
pouvoir de recomposer le lien social en éduquant, soignant et réparant les accidents de la vie,
n’est pas seulement idéologique ou morale. Les institutions fournissent de véritables cadres
cognitifs et moraux indispensables au projet de socialisation. Quand ces cadres disparaissent
le travail se vide de sens.
Il étudie les groupes professionnels liés aux institutions de l’école de l’hôpital et du
travail social, arrimés à une philosophie du progrès et de la science qui promet le bonheur sur
terre. Il constate, la perte de monopole et l’ouverture à la concurrence.
Ecole : accès à la culture télévision, cinéma, informatique, internet.
Hôpital : vulgarisation médicale, médecines parallèles, diversification de l’offre.
Travail social : faire du social dans l’entreprise, retour à la charité, restos du cœur.
Le tout dans une accession nouvelle des usagers à des droits individuels. Tout ceci
produit une perte de légitimité des savoirs. A l’universalité des publics abstraits : « les
pauvres », « les enfants », « les malades »… répond le séquentiel des publics cibles, RMI,
banlieue, autisme, traumatisés crâniens, ZEP, zones sensibles…L’Etat anime, délègue, régule
et insère plutôt qu’il n’intègre.
Du côté des professionnels cela produit une dissociation entre pouvoir et autorité.
L’enseignant, le médecin doivent construire leur propre influence à partir de leurs ressources
et de leur adresse à jouer dans le jeu d’organisations de plus en plus complexes.
Le mouvement du dogme à la foi est inversé, le mouvement de l’élève à l’enfant,
social recherche du consentement, individualisation des mesures. Le programme institutionnel
est affaibli mais il a de beaux restes, d’où la restauration.
Travail d’analyse de l’extrait de l’ouvrage de F. Dubet qui présente le modèle
triangulaire qui régit aujourd’hui l’expérience du travail dans les instituions
5
Téléchargement