TO BE OR NOT TO BE ou NOUILLES FROIDES à PYONGYANG une comédie totalitaire de ERIC DEVANTHÉRY d’après une idée originale de Melchior Lenghyel et The actor and the character de Kim Jong-Il et Sea of blood, opéra révolutionnaire de Kim Jong-Il Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. (Guy Debord) PRODUCTION UTOPIA - COPRODUCTION THÉÀTRE DE L’ORANGERIE Avec le soutien de la Ville de Genève, la Fondation Liechti pour les Arts, le fonds d’encouragement pour l’emploi des intermittents Mise en scène, adaptation libre et dramaturgie Eric Devanthéry Assistant-e-s : Aude Bourrier ; Adrian Filip Musique : Marc Berman Scénographie : Lauren Fodor ; Francis Rivolta Costumes : Valentine Savary Lumières : Philippe Maeder Interprétation : Rachel Gordy ; Sabrina Martin ; Pierre Dubey ; Marc-André Müller ; José Ponce ; Florian Sapey ; Christian Scheidt Résumé A l’origine, il y a le désir de faire une adaptation libre du film de Lubitsch. Et le désir se fracasse contre le principe de réalité́ : aucune réponse à ce jour des producteurs hollywoodiens pour une négociation des droits de représentation. Et où l’on apprend que l’absence de réponse n’équivaut pas à un blanc-seing, que les articles de la propriété intellectuelle sont à la fois très précis et très flou, mais que de faire les demandes dans les règles ne donne aucun droit, pas même celui d’obtenir une réponse... Cela nous a obligés à nous ressaisir de l’idée originale, qui n’est pas de Lubitsch mais d’un auteur de théâtre peu connu, Melchior Lenghyel, et d’en développer les possibles, pour nous. De faire œuvre individuelle, de travailler, en répétitions sur des fragments, des idées, par improvisation, recoupements. (..) En somme, il s’agissait de faire nôtre le panneau d’avertissement servi à toutes les sauces aujourd’hui : « Toute ressemblance avec une ou des personnes ou personnages ayant existé ne serait que purement fortuite ; les propos développés dans la pièce que vous allez voir ne reflète en aucun cas la pensée du metteur en scène, de l’auteur ou des comédiens. ». On l’aura compris, tout est histoire de point de vue. On l’aura compris, tout fait Histoire. L’action du film de Ernst Lubitsch se passe durant la Seconde Guerre mondiale et est traitée sur le ton de la comédie. Une troupe de théâtre polonaise répète laborieusement une pièce mettant en scène Hitler, alors que dans la réalité́ les troupes allemandes envahissent la Pologne. Le théâtre et ses acteurs se retrouvent au chômage. Mais un jeune pilote de bombardier, réfugié à Londres est amoureux de l’actrice principale, Maria Tura. En essayant de la contacter depuis Londres, il découvre une opération d’espionnage visant le démantèlement de la résistance polonaise. Il est parachuté à Varsovie pour tenter de court-circuiter l’opération. Il retrouve Maria et la troupe, qui vont devoir mettre à profit leur talent pour sauver la Résistance, et profitant des costumes de SS et d'un sosie d'Hitler, essayer d'abuser la Gestapo et sauver leur peau. Notre action se passe à Genève, en Suisse, dans un théâtre, celui de l’Orangerie. Nous poserons, à travers le genre de la comédie, les questions d’ego(centrisme) des comédienne-s et notre rapport aux totalitarismes. L’artiste peut-il changer le monde ou le cours de l’histoire ? To be or not to be est un film qui date de 1941, en pleine guerre mondiale. Notre comédie se jouera au théâtre de l’Orangerie du 27 juillet au 9 août 2015. Notre pièce questionne avec humour et dérision le rapport qu’entretiennent le réel (nous dirons l’Histoire, ici) et la fiction. Le théâtre y est mis en scène, les comédien-ne-s servant à la fois leurs histoires et l’Histoire afin d’empêcher la police secrète de l'occupant de démanteler un réseau de résistance clandestin. L’originalité́ de To be or not to be était justement d’aller puiser dans les ressorts du théâtre, et chez Shakespeare notamment – d’où le titre, peut-être l’interrogation la plus célèbre de toute l’histoire du théâtre, et à laquelle nous revenons sans cesse – un questionnement sur la puissance de la fiction. J’ai voulu adapter ce film aujourd’hui en recentrant sur la question de l’ego du comédien, et de son engagement possible – ou non – dans la société́ . La comédie « sophistiquée » – comme furent caractérisées les œuvres américaines de Lubitsch – permet, tout en riant avec les personnages, et en riant des personnages, de mettre en lumière cette interrogation fondamentale : l’art peut-il changer le monde ? Le cadre fourni par le théâtre de l’Orangerie, et de ses saisons estivales, est idéal pour s’amuser avec tout cela. Mais derrière le rire se retrouve toujours le réel, et ici, l’horreur de l’absolutisme. Aujourd’hui, en ce mois de mars, les questions d’absolutisme, d’horreur et de barbarie, mêlées au rire salutaire sont malheureusement plus que jamais d’actualité́ . Alors non, nous ne serons pas Charlie comme il est bon ton de le proclamer partout en tant qu’artiste notamment, mais nous chercherons en quoi l’art et l’humour peuvent aussi être aussi une arme. Words are swords écrivait Shakespeare dans Hamlet. « Les mots sont des couteaux. » Mais au théâtre, à la fin, heureusement, les morts se relèvent toujours. C’est peut-être que la fiction est en définitive plus puissante que le réel. Note d’intention sous forme de réflexions sur le cinéma et le théâtre : Réel versus fiction Un rire ce n’est pas rien, certes, mais ce n’est pas tout ! Et c’est ce qu’il s’agit de découvrir, de mettre en jeu, dans l’adaptation que je propose. Car ce qui sous-tend le rire, c’est le réel. A savoir, notre réalité́ d’aujourd’hui, le regard que l’on peut porter sur l’histoire du monde. Comment est-ce que la comédie nous amène à nous questionner – toujours – sur l’acte théâtral et notre rapport au monde ? On connait, chez Shakespeare, la mise en abyme du théâtre par le théâtre. Lubitsch a poussé à une incandescence rarement égalée cet artifice dans To be or not to be. La réalisation du film a eu lieu en 1941, pendant la guerre, ou pour mieux dire sous la réalité́ de la guerre, bien que les Etats-Unis étaient loin du théâtre des opérations. La distance entre la Pologne (Varsovie) et l’Angleterre, à l’intérieur de la narration du film, est aussi bien distance réelle que distance mentale entre le danger et le salut, entre le Mal et le Bien. Nous organiserons à notre tour un triple vertige : jouer une pièce de théâtre, la réalité́ de Genève, la mythologie d’un régime totalitaire. Le passage subtil de l’une à l’autre de ces instances pour l’esprit du spectateur caractérisera la magie de cette œuvre. Nous nous amuserons à rendre brusque et visible, de petits instants de décalage, le passage de la pièce de théâtre Nouilles froides à Pyongyang à la réalité́ de la situation de la Corée du Nord, réalité́ historique donc, mais aussi référence à une réalité́ extérieure matérielle dont on connait peu de choses. En nous inspirant de Lubitsch nous rappellerons, par ces décrochages et par les signes de l’humour, que nous sommes au théâtre. (..) Nous voici devant des réalités et des fictions démultipliées : la réalité́ de notre pièce, la réalité́ de la pièce de théâtre à l’intérieur de notre pièce, la réalité́ d’un régime totalitaire, la fiction de la Corée du Nord qui envahirait la Suisse : 2015, Kim Jong-Un, fils de Kim JongIl, petit-fils de Kim Il-Sung ; enfin, la réalité́ de notre regard, à distance géographique de ce pays. L’adoption de l’humour comme procédé́ artistique suppose catégoriquement le souci de la réaction du spectateur. Le hors champ, sous la forme de la réalité́ historique, mais aussi le souci de la réalité́ mentale du public deviennent alors des déterminations fortes de notre pièce. Notre histoire opposera fermement la dictature (les uniformes, les attitudes stéréotypées, le conformisme des propos) à la démocratie (la troupe de théâtre où règne un principe hiérarchique – le metteur en scène –, mais où l’opinion et son expression sont libres et plurielles). Comédie et drame s’entremêlent habilement (sans se confondre). To be or not to be sera une pièce orientée, aimantée par une tragédie, non fictive celle-là̀ , d’une dictature et de ses méthodes (on ne met pas une robe sexy dans un camp de concentration). (..) L’humour ne comportera pas d’agressivité́ ; il ne sera pas mordant (c’est pourquoi les personnages du régime apparaîtront non monstrueux mais ridicules). L’humour s’affirmera mais il n’insistera pas, il restera poli et civilisé (« l’humour est la politesse du désespoir »). Il exprimera une sagesse et une réaction de défense légitime, face à l’horreur. Comme mécanisme de défense, il substituera un plaisir à une frustration ; à la souffrance, il proposera, comme priorité́ de sagesse, un point de vue supérieur à la réalité́ . L’humour confortera, réconfortera et enseignera. Je veux qu’on sourie et que l’on rie, tout en sachant que ce n’est pas en soi risible, mais en maintenant une distance vis-à-vis de toute chose, face aux nécessites de notre condition humaine. Lucidité́ supérieure, j’ai la certitude que l’humour enseigne et qu’il console. Nous connaissons notre condition d’homme dans le grand chaos de l’univers, et l’humour nous permet de confronter l’humanité́ à sa condition tragique, d’un point de vue adulte et mature. Quelle est l’apparence, quelle est la réalité́ ? La distribution Le théâtre de l’Orangerie se transforme en siège des services secrets, mais tout n’est qu’un décor. Christian Scheidt sera le comédien Christian Scheidt, qui sera amené́ à jouer le professeur Oppenheimer, lui-même interprété́ par Sabrina Martin ! Sans oublier que Christian Scheidt jouera aussi le rôle du colonel Kim Il-Kim, interprété́ par Florian Sapey. Rachel Gordy jouera la comédienne Rachel Gordy, sans changer d’identité́ , dira-t-on, mais selon l’interlocuteur, en tant qu’actrice, elle sera patriote (..) ou prête à devenir espionne (..) Elle joue la comédie ; c’est une actrice au sein d’une pièce de théâtre, et c’est une professionnelle du mensonge commis ou accepté. La pièce de théâtre Nouilles froides à Pyongyang sera remplacée, par ordre des autorités de la Ville de Genève, par Hamlet, mais les acteurs seront contraints par les circonstances de jouer les envahisseurs. Christian Scheidt, au moment du monologue d’Hamlet quand le Lieutenant Müller (joué par Marc-André́ Müller) se lève et sort de la salle, se fait du souci pour son talent d’acteur, alors qu’il devrait se faire du souci pour son couple, et quand il se soucie de son bonheur conjugal, la guerre et le danger concret repoussent, à l’arrière-plan, l’aspect sentimental. (..) J’userai donc toujours de la même dialectique : derrière l’apparence se trouve une réalité́ , et derrière la réalité́ une apparence, et comme nous sommes au théâtre, cette réalité́ demeure elle-même toujours une fiction, absolument. Elle est pacte tacite entre le public et les comédiens. Tout le monde « fait semblant » de croire ! Soit pour donner une idée, l’analyse du début de notre pièce : nous sommes au théâtre de l’Orangerie, à l’extérieur, les spectatrices et les spectateurs attendent la représentation : Kim Jong-Un apparaît, il se pavane en regardant les gens autour de lui, satisfait, content presque ; une voix off nous avertit que Kim Jong-Un a fait ses « études » en Suisse et qu’il est végétarien, bien qu’il ne suive pas toujours son régime puisqu’il dévore son propre pays (vérité́ ) ; pourquoi Kim Jong-Un se trouve- t-il au théâtre de l’Orangerie ? (..) Apres l’apparition de Rachel Gordy dans une robe sexy, la discussion très éclairante entre Rachel et Eric Devanthéry, le metteur en scène de la pièce de théâtre (vérité) met en cause la vraisemblance du jeu et de la figure de l’acteur qui joue le rôle de Kim Jong-Un, on comprend alors que nous étions dans un flash-back et que l’acteur, Pierre Dubey, par défi, était sorti du théâtre pour se confronter au public et jauger de la vraisemblance de son rôle... Vérité́ , mensonge, vé́ rité. C’est cela que nous articulerons sur le plateau de l’Orangerie. Ce rapport au scenario réécrit, analysé, décortiqué́ , puis réapproprié nous servira de base à la reconstruction et à la transposition de notre histoire. Nous passerons d’un (faux) documentaire historique au théâtre (réel), à la manière de Ernst Lubitsch : pour mettre en évidence, analyser et construire une vé́ rité du monde et de la condition humaine. « C’est une pièce sérieuse, un drame réaliste, un document », dit le metteur en scène de la pièce dans le film. Et c’est bien ce que je dirais aussi ! Eric Devanthéry Notes sur la musique par Marc Berman Partition pour synthétiseur analogique semi-modulaire, sampler multipistes et chœur Je prévois d’écrire une partition pour synthétiseur analogique, sampler et chœur : les sons de l’onde sinusoïdale pure des oscillateurs, proche de la flûte, seront en permanence mis en tension avec leur propre altération débouchant sur des ondes complexes rappelant le son de l’avion au décollage. Avec le sampler, je créerai en direct une musique complexe, sophistiquée jouant sur l’empilement des couches sonore en écho à l’empilement des couches de vérités et de mensonges. Les parties chorales, chantées-parlées, par les comédiens, prendront en charge la narration, les articulations dans le récit possibles au cinéma, mais pas au théâtre et les ellipses. Les parties chorales seront toujours très courtes et rapides comme des changements de plans. Une musique drôle et intranquille (..) Je créerai une musique mécanique efficace comme le comique mis en place par Ernst Lubitsch et terrible comme la machine de mort mise en place par les nazis : la musique sera là pour faire rire, mais aussi pour rappeler que derrière la comédie il y a les charniers. Si je devais décrire une séquence possible de cette musique dialectique : on pourrait par exemple créer cette tension par des sons très purs et lumineux bougeant rapidement – à l’image d’enfants jouant dans un préau d’école trop petit pour leur nombre – au dessus d’un son continu, bas, épais et granuleux. Rendre une musique comique est aussi possible en jouant sur des thermes très courts, des gimmicks, joués dans un sens puis à l’envers, puis en insérant des « fausses notes » : dans un langage tonal classique – Mozart, par exemple – il suffit de résoudre une phrase sur la tonique en ajoutant une seconde mineure – do dièse sur do, par exemple – et alors le rire survient. Le rire, mais aussi l’inquiétude. Réinventer mon langage musical – les enjeux dramaturgiques Comme pour chaque collaboration avec Eric Devanthéry, ce sera la sixième, j’ai l’intention de renouveler mon langage musical afin de trouver un univers sonore qui soit parfaitement en résonance avec les enjeux dramaturgiques du spectacle (..) Dans cette adaptation de To be or not to be l’enjeu dramaturgique principal est la légèreté́ et les rires dont l’humain est capable même au cœur de l’absurdité́ de sa propre violence et de sa destruction. L’enjeu dramaturgique sur lequel j’aimerai écrire la musique pour cette adaptation de To be or not to be sera la sophistication de l’humour et du rire face à la barbarie et au massacre. Enfin, comme lors de chacune de nos collaborations avec Eric Devanthéry, je serai en tant que musicien présent sur le plateau pour interpréter ma partition et participer à la dynamique et au rythme du spectacle.