Documents sujets de révision

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Documents sujets de révision
Quelles alternatives au PIB/hab pour mesurer le bien être ?
Sur internet :
A consulter le site de France Stratégie (l’ancien Commissariat au Plan) :
http://www.strategie.gouv.fr/publications/synthese-consultations-dela-pib-un-tableau-de-bord-france
Les travaux de France Stratégie prolonge le Rapport Stiglitz, Sen et Fitoussi. Beaucoup de docs, mais long.
A télécharger sur le site de l’Insee :
http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/default.asp?page=dossiers_web/stiglitz/documentscommission.htm
Il y aussi ce texte de J.M.Harribey :
http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey/2015/10/13/un-indicateur-trompeur-peut-en-cacherund%E2%80%99-autres/
Les trois premiers chapitres sont intéressants (des indicateurs complémentaires ; des informations déjà
connues ; le pib, un faux problème), après ça se complique !
Utile pour éviter de dire des bêtises, du style : le PIB ne tient pas compte des activités non marchandes …
Référence biblio : Claudia Senik « L’économie du bonheur », La république des idées
Document 1
Document 2
Source : Rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, p.75
Document 3 : la mesure du bien-être
Le fait que dans certains pays (tels que les États- Unis) le PIB soit revenu au niveau d'avant la crise ne rend
compte en aucune manière de la perte de bien-être qui a résulté de celle-ci. Avec près d'un Américain sur six
1
exclu de l’emploi à temps plein – le reste étant confronté à l’angoisse de perdre sa maison ou son salaire – et
les coupes sombres annoncées dans les dépenses publiques et sociales de base, la perte de bien-être est en
réalité considérable. La situation en Espagne est encore pire, avec un taux de chômage supérieur à 20 % en
moyenne et presque un jeune sur deux privé d’emploi. Les événements tragiques survenus au Japon cette
année peuvent être considérés comme une métaphore de nos problèmes de mesure. Certains suggèrent que,
bien que dans le court terme le PIB japonais décline, dans le long terme, il se relèvera suite aux efforts de
reconstruction du pays. La catastrophe nucléaire a non seulement angoissé la population, mais elle pourrait
bien avoir des effets significatifs sur la santé d’un grand nombre de Japonais. Là aussi, les dépenses
nécessaires pour répondre à cette menace pour- raient augmenter le PIB, peut-être même assez pour sortir le
Japon de sa lancinante langueur économique. Mais nul ne prétendra que le Japon est en meilleur état après la
catastrophe de Fukushima. Il faudrait une énorme augmentation du PIB pour compenser la destruction de
capital, de tous les types d'actifs, que l'événement a causée, et pour atténuer l’angoisse face à l’avenir que
tant de Japonais ressentent. Or nous ne sommes pas bien équipés – nos indicateurs ne sont pas correctement
adaptés – pour mesurer la valeur des actifs perdus ou détruits.
Source : Jean-Paul Fitoussi et Joseph E. Stiglitz, Revue de l’OFCE / Débats et politiques – 120 (2011), p.
312-313
Document 4 : les indicateurs de bien être courant et futur
Un autre message clef, en même temps qu’un thème unificateur du rapport, est qu’il est temps que notre
système statistique mette davantage l’accent sur la mesure du bien-être de la population que sur celle de la
production économique, et qu’il convient de surcroît que ces mesures du bien-être soient resituées dans un
contexte de soutenabilité. En dépit des déficiences de nos outils de mesure de la production, nous en savons
davantage sur la production que sur le bien-être. Déplacer l’accent ne signifie pas désavouer les mesures du
PIB et de la production. Issues de préoccupations sur la production marchande et l’emploi, elles continuent
d’apporter des réponses à nombre de questions importantes comme celle de la gestion de l’activité
économique. Il importe cependant de mettre l’accent sur le bien-être car il existe un écart croissant entre les
informations véhiculées par les données agrégées du PIB et celles qui importent vraiment pour le bien-être
des individus. Il faut, en d’autres termes, s’attacher à élaborer un système statistique qui complète les
mesures de l’activité marchande par des données relatives au bien-être des personnes et des mesures de la
soutenabilité.
Source : Rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi sur la mesure des performances économiques et du progrès social,
2009
Document 5 : la Commission Stiglitz, Sen & Fitoussi (synthèse)
Source : D.Blanchet, Revue de l’OFCE / Débats et politiques – 120 (2011), p. 292
Document 6: les dimensions de la notion de bien être (Commission Striglitz-Sen-Fitoussi)
Pour cerner la notion de bien-être, il est nécessaire de recourir à une définition pluridimensionnelle. À partir
des travaux de recherche existants et de l’étude de nombreuses initiatives concrètes prises dans le monde, la
Commission a répertorié les principales dimensions qu’il convient de prendre en considération.
2
En principe au moins, ces dimensions devraient être appréhendées simultanément :
i.
les conditions de vie matérielles (revenu, consommation et richesse) ;
ii. la santé ;
iii. l’éducation ;
iv. les activités personnelles, dont le travail ;
v. la participation à la vie politique et la gouvernance ;
vi. les liens et rapports sociaux ;
vii. l’environnement (état présent et à venir) ;
viii. l’insécurité, tant économique que physique.
Toutes ces dimensions modèlent le bien-être de chacun ; pourtant, bon nombre d’entre elles sont ignorées par
les outils traditionnels de mesure des revenus. »
Source : Rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, p.16
Document 7 : l’IDH du PNUD
L’indicateur de développement humain est un indicateur synthétique développé par la Programme des
Nations-Unies pour le Développement (le PNUD).
Document 8
http://ceriscope.sciences-po.fr/pauvrete/content/part1/quelles-mesures-pour-quantifier-lapauvrete?page=show
3
Document 9 : l’IDHI
http://ceriscope.sciences-po.fr/pauvrete/content/part1/quelles-mesures-pour-quantifier-lapauvrete?page=show
Document : cours de F.Bourguignon au Collège de France
***********
4
Avantages et limites du financement intermédié ?
Référence biblio :
J.Couppey-Soubeyran « Monnaie, Banques, Finance », Puf
Braquet et Biasutti « Comprendre le système financier », Bréal (petit livre, très utile et facile à lire)
Il faut vous appuyer sur les documents de la plaquette Module 3 Partie 2 Chapitre 3 que je viens d’envoyer.
Il y a une partie sur les intermédiaires financiers : les banques en particulier, mais aussi les investisseurs
institutionnels et les autres intermédiaires financiers. Ce chapitre porte sur les mouvements de capitaux
internationaux, mais on peut utiliser bcp de choses pour traiter du sujet.
Il faut penser à distinguer les banques des autres intermédiaires financiers. Attention, dans l’intermédiation,
il y a l’idée que les crédits sont la contrepartie des dépôts ; un fonds d’investissement peut investir car des
agents économiques le finance. Cette activité de collecte de dépôt existe bien évidemment pour les banques.
Mais celles-ci ont une activité qui leur est propre : ce sont les seules à pouvoir créer de la monnaie. Or, dans
la création de monnaie, ce sont les crédits qui font les dépôts. Donc les banques n’ont pas besoin de dépôt
pour prêter ; par contre, elles ont une contrainte de liquidité ; elles doivent pouvoir se procurer de la monnaie
banque centrale (la seule monnaie qui leur permet de régler leurs dettes avec les autres banques).
Ceci dit, une fois les prêts réaliser, les banques se retrouvent comme les autres intermédiaires financiers
devant un risque de crédit, qui peut entraîner un risque de solvabilité. Elles peuvent aussi se trouver avec des
dépôts et des crédits qui n’ont pas le même engagement temporel (par exemple des dépôts à vue et des
crédits de long terme), ce qui peut entraîner un risque de liquidité, si tous les agents retirent leurs dépôts en
même temps.
N’oubliez pas non plus que les banques en tant qu’intermédiaires financiers sont les seules à gérer les
moyens de paiements (quand un fonds de pension récolte des dépôts, il ne propose pas en contrepartie des
chéquiers ou de la monnaie manuelle pour régler des dépenses).
Vous avez évoqué les questions d’asymétrie d’info dans le cas des relations de prêteurs/emprunteurs.
Il aurait été intéressant que vous développiez aussi les problèmes posés par la titrisation des prêts
immobiliers aux ménages. La titrisation a conduit à des problèmes d’aléa moraux qui sont au cœur de la crise
des subprimes.
Document 1
Si le passage à un financement par les marchés est souvent présenté comme un passage à la finance directe,
ce n’est pas le sens que l’ouvrage fondateur de Gurley & Shaw (1960) donne à ce terme. Ces auteurs
définissent la finance directe comme le système financier où les agents dont le bilan est excédentaire et
présente une capacité de financement (les prêteurs « ultimes ») financent les agents ayant un besoin de
financement (les emprunteurs « ultimes ») par l’achat des titres émis par ces derniers. Plus concrètement, les
ménages financent les entreprises en achetant les actions et les obligations qu’elles émettent.
Ceci n’est pas le système financier qui s’est établi en France après l’économie d’endettement. Les entreprises
émettent certes des titres dont une partie est acquise par les ménages ou les entreprises, mais les préférences
des agents à excédent vont vers les titres émis par les intermédiaires financiers, qu’il s’agisse de banques ou
d’autres sociétés financières. Les intermédiaires financiers achètent les titres émis par les entreprises et les
font entrer dans la composition de portefeuilles (…). Certains de ces titres combinent le rendement certain
des obligations avec celui plus conjoncturel des actions. Fonds Communs de Placement (FCP) ou SICAV
(Société d’investissement à capital variable) constituent pour les ménages le support de cette finance de
marché intermédiée. Leur épargne est ainsi placée en titres de la finance indirecte selon la terminologie
adoptée depuis Gurley & Shaw. Il ne s’agit donc pas d’un passage à la finance directe mais d’un passage à la
finance de marché intermédiée.
Source : Françoise Renversez « De l’économie d’endettement à l’économie de marchés financiers » in Revue
Regards croisés sur l’économie n°3, mars 2008, p. 60
Document 2 : les banques, acteurs centraux de la finance de marché intermédiée
La montée en puissance des marchés de capitaux à partir des années 1980 dans les pays d’Europe a, au
départ, été perçue et analysée comme une force de convergence vers un système financier davantage fondé
sur les marchés. Dans cette optique, les analyses les plus courantes considéraient qu’on était en train
d’assister à une « désintermédiation », c’est-à-dire une diminution du poids des banques dans le financement
de l’économie. C’était sans compter sur l’adaptation des banques à l’essor des marchés, sur le
5
développement non moins rapide de nouveaux intermédiaires financiers indispensables à celui des marchés
de capitaux. Aussi, lorsque l’on compare aujourd’hui les structures de financement des pays d’Europe
continentale à celle des pays anglo-saxons, ce n’est pas tant l’écart entre financements de marché et
financements intermédiés qui les différencient, car partout la part des financements intermédiés est
prépondérante. C’est davantage l’importance relative de ce que l’on peut appeler « l’intermédiation de
marché », c’est-à-dire l’importance de la détention de titres par les intermédiaires financiers qui distingue la
finance anglosaxonne de la finance européenne continentale.
En tout cas, ni la finance anglosaxonne, ni la finance d’Europe continentale ne sont « désintermédiées ».
C’est le type d’intermédiation qui s’y opère (intermédiation de crédit versus intermédiation de marché) qui
les différencie et qui, très vraisemblablement, explique aussi les différences en termes de taux d’activité de
leur marché des capitaux. Les places financières de Londres et de New York sont plus actives que celles de
Francfort ou Paris, non pas en raison d’un moindre taux d’intermédiation mais en raison d’une
intermédiation davantage portée vers l’acquisition de titres.
Source : Jézabel Couppey-Soubeyran « Monnaie, banques, finance », Puf Licence, 2010, 105-141
Document 3 : le recomposition des activités des banques
Source : ss la direction de C.de Boissieu et Jézabel Couppey-Soubeyran « Les systèmes financiers. Mutations, crises et
régulation », 2013, p.77
Document 4 : Transformation de la structure des bilans bancaires (1980-2002)
1980
2002
1980
2002
Actif (en %)
Passif (en %)
Crédits à la 84
38
Opérations
13
5
clientèle
interbancaires
(solde)
Titres
5
47
Dépôts de la 73
27
clientèle
Valeurs
9
7
Titres
6
52
immobilisées
divers
2
8
divers
0
7
Fonds propres et 8
9
provisions
Total actif
100
100
Total actif
100
100
Source : D.Plihon, J.Couppey-Soubeyran & D.Saidane « Les banques, acteurs de la globalisation financière », La
documentation française, 2006, p.29
6
Document 5 : l’intermédiation ne se limite pas au crédit bancaire
La part des crédits dans les bilans des banques a diminué, mais celle des achats de titres s’est accrue. Par
conséquent, si l’on restreint la définition du financement intermédié au crédit bancaire, on constate
effectivement que sa part dans le total des financements externes des agents non financiers s’est réduite. En
France, (…) la part des encours de crédits dans le total des financements externes (taux d’intermédiation au
sens étroit) est passée de 71% en 1978 à moins de 46% en 1998, poursuivant ainsi sa décrue (proche de 40%
au début des années 2000). Précisément parce que, parmi les agents non financiers, les entreprises et les
administrations publiques recourent de plus en plus largement aux marchés des titres, où elles émettent des
titres (actions, billets de trésorerie et obligations pour les entreprises, bons du Trésor ou OAT pour le
Trésor). Mais une part de ces titres émis trouve preneur parmi les intermédiaires financiers. Donc lorsqu’on
ajoute aux crédits les titres détenus par les intermédiaires financiers (banques, OPCVM, assurances vie,
fonds de pension …) on obtient une délimitation plus large des financements intermédiés et, surtout, plus
conforme à leur évolution. Et si l’on calcule la part de ces financements intermédiés au sens large (taux
d’intermédiation au sens large), on constate que (…) la tendance à la baisse est largement amoindrie.
évolution du taux d’intermédiation en % des financements totaux en France
1978
1988
1998
2004
2010 *
Taux d’intermédiation étroit :
71
62
45,7
39,5
40,5
Crédits / total des financements
externes
Taux d’intermédiation large :
77
80
73,3
58,8
52
(Crédits+titres détenus par les IF) /
total des financements externes
*chiffre Banque de France, 2015
Source : Banque de France, D.Plihon, J.Couppey-Soubeyran & D.Saidane « Les banques, acteurs de la globalisation
financière », La documentation française, 2006, p.36-37
Document 6 : conséquence, du risque de crédit au risque de marché
La désintermédiation financière a entraîné un changement dans la nature du risque encouru par le système
financier. Lorsque le crédit était prépondérant, le risque des banques était lié à l’activité productive. Il
pouvait se manifester, soit de manière conjoncturelle, soit en raison de progrès technologiques modifiant la
demande. Le risque bancaire est désormais un risque de marché financier et, comme tel, dépend des
anticipations d’opérateurs à la recherche de marges sur des opérations souvent à court terme. l’actif des
banques comporte une part importante de titres émis par des intermédiaires, et elles ont largement recours au
hors bilan. De plus, le système financier s’est diversifié à la faveur de la déréglementation, et les nouveaux
intermédiaires financiers sont soumis à une réglementation moins contraignantes que les banques.
Source : Françoise Renversez « De l’économie d’endettement à l’économie de marchés financiers » in Revue Regards
croisés sur l’économie n°3, mars 2008, p. 65
Document 7 : les investisseurs institutionnels, intermédiaires financiers non bancaires
Depuis le milieu des années 1980, on assiste à une « institutionnalisation » croissante de l'épargne des
ménages. Cette dernière est, en effet, dans une proportion de plus en plus grande, collectée et gérée par des
investisseurs institutionnels, c'est-à-dire des intermédiaires financiers non bancaires :
- O.P.C.V.M. (organismes de placement collectif en valeurs mobilières, regroupant les sociétés
d'investissement à capital variable [sicav] et les fonds communs de placements [F.C.P.]) ; également
dénommé mutual funds aux Etats-Unis ou fonds d’investissement en France ;
- sociétés d'assurance ;
- fonds de pension.
Source : encyclopédie universalis en ligne
Document 8 : le lien banques – autres intermédiaires financiers
Il apparaît clairement que les intermédiaires financiers continuent de jouer un rôle prépondérant dans la
collecte d’épargne. Les ménages sont plus enclins à détenir des produits de placement intermédiés dont le
niveau de risque est moindre ou leur est donné à choisir. Même aux Etats-Unis, la part des intermédiaires
financiers dans la collecte de l’épargne des ménages atteint plus de 65%. En Europe, la même estimation
dépasse 80%. Le choix en faveur de l’épargne intermédiée reste majoritaire. On observe cependant de fortes
disparités, en Europe, quand au choix de ces intermédiaires. La part des banques varie du simple au triple
selon les pays, celle prise par les OPCVM, les assureurs et les fonds de pension varie davantage encore. (…)
7
On constate néanmoins une progression des intermédiaires non bancaires observée dans tous les pays. (…)
Cette progression ne doit toutefois pas faire oublier que les banques demeurent les principaux distributeurs
de parts d’OPCVM et de contrats d’assurance vie. La domination des banques apparaît clairement dans
l’activité de gestion d’OPCVM : la part de marché des OPCVM contrôlés par les groupes bancaires atteint
plus de 70% en Allemagne et en France et dépasse même 90% en Italie ou en Espagne (…). De la même
manière, les groupes bancaires réalisent plus de la moitié du chiffre d’affaires de l’assurance vie en France,
et plus des deux tiers en Espagne et en Italie ; seule l’Allemagne fait exception (…). En ce sens, le lien que
les banques ont établi avec les autres intermédiaires financiers pour s’accommoder de leur essor est non pas
un lien de complémentarité comme celui qu’elles ont renforcé avec les marchés de titres, mais un lien plus
hiérarchique de subordination.
Source : Banque de France, D.Plihon, J.Couppey-Soubeyran & D.Saidane « Les banques, acteurs de la globalisation
financière », La documentation française, 2006, p.40
Document 9: évolution des encours et du nombre de hedge funds dans le monde (période 2000-2009)
Source : Michel Aglietta, Sabrina Khanniche & Sandra Rigot « Les hedge funds. Requins ou entrepreneurs de la
finance ? », Perrin, 2010, p. 84
Document 10 : les banques d’investissement
Pour comprendre ce qu’est une banque d’investissement, il faut d’abord savoir ce qu’elle ne fait pas. Elle ne
reçoit pas les dépôts des particuliers. Avant sa faillite, vous n’auriez pas pu ouvrir un compte chez Lehman
Brothers ; vous ne le pouvez pas davantage chez Goldman Sachs ou JP Morgan, ni en France chez Natixis ou
Calyon, filiales de grands groupes connus. La banque a bien des clients, mais il s’agit essentiellement
d’entreprises et d’investisseurs qui recherchent, soit à se financer soit à placer leurs liquidités. (…) Les
banques d’investissement ont essentiellement trois types d’activités :
- Le premier est hérité des banques dites d’affaires et consiste à faire du conseil, notamment en
fusion-acquisition ;
- L’autre ensemble d’activités est lié au financement des entreprises. Les banques d’investissement
organisent les augmentations de capital, les introductions en bourse, le lancement d’emprunts obligataires.
- Enfin, le troisième type d’activités vise à trouver les placements financiers ou les couvertures les
plus rentables. La banque sert d’intermédiaire à ses clients sur les marchés financiers et sur les marchés des
changes. Un fonds d’investissement recherche une rentabilité maximum avec un fort effet de levier. La
banque l’accompagne dans un LBO, ou conçoit des produits complexes utilisant notamment des dérivés
parfois intégrés dans des véhicules de titrisation. Ces activités ont été extrêmement rentables avant la crise de
2008, ce qui explique qu’en France, même les banques traditionnellement de détail s’y soient mises, au
travers de filiales parfois distinctes, mais toujours rattachées à leur maison-mère.
Source : http://www.lafinancepourtous.com/Decryptages/Mots-de-la-finance/Banque-d-investissement
8
Document 11: synthèse, l’horizon temporel et stratégie des acteurs des marchés financiers (hors
banque)
Placer dans le tableau : investisseurs de long terme, investisseurs de court terme et investisseurs
institutionnels ;
Préciser si l’IF développe des stratégies risquées ou non ;
Private
Fonds
Fonds de
Mutuals
Hedge
Banques
equity souverain
pension
funds
funds
d’investissements
Compagnie
d’assurance
Stratégie
risquée
(oui/non)
Collecteurs
Logique de
d’épargne
court terme
ou de long
terme
Intermédiaires
Emetteurs
à l’origine
de titres
d’émissions
sur les
de titres
marchés
(oui/non)
financiers Autres agents
économiques
à besoin de
financement
************
9
Pourquoi l’activité économique est-elle cyclique ?
Sur un sujet comme cela lui, il faut arriver à manipuler les connaissances théoriques en évitant de tomber
dans l’effet catalogue, d’où l’importance du fil conducteur.
Il faut se souvenir (cours de première année) que la question des cycles d’activités est très ancienne, et
qu’elle est déjà présente dans la Bible (sur les bords du Nil, sept années de vaches maigres succèdent à sept
années de vaches grasses) ; il n’est donc pas étonnant que cela intéresse les économistes.
Dés la fin du 19ième/ début du 20ième, on voit apparaître les premières typologies des cycles : cycles longs
(Kondratiev), moyens (Juglar) et courts (Kitchin). La question est de savoir comment expliquer ces cycles ?
Dans un premier temps, les économistes ont cherché des explications basées sur la régularité de certains
évènements :
Pour les cycles longs, Schumpeter et les innovations ;
Pour les cycles moyens (que l’on appelle aussi les cycles des affaires), les explications monétaires de
Wicksell ou Hayek, ou celle d’H.Minsky (le cycle du crédit). M.Aglietta aujourd’hui défend l’idée d’une
succession de cycles financiers.
Ce qui a de commun à ces approches, c’est qu’à chaque phase « calme » succède une phase de
« récession/dépression ». Les cycles s’auto-entretiennent.
D’autres travaux, ceux des économistes de la synthèse d’après guerre, vont adopter une lecture très
mécanique des cycles à travers le concept d’oscillateur qui combine multiplicateur et accélérateur.
Dans un second temps (période plus contemporaine ; après années 1980), les économistes vont abandonner
les explications mécaniques et autoentretenues des cycles (critique de l’oscillateur). Si l’économie suit des
fluctuations qui forment des cycles, c’est qu’elle est touchée par un choc (généralement aléatoire : choc
pétrolier, réunification allemande, fukushima, …) qui se propagent dans l’économie en faisant varier le
niveau d’activité (comme une vague qui peu à peu perd de sa force). On va alors utiliser le modèle offre
globale/demande globale pour expliquer ce type de fluctuations cycliques.
Il n’est pas utile ici de renter dans les détails théoriques en distinguant les modèles des nouveaux keynésiens
et ceux des nouveaux classiques.
Document 1 : l’évolution de l’output gap fait apparaître des cycles
Source : Joseph Stiglitz « Principes d’économie moderne », de Boeck, 2008, p.602-603
Document 2 : le modèle de l’oscillateur, une combinaison de l’effet multiplicateur et de l’effet
accélérateur
Le principe du multiplicateur keynésien repose sur un effet de revenu. La dépense d’un agent génère un
revenu pour un autre agent, qui va lui-même dépenser, … Le supplément de revenu peut être soit consommé,
soit épargné. C’est cette répartition, par l’intermédiaire de la propension marginale à consommer qui
détermine le niveau du multiplicateur d’investissement. L’effet multiplicateur est d’autant plus grand que la
10
PmC est importante. Denizet a montré que si le supplément d’investissement n’est pas reproduit de période
en période, alors l’effet multiplicateur s’arrête rapidement. Le revenu national revient à son niveau initial
lorsque l’effet de relance est terminé.
Le principe de l’accélérateur, mis en évidence par A.Aftalion (1913) et J.M.Clark (1917) repose sur
l’existence d’un effet capacité. S’il existe une liaison stable entre le niveau de demande et les équipements
nécessaires, alors toute hausse de la demande entraîne une augmentation de l’investissement. Les variations
de l’investissement sont plus amples que celles de la demande. Un simple ralentissement de la croissance de
la demande suffit à provoquer une diminution des investissements.
Source : M.Montoussé « Analyse économique et historique des sociétés contemporaines », Bréal, 2007, p.18
Document 3 : l’effet accélérateur et la parabole du poêle
Albert Aftalion explique grâce à la métaphore du poêle à charbon l’effet d’accélération, à cause de la durée
d’accumulation des biens d’équipement : pour augmenter rapidement la température, on tend à mettre un
excès de charbon dans poêle, il fait alors trop chaud et on ne l’alimente plus, ce qui relance les fluctuations
de la température. Le même phénomène relie les fluctuations de l’investissement et de la production.
Source : Aide mémoire d’Economie, Sirey, p.486
Document 4 : cycles et création monétaire
La création monétaire dépend du niveau d’activité économique, puisque les crédits sont plus nombreux en
période d’expansion. Par ailleurs, un niveau élevé de crédit peut fragiliser l’économie, et être à terme un
facteur de récession. C’est la raison pour laquelle certains économistes attribuent à la création monétaire un
rôle majeur dans l’explication des cycles. Dans « Intérêts et prix » (1898) l’économiste suédois K.Wicksell
développe une analyse des fluctuations dans le cadre d’une « économie de crédit », où domine la monnaie
scripturale d’origine bancaire. Le raisonnement de Wicksell repose sur la distinction entre taux d’intérêt
monétaire qui porte sur les capitaux prêtés, et le taux de profit anticipé (il l’appelle le taux d’intérêt naturel).
Quand le taux de profit est supérieur au taux d’intérêt, alors les entreprises sont incitées à investir grâce à des
crédits : ce mécanisme est à l’origine de l’effet de levier. Un processus cumulatif de croissance s’amorce, qui
s’accompagne d’une hausse des prix entraînée par les crédits. Les banques finissent par réagir à la
diminution des taux d’intérêts réels qui affecte leur rentabilité en augmentant les taux d’intérêt nominaux, ce
qui met fin à l’expansion et à la hausse des prix. Ainsi les décisions des banques sont à l’origine des
fluctuations économiques.
Source : Aide mémoire d’Economie, Sirey, 2010, p.485
Document 5 : anticipations des agents et cycle du crédit (H.Minsky)
Les crises financières surviennent dans les phases hautes des cycles économiques. A l’origine de chaque
crise financière, il y a toujours un « boom », une sorte de déplacement de l’économie favorisé par telle
invention, telle découverte : le décollage économique des Etats-Unis dans les années 1920, favorisé par
l’application des méthodes d’organisation scientifique du travail, précède la crise de 1929, l’électronisation
des opérations boursières précède le krach de 1987, Internet précède le krach de 2000, etc… Ce boom
euphorise les agents et les anticipations de profit, donc les demandes de financement. Paradoxalement, c’est
quand tout va bien et que la période est à l’euphorie que l’instabilité prend racine. C’est ce que notait dans
les années 1980, Hyman Minsky (…) en évoquant le « paradoxe de la tranquillité ».
Dans ce contexte, en effet, les agents s’endettent massivement soutenus dans leur démarche par les banques
qui, elles aussi, veulent saisir les opportunités de profit. Tous les acteurs sont dans de telles périodes incités à
profiter de l’euphorie et ce faisant ils y participent et amplifient le cycle haussier. Ne pas le faire serait se
priver d’un profit. Mais tous auront aussi intérêt à se retourner quand le cycle se retournera. On dit de la
finance à cet égard qu’elle est procyclique : elle accompagne, voire amplifie le cycle de l’économie réelle.
Les banques et tous les autres apporteurs de fonds ouvrent grand les robinets du crédit en phase haute du
cycle, alimentant par la même la croissance voire la surchauffent et symétriquement, les referment
brutalement quand le cycle s’amorce, aggravant le ralentissement voire la récession. Cette procyclicité est
une source majeure d’instabilité.
Source : Jézabel Couppey-Soubeyran « Monnaie, banques, finance », Licence, Puf, 2010 p.267-268
Document 7 : l’irrégularité des fluctuations
Les phases du cycle conjoncturel tendent à être semblables mais en réalité elles sont loin d’être identiques.
Par exemple au Royaume-Uni, après la récession de 1975, la reprise de 19763 fut de courte durée et
hésitante, débouchant (…) sur un retour immédiat de la récession en 1977. A l’inverse, la reprise qui suivit la
11
récession du début des années 1980 fut nettement plus longue. C’est en raison de cette irrégularité qu’il est
délicat d’identifier avec précision les sommets et les creux des cycles. Le PIB réel des pays industrialisés
fluctue autour de sa tendance, de manière récurrente mais irrégulière, durant un cycle de cinq à huit ans en
moyenne.
Source : Michael Burda et Charles Wyplosz « Macroéconomie. A l’échelle européenne », de Boeck, 2006,
378-379
Document 8 :
(La) vulnérabilité au cycle économique a peu ou rien avoir avec (les) forces et faiblesses économiques
fondamentales : des mauvaises surprises peuvent survenir dans de bonnes économies
Source : P.Krugman « Pourquoi les crises reviennent toujours », édition 2009, Le Seuil, p. 23
Document 9 : le modèle impulsion – propagation
Dans la section précédente (mécanisme de l’oscillateur), l’économie oscillait parce qu’elle avait quitté son
équilibre stationnaire. Qu’elle est l’impulsion qui pousse l’économie à quitter son équilibre ? Imaginons que
l’économie soit constamment sujette à des perturbations aléatoires (des chocs). Ils affectent tant la demande
(l’esprit des entreprises et le moral des consommateurs tantôt gaillard et tantôt chagrin ; les mesures de
politiques économiques) que l’offre (récoltes exceptionnelles ou désastreuses, catastrophes naturelles,
grandes inventions ou découvertes telles que la machine à vapeur, l’électricité, les chemins de fer, les
ordinateurs ou innovations mineures ; troubles sociaux). La liste des chocs possibles est sans fin. Telles des
gouttes de pluie irisant la surface d’un lac, ces chocs heurtent constamment l’économie et provoquent des
réactions en chaîne. Ces chocs, souvent appelés impulsions, modifient les conditions de l’offre ou de la
demande. Une fois perturbée de façon aléatoire, l’économie entame le type d’ajustement déterministe décrit
à la section précédente (mécanisme de l’oscillateur), et ce jusqu’au choc suivant. Le mécanisme de
propagation transforme les impulsions en oscillations. (…) Contrairement à la section précédente, il est ici
inutile de se mettre en quête d’un improbable cycle qui s’autoperpétuerait. Il suffit d’accepter l’idée que
l’économie soit assaillie par une série interminable de chocs qui l’empêchent de jamais se reposer à son état
stationnaire. Cette piste est la pierre angulaire de la théorie moderne du cycle conjoncturel. Ce mécanisme
d’impulsion-propagation est l’approche dominante des cycles conjoncturels parce qu’il s’accorde bien avec
les faits stylisés. Le caractère aléatoire des chocs explique qu’il en résulte des cycles de durée et d’amplitude
variables. Si beaucoup de chocs sont liés à des innovations technologiques permanentes, ils ne vont pas
seulement produire des cycles conjoncturels, mais à long terme, ils vont se cumuler dans un processus de
croissance sans fin. A long terme, le processus de croissance (l’accumulation de chocs positifs) domine les
cycles conjoncturels (la réaction à des chocs particuliers).
Source : Michael Burda et Charles Wyplosz « Macroéconomie. A l’échelle européenne », de Boeck, 2006,
378-379
Document 10 : choc de demande, politique économique et choc exogène
La plupart des déplacements de la demande sont le résultat des mesures de politique économique. (…) Des
évènements exogènes en offrent d’autres exemples. Parmi ceux-ci, on trouve (…) la réunification allemande
qui a été une source non anticipée d’expansion de la demande au cours de la première moitié des années
1990.
Source : Michael Burda et Charles Wyplosz « Macroéconomie. A l’échelle européenne », de Boeck, 2006,
353-354
Document 11 : les conséquences d’un choc négatif de demande sur le produit global, l’inflation et la
politique monétaire
Supposons qu’un choc fasse baisser la demande. Il peut s’agir par exemple d’une crise financière en Asie ou
en Amérique latine. Les ventes de biens américains dans ces pays sont alors plus faibles. Cette baisse de la
demande fait que les entreprises américaines réduisent l’échelle de leur production. Le produit baisse. En
raison du niveau maintenant plus faible de la production, les entreprises n’ont plus besoin du même nombre
de salariés. Des licenciements ont lieu et le chômage cyclique augmente. Les salaires ne s’ajustent pas avec
assez de rapidité pour maintenir l’économie au plein emploi. Un chômage cyclique élevé conduit à un
ralentissement de la croissance des salaires et à une baisse de l’inflation. Face à cette baisse de l’inflation, la
Fed essaie de stimuler certains types de dépenses, afin de compenser en partie la baisse de la demande qui a
été à l’origine du processus.
Source : Joseph Stiglitz « Principes d’économie moderne », de Boeck, 2008, p.618
12
Document 12 : un exemple de cycle conjoncturel impulsé par un choc de demande positif, la
réunification allemande
La réunification allemande, vue du point de vue de l’Allemagne de l’ouest, nous fournit un choc de demande
difficilement contestable. En effet, on a alors assisté à une hausse rapide de la consommation, de
l’investissement et des dépenses publiques des résidents d’Allemagne de l’est, alors que la production estallemande s’effondrait. Des consommateurs longtemps rationnés et anticipant des revenus accrus ont reçu un
accueil empressé des banques d’Allemagne de l’Ouest, heureuses de voir affluer ces nouveaux clients
potentiels et de surcroît non endettés. Ces banques étaient également ravies de financer les projets de
construction de nouvelles infrastructures et autres installations des pouvoirs locaux. Ce sont les producteurs
ouest-allemands, prêts à satisfaire cette hausse de la demande, qui ont le plus bénéficié de ces dépenses. Au
départ, la demande n’a pas provoqué de pression inflationniste significative. Ce n’est qu’après deux ans que
les signes classiques d’une surchauffe sont apparus : revendications salariales, taux élevés d’utilisation des
équipements, … La banque centrale allemande s’est finalement opposée à toute nouvelle croissance
monétaire. En permettant une hausse des taux d’intérêt de marché, et en relevant à plusieurs reprises ses taux
directeurs, elle a rapidement restauré des conditions non-inflationnistes.
Source : Michael Burda et Charles Wyplosz « Macroéconomie. A l’échelle européenne », de Boeck, 2006,
382-383
Document 13 : les chocs d’offre
L’exemple le plus simple d’un choc d’offre négatif est une perte soudaine de facteurs de production humains
ou physiques. Ceci peut être le résultat d’une catastrophe naturelle ou d’une guerre. Un autre exemple est le
passage des pays d’Europe centrale et orientale de l’économie planifiée à l’économie de marché après 1989.
Le PIB a reculé pendant quelques années et a ensuite commencé à augmenter à un rythme relativement vif.
La baisse initiale, le choc d’offre, était principalement due à la désorganisation qui est apparue quand les
marchés n’avaient pas encore commencé à fonctionner, tandis que l’économie n’était plus opérationnelle.
Une autre raison a été l’obsolescence immédiate des capacités de production intérieures dès lors que des
biens étrangers de meilleure qualité devenaient disponibles.
Un choc d’offre peut également être favorable par exemple une accélération du progrès technique. (…) Les
deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979 ont constitué un tournant de l’histoire économique d’après-guerre.
Ils ont marqué la fin des performances de croissance rapide de la plupart des pays européens et du Japon, et
ont été suivis par une inflation et un chômage sensiblement plus élevés. (…) Après un contre-choc pétrolier
au milieu des années 1990, le prix du pétrole a de nouveau grimpé en 2000, et encore à partir de 2003 dans la
foulée de la guerre en Irak. Un choc d’offre négatif déplace la courbe d’offre globale vers la gauche, et se
traduit par une stagflation. Pour contrer la baisse de la production et la hausse du chômage qui s’ensuit, les
pouvoirs publics peuvent adopter une politique de demande expansionniste. (…) Si au contraire, ils
souhaitent éviter l’augmentation de l’inflation, ils opteront pour des politiques de demandes restrictives.
Source : Michael Burda et Charles Wyplosz « Macroéconomie. A l’échelle européenne », de Boeck, 2006,
353-354
Document 14: un exemple de choc d’offre négatif, le premier choc pétrolier
En 1973, le monde entier fut frappé par un choc d’offre négatif important : à partir d’un embargo sur le
pétrole instauré lors de la guerre israélo-arabe dite du Kippour en octobre, l’Organisation des pays
13
exportateurs de pétrole (OPEP) parvint à imposer un quadruplement du prix du pétrole en restreignant la
production. en outre, de mauvaises récoltes dans un grand nombre de pays conduisirent à une hausse des prix
de nombreux produits agricoles. A ce moment, les taux de chômage faibles donnaient un pouvoir de
négociation fort aux salariés, leur permettant d’exiger de fortes hausses de salaires. Ces différents éléments
conduisirent à un déplacement brutal vers la gauche de la courbe d’offre globale. Comme l’analyse d’offre et
de demande globale le prédit, à la fois l’inflation et le chômage augmentèrent rapidement.
Année (source : OCDE)
Taux de chômage
Taux d’inflation
1973
2,7
7,5
1974
2,9
13,7
1975
4,2
11,6
La situation se répéta presque à l’identique en 1979, où une nouvelle hausse du prix du pétrole résultat du
renversement du Chah d’Iran, et de nouvelles mauvaises récoltes firent de nouveau augmenter les prix
agricoles.
Source : Frederic Mishkin, Christian Bordes, Pierre-Cyrille Hautcoeur & Dominique Lacoue-Labarthe
« Monnaie, banque et marchés financiers », Pearson, 2007, p.783
Document 15 : la politique monétaire suisse après le premier choc pétrolier
La banque nationale suisse a adopté une stratégie explicitement anti-inflationniste. (…) Les politiques
restrictives ont suscité une récession qui a entraîné une réduction graduelle de l’inflation ;
Document 16 : rigidité du salaire réel et existence d’un chômage cyclique (les conséquences d’un choc
négatif sur l’emploi chez les nouveaux keynésiens)
Il est difficile de concilier le modèle de plein emploi avec les fluctuations observées en matière de
production et d’emploi. Selon ce modèle, le niveau du salaire réel (salaire nominal divisé par les prix) permet
d’équilibrer en permanence le marché du travail (d’égaliser l’offre et la demande de travail) : si la demande
diminue, pour une raison ou une autre, le maintien du plein emploi nécessite seulement une baisse du taux de
salaire. Mais dans la réalité, les choses se passent rarement ainsi. (…) De 2000 à 2002, le chômage est passé
de 4% à 5,8% aux Etats-Unis et cela n’a pas empêché le salaire horaire réel de croître de 2,6%. (…) Si le
salaire réel ne parvient pas à s’ajuster à la suite d’une baisse de la demande de travail, le marché n’est plus
équilibré : la demande de travail est inférieure à l’offre. Il existe des personnes qui désirent travailler au taux
de salaire existant mais il n’y a pas d’offre de travail en regard de cette demande (la demande est rationnée).
Les entreprises qui ont besoin de moins de salarié, cessent d’embaucher ou même licencient une partie de
leur personnel. Par conséquent, le chômage augmente. (…) L’augmentation du chômage provient de ce que
le salaire réel ne parvient pas à s’ajuster de façon suffisamment rapide quand la courbe de demande de travail
se déplace vers la gauche. Dans la mesure où le salaire réel, par définition, est égal au salaire nominal divisé
par les prix des biens et des services, cette incapacité du salaire réel à s’ajuster rapidement peut provenir
aussi de l’absence de changement tant dans les salaires nominaux que dans les prix.
Quand on étudie le marché du travail, il est important de garder à l’esprit la distinction entre salaire réel et
salaire monétaire (ou nominal). Le salaire nominal correspond au salaire en unitaires monétaires. Le salaire
réel correspond au pouvoir d’achat. La façon dont il évolue quand le salaire nominal varie dépend des
changements qui se produisent dans les prix. Les économistes s’intéressent surtout aux salaires réels parce
que, d’une part, les individus sont sensibles au pouvoir d’achat de leurs revenus et, d’autre part, les
entreprises se préoccupent des coûts réels du travail.
Source : Joseph Stiglitz « Principes d’économie moderne », de Boeck, 2008, p.607-608
14
Document 17 : les conséquences d’un choc dans le modèle des cycles réels (nouveaux classiques)
La théorie des cycles réels propose donc une approche alternative des cycles conjoncturels. Des facteurs
technologiques (…) déplacent la fonction de production vers le haut et accroissent la productivité du capital
et du travail. Ceci amène les entreprises à augmenter leur stock de capital, et les travailleurs leur offre de
travail. Ces réactions des facteurs de production dans la phase d’expansion du cycle amplifient l’impact
direct du choc de productivité. Plus intéressant, le PIB baisse ensuite, à mesure que le capital est
désaccumulé et que les travailleurs profitent de leurs loisirs (…). Ces réactions cycliques sont optimales pour
toutes les parties concernées. C’est le mieux que puissent faire les agents et il n’y a ni chômage
(involontaire), ni occasions manquées. Ceci contraste fortement avec l’interprétation en termes de prix
rigides, qui met l’accent sur le chômage et l’allocation inefficace des ressources durant les récessions.
L’approche des cycles réels en conclut notamment – cette conclusion heurte bon nombre d’économistes et
est donc très controversée – à l’inutilité des politiques de demande. En effet, une des implications de la
théorie des cycles réels est que, puisque par définition ménages et entreprises font pour le mieux, compte
tenu de contraintes changeantes, il n’y a pas lieu de plaindre. Ainsi, les récessions profondes sont vues
comme la meilleure réaction possible des économies à de graves chocs négatifs de productivité. (…)
L’observation indique que les prix semblent rigides à court terme. C’est cet élément de réalisme que la
théorie des cycles réels n’a pas encore intégré, ce qui limite son acceptation par une bonne part de la
profession, en dépit de sa rigueur intellectuelle. Si le réalisme n’est pas un élément essentiel d’un bon
modèle macroéconomique, la portée du détail en question est telle qu’il paraît indispensable de l’incorporer,
ou, tout le moins d’expliquer pourquoi il serait sans importance.
Source : Michael Burda et Charles Wyplosz « Macroéconomie. A l’échelle européenne », de
*************
15
Existe-t-il une trajectoire unique de développement ?
Biblio :
Aghion et Roulet « Repenser l’Etat », La république des idées ; vous avez notamment à la fin de l’ouvrage
des graphiques reliant démocratie et concurrence, démocratie et brevet … qui montre le lien entre régime
politique, libéralisme, concurrence et incitations dans l’esprit des travaux de North.
J.M.Huart « Croissance et développement », Bréal (petit livre, utile)
P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014
Il serait utile de jeter un œil dans un dictionnaire d’économie sur la théorie de la régulation. Dans une
approche historique (influencée par le marxisme), ces auteurs proposent des typologies du capitalisme.
Je fais également référence dans ce dossier à un article de D.Rodrik et A.Subramanian « La primauté des institutions »,
paru dans le revue du FMI « Finances et développement » en 2003 ; très facilement récupérable sur internet.
Document 1 : extrait de D.C.North
J’ai mis les institutions au centre de l’analyse des économies car elles sont la structure incitative de celles-ci.
Je me suis demandé comment des économies composées d’institutions poussant à la stagnation et au déclin
pouvaient perdurer. (…) L’évolution humaine est guidée par les perceptions des acteurs ; des choix – des
décisions – sont effectués à la lumière de ces perceptions avec l’intention de produire des résultats qui
réduiront l’incertitude à laquelle sont confrontées les organisations (politiques, économiques et sociales)
dans la poursuite de leurs objectifs. Le changement économique est donc pour l’essentiel un processus
délibéré, modelé par les perceptions qu’ont les acteurs des conséquences de leurs actes.
Source : D.C.North « Le processus du développement économique », Ed. d’organisation, 2005
Document 2 : extrait de D.C.North
Nous vivons dans un monde incertain et instable qui présente un visage sans cesse nouveau et différent. (…)
Pour comprendre le changement économique entre l’essor du monde occidental et l’effondrement de l’Union
Soviétique, il faut aller bien au-delà du changement économique proprement dit, car celui-ci résulte de
modifications dans : 1) la quantité et la qualité des êtres humains ; 2) le stock de connaissances humaines, en
particulier celles qui concernent la maîtrise de l’homme sur la nature ; 3) et le cadre institutionnel qui définit
la structure incitative volontaire d’une société. (…)
La structure que nous imposons à notre vie pour réduire l’incertitude est faite d’une accumulation de
prescriptions et de proscriptions. Il en résulte un système complexe de contraintes formelles et informelles.
(…) Si nous concentrons étroitement notre attention sur l’économie, nous nous préoccupons de la rareté des
ressources et donc de la concurrence qui s’exerce autour d’elles. La structure des contraintes que nous
imposons pour encadre la concurrence détèrmine les règles du jeu. Comme les marges où la concurrence
peut s’exercer ne sont pas les mêmes selon les différents marchés (politiques aussi bien qu’économiques), la
structure imposée aboutira à déterminer si la structure de la concurrence induira une efficacité économique
accrue ou une stagnation. Ainsi, les droits de propriété bien développés, favorables à la productivité,
accroîtront-ils l’efficacité du marché. l’évolution de la structure des marchés politiques et économiques est la
clé de l’explication des performances.(…)
Source : D.C.North « Le processus du développement économique », Ed. d’organisation, 2005
Document 3 : extrait de D.C.North
Les institutions sont les règles du jeu, les organisations sont les joueurs ; ce sont les relations entre les uns et
les autres qui orientent le changement institutionnel. Les institutions sont les contraintes que les êtres
humains imposent à leurs propres relations. Ces contraintes définissent l’ensemble des opportunités existant
dans l’économie. Les organisations consistent en groupes d’individus liés entre eux par certains objectifs
communs. (…) Les opportunités procurées par la matrice institutionnelle déterminent les types
d’organisations qui seront créées ; les entrepreneurs des organisations provoquent le changement
institutionnel quand ils affrontent la concurrence omniprésente résultant d’un monde économique de rareté.
(…) L’omniprésence de la concurrence dans un contexte économique général de rareté amène les
entrepreneurs et les membres de leurs organisations à investir dans les compétences et les connaissances.
(…) Quand la concurrence est muselée, les organisations se sentent peu incitées à investir dans de nouvelles
connaissances et par conséquent ne provoqueront pas de changement institutionnel
Source : D.C.North « Le processus du développement économique », Ed. d’organisation, 2005
16
Document 4 : extrait de D.C.North
La structure artéfactuelle se définit comme ce qui a été transmis et mis en place par les générations passées.
Elle est formée de l’apprentissage des générations passées, transmis en tant que culture dans la structure de
croyances des générations présentes. Les règles formelles mises en place par une société refléteront cet
héritage, mais les vecteurs les plus importants de la structure artéfactuelle sont les contraintes informelles
exprimées par les normes de comportement, conventions et codes de conduite auto-imposés. (…)
Il y aura développement économique fructueux quand le système de croyances qui s’est instauré a créé une
structure artéfactuelle « favorable », capable d’affronter les expériences nouvelles auxquels les individus et
la société font face et de résoudre positivement les dilemmes nouveaux. Il y aura échec quand les
expériences nouvelles sont si éloignées de la structure artéfactuelle du système de croyances que les
individus et la société ne disposent pas des « briques » mentales (…) nécessaires pour résoudre les
problèmes nouveaux. Si l’on veut vraiment chercher à comprendre les écarts de performances entre
différentes parties du monde, tant à travers l’histoire que dans le monde moderne, c’est par là qu’il faut
commencer.
Source : D.C.North « Le processus du développement économique », Ed. d’organisation, 2005
Document 5 : l’impact de l’intégration sur la croissance dépend des institutions
Il y a consensus chez les économistes pour dire que l’ouverture est un jeu à somme positive et que les
expériences de fermeture des économies en développement ont été des échecs, mais quand on analyse les
situations des pays du Sud qui ont fait le choix de l’ouverture commerciale et financière, on constate que les
résultats sont inégaux. (…) Rodrik et Subramanian (2003) ont confronté les explications des écarts de
développement : rôle du commerce international comme moteur de croissance, rôle de la géographique
(climat, ressources naturelles, enclavement) qui peut handicaper les gains de productivité et la
commercialisation de la production, rôle des institutions (droits de propriété, fonctionnement de l’Etat de
droit …) qui peuvent inciter les agents économiques à entreprendre. Ils montrent que la qualité des
institutions est le seul déterminant significatif du niveau de revenu. Cela ne signifie pas que les autres
facteurs ne jouent aucun rôle mais simplement que la qualité des institutions est une condition nécessaire
pour engager un processus de développement durable.
Source : Jean-Pierre Allegret & Pascal Le Merrer « Economie et mondialisation. Opportunités et fractures », De Boeck,
2007, p. 295
Document 6 : corrélation « intégration économique » et développement économique
Source : D.Rodrik et A.Subramanian « La primauté des institutions », Finances et développement, 2003
Document 7 : le rôle des institutions et leur spécificité nationale
Quel est le juste équilibre entre concurrence et réglementation dès lors qu’il s’agit de surmonter certaines
défaillances standards des marchés ? Quelle est la taille appropriée du secteur public ? Quel doit être le
niveau de discrétion et de flexibilité dans la conduite des politiques budgétaire, monétaire et de change ?
Malheureusement, l’analyse économique n’est guère utile pour répondre à ces questions, ce qui peut paraître
étonnant. En fait, il est de plus en plus évident que les dispositifs institutionnels souhaitables sont largement
influencés par des spécificités contextuelles qui résultent de différences historiques, géographiques et
politico-économiques, entre autres conditions initiales. Ceci expliquerait pourquoi les pays en
17
développement qui obtiennent de bons résultats combinent presque toujours des politiques conventionnelles
et non conventionnelles. L’Asie de l’Est a combiné une politique orientée vers l’extérieur et une intervention
dans l’industrie. La Chine a greffé une économie de marché sur une économie planifiée plutôt que d’éliminer
totalement la planification centrale. L’île Maurice a mis en place des zones franches industrielles plutôt que
d’opérer une libéralisation générale. Même le Chili a combiné une réglementation des mouvements de
capitaux et une politique économique plutôt conventionnelle par ailleurs. Ces variations pourraient aussi
expliquer pourquoi des différences institutionnelles majeures — dans le rôle du secteur public, la nature des
systèmes juridiques, le gouvernement d’entreprise, les marchés de capitaux, le marché du travail et les
dispositifs d’assurance sociale, entre autres — persistent dans les pays avancés d’Amérique du Nord et
d’Europe occidentale, ainsi qu’au Japon. En outre, il se peut que des choix institutionnels qui donnent de
bons résultats dans un pays soient inappropriés dans un autre qui ne dispose pas des normes
d’accompagnement et des institutions complémentaires. En d’autres termes, les innovations institutionnelles
ne s’exportent pas nécessairement bien.
Source : D.Rodrik et A.Subramanian « La primauté des institutions », Finances et développement, 2003
Document 8
Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat », la république des idées, 2011
Document 9: l’exemple du Brésil
L'industrialisation par voie substitutive d'importation qui marque pendant plus d’une trentaine d’années
l'économie du Brésil, peut être appréhendée selon deux phases.
La première phase concerne la substitution d’importations légères. Cette étape qui nécessite peu de
capital et de main-d’œuvre qualifiée est d'autant plus aisée à franchir qu’elle s’appuie sur des capacités
industrielles et des infrastructures préexistantes, générées par l’économie exportatrice. [...]
La deuxième phase de la substitution aux importations concerne des secteurs plus lourds (cimenterie,
acier commun, chimie, biens d'équipement pour les industries textiles, métallurgie.. ) pour toucher plus
tardivement d'autres secteurs plus complexes (équipement industriel, construction navale, matériel
électrique, aciers spéciaux, pétrochimie...) et des biens de consommation durables (appareils ménagers,
automobiles, radio, télévision...) ce qui nécessite plus de capital et une main d’œuvre mieux formée, plus
différenciée. [...] L'Etat définit le cadre juridique de l'industrialisation (institution du Code minier en 1934 du
Conseil national du pétrole en 1938"..) ; il crée un Institut national de statistique, un Conseil fédéral du
commerce extérieur ouvrant la voie à une ébauche de planification ; il poursuit également l'effort pour les
infrastructures et met en place une législation sociale relativement avancée. Il intervient aussi directement
dans la production quand il crée (en 1941) l'usine de Volta Redonda (Compagnie sidérurgique nationale)
18
après que des grandes sociétés sidérurgiques étrangères eurent refusé de construire une aciérie. D'autres
mesures [...] comme la création de la Banque Nationale de Développement économique (1952), de Pétrobas
(1954) augmentent les instruments de l'Etat qui élargit par ailleurs ses interventions en faveur d'une
diversification industrielle. C'est cependant le Plan Metas du gouvernement Kubitschek (1955-1961) qui
donne l'impulsion décisive à la substitution d'importations lourdes dans le cadre d'une stratégie délibérée
d'industrialisation intense symbolisée par le mot d'ordre : « 50 ans d'industrialisation en 5 ans ». [...]. Sur la
période 1955-1961, l'économie croît de 8,1% par an tandis que la part de l'industrie dans le PIB passe de
21,9% en 1949 à 30,5% en 1960.
Source : A. Merad-Boudia, « Economie du développement Une perspective historique », L’Harmattan, 2012
Document 10 : les stratégies de développement fondées sur les marchés extérieurs, le rôle des
politiques commerciales protectionnistes
Au 19ième siècle, le développement des pays occidentaux s’est déroulé dans un cadre d’essor des échanges
internationaux. De manière logique, les pays du tiers-monde ont cherché à mettre en valeur leurs avantages
afin de favoriser l’entrée des capitaux permettant le développement. Deux types de politiques ont été
menées :
- la première politique vise à la promotion d’exportations de produits primaires agricoles ou miniers ;
les pays cherchent, dans ce cas, à profiter de l’avantage qu’ils ont dans ce type de production ou des
dotations importantes qu’ils détiennent. La spécialisation dans les exportations de produits pétroliers,
dans les années 1970, en est un premier exemple, mais des pays d’Amérique latine ou africains (Côte
d’ivoire, Sénégal …) ont adopté ce type de stratégie depuis les années 1960. Ces spécialisations,
généralement fondées sur un seul produit de base, se sont soldées par un bilan très mitigé : la monoexportation rend les ressources du pays très liées aux fluctuations internationales des prix. Les
tentatives des cartels ont généralement échoué, sauf dans le cas de l’OPEP ;
- fondée sur la substitution d’exportations, la stratégie de valorisation des exportations de produits
primaires consiste à transformer les produits primaires dans le pays pour valoriser les exportations.
Le Brésil, l’Argentine, le Mexique, l’Egypte ont adopté cette politique à partir du milieu des années
1960. Les pays d’Asie du Sud-Est ont progressivement adopté cette stratégie, l’objectif étant, comme
en Thaïlande ou en Corée du sud, de remplacer les exportations de produits primaires par des
exportations de produits manufacturés. La Corée adopte, dès 1961, une stratégie extravertie fondée
sur l’exportation de biens courants, comme le textile. Mais cette politique se double d’une stratégie
de remontée de filière qui permet une industrialisation et des exportations de produits de plus en plus
sophistiqués. L’aide de l’Etat, notamment des mesures protectionnistes, est essentielle. Une nouvelle
vague d’industrialisation touche d’autres pays d’Asie dans les années 1980 (Malaisie, Philippines,
Indonésie, Chine, Inde …). Ces pays réussissent progressivement à exporter des produits de plus en
plus sophistiqués, en se fondant sur les avantages comparatifs liés au coût du travail.
Source : Jean-Marc Huart « Croissance et développement », Bréal, coll. Thèmes et débats, 2003
Document 11 : les NPI d’Asie
Le rattrapage de l’Asie a été préparé par l’histoire longue de ce continent ainsi que par la période socialiste
récente. La Chine et l’Inde ont été précédées par des chevau-légers qu’on a appelés les « nouveaux pays
industrialisés » (NPI) et naturellement par le Japon qui avait débuté son rattrapage dans la deuxième moitié
du 19ième siècle.
Dans les années 1960-1970, le Japon est l’exemple même d’une croissance social-démocrate autocentrée de
rattrapage extrêmement rapide. Peu d’investissements directs étrangers, un développement tiré en premier
lieu par la croissance d’un marché intérieur très homogène : jusque dans les années 1980, 90% des japonais
se disent appartenir à la classe moyenne. Le taux d’équipement des ménages en biens de consommation
durable, pilier de la croissance fordiste, évolue très rapidement par vagues successives. D’une très forte
compétition sur le marché intérieur émergent des champions nationaux, en général deux ou trois par secteurs.
Ces champions font partie de grands groupes très diversifiés rassemblant des firmes industrielles, des
maisons de commerce et des banques : les Keiretsu, héritiers des Zaibastu d’avant-guerre. Les Kereitsu
entretiennent des rapports étroits et permanents avec l’Etat, en particulier avec le fameux MITI, ministère de
l’industrie et du commerce extérieur. L’Etat les préserve de la concurrence extérieure par un protectionnisme
délibéré et multiforme (…). Durant cette phase social-démocrate autocentrée, la croissance japonaise est très
égalitaire. Dans les années 1980, le relais est pris par les exportations, puis par les investissements directs des
firmes japonaises à l’étranger, aux Etats-Unis mais surtout en Asie, ce qui les place au sommet d’un système
19
de production asiatique, et qui va leur faire jouer un rôle important dans l’industrialisation du reste de l’Asie,
Chine comprise.
Le rattrapage de la Corée suit celui du Japon d’après-guerre avec un décalage d’une quinzaine d’années,
dans le cadre d’un capitalisme qui présente avec celui du Japon des années 1960 à 1980 d’importantes
similitudes : faiblesse des investissements directs à l’étranger, homogénéité sociale et inégalité sociale
réduite, rôle décisif de l’Etat et collusion entre l’Etat et de grandes firmes industrielles : les Chaebols. Les
traits distinctifs sont : une aide extérieure américaine, liée à la guerre de Corée et à ses suites, probablement
plus importante dans la phase initiale ; une croissance plus nettement tirée par les exportations dès le départ ;
une compétition politique avec le Nord socialiste ; enfin, une revanche à prendre vis-à-vis du Japon, la
puissance colonisatrice honnie (…).
Comme la Corée, et en raison de son caractère plus tardif, le rattrapage de Taiwan et Singapour s’appuie plus
que celui du Japon sur les exportations ne serait-ce qu’en raison de l’étroitesse des marchés intérieurs.
Source : P.N.Giraud « La mondialisation. Emergences et fragmentations », Editions Sciences humaines, 2012, p.71-73
Document 12 : la promotion des exportations comme stratégie d’émergence, les NPI d’Asie
La stratégie d’insertion dans l’économie mondiale adoptée par les quatre dragons (Corée du Sud, Taiwan,
Singapour, Hong-Kong) suit assez fidèlement celle du Japon, qui garde une à deux décennies d’avance tout
au long du processus. On peut distinguer trois grandes phases dans la période qui couvre l’après-guerre
jusqu’aux années 1990.
La première phase (phase de stabilisation institutionnelle – 1945/1960) consiste à mettre en place les
conditions politiques et institutionnelles d’une stabilisation de l’économie et de la société de ces pays :
établissement d’un pouvoir politique stable, réduction du niveau de tension dans la société, réforme agraire,
mise en place d’un cadre juridique cohérent.
La seconde phase (l’amorçage de l’industrialisation par la sous-traitance internationale – 1955/1970). La
puissance publique joue un rôle déterminant dans la planification et le financement du développement
industriel. (…) Tout en menant une politique active de modernisation de leur tissu productif national, les
futurs dragons se positionnent comme bases de sous-traitance pour l’industrie textile des pays avancés. (…)
Le coût de la main d’œuvre est maintenu à un niveau très modeste : en 1984, il représente encore 17%
(Corée du sud) des niveaux constatés en France. (…) A la fin de cette période, les dragons restent
caractérisés par un niveau de vie encore relativement faible (particulièrement en Corée du sud, dont le
PIB/Tête reste inférieur à celui de Corée du nord jusqu’en 1966), et une part modeste de l’emploi
manufacturier (7% en Corée du Sud, 12% à Taiwan mais 32% à Hong Kong).
Abandonnant explicitement les politiques de substitution aux importations au tournant des années 1960, les
autorités décident de pratiquer une politique agressive de promotion des exportations, qui combine
incitations fiscales, subventions aux exportations, et sous-évaluation de la monnaie nationale. On rentre alors
dans la troisième phase, celle de diversification industrielle et de montée en gamme des exportations
(1965/1990). (…) Le rôle structurant de l’Etat en Corée du sud est illustré (…) par la création de grands
conglomérats nationaux capables de se porter directement sur les marchés mondiaux (les Chaebols). (…)
L’effort d’investissement consenti pour moderniser l’économie est considérable : le taux d’accumulation
représente 40% du Pib à Taiwan et Singapour.(…) Pour maintenir la compétitivité prix de leur économie, les
autorités monétaires adoptent une gestion dynamique de leur taux de change, qui reste sous-évalué malgré
son appréciation progressive, ce qui permet de protéger le secteur domestique de la concurrence
internationale et de maintenir l’attractivité de l’économie pour les investisseurs étrangers.
Source : Julien Vercueil « Les pays émergents. Mutations économiques et nouveaux défis », Bréal
20
Document 13
Les autres exemples
Le Japon / La Corée du
L’Algérie
Le Brésil
historiques de politique
Sud
industrielle volontariste
substitution Années 1970
Substitution
aux
Stratégies
de 1950-1960 :
des
importations
et Planification
et importations,
développement
développement d’industrie à développement de développement
faible
valeur
ajoutée ; l’industrie lourde ; industrie
protectionnisme
des logique
des (lourde/équipement et
secteurs en développement ; industries
consommation
les marchés intérieurs sont industrialisantes ;
courante)
et
concurrentiels
mais
planification
protégés des étrangers ;
Plan Kubitschek à
quelques firmes leaders
la fin des années
ressortent
de
cette
1960: « 50 ans
concurrence,
elles
d'industrialisation en
appartiennent aux Kereitsu
5 ans »
ou au Chaebols (relation
étroite
entre
banques,
entreprises et Etat) ;
à partir 1960 : remontée de
filières et soutien aux
exportations : au Japon, le
Miti apporte son aide
financière et logistique aux
exportateurs ;
Rôle de l’Etat dans les L’Etat joue un rôle important dans les pays en retard car il permet une
pays « late comers »: accumulation du capital plus importante que ne le feraient les initiatives
privées, et il protège les industries naissantes ;
A.Gerschenkron
Le rattrapage de ces économies vient donc de l’impulsion fournie par la
puissance publique, mais aussi par les conditions d’imitation à moindre
coût des technologies développées par les pays leaders ;
Document 14 : les limites des politiques volontaristes
Si ces diverses formes de politique industrielle peuvent s’avérer efficaces dans une « économie de
rattrapage », elles ont été fortement critiquées depuis les années 1980. Plusieurs arguments sont avancés pour
en remettre en cause l’efficacité.
D’abord, elles supposent que l’Etat soit un agent à la fois bienveillant, impartial et efficace en fixant ses
priorités industrielles, ce qui peut être contesté. Les entreprises protégées par un monopole, des
réglementations favorables ou des aides directes ont tout intérêt à conserver les rentes de situation qui en
découlent, elles peuvent dans ce but corrompre les agents publics, s’organiser en groupe de pression pour
détourner les subventions et les réglementations à leur profit, et leur petit nombre facilite leur travail de
lobbying face à l’éparpillement des clients.
Plus un pays se rapproche de la frontière technologique, plus son économie est ouverte et soumise aux
changements rapides de la concurrence internationale, et plus les solutions industrielles prônées par la
puissance publique risquent de s’avérer inadaptées. L’échec du « Plan Calcul », lancé en 1966 pour entraîner
la formation d’une industrie informatique française autour de la société Bull est le symbole de cette difficulté
à mener jusqu’au bout des choix innovants de façon volontariste.
Source : Manuel ESH A.Colin, 2013, p. 619
21
Document 15 : distinguer les moteurs de l’innovation dans les pays en rattrapage et dans les pays à la
frontière technologique
Des travaux récents le montrent : les leviers d’une croissance basée sur l’innovation sont différents de ceux
d’une croissance fondée sur l’imitation ou le rattrapage technologique.
Tout d’abord, l’innovation de pointe (ou d’innovation à « la frontière technologique ») a besoin d’un marché
des biens concurrentiels, et cela pour deux raisons essentielles : d’une part, parce que davantage de
concurrence incite à l’innovation pour justement échapper à la concurrence et réaliser des profits de
monopole (au moins temporairement, jusqu’à ce que l’innovation soit rendue obsolète par de nouvelles
innovations) ; d’autre parce, parce que les nouvelles idées sont souvent introduites par de nouveaux entrants
sur le marché des biens, tandis que les firmes en place tendent à perfectionner les produits ou les
technologies qu’elles ont inventé dans le passée. Ainsi, ce ne sont pas les grands producteurs d’avions à
hélices qui ont introduit les avions à réaction, tout comme ce n’est pas IBM qui a le premier introduit les
ordinateurs portables. Et, de fait, les travaux empiriques montrent que plus la croissance d’une économie
repose sur l’innovation « frontière », plus cette croissance est stimulée par davantage de concurrence et de
mobilité sur le marché des biens.
Le graphique suivant montre bien qu’une augmentation du niveau de la concurrence (ici, cela correspond à
un taux d’entrée plus élevé des firmes étrangères) a un impact positif sur la croissance de la productivité
(autrement dit sur l’innovation) pour les firmes qui sont proches de la frontière technologique. A l’inverse,
cette même augmentation du niveau de concurrence a un effet négatif sur la croissance de la productivité
pour les firmes qui sont loin derrière la frontière technologique. Dans le premier cas, plus de concurrence
incite les firmes à innover davantage pour survivre, alors que dans le second cas, cela a l’effet inverse pour
les firmes qui sont loin de la frontière technologique/ ces dernières savent qu’elles n’ont aucune chance face
aux nouveaux entrants sur le marché des biens. et plus l’économie est proche de la frontière technologique,
plus est composée de firmes innovantes plutôt que de firmes installées, et par conséquent l’effet global de la
concurrence sur l’innovation sera plus largement positif dans cette économie.
Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.97
22
Document 16
Explications
Les limites et effets pervers
d’un Etat volontariste en
matière de politique
industrielle
L’intervention de l’Etat ne se Situation de « capture du régulateur » ;
fait pas dans le sens de poids des lobbys qui orientent la
dépense et les investissements publics
l’intérêt général
à leur profit plutôt que dans l’intérêt
général ;
L’Etat est lui-même victime Bien qu’actionnaire, l’Etat peut être
d’asymétrie
d’information piégé par les dirigeants des entreprises
dans la gestion des entreprises publiques et s’avérer un mauvais
publiques : conséquence, sa gestionnaire ;
gestion est défaillante
L’approche volontariste (dite Dans les économies en rattrapage,
approche « top down ») ne l’Etat protège les industries naissantes
fonctionne plus à l’approche à la fois de la concurrence intérieure
(monopole public) et de la concurrence
de la frontière technologique
extérieure (protectionnisme) pour en
faire des champions nationaux. Dans
ce cas de figure, augmenter la
concurrence a un double désavantage :
la concurrence interne empêche la
capacité à générer des économies
d’échelle et donc à faire baisser les
CUP. Augmenter la concurrence
externe conduit les entreprises
nationales « en retard » à disparaître
face aux concurrents des pays leaders.
Par contre, lorsque l’économie est à la
frontière technologique, l’innovation
ne vient pas des firmes « installées »
(les champions nationaux) mais de
« newcomers » qui cherchent à obtenir
à leur tour une position de leader sur le
marché. Dans ce cas, plus la
concurrence est forte plus cela stimule
les innovations entre les entreprises
privées.
Conclusion : lorsqu’une économie a
rattrapé son retard (qu’elle se trouve à
la frontière technologique), elle doit
modifier le degré de concurrence sur
les
marchés
(davantage
de
concurrence) et limiter l’intervention
publique, afin de favoriser la
concurrence entre une multitude
d’entreprises privées.
Exemples
Lobby du nucléaire contre le
développement des énergies
alternatives (France) ;
Le crédit Lyonnais (alors
banque publique) est au bord de
la faillite (1993) – intervention
pour éviter la faillite (coût net
environ 8 milliards d’euros)
Echec des politiques verticales ;
par exemple, dans le domaine
informatique qui se développe à
partir des années 1960, la
France élabore deux plans pour
devenir un pays leader, mais qui
seront deux échecs :
Le Plan calcul (lancé en 1966) :
son objectif est d’assurer
l’indépendance de la France en
matière de gros ordinateurs et de
soutenir l’industrie électronique
française ;
Le Plan informatique pour tous
(lancé en 1985) pour initié tous
les élèves à l’informatique ;
l’Etat choisit d’acheter des
ordinateurs Thomson – qui est
alors en situation financière
difficile - plutôt qu’Apple ;
***********
23
La France s’est-elle rapprochée de la frontière technologique ?
Biblio :
Sur cette question, il faut absolument avoir en main
Aghion, Cette et Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014
Il y a tout dans cet ouvrage pour traiter le sujet : le constat d’un décrochage à partir des années 1990 (le
graphique 1, le tableau 1.1 sont parlants), un passage sur la politique industrielle qui résume tout (p.85-89),
un chapitre sur les politiques de l’innovation (p. 96) qui permet bien de comprendre le rôle différent (et
opposé) que joue la concurrence dans les pays en rattrapage et dans les pays leaders, et une conclusion à lire
« pourquoi Krugman a tort » ;
Le reste de l’ouvrage est très utile pour le module 4 du programme de seconde année.
Vous pouvez également vous pencher sur l’ouvrage suivant (qui est antérieur au premier cité ; on y retrouve
beaucoup de choses communes) : P.Aghion et A.roulet « Repenser l’Etat », La république des idées, 2011
Il y a une présentation de la problématique dans l’intro mais surtout dans le Chapitre 1, partie intitulée
« Nouvelles idées, nouvelles entreprises » ; « réinventer la politique industrielle » ; « un ciblage sectoriel ».
Dans ce sujet,il faut :
- Faire le constat du rattrapage français (notamment par rapport aux Etats-Unis pays leader) durant les 30
glorieuses ; il faut donc trouver des indicateurs de ce rattrapage : comparer l’évolution des pib par tête entre
les deux pays ; l’évolution de la PGF par exemple ; le doc 1 par exemple ;
- Montrer que ce rattrapage s’arrête dans les années 1990 (au moment de la diffusion des ntic)
- proposer une explication de l’arrêt de ce rattrapage ;
- proposer des solutions face à ce décrochage ;
Sur les trois derniers points, il faut clairement dire que vous vous appuyez sur les travaux de Cohen, Cette et
Aghion et les citer.
Document 1
Source : G.Cette cité par P.Aghion dans sa leçon inaugurale au Collège de France, le 01 octobre 2015
Document 2 : quand l’Etat se substitue au marché, les politiques industrielles volontaristes
Les pays n’ayant pas connu une industrialisation précoce, fruit du dynamisme de leur tissu d’entreprises, ont
souvent mené une politique industrielle volontariste pour rechercher un développement rapide de l’appareil
productif, guidé par la puissance publique. Le Japon de l’ère Meiji, à partir de 1868, se développe
rapidement grâce à la création d’industries lourdes par la puissance publique, qui seront ensuite cédées à des
groupes privés à partir des années 1880. Le rôle de l’Etat reste structurant, l’investissement public étant
24
supérieur à l’investissement privé jusqu’à la première guerre mondiale. De même, le développement de la
Corée du Sud après la fin de la guerre de Corée en 1950 résulte d’une stratégie volontariste du
gouvernement, qui a toujours eu des relations étroites avec les milieux industriels, développant notamment
une série d’industries lourdes publiques, et orientant sa stratégie vers la promotion des exportations à partir
des années 1960.
Selon l’expression de P.Aghion, les pays situés loin de la frontière technologique constituent des
« économies de rattrapage » qui ont intérêt à placer l’Etat au centre d’un processus rapide de rattrapage des
pays les plus développés. Ils peuvent en effet imiter les technologies disponibles et n’ont pas besoin
d’investir massivement dans la recherche d’innovations. En revanche, l’Etat est indispensable pour orienter
de façon volontariste les ressources vers les secteurs stratégiques. Dans le cas coréen, par exemple, les
accords de partenariat avec les Etats-Unis après-guerre, soutenant un pays allié face au bloc socialiste, ont
permis d’importants transferts de technologie vers la Corée, qui a développé rapidement son industrie lourde,
et organisé des filières d’exportation.
Les modalités d’une politique industrielle volontariste sont nombreuses, elles sont présentées ici à travers le
cas français, après la seconde guerre mondiale, dans un contexte de rattrapage de l’économie américaine, qui
se situe alors à la frontière technologique :
- la planification des activités économiques, qui consiste à répartir les investissements publics entre les
différents secteurs d’activités durant une période donnée et à fixer des objectifs productifs à chacun.
Elle est mise en œuvre à partir de 1947 en France (premier plan 1947-1952), et a permis la
reconstruction de l’industrie lourde et énergétique, puis dans les années 1960, le développement d’un
« colbertisme high tech » selon l’expression d’Elie Cohen, qui a consisté à imposer d’ambitieux
programmes industriels fondés sur des activités de haute technologie (nucléaire, aéronautique et
aérospatial …). Contrairement aux pays socialistes, la planification reste incitative dans l’économie
française (les firmes privées ne sont pas obligées de se soumettre aux objectifs du plan) ;
- la nationalisation des firmes stratégiques a été également fortement pratiquée après la seconde guerre
mondiale, de façon à remodeler l’appareil industriel en pilotant directement des industries ayant un
rôle clé dans leur filière (Renault, création d’Edf et Gdf, transport aérien, …). Une deuxième grande
vague de nationalisations a lieu en 1982, elle concerne en particulier les secteurs jugés stratégiques
(les banques, Thomson pour la filière électricité …) ;
- les aides directes pour certaines firmes ou filières, afin de développer par exemple des secteurs
d’avenir ou favoriser la reconversion de secteurs concurrencés par l’ouverture internationale. on
parle de politique industrielle verticale car il s’agit d’aider un « champion national » dans une filière
donnée, en comptant sur ses effets d’entraînement en amont et en aval. Cette politique s’est
développée dans les années 1970 en France, dans les secteurs en déclin (textile, chantiers navals)
comme dans les secteurs d’avenir (financement des grands projets comme le TGV par exemple).
Source : Manuel ESH A.Colin, 2013, p. 619
Document 3 : la planification française, une « ardente obligation » (De Gaulle)
La planification indicative va accélérer le processus de « reconstruction et modernisation », nom du 1er plan
(1947-1953), élaboré sous la houlette de Jean Monnet. Six secteurs prioritaires sont définis : transports
intérieurs, charbon, électricité, sidérurgie, matériel agricole, matériaux de construction. Les entreprises
publiques nationalisées jouent un rôle premier dans ce dispositif. Dans le cadre du Plan, des centaines
d’experts sont envoyés aux Etats-Unis pour « des missions de productivité » et s’informer des méthodes de
production américaines. Les quatre plans qui se succèdent ensuite de 1954 à 1970 achèvent la reconstruction,
et le redressement de l’économie française pour mieux la préparer à la concurrence européenne et mondiale.
Les années 1960 constituent l’âge d’or de la planification qui devient une « ardente obligation » (Charles de
Gaulle), un instrument essentiel de l’économie concertée et impose « l’impératif industriel ». « Réducteur
d’incertitude », le plan assure la cohérence des interventions publiques et met en place des dispositifs
d’incitation destinés au secteur privé.
De grands projets industriels sont mis en œuvre comme le Plan calcul en 1966, la création d’un complexe
sidérurgique à Fos sur Mer en 1967, les grands programmes aéronautiques (programme Caravelle à la fin des
années 1960), puis Concorde et Airbus (plus tard), le programme nucléaire, … Ce « colbertisme high tech »,
selon E.Cohen, s’accompagne d’un encouragement à la concentration des groupes industriels français et des
groupes bancaires afin de constituer des « champions nationaux ». (…)
La France n’est pas le seul pays à se caractériser par un volontarisme industriel. En Grande-Bretagne, les
entreprises nationalisées jouent un rôle déterminant dans le modèle économique anglais qui prendra fin avec
M.Thatcher. un dispositif proche de la planification indicative est mis en place aux Pays-Bas. Au Japon, le
25
ministère de l’industrie, le MITI (Ministry of Economy, Trade and Industry) organise une politique
volontariste de conquête des marchés extérieurs et une politique de fermeture réglementaire financière et
commerciale du marché intérieur. cette période est désormais révolue.
Source : Dictionnaire de science économique, A.Colin, p. 348
Document 4 : Etat interventionniste et technocratie en France, le rôle de J.Monnet
La seconde guerre mondiale va amener une révolution de la réflexion sur les mécanismes de pensée
collective. Le rejet de la bureaucratie lente et pléthorique en est un trait commun. Schématiquement, on peut
dire que l’on assiste avec la seconde guerre mondiale à une transformation de l’idéal bureaucratique,
transformation qui met en avant l’idée d’une technocratie scientifique fonctionnant par petits groupes
d’experts, et favorise la délégation de pouvoirs au scientifique et à l’ingénieur plutôt qu’au fonctionnaire
professionnel de l’appareil d’Etat. Cette évolution vers une technostructure qui utilise la société civile et
évite les pesanteurs est moins une rupture qu’une évolution du schéma bureaucratique. C’est au fond
l’épanouissement des idées positivistes qui souhaitaient appliquer au fonctionnement d’Etat les
enseignements de la révolution industrielle ; en somme remplacer le notable par l’ingénieur. (…) Dans les
années de reconstruction, c’est Jean Monnet qui personnifie la montée en puissance de la technocratie
comme alternative à la bureaucratie. (…) A la tête du Commissariat général du Plan, soigneusement
positionné hors des appareils ministériels, Monnet s’entoure d’une petite équipe d’ingénieurs venus du
monde de l’entreprise et lance le système des commissions de modernisation, qui mettent au travail des
groupes de représentants issus de chaque industrie. (…) C’est par opposition au principe de la planification
centralisée par une bureaucratie pléthorique que Monnet constituait ses petites comités d’experts, de
scientifiques et de praticiens de la société civile. L’Union européenne sera construit dans cet esprit de
délégation à de petits groupes d’experts.
Source : Augustin Landier et David Thesmar « La société translucide. Pour en finir avec le mythe de l’Etat
bienveillant », Fayard, 2010, p.179-180
Document 5 : l’interventionnisme étatique durant les 30 glorieuses en France
L’Etat volontariste : le
Définition
Effets attendus
En résumé ;
cas français après la
1945
L’Etat définit pour les
L’Etat définit les axes de
La planification
Approche
entreprises du secteur
l’allocation des
« colbertiste » de la
public et privé des
ressources sur une
politique industrielle ;
objectifs de production et
période donnée (par
(Colbert, contrôle
y affectent des
exemple, au lendemain
général des finances de
investissements ;
de la seconde guerre
Louis XIV crée des
Le Plan est un
mondiale, les secteurs du
manufactures royales,
« réducteur
transport et de l’énergie,
tout comme d’ailleurs
d’incertitudes » ;
puis plus tard dans les
B.de Laffemas) ;
La planification, « une
années 1960 les secteurs
ardente obligation »
du nucléaire et de
Stratégie des champions
l’informatique)
nationaux ;
L’Etat détient le contrôle L’Etat devient un acteur
Les nationalisations
Importance de
de certaines entreprises ;
économique dans des
J.Monnet : la
secteurs qu’il estime
planification « à la
stratégiques
française » est une
(aéronautique,
planification de
automobile) et dans des
technocrates, d’experts
« services publics »
plus que de
(énergie, transport,
fonctionnaires ;
télécommunication,
médias)
Logique de rattrapage :
L’Etat vient en aide aux
Contrôler la
Les aides directes aux
la France envoie des
industries en crise et aux
transformation des
entreprises privées
experts
aux Etats-Unis
industries en
secteurs productifs et
pour des « missions de
développement ;
stimuler les secteurs
productivité » ;
d’avenir ;
26
Document 6 : distinguer les moteurs de l’innovation dans les pays en rattrapage et dans les pays à la
frontière technologique
Des travaux récents le montrent : les leviers d’une croissance basée sur l’innovation sont différents de ceux
d’une croissance fondée sur l’imitation ou le rattrapage technologique.
Tout d’abord, l’innovation de pointe (ou d’innovation à « la frontière technologique ») a besoin d’un marché
des biens concurrentiels, et cela pour deux raisons essentielles : d’une part, parce que davantage de
concurrence incite à l’innovation pour justement échapper à la concurrence et réaliser des profits de
monopole (au moins temporairement, jusqu’à ce que l’innovation soit rendue obsolète par de nouvelles
innovations) ; d’autre parce, parce que les nouvelles idées sont souvent introduites par de nouveaux entrants
sur le marché des biens, tandis que les firmes en place tendent à perfectionner les produits ou les
technologies qu’elles ont inventé dans le passée. Ainsi, ce ne sont pas les grands producteurs d’avions à
hélices qui ont introduit les avions à réaction, tout comme ce n’est pas IBM qui a le premier introduit les
ordinateurs portables. Et, de fait, les travaux empiriques montrent que plus la croissance d’une économie
repose sur l’innovation « frontière », plus cette croissance est stimulée par davantage de concurrence et de
mobilité sur le marché des biens.
Le graphique suivant montre bien qu’une augmentation du niveau de la concurrence (ici, cela correspond à
un taux d’entrée plus élevé des firmes étrangères) a un impact positif sur la croissance de la productivité
(autrement dit sur l’innovation) pour les firmes qui sont proches de la frontière technologique. A l’inverse,
cette même augmentation du niveau de concurrence a un effet négatif sur la croissance de la productivité
pour les firmes qui sont loin derrière la frontière technologique. Dans le premier cas, plus de concurrence
incite les firmes à innover davantage pour survivre, alors que dans le second cas, cela a l’effet inverse pour
les firmes qui sont loin de la frontière technologique/ ces dernières savent qu’elles n’ont aucune chance face
aux nouveaux entrants sur le marché des biens. et plus l’économie est proche de la frontière technologique,
plus est composée de firmes innovantes plutôt que de firmes installées, et par conséquent l’effet global de la
concurrence sur l’innovation sera plus largement positif dans cette économie.
Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.97
27
Les limites et effets pervers
d’un Etat volontariste en
matière de politique
industrielle
L’approche volontariste (dite
approche « top down ») ne
fonctionne plus à l’approche
de la frontière technologique
Explications
Exemples
Dans les économies en rattrapage,
l’Etat protège les industries naissantes
à la fois de la concurrence intérieure
(monopole public) et de la concurrence
extérieure (protectionnisme) pour en
faire des champions nationaux. Dans
ce cas de figure, augmenter la
concurrence a un double désavantage :
la concurrence interne empêche la
capacité à générer des économies
d’échelle et donc à faire baisser les
CUP. Augmenter la concurrence
externe conduit les entreprises
nationales « en retard » à disparaître
face aux concurrents des pays leaders.
Par contre, lorsque l’économie est à la
frontière technologique, l’innovation
ne vient pas des firmes « installées »
(les champions nationaux) mais de
« newcomers » qui cherchent à obtenir
à leur tour une position de leader sur le
marché. Dans ce cas, plus la
concurrence est forte plus cela stimule
les innovations entre les entreprises
privées.
Conclusion : lorsqu’une économie a
rattrapé son retard (qu’elle se trouve à
la frontière technologique), elle doit
modifier le degré de concurrence sur
les
marchés
(davantage
de
concurrence) et limiter l’intervention
publique, afin de favoriser la
concurrence entre une multitude
d’entreprises privées.
Echec des politiques verticales ;
par exemple, dans le domaine
informatique qui se développe à
partir des années 1960, la
France élabore deux plans pour
devenir un pays leader, mais qui
seront deux échecs :
Le Plan calcul (lancé en 1966) :
son objectif est d’assurer
l’indépendance de la France en
matière de gros ordinateurs et de
soutenir l’industrie électronique
française ;
Le Plan informatique pour tous
(lancé en 1985) pour initié tous
les élèves à l’informatique ;
l’Etat choisit d’acheter des
ordinateurs Thomson – qui est
alors en situation financière
difficile - plutôt qu’Apple ;
Document 7
Le quadruple déficit de balance courante, de finances publiques et sociales, d’emploi et de compétitivité, et
son aggravation continue pourraient laisser croire que la France est devenue l’homme malade de l’Europe.
C’est oublier que, par le passé, elle a connue des situations comparables et qu’elles les a surmontées. C’est
méconnaître les exemples étrangers de rebond à partir des situations tout aussi dégradées. C’est surtout tenir
pour quantité négligeable les opportunités de l’actuelle phase de la mondialisation et de la nouvelle
révolution industrielle. L’instar d’autres pays industrialisés, la France peut, par des politiques structurelles
fortes, profiter de l’arrivée de nouvelles vagues technologiques pour accélérer la croissance de se
productivité. (…) sur la longue période, la croissance de la productivité aux Etats-Unis a connu des vagues
technologiques successives. Les gains de productivité induits par la révolution technologique associée aux
chemins de fer et à la machine à vapeur s’épuisent au début du XXième siècle. Les effets de la révolution
technologique suivante, associée à la diffusion de l’usage de l’électricité, du moteur à explosion et de la
chimie moderne, induisent alors une nouvelle vague de croissance de la productivité qui s’étend sur près de
trois quart de siècle avec un point culminant au milieu du 2Oième siècle. Cette vague connaît un fort
ralentissement transitoire au moment de la crise des années 1930. Les effets de la dernière révolution
technologique, associée à la production et à l’usage des technologies de l’information et de la
communication, induisent une nouvelle vague de croissance de la productivité beaucoup plus courte (un peu
plus d’un quart de siècle) et moins élevée que la précédente. A l’époque où la diffusion de produits intégrant
28
des nouvelles technologies s’intensifie auprès des ménages, la baisse des gains de productivité associées à la
dernière révolution, celle des TIC, peut sembler paradoxale. Cette baisse, qui n’a rien de conjoncturel et qui
est au contraire structurelle, s’explique pourtant assez bien et fait l’objet d’une littérature aujourd’hui
abondante. Ce qui est ici pris en compte correspond aux gains de performance productive des TIC, qui
induisent des gains de productivité des entreprises. Ces gains de performance des TIC sont eux-mêmes
principalement liés au nombre de transistors qu’un microprocesseur (puce) peut contenir. Ce nombre a
doublé tous les deux ans environ, du début des années 1960 jusqu’au début des années 2000 (c’est évolution
est parfois appelée la « loi de Moore » du nom de l’ingénieur qui l’a théorisée initialement), avec une
accélération au milieu des années 1990. Cette amélioration des performances ne cesse de ralentir ensuite
(épuisement de la loi de Moore) du fait des contraintes d’ordre physique à augmenter continûment le nombre
de transistors introduits dans les puces. Il est souvent considéré qu’une nouvelle vague de gains de
performance des TIC devrait émerger dans les prochaines années, associée à la fabrication et à la diffusion
des puces 3D, puis des « biochips », et, enfin, dans une avenir beaucoup plus lointain, à l’électronique
quantique. Dans cette hypothèse réaliste, la révolution technologique associée aux TIC induirait une seconde
vague de croissance de la productivité, qui pourrait même être plus importante que la première vague, et qui
s’amorcerait dans quelques années.
La croissance de la productivité en France connaît des vagues décalées par rapport à celles observées aux
Etats-Unis. La productivité était en France très inférieure au début du XXième siècle à celle des EtatsUnis. Un phénomène de rattrapage se produit au tournant du siècle et dans l’entre-deux-guerres, qui se
caractérise par une diffusion tardive de la précédente révolution technologique dont ont déjà bénéficié les
Etats-Unis. Puis la France ne profit qu’après la seconde guerre mondiale de la vague technologique suivante
dont les Etats-Unis ont déjà tiré le plein bénéfice. Ce retard dans la diffusion des vagues technologiques
s’explique par différents facteurs, parmi lesquels bien entendu le fait que la France a pâti sur son propre sol
des deux guerres mondiales, mais aussi et surtout par des institutions moins adaptées à une diffusion
généralisée et rapide des vagues technologiques. Cette inadaptation des institutions concerne à la fois les
structures des biens, une certaine flexibilité sur le marché du travail, la qualification de la population en âge
de travailler, la fiscalité …. (…) Le moindre bénéfice des TIC de la France comparée aux Etats-Unis
s’explique par leur moindre diffusion dans nos entreprises. Ce phénomène qui concerne plus largement les
pays européens et pas seulement la France a fait l’objet de nombreuses analyses ; ici encore, les principaux
facteurs explicatifs semblent être une moindre flexibilité du marché du travail, un environnement moins
compétitif sur le marché des biens, et enfin un moindre niveau d’éducation moyen de la population en âge de
travailler. On constate notamment qu’une moindre flexibilité sur le marché des biens et sur le marché du
travail expliquerait la moitié de l’écart de diffusion des TIC vis-à-vis des Etats-Unis, l’autre moitié étant
justifiée par un niveau d’éducation plus faible de la population en âge de travailler.
Quelles leçons peut-on tirer des constats qui précèdent ? tout d’abord, que des réformes structurelles
ambitieuses, sur les marchés du travail et des biens et dans le domaine éducatif, permettraient de rattraper le
retard de diffusion des TIC et de bénéficier d’une accélération de la productivité. Ensuite, que ce rattrapage
permettrait à la France de ne pas connaître le fléchissement de la productivité que traversent actuellement les
Etats-Unis, entre les deux vagues associées aux TIC. Ainsi, la France pourrait connaître de façon prolongée
des gains de productivité soutenus, tout d’abord en rattrapant son moindre bénéfice de la première vague des
TIC, puis en bénéficiant immédiatement et pleinement de la seconde vague des TIC. La condition à cela est
la mise en œuvre de réformes structurelles ambitieuses.
L’accélération de la productivité qui pourrait ainsi être obtenue dynamiserait la croissance de l’économie
française, ce qui faciliterait simultanément l’amélioration du niveau de vie moyen, la soutenabilité d’un
système sociale protecteur, généreux mais coûteux et la consolidation des finances publiques.
Source : P.Aghion, E.Cohen et G.Cette « Changer de modèle », p. 42-48
Document 8
Pourquoi ne réformera-t-on pas efficacement si on ne pense pas autrement ? parce que le modèle
économique qui a si bien fonctionné pendant la période des trente glorieuses n’est plus adapté aux
circonstances actuelles. En effet, après la seconde guerre mondiale, la croissance des pays européens a
reposé pour l’essentiel sur le « rattrapage », c’est-à-dire sur les migrations internes de l’agriculture à
l’industrie, sources de gains de productivité, sur la reconstitution des stocks de capital, sur la disponibilité
d’une énergie abondante et bon marché et sur l’imitation technologique. Depuis les années 1980, ce modèle à
cesser de fonctionner. Nous sommes entrés dans une ère où la croissance des pays développés est tirée non
plus par l’imitation technologique, mais par l’innovation. D’autres pays, dits émergents, expérimentent à leur
tour les vertus du rattrapage en bénéficiant des déplacements de main d’œuvre, de l’accès aux technologies
29
disponibles et aux IDE. Or, contrairement à une économie en rattrapage, dans une économie ouverte et
tournée vers l’innovation, de nouvelles entreprises et de nouveaux emplois sont créés en permanence, tandis
que d’autres sont détruits. Ce changement appelle lui-même un changement de logiciel concernant le rôle de
l’Etat dan l’économie et les modalités de son intervention.
Premièrement, il faut rompre avec une interprétation simpliste et/ou dépassée du keynésianisme : dans une
économie de l’innovation et mondialisée, la gestion macroéconomique par la demande perd de son efficacité.
En effet, relancer la dépense publique pour stimuler la demande intérieure peut se traduire par un creusement
du déficit commercial et non par une reprise de l’activité domestique, à moins que les entreprises
domestiques ne soient rendues plus compétitives, ce qui nécessite une politique de l’offre. Par ailleurs, la
relance par la consommation financée par la dette publique finit par créer des déséquilibres réels et
financiers. Réels, à cause de la dégradation de la compétitivité liée à l’alourdissement continu de la charge
fiscale et sociale. Financiers, parce que dans une union monétaire la maîtrise des déficits et du niveau
d’endettement relève d’une discipline commune. La soutenabilité de ce type de croissance n’est donc plus
assurée.
En second lieu, il faut refonder notre reflexion sur les inégalités et les moyens de les maîtriser. En particulier,
on s’est contenté jusqu’ici de vouloir traiter les inégalités de revenus et de patrimoines uniquement ex post à
travers l’impôt et les subventions, en négligeant l’importance de la mobilité sociale et de l’égalité d’accès
aux opportunités de carrière. Il faut au contraire investir dans la croissance par la mobilité et par l’inclusion,
et cela se joue d’abord à l’école.
Penser la maîtrise des inégalités par l’investissement dans la mobilité oblige également à repenser la fiscalité.
Il s’agit , en particulier, de comprendre qu’un impôt nouveau sur une entreprise innovante n’est pas
automatiquement compensé par une subvention publique. De reconnaître également que la fiscalité doit être
conçue, non seulement pour réduire les inégalités de richesse et de revenus, mais aussi de façon à ne pas
pénaliser le talent et la réussite ni décourager l’activité d’innovation.
Il faut ensuite réinventer la politique industrielle pour la rendre compatible avec une croissance par
l’innovation. En particulier, il faut trouver comment maintenir une ligne médiane entre, la nécessité de
stimuler certains secteurs particulièrement porteurs de croissance, et d’autre part, le danger des politiques
industrielles interventionnistes qui entraveraient la concurrence et l’innovation.
Enfin, s’il faut reconnaître l’impératif écologique, c’est-à-dire la nécessité d’opérer une transition
énergétique, il faut également admettre que cette transition à un coût, que l’innovation verte plutôt que la
décroissance permet de minimiser.
Source : P.Aghion, E.Cohen et G.Cette « Changer de modèle », p. 50-53
Document 9 : la corrélation PGF – investissement en NTIC
Source : sous la direction de Jean-Philippe Touffut, « Institutions et innovation. De la recherche aux
systèmes sociaux d’innovation » , Albin Michel, 2002, p.168
*************
30
En quoi les analyses de la croissance endogène renouvelle-t-elle la théorie de la
croissance ?
Biblio
J.M.Huart « Croissance et développement », Bréal (petit livre, utile)
P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat », La république des idées
Dans votre cours de première année, vous avez travaillé sur la théorie de la croissance de Solow ; vous avez
du également travailler sur la notion de résidu. C’est le point de départ de ce sujet. Il faut dans votre
développement commencer par montrer l’apport de cette théorie d’inspiration néoclassique (qualifiée de
traditionnelle) à la croissance (les conséquences d’une hausse de la quantité de facteurs sur le produit) ; puis
en souligner les limites (d’où vient le résidu ? les hypothèses de rendements d’échelle constant et de
rendements factoriels décroissants ne s’appliquent pas aux phénomènes d’externalités) ; à partir de ce
constat, chercher à montrer pourquoi les théories de la croissance endogène sont utiles pour expliquer la
croissance et, enfin, proposer une analyse critique de ces théories (j’ai du parlé en cours de la question de la
soutenabilité de la croissance).
Document 1: Taux de croissance annuels moyens (en %) sur la période 1995-2009 et contribution des
facteurs à cette croissance

Facteur
Facteur
Productivité
PIB
capital
travail
globale des facteurs
Allemagne
1,1
0,5
-0,3
0,9 facteurs (**)
Corée du sud
6,1
1,7
0,6
3,8
Espagne
2,9
1,2
1,3
0,4
Etats-Unis
2,6
0,9
0,7
1,0
Finlande
2,1
0,5
-0,2
1,8
France
1,9
0,7
0,0
1,1
Japon
2,0
0,9
-0,4
1,5
Source : OCDE 2010
Document :
31
Document 2 : pourquoi la hausse du capital humain est-elle source de croissance économique ?
Pour qu’une économie industrielle moderne puisse fonctionner, il faut que la main d’œuvre ait un bon niveau
d’éducation. En outre, une économie en phase de mutation technologique a besoin d’ingénieurs et d’experts
scientifiques capables de procéder à des innovations et de les mettre en œuvre. Le fait de consentir des
dépenses en matière d’éducation et de formation améliore à la fois les compétences des salariés et la
productivité. Ces dépenses sont des investissements – au même titre que les investissements en bâtiments et
équipements représentant le capital physique, on dit que les dépenses en éducation constituent le capital
humain. Le capital humain comprend l’ensemble de l’expérience et des compétences accumulées qui ont
pour effet de rendre les travailleurs productifs. Les accroissements du capital humain augmentent le montant
de ce que les travailleurs peuvent produire. De ce fait, ils provoquent un déplacement vers le haut de la
fonction de production globale, tout comme peut le faire un accroissement du capital physique.
Source : Joseph Stiglitz « Principes d’économie moderne », De Boeck, 2007, p.553-555
Document 3 : Quelle est la part des diplômés ( population active des 30-35 ans) en France ?
Source : http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/
Document 4 : Qu’est-ce que le capital public ?
Le capital public n’est qu’une forme de capital physique qui résulte des investissements opérés par l’Etat et
les collectivités locales. Le capital public comprend donc également les investissements dans les secteurs de
l’éducation et de la recherche, dans les infrastructures (de communication et de transport). (…)
L’intervention de l’Etat qui investit dans les infrastructures et conduit de ce fait à l’amélioration de la
productivité des entreprises privées. Une analyse de R.Barro en 1990 a souligné ainsi que les infrastructures
facilitent la circulation de l’information, des personnes et des biens.
Source : Dictionnaire de Science économique, A.Colin, 2010
Document 5 : Qu’est-ce que le progrès technique ?
Selon Dominique Guellec & Pierre Ralle dans « Les nouvelles théories de la croissance », la technologie
peut être définie comme « un ensemble de connaissances relatives (…) à des activités associées à la
32
production et à la transformation des matériaux ». Le progrès technique désigne une augmentation de la
capacité des hommes à maîtriser la nature, sous la forme d’une plus grande productivité ou de nouveaux
produits.
Document 6 : Pourquoi innover ?
Le résultat de l’entreprise qui innove est d’échapper à la concurrence (c’est aussi son objectif). Il peut ainsi
fixer un prix de vente supérieur au coût marginal (qui serait le prix en situation de concurrence parfaite), et
prélever par ce moyen une rente sur ses clients. Cette rente sera seulement provisoire : l’innovateur est
ensuite objet d’imitation. Des concurrents s’introduisent dans la voie qu’il a tracée, offrant des biens
similaires, l’obligeant à réduire son prix ou à innover encore pour à nouveau se différencier. La course à la
rente est donc le moteur du progrès technique.
Source : Dominique Guellec & Pierre Ralle « Les nouvelles théories de la croissance », La découverte, 2003, p.89-90
Document 7 : les différents types d’innovation
L’innovation de produit : création d’un nouveau produit. On distingue des innovations de produit verticales
(qualité) et horizontales (diversité).
L’innovation de procédé : mise en œuvre de nouvelles techniques pour la production de biens ou la
réalisation de prestations de services (introduction du tapis roulant = travail à la chaîne) ;
L’innovation organisationnelle : mise en place d’une nouvelle organisation du travail (exemples : taylorisme
et division verticale du travail) ;
L’innovation de commercialisation : mise en place d’une nouvelle méthode de commercialisation
(exemples : franchise, internet)
Source : définitions OCDE, manuel d’Oslo
Nouveaux procédés
et nouvelles formes
organisationnelles
Nouveaux produits et
nouvelles formes de
commercialisation
Document 8 : innovations et destruction créatrice
Création
Destruction
Les entreprises innovantes réalisent des Les gains de productivité se traduisent
gains de productivité ou s’organisent par une baisse des prix qui provoquent la
différemment pour baisser leur coût de disparition des entreprises les moins
production.
performantes.
Disparition
des
Ces gains de productivité permettent entreprises qui ont une trop faible
aux entreprises de baisser leurs prix : les « compétitivité prix ».
ventes augmentent.
Ces gains de productivité permettent
aussi une hausse des salaires, ce qui
favorise la demande.
Le consommateur a accès à des biens Les nouveaux biens ou méthodes de
diversifiés et de qualités différentes ; la commercialisation
entraînent
des
demande se renouvelle et augmente (ce phénomènes d’obsolescence. Disparition
qui revient à la même chose que d’avoir des entreprises qui ont une trop faible
des biens vendus moins chers grâce aux compétitivité « hors prix ».
innovations
de
procédés
ou
d’organisation)
Document 9 : Quelle est l’évolution de la dépense en R&D depuis 20 ans ?
33
Source : Rapport du CAE, « Les marchés de brevets dans l’économie de la connaissance », 2010
Document 10: Quelle est l’évolution du nombre de brevets depuis 20 ans ?
Source : Rapport du CAE, « Les marchés de brevets dans l’économie de la connaissance », 2010
Document 11 : Quels sont les pays de l’OCDE où les PME sont le plus innovantes ?
Source : Rapport du CAE, « Les marchés de brevets dans l’économie de la connaissance », 2010
Document 12: Quelle est l’importance de l’effort en capital technologique dans les différents pays de
l’OCDE ?
Source : Lorenzi et Villemeur, L’innovation au cœur de la nouvelle croissance, Economica, 2009
34
Document 13 : Quel est l’impact de l’effort de R&D sur la productivité globale des facteurs ?
Source : Natixis « Lien entre effort de recherche et développement, brevets et croissance de la productivité : y a-t-il une
décorrélation ? », septembre 2014
Document 14 : Quel rôle joue les institutions formelles (les règles) dans le fonctionnement des
économies ? Le cas des droits de propriété
Pour Douglass C. North (Prix Nobel d’Economie en 1993), les facteurs habituels avancés comme variables
explicatives de la croissance, l’accumulation du capital, la technologie (…) ne sont pas les causes de la
croissance économique, ils n’en sont que la manifestation.
Les causes doivent être recherchées dans « les incitations à une organisation efficiente » : c’est-à-dire dans
les incitations qui poussent les acteurs économiques à utiliser le mieux possible les facteurs de production, et
stimuler les échanges économiques et la production. Pour North, il faut regarder du côté des institutions pour
comprendre quelles sont les « règles du jeu » qui encadrent les décisions des acteurs économiques. Il faut
distinguer les règles formelles, les règles informelles et les instruments utilisés pour faire respecter ces
règles.
Chaque société est caractérisée par des croyances, des représentations de la manière dont elles doivent
fonctionner. Ces croyances, représentations, conduisent à l’adoption des règles du jeu « économiques ».
Les règles du jeu les plus incitatives sont celles qui se traduisent par une utilisation efficiente des ressources
(c’est-à-dire par le plus faible gaspillage possible de ces ressources). Le degré d’incitation dépend de deux
éléments : d’une part, la capacité de ces règles à limiter les incertitudes qui entourent les actions des hommes
(parce que l’incertitude réduit la capacité à agir), et d’autre part, la capacité à éliminer les situations de rentes
et à stimuler la concurrence.
Comment réduire l’incertitude des agents économiques ? Le premier élément de réponse s’appuie sur la
définition des droits de ceux qui possèdent des biens : les droits de propriété.
L’existence de droits de propriété permet de réduire l’incertitude puisqu’elle définit avec précision les droits
des propriétaires : tout propriétaire sait ce qu’il peut faire ou ne pas faire, obtenir ou ne pas obtenir, de la
possession d’un bien ou service.
Dans le domaine de l’innovation, la définition des droits de la propriété intellectuelle permet aux innovateurs
de savoir ce qu’il adviendra une fois l’innovation développée. Ils savent notamment dans quelles conditions
ils seront protégés des imitateurs (pour combien de temps par exemple). l’existence de brevet réduit donc
l’incertitude face à laquelle se trouve l’inventeur : il n’est pas certain que son invention « marche » mais il
est au moins certain qu’il ne sera pas copié et pourra donc être le seul à tirer profit de sa trouvaille.
D.North étudie la croissance économique sur la période 1600 – 1850. Ce sont les évolutions institutionnelles
qui impactent les rythmes de croissance. Par exemple pour expliquer l’écart de décollage économique entre
la Grande Bretagne et la France, North rappelle que la première loi sur les droits de propriété apparaît en
1623 au Royaume-Uni mais seulement en 1791 en France.
35
Document 15 : Quel est le lien entre politique de la concurrence et protection des droits de la propriété
intellectuelle ?
Source : Rapport du CAE, « Les marchés de brevets dans l’économie de la connaissance », 2010
Document 16 : Quel rôle joue la confiance dans les échanges économiques ?
Certaines « règles du jeu » sont informelles et elles ont un impact sur les échanges marchands en les
facilitant. Certains échanges peuvent rencontrer des « difficultés » car l’information que véhicule le marché
n’est pas parfaite : la voiture d’occasion que j’achète est-elle de bonne qualité ? Le salarié que j’embauche
va-t-il effectuer correctement son travail ?
Dans un échange, il est possible de cacher quelque chose : c’est-à-dire de garder pour soi une information
que l’on ne souhaite pas divulguer au co-échangiste. Cette situation d’asymétrie d’information permet alors
des comportements opportunistes : un individu cherche à arriver à ses fins par la ruse. L’échange est donc
marqué par l’incertitude, et cette incertitude peut avoir des conséquences importantes : sur la santé (quelle
est la qualité des aliments ?), sur l’investissement réalisé (la maison que je viens d’acheter est-elle bien
construite ?) … L’institution qui permet de réduire l’incertitude, facilite la coopération et permettre
l’échange est la confiance.
Cette confiance peut provenir de la rédaction d’un contrat, de l’existence d’un « dispositif de réputation »
(un label qualité par exemple) …
Mais la confiance provient également du degré de sociabilité des individus et des liens qui les unissent aux
autres. Ces liens peuvent être suffisamment forts pour conduire les individus à ne pas craindre des
comportements opportunistes. Le recul de la sociabilité peut alors être un symptôme d’une de perte de
confiance et signifie que la capacité à coopérer des individus recule. On parle alors de recul du « capital
social ».
Document 17 : Quelles sont les conséquences des inégalités de capital social dans les inégalités de
développement économiques ? Le cas des Etats-Unis
36
Document 18 : le capital social – le cas de la France
Selon le sociologue américain Putman, une répartition plus large de la confiance et de la participation parmi
les membres d’un grand groupe est plus efficace qu’une société méfiante. En effet, elle facilite l’action
collective dans l’intérêt mutuel et non dans l’intérêt individuel.
Un sociologue danois (W. van Oorschot, chercheur de l’Université d’Aalborg) a conduit une étude pour
mesurer et comparer la valeur du capital social dans les différents pays européens, c’est-à-dire la nature et
l’étendue de la relation de chacun à diverses organisations formelles et informelles. La mesure du capital
social de l’étude danoise prend en compte huit critères :
- le civisme ;
- l’engagement politique ;
- la confiance dans les institutions ;
- la confiance en autrui ;
- la participation passive ;
- la participation active ;
- les relations amicales ;
- les relations familiales ;
Pour chaque critère, les réponses aux questions de l’enquête permettent de dresser une échelle de valeur.
(Exemple : nombre d’amis, nombre de visites des amis, etc. Exemple : est-ce justifié de tricher pour ses
impôts, de recevoir un pot de vin, etc…)
L’étude donne les résultats de la mesure de chaque critère. Nous avons additionné les huit valeurs attribuées
à chaque pays pour dresser le tableau ci-dessous qui donne la valeur du capital social des pays européens.
Pays
Capital social
Suède
67,6
Danemark
66,2
Allemagne
63,6
Pologne
62,6
Italie
62
UK
61,4
Espagne
61,4
Portugal
61,3
Belgique
60,5
France
59,5
Grèce
55,8
Source : http://www.clesdusocial.com/capital-social-une-comparaison-europeenne
37
Document 19 : des objectifs des politiques structurelles aux modalités d’intervention
Objectifs
L’Etat doit
agir sur :
Objectifs
intermédiai
res
Augmentation de la quantité de
facteurs et de l’intensité
capitalistique
Augmentation
Augmentation
de
de la quantité
l’investissement
de travail
Augmentation de la productivité globale des
facteurs
PGF
Augmentation
Augmentation des Augmentation
de l’innovation
compétences
des
infrastructures
publiques
Le
Le
Le
Le
La production
fonctionnement fonctionnemen fonctionnement fonctionnement
de biens et
du financement t du marché du des marchés des de la formation services
des entreprises
travail
biens
et des
individus délaissés par le
services ;
(formation initiale marché
La R&D
et
formation
continue)
Permettre aux
entreprises de
financer
leurs
investissements
au moindre coût
(accès au crédit
et au marché
financier)
Mobiliser la
plus
grande
quantité
de
travail possible
en agissant sur
l’offre
de
travail et la
demande
de
travail
Déterminer le
degré
de
concurrence sur
le marché pour
stimuler
l’innovation
(déterminer les
rentes qu’il faut
éliminer
et
celles qui sont
utiles) ;
Mettre en œuvre
une
politique
industrielle
Permettre
l’adéquation entre
offre et demande
de
capital
humain ;
Eliminer
les
situations d’actifs
dont le « capital
humain » est trop
faible
pour
s’insérer sur le
marché du travail
Déterminer les
défaillances de
marché
qui
nécessitent la
prise en charge
par
la
puissance
publique
de
certaines
infrastructures ;
*************
38
Répartition de la valeur ajoutée et croissance économique
Biblio :
P.Askenazy, G.Cette et A.Sylvain « Le partage de la valeur ajoutée », la découverte
Ouvrage utile pour comprendre comment on mesure la valeur ajoutée et sa décomposition, mais aussi, et
surtout, pour expliquer ce qui se cache derrière la stabilité de la part du travail dans la VA depuis la fin des
années 1980 (hausse des cotisations sociales et hausse des inégalités de revenus).
Utile de faire le lien ici avec le cours sur la croissance et les crises : faire le lien entre évolution de la
répartition de la valeur ajoutée et choc de demande / choc d’offre.
Il y a aussi le rapport du Conseil d’Analyse Economique de 2005 corédigé par Cette, Delpla et Sylvain :
http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/085.pdf
A partir de la page 109 du rapport (jusqu’à 114), un résumé du rapport.
Il faut aussi penser aux documents produits par T.Piketty qui permettent d’illustrer la hausse de la part du
Top1% dans le revenu distribué
Il ne faut pas se perdre dans une analyse trop technique de cette question, mais bien schématiser les canaux
par lesquels la répartition de la VA influe « théoriquement » sur la croissance économique (par le canal de la
demande ou le canal de l’offre), puis essayer d’illustrer empiriquement le rôle de ces deux canaux dans la
demande. Un moyen de montrer que tel ou tel canal a une influence sur la croissance consiste à faire le lien
entre modification de la répartition des revenus / recul de la part des salaires / recul du rôle de la
consommation, ou modification de la répartition des revenus /recul du taux de marge / recul de
l’investissement. Par exemple, montrer que le recul du taux de marge s’accompagne d’une baisse des
investissements qui précède un recul de la productivité.
A partir de la question de la répartition de la valeur ajoutée découle une réflexion sur la croissance. Celle-ci
est-elle le fruit du niveau de la demande (notamment des salaires et de la protection sociale) ou bien dépendelle de l’investissement et de ses conséquences sur le potentiel de croissance ?
Cette réflexion est utile parce qu’elle permet d’introduire deux concepts : la croissance réelle et la croissance
potentielle. Pour les auteurs d’influence keynésienne, la politique économique doit permettre de maintenir la
croissance réelle à son niveau potentiel (en faisant augmenter la demande lorsque le chômage progresse – la
politique macroéconomique vise à réduire l’output gap), pour les auteurs « libéraux », la politique
économique (plutôt une politique structurelle) doit permettre de faire augmenter de manière durable la
croissance potentielle. Les travaux de P.Artus montre par exemple que la croissance potentielle en France
chute depuis le début des années 2010.
Vous avez une petite présentation de cette problématique ici :
http://www.captaineconomics.fr/-le-partage-de-la-valeur-ajoutee-facteur-travail-et-facteur-capital
Après avoir présenter ce lien répartition VA / croissance, nous pouvons nous poser la question de savoir si
aujourd’hui la répartition de la VA pose problème. On entend souvent parler d’un « partage plus juste des
fruits de la croissance » ? D’autres évoquent les problèmes de profitabilité des entreprises françaises qui
seraient au cœur de la baisse de compétitivité de l’économie national. Pourtant, la répartition de la VA ne
bouge quasiment pas en France. Cela conduit à deux remarques : 1) même si la répartition du gâteau ne
bouge pas, il ne faut pas oublier que le gâteau peut être plus petit (ce qui affecte nécessairement la demande
et l’investissement) ; 2) si les parts ne bougent, ils se passent peut être quelque chose à l’intérieur de chaque
part qui peut affecter la croissance.
Ainsi, les travaux de Cette et alii permettent de montrer que malgré la stabilité de la répartition de la VA, les
canaux qui conduisent de la répartition des revenus à la croissance ont été affectés par des évolutions
importantes depuis une vingtaine d’années. Du côté des salaires (avec la hausse des hauts revenus) et du côté
du taux de marge (avec la chute du taux de profit des entreprises).
Il faut utiliser vos connaissances de khôlles pour traiter ces deux questions : on a vu avec Piketty la question
des transformations de la répartition des revenus du travail. Nous avons également fait une khôlle sur la
compétitivité de l’économie française dans laquelle nous avons expliqué pourquoi les entreprises françaises
avait du baisser leurs marges (attention ne confondez pas taux de marge et marge).
39
Document 1
source : http://ses-info.fr/
Document 2 : le recul de la marge bénéficiaire des entreprises françaises
Le graphique ci-dessous montre que les marges des entreprises ont augmentées en Allemagne en
moyenne depuis 2003, alors que celles-ci ont fortement diminuées en France depuis 2001.
Comment lit-on ces graphiques? L'évolution de la marge bénéficiaire peut-être estimée en regardant
la différence entre le prix de la valeur ajoutée et le coût salarial. On voit bien que, en prenant un
même indice base 100 en 1998, la courbe de prix en Allemagne (en gris) est au-dessus de la courbe
de coût (en violet, sauf durant le pic de 2009 avec une hausse du coût salarial unitaire via la baisse
de la production), alors qu'en France c'est totalement le contraire.
source : http://www.captaineconomics.fr/-le-partage-de-la-valeur-ajoutee-facteur-travail-et-facteur-capital
40
Document 3 : de la baisse de l’investissement à la chute de la croissance potentielle
41
Document 4 : de la répartition du PIB à la demande des ménages
- l’enchaînement 1, du PIB en volume à la masse salariale réelle des ménages, dépend du partage du
PIB entre les salaires et les profits (…) ;
- l’enchaînement 2, de la masse salariale réelle des ménages au revenu disponible réel des ménages
dépend essentiellement des transferts publics nets reçus par les ménages (écart entre les prestations
sociales et les impôts des ménages) ;
-l’enchaînement 3, du revenu disponible réel des ménages à la demande en volume des ménages,
dépend de l’évolution du taux d’épargne financière des ménages (taux d’épargne hors
investissement logement).
Source : Flash Eco, Natixis, n°506, juin 2015
***************
42
Quel est le rôle des externalités en économie ?
Je mets en document, les éléments qui figure dans le dossier n°2 d’Economie-Approfondie qui sera à faire
pendant les vacances de Noel. Les documents sont tirés de :
M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012
J’ai essentiellement mis l’accent ici sur des externalités environnementales, mais on peut bien sûr partir sur
d’autres types d’externalités (par exemple les externalités de connaissance) et se poser la question des
instruments utilisés pour rapprocher le bien être privé du bien être collectif (l’utilisation des brevets par
exemple).L’avantage de l’exemple environnemental est de pouvoir présenter différents types d’instruments
(réglementations, droits de propriété et prix).
Document 1
Une externalité intervient lorsque le comportement d’un agent économique a un effet sur un autre agent
économique, sans que cette action ne fasse l’objet d’une transaction marchande.
On peut distinguer les externalités positives, qui sont dues à une amélioration de la situation d’un agent
consécutivement aux décisions d’un autre, sans qu’ils soient reliés par un marché, et les externalités
négatives, dans le cas inverse. Les externalités peuvent concerner les relations entre les agents les plus divers
((producteurs, consommateurs, administration publique …).
La gestion de l’eau permet de bien saisir la fécondité du concept. En s’inspirant d’un exemple de J.E.Meade,
un des fondateurs de la théorie des externalités, on peut s’appuyer sur le cas d’une société agricole située
dans une région assez aride, qui décide de mettre en œuvre un processus productif économisant l’eau de la
rivière sur laquelle elle est installée. Elle peut agir ainsi en raison du coût de l’eau, afin d’économiser cette
ressource à titre individuel, ou pour d’autres raisons, mais elle n’a aucune raison d’intégrer à sa décision
l’impact de son action sur les autres entreprises du secteur. Or, si elle se montre plus économe en eau, elle
réduit les risques que l’eau manque en aval, pour d’autres activités sur la rivière comme le tourisme, la pêche
ou l’irrigation sans que les entreprises liées à ces secteurs ne subventionnent l’entreprise agricole pour l’aider
à économiser l’eau. Elle est donc à l’origine d’une externalité positive sur les autres activités situées en aval.
Les externalités générées par l’eau concernent d’abord l’impact de son mode de gestion sur les autres
agents : l’amélioration du traitement des eaux usées près d’un lac peut par exemple favoriser le tourisme,
sans que les agents concernés aient payé spécifiquement pour cela. Mais les ressources en eau subissent aussi
de nombreuses externalités, comme le suggère le document suivant, la pollution de l’eau par différentes
activités en étant le prototype.
Source : M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012, p.194
Document 2: déterminer la quantité optimale de pollution en l’absence d’externalités négatives
Prenons l’exemple de la pollution aux nitrates des ressources en eau par les activités agricoles.
L’utilisation massive d’engrais et les lisiers résultant de l’élevage intensif entraînent un excès de nitrate qui
s’infiltre dans les sols et se concentre dans les eaux souterraines et les cours d’eau. Au-delà d’un certain
seuil, les nitrates sont nocifs pour la santé humaine et contribuent au déséquilibre des milieux aquatiques en
favorisant la multiplication de certaines algues (…). Dans ce cas de figure, il est possible de quantifier la
pollution et d’estimer les effets qu’elle engendre pour la société.
43
Le coût social de la pollution englobe l’ensemble des coûts qui découlent de l’existence d’une telle pollution.
il inclut ainsi par exemple l’évaluation monétaire des dommages engendrés par la pollution comme la perte
de bien-être liée à la dégradation des plages. Le coût marginal social de la pollution renvoie ainsi au coût
supplémentaire imposé à la société dans son ensemble du fait de l’augmentation d’une unité de pollution. Le
coût marginal est généralement croissant car la nature est de plus en plus affectée par la pollution quand
celle-ci s’accroît. (…)
Le bénéfice social de la pollution aux nitrates renvoie aux avantages que retirent les agents du fait de
l’existence d’un certain niveau de pollution. il recouvre ici les économies de dépenses réalisées par les
producteurs car ils évitent des investissements coûteux dans des technologies plus propres. les avantages liés
à la pollution ne profitent qu’aux producteurs (…). Le bénéfice marginal social de la pollution est le gain
supplémentaire que la société retire d’une unité supplémentaire de pollution. Ce dernier est généralement
décroissant car réduire la pollution est moins coûteux pour des niveaux élevés que des niveaux faibles de
pollution et ainsi les économies de dépenses sont de plus en plus faibles à mesure que le niveau de pollution
augmente.
Sur le graphique suivant, les courbes de coût et de bénéfice marginal social de la pollution sont représentées.
Pour la société, le niveau optimal de pollution est atteint en Q, car ce niveau égalise le coût marginal et le
bénéfice marginal de la pollution. Tant que l’on se situe en dessous de ce seuil de pollution, il est
socialement préférable d’augmenter la pollution. (…)
Source : M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012, p.199-200
1) remplir le tableau :
Le coût social de la pollution
Le bénéfice social de la pollution
Eléments à prendre en compte
pour mesurer :
Agents économiques concernés :
Croissant ou décroissant avec la
hausse de la quantité de
pollution ?
Comment déterminer la quantité
optimale de pollution ?
Document 3 : la quantité de pollution diffère de la quantité optimale en présence des externalités
négatives
Ce niveau Q n’est toutefois pas celui auquel conduit le fonctionnement du marché car les producteurs ne
tiennent pas compte du coût externe de leur action et ils polluent de plus en plus tant que le bénéfice
marginal privé qu’ils retirent est positif. (…) Le marché conduit donc à ce que la quantité de pollution émise
soit supérieure à la quantité optimale.
Source : M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012, p.199-200
44
Document 4
La présence d’externalités conduit généralement les individus à prendre des décisions non optimales, car ils
ne tiennent pas compte de tous les effets, positifs ou négatifs, de leurs actions. Dans certains cas, les agents
peuvent intégrer les externalités qu’ils subissent ou dont ils sont la cause, sans intervention publique, mais
sous des conditions qu’il convient de préciser. (…) En l’absence d’externalités, les décisions privées
conduisent un marché concurrentiel à utiliser les ressources efficacement, du point de vue collectif. ce n’est
plus le cas en présence d’externalités où le fonctionnement du marché ne conduit plus à un optimum social.
pour le montrer, on peut s’appuyer sur un modèle qui confronte les coûts marginaux et les bénéfices
marginaux sociaux.
On suppose ici que le bien en question génère une externalité négative, une pollution, et qu’elle augmente
avec la quantité produite.
Le coût social d’un bien ou d’une activité représente l’ensemble des coûts supportés par les agents du fait du
déroulement de cette activité ou de la production du bien. Il englobe ainsi les coûts privés et les coûts
externes subis par les autres agents. En présence d’externalités négatives, le coût social est supérieur au coût
privé des agents producteurs. Ils sont égaux quand il n’y a pas d’externalités ou en présence d’externalités
positives. Le coût marginal social est égal au coût marginal de production auquel s’ajoute le coût marginal
externe. (…)
Symétriquement, le bénéfice social d’un bien ou d’une activité représente l’ensemble des avantages dont
profitent les agents du fait du déroulement de cette activité ou de la consommation du bien. Il englobe ainsi
les bénéfices privés que retirent les personnes qui participent à cette activité ou consomment ce bien mais
aussi les bénéfices externes dont peuvent profiter d’autres agents. Ainsi quand une personne se fait vacciner,
le vaccin ne lui profite pas uniquement mais est aussi bénéfique aux autres puisqu’ils voient la probabilité de
se faire contaminer baisser. Selon les activités concernées, le bénéfice marginal social peut prendre des
formes très diverses, il peut désigner tout type d’avantage et il ne faut donc surtout pas le confondre avec le
« bénéfice » d’une entreprise, au sens comptable du terme. En présence d’externalités positives, le bénéfice
social est supérieur au bénéfice privé à causes des avantages externes dont profitent les agents. Le bénéfice
marginal social est égal au bénéfice marginal que retirent les consommateurs d’un bien ou d’une activité
auquel s’ajoute le bénéfice marginal externe.
Source : M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012, p.198
Document 5 : la solution réglementaire
Le recours à la réglementation consiste à définir des normes qui s’imposent à tous les agents, sous le contrôle
des autorités publiques. C’est le principal instrument utilisé actuellement pour réguler les prélèvements
d’eaux souterraines en France. Les prélèvements individuels dans les nappes phréatiques offrent un bon
exemple des problèmes collectifs posés par la gestion d’une ressource commune qui risque de s’épuiser
localement ou de se dégrader, et qui est à l’origine de nombreuses externalités. Une surexploitation d’une
nappe phréatique entraîne par exemple des externalités de coûts de pompage (il faut pomper plus
profondément), diminue la possibilité de s’appuyer sur la nappe phréatique pour faire face aux fluctuations
des eaux de surface, et accroît le risque de dégradation de la ressource (par exemple, une nappe qui se vide
45
au bord des côtes est rapidement polluée par l’eau de mer qui l’envahit). Les normes en vigueur prévoient
par exemple la déclaration obligatoire des forages et la fixation d’un quota de prélèvements. Dans les
périodes de raréfaction de l’eau, les prélèvements sont interdits (…) de façon à assurer la reconstitution des
réserves. ce type d’instruments est en apparence peu coûteux pour l’Etat contrairement à des subventions par
exemple. (…) Mais en réalité, il se révèle peu efficace (…). Les normes ne valent d’abord que si elles sont
appliquées, or plus elles se révèlent contraignantes et difficiles à vérifier, et plus elles incitent les agents à y
échapper. Dans le Roussillon par exemple, région particulièrement touchées par les risques d’épuisement des
eaux souterraines, seuls 5% à 10% des forages seraient déclarés. Si on accroît les contrôles, les normes
seront davantage appliquées, mais les coûts de surveillance peuvent se révéler très élevés. (…) Les quotas
entraînent souvent des effets distorsifs importants, car une norme qui s’applique uniformément à tous les
agents ne tient pas compte du fait que certains peuvent s’y soumettre plus facilement que d’autres. Ainsi,
pour un objectif donné de réduction des émissions polluantes, il est plus efficace de demander un effort
relativement plus important aux entreprises pour lesquelles le coût de dépollution est moindre. Imposer à
toutes les entreprises le même quota d’émissions polluantes ne permet pas d’atteindre l’objectif à moindre
coût, car elles sont toutes obligées de se soumettre au même objectif alors qu’elles ont des contraintes de
coûts très différentes.
(…) Ce type d’instrument est toutefois adapté pour les émissions polluantes dangereuses où une
réglementation stricte est nécessaire car il importe que toutes les entreprises, quelle qu’elles soient et où
qu’elles se situent respectent ces normes, pour des raisons de santé publique.
Source : M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012, p.213
Document 6 : les droits de propriété, l’usine détient les droits à polluer (cas 1)
Quand une externalité concerne un petit nombre d’agents, une négociation entre ces derniers est
envisageable. Elle donne la possibilité aux agents d’intégrer les externalités en trouvant un accord privé,
fondé sur une compensation monétaire des coûts ou des bénéfices externes.
Prenons l’exemple d’un complexe touristique situé sur un lac et d’une industrie polluante en amont de la
rivière qui alimente le lac. Considérons que d’un point de vue juridique, l’industrie a le droit de polluer la
rivière. Le complexe touristique subit une externalité due à la pollution, dont il peut identifier la cause.
S’il est capable d’estimer les coûts du préjudice subi, il a intérêt de trouver un accord dans lequel l’industrie
s’engage à réduire la pollution en échange d’une aide financière du complexe touristique.
Ce dernier est prêt à payer pour la réduction d’une unité de pollution tant que le bénéfice qu’il retire de la
dépollution est supérieur à l’indemnité qu’il doit verser à l’entreprise polluante pour qu’elle émette une unité
de pollution en moins. cette dernière va accepter de réduire sa pollution d’une unité tant que la somme versée
pour réduire d’une unité de pollution émise est supérieure au coût marginal de dépollution. Cet arrangement
les amène à intégrer dans leur prise de décision les bénéfices et les coûts externes de leur action. ils vont
ainsi négocier un accord tel que le niveau optimal de pollution est atteint. Le marché n’est donc pas
défaillant dans ce cas de figure. Le théorème de Coase stipule ainsi que quand les coûts de transaction sont
nuls, les agents sont capables de trouver une solution efficace pour internaliser les externalités, sans que
l’intervention de l’Etat soit nécessaire. L’internalisation d’une externalité signifie que chacun intègre les
coûts et les bénéfices externes de son action dans sa prise de décision.
Source : M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012, p.202
Document 7 : les droits de propriété, le complexe touristique détient les droits à polluer (cas 2)
Ce résultat est valable quelle que soit la façon dont sont définis les droits de propriété. Reprenons l’exemple
précédent. Le fait que l’industrie polluante rejette ce que bon lui semble dans la rivière sans que le complexe
touristique puisse protester revient à considérer que l’industrie a un droit de propriété sur la rivière
puisqu’elle peut en faire libre usage (le droit d’usage est un des droits liés à la propriété). Supposons à
présent que la rivière et le lac soient la propriété du complexe touristique. Ce dernier peut interdire à
l’industrie le rejet de toute émission polluante. Le complexe subissant un préjudice à la pollution, sans
négociation, il ne va pas autoriser l’industrie à émettre la moindre pollution. Mais cette dernière est disposée
à verser une somme au complexe pour la dédommager de la pollution subie. L’industrie sera prête à payer
tant que le bénéfice marginal qu’elle retire de l’émission d’une unité supplémentaire de pollution (économie
des frais de traitement des eaux usées par exemple) est supérieur à la dépense supplémentaire qu’elle doit
engager pour dédommager le complexe. Ce dernier va autoriser l’industrie à émettre une unité
supplémentaire de pollution tant que la somme versée pour autoriser ce surcroît de pollution compense les
coûts qu’elle génère. Au final, la négociation va aboutir à une situation équivalente au premier cas de figure
46
du point de vue de la quantité d’émission polluante. En revanche, du point de vue de la répartition des
revenus, les deux situations ne sont pas équivalentes.
Dans le premier cas de figure, le complexe touristique verse une somme à l’industrie pour qu’elle réduise sa
pollution alors que dans le second, c’est l’industrie polluante qui indemnise le complexe pour avoir
l’autorisation de polluer.
Source : M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012, p.202
Solution coasienne
L’entreprise polluante négocie
avec le complexe touristique
Pour chaque niveau de pollution, l’usine évalue le coût de la dépollution. Le bénéfice de la pollution
correspond donc à la somme qu’elle ne dépense pas pour dépolluer. Plus la quantité de pollution augmente
plus la somme nécessaire pour dépolluer augmente. Ce bénéfice est donc décroissant.
Le complexe touristique connaît les coûts engendrés par la pollution; plus la pollution augmente, plus ces
coûts sont élevés. Les coûts sont donc croissants.
L’usine possède le droit de polluer
Le complexe touristique est prêt à payer l’usine pour
qu’elle cesse de polluer.
Plus la quantité polluée augmente, plus le coût de la
pollution s’élève pour le complexe touristique et plus le
bénéfice que l’entreprise tire de la pollution diminue.
Quand la quantité polluée augmente, la valeur donnée à
la dépollution augmente d’un côté, tandis que la valeur
donné à la pollution baisse de l’autre. Lorsque ces deux
valeurs s’égalisent, on trouve la quantité optimale de
pollution qui satisfait tout le monde.
Le complexe touristique possède le droit de polluer
L’usine est prête à payer le complexe touristique pour
pouvoir polluer le fleuve.
Plus la quantité polluée augmente, plus le bénéfice que
l’entreprise tire de la pollution diminue et plus le coût de
la pollution s’élève pour le complexe touristique. Quand
la quantité polluée augmente, la valeur donnée à la
pollution baisse d’un côté, tandis que la valeur donnée à
la dépollution augmente de l’autre. Lorsque ces deux
valeurs s’égalisent, on trouve la quantité optimale de
pollution qui satisfait tout le monde.
Document 8 : les limites de la solution par les droits de propriété
Toutefois, l’hypothèse d’une absence de coûts de transaction, nécessaire pour valider le théorème de Coase
est en fait très restrictive, car les situations d’externalités sont souvent très complexes, et nécessitent des
coûts importants pour négocier un accord, vérifier sa mise en œuvre …. R.Coase considérait lui-même que
ce théorème était peu réaliste, dans la mesure où la présence de coûts de transaction est plutôt la règle.
Quand la pollution résulte des interactions entre des millions de producteurs et d’usagers, comme c’est le cas
pour la pollution de l’eau par les nitrates, les coûts de transaction liés aux négociations sont très élevés : un
ménage insatisfait de la pollution de nitrates ne peut entamer une négociation avec tous les agriculteurs qui
peuvent être à l’origine de ce préjudice. Dans ce cas, le marché est mis en échec.
Source : M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012, p.203
Document 9 : la taxe pigouvienne
En taxant les producteurs responsables d’externalités négatives ou en subventionnant les producteurs à
l’origine d’externalités positives, les agents sont conduits à internaliser les effets externes de leur action. (…)
Une taxe pigouvienne consiste à taxer l’agent à l’origine d’une externalité négative de façon que son montant
soit égal à la différence entre les coûts privés et le coût social de l’activité qui génère des externalités.
Supposons que l’on souhaite taxer les prélèvements en eau souterraine réalisés par les agriculteurs, de façon
à atteindre le niveau optimal de prélèvement, compte tenu des externalités négatives qu’ils génèrent.
Source : M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012, p.216
47
1) sur ce graphique, faites apparaître la quantité de pollution maximale (Qmax)en situation
d’externalités négatives ;
2) faites également apparaître la quantité de pollution optimale (Q*) en situation d’absence
d’externalités négatives ;
3) admettons que l’on taxe les pollueurs (taxe fixe) : quel impact cette taxe a sur le bénéfice des
producteurs ?
4) on cherche le montant optimal de la taxe : quel doit être le montant de la taxe pour que la quantité de
pollution choisit par l’entreprise soit Q* ?
5) justification du montant de la taxe optimale : pour une taxe égale à C*
A gauche de Q*
A droite de Q*
Q*
Le bénéfice social de la pollution Le bénéfice social de la pollution Le bénéfice social de la pollution
est supérieur à la taxe
est inférieur à la taxe
est égal à la taxe
Les entreprises ont intérêt à Les entreprises ont intérêt à Situation optimal
polluer plus ou moins ?
polluer plus ou moins ?
Document 10 : les limites de la taxe pigouvienne
La taxe pigouvienne présente de nombreux avantages théoriques. Elle conduit d’une part les agents à faire le
choix de pollution optimale et conduit à ce que les pollueurs supportent les coûts sociaux de la pollution :
c’est le principe du pollueur payeur. (…) Cependant la taxe pigouvienne rencontre aussi des problèmes de
mise en œuvre qui conduisent à s’interroger sur son efficacité réelle. Il faut supposer que la puissance
publique dispose d’un excellent niveau d’information, de manière à déterminer précisément les coûts sociaux
des externalités, faute de quoi elle pourrait introduire une taxation ayant plus d’effets perturbateurs que
correctifs. D’où la question cruciale de l’évaluation des externalités. (…) Du point de vue de la taxe
pigouvienne, le niveau actuel de la fiscalité sur les prélèvements des eaux souterraines est clairement
insuffisant : la redevance versée à l’Agence de l’eau, que doivent payer ceux qui prélèvent des eaux
souterraines (quand ils sont déclarés et possèdent un compteur d’eau) est de l’ordre de 0,02 à 0,03 le mètre
cube, et les agriculteurs bénéficient en plus d’une décote importante par rapport à ce prix (…). La taxation
n’est pas pensée pour réduire sensiblement les prélèvements, elle sert surtout à financer certains
investissements sur les cours d’eau. Au-delà de cet exemple, l’expérience des dernières années montre que
l’acceptabilité sociale d’une taxation écologique ne va pas de soi, (…) comme le suggère l’abandon de la
contribution climat énergie, qui devait taxer les émissions de carbone associées à un certain nombre de biens.
elle s’est heurtée en 2009, après son adoption au Parlement, à l’avis négatif du Conseil constitutionnel, qui
s’opposait à la rupture d’égalité devant l’impôt de la taxe en raison des nombreuses exemptions envisagées,
or, ces exemptions avaient précisément été négociées au départ … pour favoriser son acceptabilité.
Source : M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012, p.216
Document 11 : la solution des marchés des quotas
Une autre solution envisageable pour réduire les externalités est la mise en place d’un marché des quotas. Au
lieu d’imposer à chaque agent un quota individuel d’émission polluante, la puissance publique défini au
niveau global un volume maximal de pollution, par exemple 10 000 tonnes d’émissions de carbone par an.
En fonction de cet objectif, elle va créer des droits d’émission, par exemple 10 000 titres donnant chacun
48
l’autorisation d’émettre 1 tonne de carbone par an. Une entreprise qui désire émettre 30 tonnes de carbone
par an doit impérativement posséder 30 titres. L’Etat peut initialement donner ou vendre ces titres aux
entreprises, dans les deux cas elles sont en mesure de les vendre entre elles sur un marché, dit marché de
quotas. Supposons que le prix d’un titre d’une tonne se fixe à 100 euros. Les entreprises achètent un titre si le
coût de réduction de ses émissions d’une tonne de carbone est supérieur à 100 euros. Sinon, l’entreprise a
intérêt à modifier ces techniques de production afin de réduire sa pollution et d’économiser le coût d’achat
d’un titre. Les entreprises qui possèdent des titres vont les revendre si leurs prix est supérieur au coût de
réduction d’une tonne de pollution. en fonction des coûts de dépollution de chaque entreprise, le prix du titre
va se fixer plus ou moins haut.
L’objectif de dépollution va être atteint à moindre coût car au final les entreprises pour lesquelles les coûts
de dépollution sont faibles vont plutôt choisir de dépolluer plutôt que d’acheter des titres alors que celles qui
subissent des coûts élevés de dépollution vont chercher à acquérir des quotas d’émission. Cette solution
semble ainsi plus efficace qu’un système de quotas individuels. Si le marché des quotas est ouvert à tous les
acteurs (et pas seulement réservé aux entreprises polluantes), les individus qui désirent voir le niveau de
pollution diminuer peuvent acheter des titres afin de les stocker et réduire le niveau global de pollution. il est
ainsi possible d’imaginer qu’une association écologique retire 1000 titres du marché afin de porter à 9000 le
nombre de tonnes de carbone émises par an. En faisant cela, elle révèle la valeur de sa préférence pour
l’environnement. dans un tel cas de figure, le mécanisme de marché conduit le prix à se fixer de façon telle
que la pollution se situe à son niveau optimal.
Source : M.Navarro et E.Buisson « La microéconomie en pratique », A.Colin Cursus, 2012, p.218
Quantité pollution de
départ
Droits à polluer délivrés
gratuitement
Entreprise A
25 tonnes
Entreprise B
25 tonnes
20 tonnes
20 tonnes
A met en place une
technologie de
production moins
polluante
A se sépare de 5 tonnes
de droits à polluer
B ne met pas en place
une technologie de
production moins
efficace
B a besoin de 5 tonnes
de droits à polluer
A est incité à dépolluer
encore
Echange sur le marché :
B achète les titres de A
tant que le coût de la
dépollution est supérieur
au prix des titres
Le prix des titres
augmente
B est incité à dépolluer
plutôt que polluer
Document 12 : le fonctionnement du marché européen
Source : www.lefigaro.fr
49
Document 13 : avantages comparés de la taxe et des marchés de quota
N.Stern : J’ai quant à moi une petite préférence pour les marchés de permis. D’abord, parce que l’essentiel
est de contenir les émissions – ce que l’on peut faire de façon certaine en fixant la quantité de permis en
circulation. Ensuite pour des raisons d’apprentissage et d’ajustement. En principe, les gouvernements
peuvent ajuster le taux de la taxe ou la quantité de permis en circulation au fil de l’eau. Mais comment savoir
s’il faut augmenter ou diminuer la taxe, augmenter ou diminuer la quantité de permis en circulation ? Le
processus d’apprentissage est complexe. Imaginons qu’un pays instaure une taxe à un taux stable pendant 5
ans, et imaginons qu’à l’issue de ces 5 années la réduction des émissions de GES ait été inférieure à ce qui
était attendu. Faut-il en conclure que la taxe ne fonctionne pas ? Que d’autres éléments ont interagis ? il est
possible que la taxe ait eu peu d’effet à court terme, mais qu’elle s’apprête, au bout de 5 ans, à modifier en
profondeur les comportements. Il est difficile de calibrer de façon optimale la politique climatique
simplement en observant la façon dont les individus et les entreprises réagissent à la taxe. Je pense qu’on
peut apprendre plus de choses en observant l’évolution des prix sur les marchés. Enfin, les marchés de
permis sont, d’un point de vue politique, plus facile à mettre en place que les taxes. Il existe, en effet, une
façon fort simple d’attirer au début les entreprises dans un marché de permis : en leur attribuant des permis
gratuits.
R.Guesnerie : je souscris à l’argumentaire d’économie politique en faveur des permis (…) mais il faut mettre
en avant ici une autre dimension du problème : quand on réfléchit aux mérites comparés de la taxe et du
marché de permis, il est crucial de distinguer l’échelle mondiale et l’échelle nationale ou « régionale ».
j’approuve tout à fait l’idée qu’il faut essayer de contrôle les GES, ce que garantit en principe le marché de
permis. Mais je pense que ce contrôle doit s’exercer au niveau mondial : l’idéal là est celui d’un accord entre
tous les pays du monde, prévoyant un plafond d’émissions global, l’allocation individuelle de permis (à
chaque pays) et la création d’un marché international sur lequel les pays ayant dépassé leur quota
achèteraient des permis aux autres pays qui sont parvenus à réduire leurs émissions au-delà des quotas qui
leur étaient attribués. Une fois les quantités fixées à l’échelle mondiale par un accord international, il me
semble ensuite préférable que les Etats, ou les groupes d’Etats liées par des accords régionaux, cherchent à
respecter leur quota d’émissions en instaurant des taxes.
Source : N.Stern et R.Guesnerie « Deux économistes face aux enjeux climatiques », Le Pommier, 2012
Document 14
En 2005, les pays de l’UE ont émis 2,2 milliards de tonnes de CO2 (1 tonne = 1 quota), et le montant total
des transactions a été estimé à 260 millions de tonnes, soit 12% des allocations initiales. Toutefois, les
émissions ont été inférieures de 44 millions de tonnes par rapport aux quotas fixés. Conséquence de cette
surabondance, le prix du quota qui était de 8,5 euros le 3 janvier 2005 et qui avait atteint 31 euros à la miavril 2006 s’est effondré pour revenir à 8,6 euros en mai 2006
Source : P.Bontems et G.Rotillon « L’économie de l’environnement », La découverte, 2008, p.69
Document 15
Source : Eloi Laurent in Cahiers Français « L’environnement sacrifié ? » n°374, juin 2013
***********
50
Comment représenter l’espace social ?
La formulation du sujet conduit à une double interprétation qui est en lien avec le programme de
première année (et qui s’appuie aussi sur des éléments du programme de Terminale).
Soit on considère « comment représenter » comme synonyme de « comment étudier l’espace
social ? », c’est-à-dire quel type de sociologie mettre en œuvre pour élaborer une représentation de
l’espace social. Cette problématique renvoie finalement à la partie du module 1 du programme de
première année sur les méthodes utilisées en sociologie.
Soit on considère « comment représenter » comme synonyme de « à quoi ressemble l’espace social
aujourd’hui ? ». Cette problématique renvoie à la partie du module 1 du programme de première
année sur les objets d’étude de la sociologie.
Reprenez votre programme du module 1, et vous verrez clairement apparaître cette distinction entre
une réflexion sur les méthodes, la démarche du sociologue et une autre réflexion sur les objets
d’étude, les thèmes abordés.
La manière dont Babylon et Morand ont abordé la question renvoie à la deuxième interprétation du
sujet ; en gros, elles se sont demandées si les classes sociales, concept fondateur de l’analyse de
l’espace social par les sociologues, étaient encore présentes dans notre société. Ce faisant, elles ne
se sont pas assez interrogées sur les démarches des sociologues (sur les différentes sociologies de
l’espace social).
Bien sûr, on le verra un peu plus loin, la manière d’aborder l’espace social, c’est-à-dire la démarche
suivie a des conséquences sur la manière d’étudier l’objet « espace social ». Par exemple, la
démarche de K.Marx conduit à représenter l’espace social comme un espace hiérarchisé et
conflictuel.
En résumé, il y a dans ce sujet une dimension « histoire de la pensée sociologique » importante. Il
s’agit ici de se demander comment cette science sociale s’est emparée de la question de l’étude de
« l’espace social ».
On a vu que le terme « représenter » n’est pas univoque : il renvoie à une question de méthode ou à
une question d’objet. Quant à la notion d’ « espace social », elle est suffisamment large pour y
intégrer des questions comme : les ressources qui justifient telle ou telle position, les frontières ou
les ponts entre ces positions sociales, les regroupements entre individus placés dans des positions
identiques …
La question de la représentation de l’espace social est ancienne et importante en sciences sociales.
Elle apparaît avec la sociologie naissante du 19ième siècle. Les sociologues (ou ceux que l’on
appellera ainsi plus tard) se rendent compte que la société qui se transforme avec l’entrée dans la
modernité (c’est comme cela que l’on appelle cette période historique où les sociétés ne sont plus
des sociétés féodales) a des caractéristiques qui lui sont propres. L’étude de l’espace social apparaît
ainsi comme un des tout premiers objets d’étude des sciences sociales.
Comment représenter l’espace social de ces sociétés où les inégalités ne sont pas statutairement
héritées, qui promeuvent l’égalité des droits mais sont marquées par les inégalités de résultat ?
Il a de très nombreuses manières de rentrer dans cette problématique ; le choix le plus simple est
sans doute de se rappeler que cette question fait l’objet d’un thème du programme de terminale,
dans lequel il est précisé : « On présentera les théories des classes et de la stratification sociale
dans la tradition sociologique (Marx, Weber) ainsi que leurs prolongements contemporains et on
s'interrogera sur leur pertinence pour rendre compte de la dynamique de la structuration sociale.
On mettra en évidence la multiplicité des critères de différenciation sociale dans les sociétés postindustrielles (statut professionnel, âge, sexe, style de vie). »
Le programme de terminale nous donne donc des pistes pour traiter simplement cette question :
partir des travaux fondateurs de Marx et Weber, qui s’appuient sur des démarches différentes, pour
ensuite se demander quelle pertinence ces grilles de représentation ont encore aujourd’hui.
51
On distingue deux grandes approches de l’espace social chez deux pères fondateurs de la
sociologie : Karl Marx et Max Weber.
La représentation de l’espace social chez K.Marx (1818-1883)
La première approche (historiquement) est celle de Karl Marx. Durant le milieu du 19ième siècle, ce
dernier observe l’apparition d’une nouvelle société, la société industrielle (l’industrialisation de
l’époque s’accompagne d’un fort exode rural, d’une entassement des salariés dans des quartiers
insalubres et d’une « insécurité » sociale – pour reprendre l’expression de Robert Castel –
absolument totale) dont l’espace social est séparé entre d’un côté la classe bourgeoise qui détient les
moyens de production et de l’autre côté la classe ouvrière qui détient la force de travail. L’espace
social est discontinu ; les groupes sociaux sont séparés les uns des autres. Les prolétaires vendent
leur travail aux capitalistes qui possèdent les outils de production mais qui captent la plus value
réalisée par le travail lors de la transformation de la matière en marchandise. Cette approche est une
approche conflictuelle : la société est séparée en deux groupes qui sont en conflit. Ce qui intéresse
Marx, c’est moins la question de la mobilité sociale (la possibilité de grimper la hiérarchie sociale
par exemple) que celle de l’opposition entre deux groupes qui ont des conditions de vie, des
cultures différentes, des intérêts différents, qui ont conscience d’avoir des intérêts différents et qui
vont s’opposer autour de ces intérêts. La représentation de l’espace social par Marx est une
représentation «conflictuelle », « discontinuiste » qui se fonde avant tout sur un critère
« économique ». En outre, sa démarche est dite « réaliste », car pour Marx, les classes sociales
existent indépendamment des travaux des chercheurs : elles sont « là » dans la société, elles
structurent la société. Ainsi dans Le Manifeste du Parti Communiste (1848), Marx écrit :
« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes des classes ». Ce n’est
donc pas la société industrielle qui a « inventé » les classes sociales, pas plus d’ailleurs que le
sociologue (même si ce mot n’a pas de sens à l’époque où Marx écrit).
Une remarque néanmoins : ce n’est pas parce que les classes sociales « existent » bien avant que le
sociologue ne les penses, que les membres de ces classes sociales se rendent comptent qu’ils font
partie d’un groupe. Ainsi, Marx distingue deux notions : celle de classe en soi et celle de classe
pour soi. Ces deux notions sont utiles, car elles permettent de distinguer les critères « objectifs »
d’appartenance à une classe et les critères « subjectifs » d’appartenance. Chez Marx, il y a un critère
« objectif » d’appartenance : la possession (ou non) des moyens de production. Concernant le
critère « subjectif », celui ci renvoie à la conscience de classe qui conduit les individus à l’action
collective.
En résumé, une classe sociale en soi est un ensemble d’individus qui partagent le même critère
d’appartenance, par contre une classe sociale pour soi correspond à une définition plus large d’une
classe sociale : il faut bien sur que les individus aient en commun un critère d’appartenance mais
qu’en plus ils en aient conscience et décident de défendre leurs intérêts en agissant.
Marx s’appuie sur une démarche scientifique qualifiée de réaliste. L’espace social pour lui est
unidimensionnel, discontinuitiste et conflictuel, fondé avant tout sur un critère économique.
Document 1
« L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes. Homme libre
et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot
oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt
ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation
révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte. Dans les
premières époques historiques, nous constatons presque partout une organisation complète de la
société en classes distinctes, une échelle graduée de conditions sociales. Dans la Rome antique,
nous trouvons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des esclaves; au moyen âge, des
seigneurs, des vassaux, des maîtres de corporation, des compagnons, des serfs et, de plus, dans
chacune de ces classes, une hiérarchie particulière. La société bourgeoise moderne, élevée sur les
ruines de la société féodale, n'a pas aboli les antagonismes de classes Elle n'a fait que substituer de
52
nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles
d'autrefois. Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est
d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en deux vastes camps
ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat. [On
entend par bourgeoisie la classe des capitalistes modernes, propriétaires des moyens de
production sociale et qui emploient le travail salarié. On entend par prolétariat la classe des
ouvriers salariés modernes qui, privés de leurs propres moyens de production, sont obligés pour
subsister, de vendre leur force de travail. (Note d'Engels pour l'édition anglaise en 1888)]. »
Source : K. Marx et F. Engels : Le manifeste du parti communiste (1847)
http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000a.htm#sect1
La représentation de l’espace social chez Weber (1864-1920)
Il existe une seconde tradition sociologique de la représentation de l’espace social, différente de
l’analyse marxiste, qui trouve ses sources dans les travaux du sociologue allemand, Max Weber.
Weber écrit à la fin du 19ième siècle – début du 20ième siècle, dans une société allemande qui est bien
sûr très différente de la société qu’a connu Marx. Les premières formes d’Etat providence ont été
mises en place par Bismarck dès les années 1880, on assiste à l’essor des grandes firmes
hiérarchisées, à l’essor de l’administration et aux métiers intermédiaires et d’encadrement.
Pour M.Weber, l’espace social est structuré autour de trois ressources socialement valorisées : les
revenus qui permettent d’accéder à différents niveaux de consommation, le prestige et le pouvoir
politique. Les membres de la société possèdent plus ou moins de ces différentes ressources. Il existe
donc trois échelles « sociales », et les individus se situent sur des niveaux différents de ces échelles
en fonction de leur détention de telle ou telle ressource. On dit ainsi que la société est constituée de
strates. Pour M.Weber, l’utilisation du terme de classe sociale renvoie uniquement à l’échelle
« économique ». il distingue ainsi une classe populaire, une classe moyenne et une classe supérieure
(attention, il existe de très nombreuses présentations fausses de la notion de classe sociale chez
Weber. Certains en effet parlent d’appartenance à une classe sociale comme le résultat des
positions sur les 3 échelles présentées par Weber. C’est une erreur. La classe sociale ne renvoie
qu’à l’échelle qui représente les chances d’accéder à telle ou telle consommation en fonction de
son revenu ; elle ne renvoie donc qu’à l’échelle « économique »).
Le critère pour distinguer les classes sociales est unique (les classes sociales renvoient au domaine
économique) mais différent de celui employé par Marx (revenu et consommation vs propriété des
moyens de production).
Il y a donc des éléments communs et des différences dans la représentation de l’espace social entre
Weber et Marx. Comme Marx, Weber considère que les classes sociales se construisent sur un
critère économique, mais :
- première différence, le critère économique n’est pas le même ;
- deuxième différence, l’approche de Weber est continuitiste (la société est faite de strates)
tandis que celle de Marx est faite discontinuitiste ;
- Troisième différence, Weber présente trois « échelles » de classement (revenu, prestige,
politique) tandis que Marx n’en propose qu’une seule. L’approche de Weber sort donc du
stricte cadre « économique » pour s’ouvrir à d’autres ressources qui lui semblent aussi
importantes à prendre en compte si l’on veut positionner les individus dans l’espace social.
La représentation de la société chez Weber ne se réduit donc pas à l’existence de classes
sociales. Par exemple, un individu peut être riche mais dénué de toute ressource de prestige,
c’est le cas par exemple des nouveaux riches.
L’approche de M.Weber est une analyse multidimensionnelle de l’espace social, mais aussi une
analyse continuitiste (on peut se déplacer de haut en bas de l’échelle).
Enfin, la démarche scientifique de M.Weber est dite « nominaliste » : les groupes sociaux existent
avant tout « sur le papier » du chercheur. Ce dernier les construit : il simplifie la réalité en ne
gardant que quelques éléments descriptifs qui lui sont utiles pour comprendre l’espace social. De la
même manière qu’une carte routière n’est pas la réalité, mais une simplification volontaire autour
53
d’informations qui sont utiles pour se déplacer dans l’espace géographique, la représentation sociale
du sociologue a pour simple objectif de rendre la compréhension du monde social plus simple.
Weber s’appuie sur une démarche scientifique qualifiée de nominaliste. L’espace social pour lui est
multidimensionnel, continuitiste et n’est pas fondé uniquement sur un critère économique.
Document 2
« Lorsque l’on parle des classes sociales, deux grandes traditions sont implicitement opposées, qui
répondent à deux courants contraires qui traverses la sociologie. Pour forcer le trait et simplifier
des oppositions que les auteurs ont généralement nuancées ou complexifiés, on peut dire que nous
avons deux traditions divergentes, l’une issue de K.Marx et l’autre de M.Weber, chacun posant une
définition des classes sociales qui lui est spécifique (…). Du côté marxiste, les classes sociales sont
des collectifs structurés par une position spécifique dans le système économique, définis notamment
au travers de la propriété des moyens de production, marqués par un conflit central
(l’exploitation) ; mais au-delà de ces « conditions de classe » il existe une « conscience de classe »,
une conscience sociale de leur être collectif, de leur intérêt, de leur dynamique, qui permet de
passer de la « classe en soi » à la « classe pour soi ». cette tradition est parfois qualifiée de holiste
parce qu’ici, la totalité est plus que la somme des individus, la classe existant indépendamment et
au-dessus de ses membres, en leur dictant leur rôle (…). Prévaut donc l’idée qu’il existe des
rapports sociaux, c’est-à-dire des conflits structurants le jeu des oppositions dans le monde social.
(…) Cette tradition marxiste est aussi qualifiée de réaliste, parce que les classes sont supposées
former des entités véritables et tangibles, et non par des constructions intellectuelles.
D’un autre côté, au contraire, la tradition weberienne suppose que les différentes classes sociales
sont des groupes d’individus similaires, partageant une dynamique probable semblable (Weber
parle de « lebenschancen » ou « chances de vie ») sans qu’ils en soient nécessairement conscients
et sans nécessairement agir en commun. Ces groupes résultent moins, d’ailleurs, d’une répartition
conflictuelle des moyens de production que de la division du travail où chaque groupe obéit à une
fonction spécifique (…). Ici, la classe sociale n’est pas autre chose, a priori, que la somme des
individus (approche individualiste) que le chercheur décide d’assembler selon ses critères propres ;
ainsi, les classes sont des noms plus que des choses (nominalisme), même si rappelle M.Weber, a
posteriori, peuvent se constituer historiquement des conflits ouvertes. »
Source : Louis Chauvel « Les mutations de la société française. Volume II », La Découverte, 2007,
p.32
Document 3
« L’analyse de M. Weber est en effet pluridimensionnelle. Il distingue :
- Les classes, qui correspondent à l’ordre économique.
- Les groupes statutaires, qui correspondent à l’ordre social.
- Les partis, qui correspondent à l’ordre politique.
L’ordre économique est « le mode selon lequel les biens et les services sont distribués et utilisés ».
L’ordre social « sphère de répartition de l’honneur » est le mode selon lequel le prestige se
distribue dans une communauté. Quant à l’ordre politique, il peut être défini comme la compétition
pour le contrôle de l’État. Les « partis » qui en résultent procurent éventuellement un pouvoir
supplémentaire aux classes et aux groupes de statut.
M. Weber donne une définition strictement économique de la situation de classe, en disant que c’est
la chance caractéristique pour un individu d’accéder aux biens. Les individus, du fait de leur
famille, de leur profession, des capitaux qu’ils possèdent, de la région où ils habitent, ou de toute
autre cause déterminante, ont des chances (au sens de possibilité) inégales, différentes, d’accéder
aux biens. Ces différences définissent des situations de classe différentes.
Les classes ne sont par conséquent qu’une dimension de la stratification sociale même si Weber
sous-entend qu’elles en sont la trame la plus importante dans les sociétés modernes. Selon Weber,
une classe se définit notamment par deux critères. La possession des moyens d’édifier une fortune
ou de constituer un capital : les classes de possession privilégiées sont d’abord celles des rentiers.
54
Les classes de possession négativement privilégiées sont les esclaves, les déclassés, les débiteurs et
les pauvres en général. La mise en œuvre des moyens de production : les classes de production
positivement privilégiées comprennent les marchands, les armateurs, les entrepreneurs industriels,
les banquiers, les professions libérales, etc. Les classes de production négativement privilégiées
sont celles des travailleurs (ouvriers spécialisés, qualifiés et non qualifiés) ».
Source : Alain Beitone et alii (2012), Sciences sociales, Sirey (7ème édition)
Conclusion :
Deux démarches scientifiques opposées (réalisme vs nominalisme)
Deux conceptions de l’espace social distinctes : espace discontinu structuré par des conflits entre
deux groupes sociaux vs espace à plusieurs dimensions.
Point commun : une représentation hiérarchisée de la société, dans laquelle les inégalités sont donc
présentes.
Comment ces deux approches des classes sociales ont-elles influencé la sociologie contemporaine ?
Les sociologues contemporains utilisent-ils toujours les grilles de lecture proposées par Marx et
Weber pour rendre compte d’un espace social qui a évolué depuis ces travaux fondateurs ?
La classification des PCS de l’INSEE : un outil massivement utilisé par les sociologues
français
Avant de se pencher sur les travaux des sociologues français, il faut remarquer que ces derniers
utilisent une représentation de l’espace social qui est la grille des professions et catégories
socioprofessionnelles. Cette grille a été créée dans les années 1950 par l’INSEE afin justement de
représenter l’espace social. Ce n’est pas un outil de sociologue, mais un outil de statisticiens utilisé
par des sociologues. Cette création s’appuie sur des éléments « marxiens » de l’espace social mais
aussi des éléments « wébériens ». La grille des PCS est une spécificité franco-française. Elle
représente l’espace social dans une démarche nominaliste qui s’appuie sur la position socioprofessionnelle. Pour autant, elle considère que les groupes ainsi constitués sont suffisamment
homogènes pour y générer des comportements, des attitudes ou des opinions similaires. Cette
classification pioche chez Marx (sentiment d’appartenance au groupe) et chez Weber (approche
nominaliste et pluridimensionnelle).
Document 4
« La classification en PCS est devenue une véritable institution nationale au sens où son usage est
maintenant de pratique courante (…). Les principes de construction des codes des CSP visant à
classer l’ensemble des actifs dans un certain nombre de catégories selon la profession et le statut
amènent inévitablement à rapprocher cette démarche de l’approche nominaliste. Rappelons que
celles-ci, en matière de stratification sociale, vise à constituer des classes – au sens logique du
terme – en rassemblant des individus ayant des caractéristiques communes (revenus, diplômes,
possession d’un bien quelconque) sans pour autant que les individus ainsi réunis forment un groupe
au sens réel et se sentent appartenir à ce groupe. On obtient ainsi des regroupements d’agents
opérés par le statisticien mais n’ayant pas d’existence propre. (…)
Mais les CSP sont davantage que des catégories nominales. La prise en compte de plusieurs
critères permet de rassembler des actifs ayant un profil professionnel et social similaire. En outre,
les concepteurs initiaux du code des CSP entendent rassembler les catégories «en un nombre
restreint de grandes catégories (les groupes socioprofessionnels) présentant chacune une certaine
homogénéité sociale ». Cette « homogénéité sociale » est expressément rapportée à la notion de
groupe social : « les personnes appartenant à une même catégorie sont présumées susceptibles
d’entretenir des relations personnelles entre elles, avoir souvent des comportements et des opinions
analogues, se considérer elles-mêmes comme appartenant à une même catégorie et être considérées
par les autres comme appartenant à une même catégorie » (Le code des CSP, Insee, 1969). (…)
Les individus actifs sont classés en catégories socioprofessionnelles à partir de la profession dans
son acception à la fois technique et « sociale » : sont pris en compte simultanément le type de
55
métier ou d’occupation, le statut de l’actif (indépendant ou salarié, public ou privé), le couple
formation/qualification, la position hiérarchique dans les administrations et les entreprises. Les
catégories constituées à partir de ces critères socio-économiques sont censées rassembler non
seulement des actifs ayant un profil professionnel et social semblable mais également former, au
niveau des grandes catégories ou des groupes, des ensembles « représentant une certaine
homogénéité sociale » (relations personnelles, comportements, opinions). »
Source : Serge Bosc « Stratification et classes sociales. La société française en mutation », A.Colin,
2008, p.69
Les travaux contemporains sur l’espace social français s’appuient sur l’outil statistique fourni
par les PCS. On le retrouve donc chez des grands sociologues comme Henri Mendras ou
Pierre Bourdieu. Mais on peut aussi montrer que l’espace social ne se limite pas aux inégalités
associées à des appartenances socio-professionnelles.
Les travaux d’Henri Mendras (1927-2003) sont associés à l’étude d’une société française qui
se moyennise
Si Mendras étudie l’espace social, c’est pour montrer que celui-ci a connu une métamorphose
durant la période 1950/1980. Après avoir étudié le monde paysan, il se penche sur l’ensemble de la
société, dont il considère qu’elle vit une révolution. Il nomme son ouvrage paru en 1988 « La
seconde Révolution française (1965-1984). La révolution silencieuse ».
Idée essentielle chez Mendras : la représentation de l’espace social doit tenir compte d’une
disparition des classes sociales (on quitte l’approche discontinuitise, conflictuelle et
unidimensionnelle). Comme chez Weber, les critères de classement sont multiples (revenus,
professions, diplômes) mais l’espace social doit être représenté sous la forme d’une toupie (mais qui
est en 3D, une toupie qui ressemble à une goutte d’eau). Il existe des « constellations » (plutôt que
des classes sociales) dans lequel les individus sont proches, mais les frontières entre ces
« constellations » sont poreuses. Les hiérarchies sociales s’estompent. La mobilité sociale est plus
importante. Par ailleurs, les groupes sociaux sont marqués par des différences culturelles moins
importantes car la culture et les modes de vie des « nouvelles classes moyennes salariées » qui
prennent leur essor durant les Trente glorieuses (les cadres et professions intermédiaires) se
diffusent dans toute la société. La moyennisation renvoie donc à une transformation de la structure
sociale mais aussi à une transformation culturelle.
Document 5
« Henri Mendras, dans « La seconde révolution française, 1965-1984 » critique la représentation
(…) traditionnelle de la société telle qu’elle découle de l’analyse marxiste. Fondamentalement, sur
la période 1965/1984, Mendras constate deux mouvements qui remettent en question la vision
d’une société divisée en classes sociales.
D’un côté, le sentiment d’appartenance à une classe sociale s’affaiblit puisque de moins en moins
de gens disent appartenir à la classe ouvrière ou à la bourgeoisie, et ceux qui se situent dans la
classe moyenne deviennent de plus nombreux, jusqu’à être majoritaire dans la population. D’un
autre côté, les catégories sociales intermédiaires se multiplient.
Ces deux éléments aboutissent à l’effacement de la classe moyenne elle-même, puisque n’étant plus
intermédiaire entre deux classes fortes et antagonistes, elle perd sa caractéristique propre d’être
« moyenne ». Le gonflement de la classe moyenne annonce sa disparition. Mendras reprend l’idée
de Tocqueville en affirmant qu’il n’y a plus de « classe moyenne » puisque personne ne s’intercale
entre le peuple et la bourgeoisie. On assisterait donc à une moyennisation de la société (lorsque
tout le monde est moyen, il n’y a plus de classe moyenne, puisque pour avoir une classe moyenne, il
faut avoir une classe au-dessous et une classe au-dessus). (…) Si au début du XXième siècle, la
société paraissait fortement hiérarchisée, le portrait schématique visant à distinguer les paysans, la
bourgeoisie, le prolétariat et les classes moyennes ne correspond plus en rien au visage de la
France d’aujourd’hui. Les paysans ont disparu, la bourgeoisie a perdu ses attributs qui se sont
56
diffusés dans le reste de la population, la culture populaire est morte, la classe moyenne n’est plus
constituée d’employés ou de boutiquiers mais de cadres. Une révolution sociale complète s’est
opérée au cours du siècle, les cultures de classe sociale ont disparu. (…) et cette révolution a été
une révolution silencieuse. (…) Alors que traditionnellement, les classes sociales avaient leurs
partis (ouvriers = PC ; classes moyennes salariées = PS, indépendants = partis de droite) l’axe
gauche-droite ne correspond plus à l’axe vertical des catégories sociales. »
Source : Patrice Bonnewitz « Classes sociales et inégalités » p.35 (2009) Bréal
Document 6
Document 7
« Pour H.Mendras, (…) il faut construire un autre modèle où les groupes sociaux se répartissent en
constellation, qui ne sont pas hiérarchisées sur une échelle unique mais qui se distribuent sur un
espace à trois dimensions. Mendras donne ainsi une image « cosmographique » de la société à la
fin des années 1980. La structure sociale prend l’allure d’une toupie où les groupes sociaux
s’organisent en « constellation » plus ou moins cristallisées : la constellation populaire est formée
des ouvriers et des employés, proches par leurs niveaux de revenus, d’éducation ou de condition de
travail. Elle regroupe environ la moitié de la population. la constellation centrale regroupe les
cadres supérieurs et les professions intermédiaires. Elle représente environ un quart de la
population. Les indépendants regroupent les chefs d’entreprise, les artisans et les commerçants, les
professions libérales et les agriculteurs exploitants. Cette constellation est très dispersée dans
l’échelle des revenus et des diplômes. Enfin, l’élite d’un côté et les pauvres de l’autres forment les
deux pointes de la toupie. Le modèle de la toupie n’est pas stable, il peut prendre du ventre ou
s’allonger en fonction des transformations sociales. Mendras explique qu’il n’existe plus de classes
au sens marxiste du terme, (…) c’est-à-dire de grand groupes dotés d’une capacité d’action
autonome. (…) Mendras conteste aussi l’existe de couches sociales empilées les unes sur les autres.
Pour lui, il n’existe que des groupes sociaux fluctuants, dont la profession est néanmoins toujours
la caractéristiques principale. Par ailleurs, le fait qu’il y ait de plus en plus de différences entre
position professionnelle, niveau de revenus et niveau d’instruction montre aussi que la notion de
PCS n’est plus un indicateur aussi discriminant que dans les années 1950. Par contre H.Mendras
se prononce pour l’existence de classes d’âge. »
Source : Aide mémoire de sciences sociales, Sirey, 2012, p.285
Document 8
« L'ouvrage d'Henri Mendras, La seconde révolution française : 1965-1984 reste emblématique du
reflux des analyses en termes de classes, comme nous l'avons évoqué plus haut. L'auteur souligne
ainsi la disparition de la société paysanne traditionnelle et « l'embourgeoisement de la classe
ouvrière », illustrant la progression de la « consommation de masse » et de la tendance à
l'uniformisation des modes de vie. La « constellation centrale » est appelée à inclure l'essentiel de
57
la société, ne laissant aux marges que des franges réduites d'exclus et de privilégiés. On ne peut
plus selon lui représenter la société sous forme d'une pyramide mais plutôt sous celle d'une toupie.
A l'exception d'une petite élite représentant 3% de la population et d'une frange d'exclus (7%), la
société française se regrouperait au sein d'une vaste « constellation populaire » rassemblant 50%
de la population et d'une « constellation centrale » (25% de la population), en forte expansion,
notamment les cadres. Caractérisée par une forte mobilité sociale, cette constellation serait un lieu
d'innovations sociales qui se diffuseraient à l'ensemble d'une société dont les frontières entre les
groupes sont moins rigides. Notons que cette thèse de la moyennisation remonte à Guizot, repris
par Alexis de Tocqueville pour qui la société moderne est individualiste et uniformisante.
L'argument de la moyennisation s'appuie de façon générale sur l'observation d'une réduction des
disparités socioéconomiques, en particulier des écarts de revenus à partir de la fin des années 60.
Pour Serge Bosc, cette tendance a sans conteste permis aux catégories populaires les moins
défavorisées de se rapprocher du niveau de vie des classes moyennes. »
Source : http://ses.ens-lyon.fr/moyennisation-ou-polarisations--51760.kjsp
Document 9
« Pour ce qui concerne le cas français, il est commode de partir d’un ouvrage classique, La
Seconde Révolution française 1965-1984 d’Henri Mendras, qui a donné des transformations de la
société française le plus saisissant des tableaux. Publié à la fin des années 1980, il exprime avec
élégance et profondeur le sentiment assez répandu alors que la démocratie française avait
accompli en une vingtaine d’années des changements considérables, qui lui avaient permis, d’un
côté, de donner un contenu concret aux idéaux démocratiques ou républicains (liberté, égalité,
fraternité) (…). Or, dans cette transformation, les « classes moyennes » jouent évidemment un rôle
décisif. Dans la vision courante au début du XXième siècle, les trois classes principales sont la
paysannerie, la classe ouvrière et la bourgeoisie : « entre ces trois grands groupes majeurs, les
classes moyennes étaient marginales, tiraillées entre leurs origines populaires et paysannes et leurs
ambitions bourgeoises » (Mendras). Dans la société nouvelle, les paysans ont presque disparu, la
bourgeoisie n’est plus constituée de rentiers – et le développement de la classe moyenne, qui fait de
celle-ci le modèle de référence pour le plus grand nombre, s’est fait autour des « cadres »
beaucoup plus que des « indépendants ». Le résultat paradoxal de cette évolution, c’est que la
notion même de « classe moyenne » devient elle-même problématique, dès lors que la majorité de la
population tend à se reconnaître en elle : selon Mendras « en pure logique, si tout le monde est
moyen, personne ne l’est ». En fait, Mendras montre que ce paradoxe n’interdit nullement bien au
contraire, de définir une « constellation centrale » qui, dans un graphique en forme de toupie, reste
minoritaire (25% de la population) et fortement distincte des « indépendants » traditionnels (15%),
de l’élite (3%), du peuple (50%) et des pauvres (7%). La force de ce groupe vient de sa capacité à
favoriser les transactions entre peuple et élite qui font le dynamisme de la société et elle est
paradoxalement augmentée par sa diversité interne. »
Source : Philippe Raynaud in « Les classes moyennes dans la crise » Cahiers Français n°378,
janvier-février 2014, p.15
Document 10
« Jean Fourastié dans « Le grand Espoir du 20ième siècle » (1949) avait tracé les critères d’une
expansion économique porteuse de progrès sociaux : l’expansion salariale, en particulier aux
échelons intermédiaires, la stabilisation des statuts d’emploi, la maîtrise des grands risques
sociaux de la vie et de la mort, et la sécurité sociale pour soi et ses proches, l’expansion des
diplômes sans inflation des titres, la mobilité structurelle ascendante qu’elle permet, la hausse du
niveau de consommation et de la capacité à épargner, la certitude d’offrir des études et un emploi
meilleurs à la génération suivante, ont été des éléments distinctifs de l’ascension de cette
civilisation de classes moyennes. »
Source : L.Chauvel in « Les classes moyennes dans la crise » Cahiers Français n°378, janvierfévrier 2014, p Cahiers Français, p. 27
58
Document 11
« Alfred Sauvy (…) rappelait qu’il ne suffit pas de faire des enfants, encore faut-il leur faire une
place : à l’école, dans les logements, mais aussi, plus tard dans le monde du travail. Pour des
générations qui ont connu la grande crise des années 1930, plus de trente ans de régression
économique, une ou deux guerres mondiales, l’effondrement des régimes libéraux de la BelleEpoque, l’avènement des fascismes européens, la menace permanente du communisme (…), ce
devoir d’avenir n’était pas qu’un vœu pieux ou un vain mot : ils l’ont fait. L’exception historique de
la génération des premiers-nés du baby-boom a été de connaître un quasi-doublement de l’accès au
baccalauréat sans subir pour autant une dévaluation économique et sociale des titres scolaires :
une licence obtenue en 1970 valait autant en termes de prestige de l’emploi ou de rétribution que le
même titre universitaire obtenu dix ans plus tôt, alors qu’il était deux fois plus rare. Ce fut la
première génération à connaître ce sort, et aussi la dernière. (…) La période 1945-1975 est
marquée par l’enrichissement et la montée en puissance d’une société salariale où, pour les
nouvelles classes moyennes du public, des grandes entreprises privées, voire plus loin encore, se
diffusait progressivement à toutes les catégories de la population une norme d’emploi à statut
stable, de titulaire à vie, sur le modèle d’une carrière toujours ascendante, avec la certitude d’une
retraite au bout dont le niveau approcherait celui du dernier salaire. Ce qui est essentiel dans la
génération 68, ce n’est pas le mois des barricades, mais le fait que la société française ouvrit
l’armoire à confiture aux jeunes bacheliers ou licenciés qui allaient connaître en masse des
carrières qui auraient été inimaginables à ceux nés dix ans plus tôt, dans l’enseignement, la
recherche publique ou privée, les services sociaux ou de santé, le journalisme, l’édition et bien
d’autres secteurs (….). On saisit mieux alors les développements de Catherine Bidou (Les
aventuriers du quotidien : essai sur les nouvelles classes moyennes, 1984) sur l’anthropologie
sociale de ces nouvelles classes moyennes des années 1970 : le faible degré de frustration, qu’elle
observait, résultait avant tout du fait que, pour la première (et la dernière) fois dans l’histoire, les
aspirations des nouvelles classes moyennes allaient être dépassées par les possibilités sociales de
réalisation qui s’ouvraient à elles. »
Source : L.Chauvel « Les classes moyennes à la dérive », La république des idées, 2006, p.66
Dans le prolongement des thèses de la moyennisation : la disparition des hiérarchies sociales
et l’essor des socio-styles
Une certaine idée de l’espace social se développe à partir des années 1980 dans la lignée des
travaux sur l’effacement progressif des classes sociales. Ces travaux mettent l’accent sur la nonhiérarchisation des pratiques sociales. Il faut distinguer les groupes sociaux à travers leurs modes de
vie et leurs croyances et non leurs cultures de classes ou leurs chances relatives de pouvoir atteindre
telle ou telle niveau de consommation. L’approche en termes de classes sociales n’est pas utile. La
classification des PCS est aussi inutile. Ces travaux qui sont généralement beaucoup plus proches
du marketing que de la sociologie. Ils permettent notamment aux entreprises de cibler parfaitement
leur clientèle. Ils soulèvent de nombreuses critiques théoriques de la part des sociologues
professionnels.
Document 12
« Les sociostyles (ou socio-styles de vie) sont des découpages catégoriels correspondant à une
technique de segmentation basée sur les styles de vies. Les différents sociostyles regroupent des
individus ayant des comportements, conditions de vie et opinions similaires. Ils ont été créés et
popularisés par le Centre de Communication Avancé (CCA (Socio-Styles de Vie)) à partir de 1972,
et sur la base de ce qui était alors appelé les « styles de vie des Français ».
Les sociostyles concurrencent les analyses du fait social basées exclusivement sur des
caractéristiques socio-économiques (comme les CSP).
La connaissance basée sur les systèmes de valeurs et les styles de vie permet une compréhension
approfondie des phénomènes sociaux.
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Des catégories plus intuitives, plus sommaires que les sociostyles statistiques du CCA, souvent
d'origine publicitaire, ont été popularisées par les media : par exemple, la catégorie des bourgeoisbohèmes renvoie plus à un style de vie qu'à des déterminations sociologiques ou démographiques.
Cependant, les typologie les plus communes sont souvent des typologie mixtes : les bobos
réunissent une dimension axiologique (bohème) et sociologique (bourgeois) ; les yuppies réunissent
des dimensions démographiques (young) et culturelles (urban) ; (…) le métrosexuel est une
référence à la fois à un mode de vue (l'urbanité des métropoles) et à une projection psychologique ;
(…). Aussi, les principaux acronymes ou mots-valise réunissent des dimensions explicatives du
comportement d'un groupe, dimensions elles-mêmes issues des principaux domaines de l'analyse
sociologique.
Par ailleurs, l'essor des sociostyles est indissociable du phénomène de déclinaison et d'exploitation
des approches sociologiques par l'univers du marketing : par exemple, l'épouse d'un cadre
supérieur considérée comme « sans emploi » dans les catégorisation Insee sera appréhendée plus
efficacement par une analyse de ses modes de consommation (luxe, restauration, etc.).
Selon Pierre Valette-Florence : « L'intérêt véritable des styles de vie réside en fait dans une
description bien meilleure des caractéristiques propres à une cible donnée, notamment par la mise
en évidence des centres d'intérêt, des opinions ou des activités principales qui la caractérisent,
autant d'éléments qui seront utilisés avec bonheur et avec succès, à la fois dans une stratégie de
positionnement mais surtout de communication ». »
Source : wikipedia
Document 13
60
Document 14
« Qui sont les bobos ?
Le terme, jamais clairement défini, s’est distendu au point de ne plus signifier grand-chose. Qu’estce que le bobo ? Retour sur une catégorie qui fête ses dix ans.
Ils se promènent en couple le long du canal Saint-Martin avec une poussette à trois roues, en
parlant de leur dernier voyage en Croatie. Chez eux, un loft sur cour dans une ancienne
manufacture, les meubles patinés chinés en brocante côtoient les fauteuils design. Les enfants ont
des jouets éducatifs en bois et des doudous équitables. Ils vont au marché bio.
Les bobos, on en connaît non ? Vous en êtes peut-être un. Le débat sur leurs attributs prend souvent
de la place dans vos commentaires, donnant lieu à des affrontements qui se terminent en invectives
: c’est toi le bobo, d’abord. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons eu envie de revenir sur
cette expression et la catégorie sociale présumée qu’elle désigne, les bourgeois-bohêmes.
L’apparition du bobo date de 2000, dans un livre du journaliste américain David Brooks.
Editorialiste au New York Times, il publie Bobos in paradise, première tentative de « théorisation »
de cette nouvelle classe de la bourgeoisie intellectuelle et créative. Pour lui, les bobos, héritiers de
la contre-culture des années 1960 (contre la guerre du Vietnam, élevés au biberon du rock et du
mouvement hippie) et d’un individualisme thatchéro-reaganien, succèdent aux yuppies des années
1980.
« C’est un bouquin très léger, sans prétention scientifique ni système de preuve ou d’enquête »,
estime le sociologue Bernard Lahire, qui voit dans le terme « bobo » un jeu de mots originel sur le
terme de « hobo » (SDF américain). « On y trouve tout et son contraire : David Brooks parle de
disparition des classes sociales tout en décrivant l’émergence d’une nouvelle classe. On pourrait
aussi les appeler "bourgeois hi-tech" : c’est un mélange de personnes au capital culturel et
économique élevé, dans les secteurs de production les plus modernes. »
Publicité, marketing, médias, culture, création : au départ, le terme désigne des individus diplômés
et à forts revenus, issus d’une famille bourgeoise, mais qui ont refusé une partie de leur héritage en
terme de valeurs et de pratiques culturelles.
En juillet 2000, Libération consacre un article à « l’été de tous les bobos », ces êtres qui « cultivent
une passion pour les légumes bio et les gadgets techno », « engrangent les stock-options et
soutiennent José Bové à Millau. Ces bohémiens chic veulent avoir les pieds dans la terre et la tête
dans le cyberespace. »
Au sujet du livre de Brooks, Le Monde décrivait les bobos comme « des jeunes gens aisés, bien
éduqués, qui se plaisent davantage à soigner leur corps et aimer leur prochain qu’à encaisser des
dollars à Wall Street ou Palo Alto. Qui ne dédaignent pas de manger des pommes de terre, surtout
si elles sont biologiques. Qui préfèrent dormir dans des logements provisoires que dans un
appartement luxueux bien à eux, sur la Cinquième Avenue de New York. »
Le phénomène est alors surtout traité sous l’angle américain, avant de désigner des groupes
identifiés dans les capitales européennes, qui réinvestissent les centres-villes et les quartiers
populaires, moins chers et plus conformes à leurs aspirations, pour s’installer dans des « surfaces
atypiques » (anciennes boutiques et usines notamment). C’est le processus de « gentrification »
décrit par les géographes et les sociologues de la ville.
La notion ne fait toutefois pas l’unanimité chez les sociologues. Camille Peugny juge qu’elle n’est «
pas du tout utilisée » et que « le terme est devenu une caricature » désignant « une personne qui a
des revenus sans qu’ils soient faramineux, plutôt diplômée, qui profite des opportunités culturelles
et vote à gauche ». En gros, une grande partie de la classe moyenne.
Camille Peugny y voit même une connotation « un peu méprisante », « utilisée par la droite pour
disqualifier une partie de la population qui ne connaitrait pas les difficultés du peuple et donc ne
pourrait pas donner son avis ».
Louis Maurin, journaliste à Alternatives Economiques et directeur de l’Observatoire des inégalités,
constate lui aussi un concept « un peu flou ». Deux interprétations sont possibles selon lui : « la
version haut de gamme », des « personnes cultivées qui gagnent beaucoup d’argent (architectes,
artistes) » ou une analyse un peu plus large, incluant toute une partie de la population « qui n’a
61
pas forcément des niveaux de vie très élevés mais un capital culturel et un niveau d’études
supérieur à la moyenne » sans en être consciente. « Quand vous leur dites que seulement 10% de la
population a dépassé le niveau Bac +2, ils tombent des nues. »
Se distinguer du beauf et du bourgeois mainstream
Le bobo est clairement une catégorie médiatique, créée et utilisée à la base par des journalistes,
même si le terme s’est diffusé dans le reste de la population et en politique. Malgré cette origine
peu scientifique, le sociologue Nicolas Herpin juge qu’il désigne « des phénomènes tout à fait
intéressants ». « On ne peut pas réglementer l’usage des expressions », explique-t-il, et «
l’extension du sens de « bobo » prouve que ça représente un phénomène social solide ».
Même avis pour Olivier Donnat, spécialiste des pratiques culturelles. Il estime que l’expression «
renvoie à des évolutions sociologiques dont on peut percevoir les effets dans les enquêtes », même
si « c’est une manière de parler » plus qu’un concept. Il note que des formes d’expression « qui
n’appartenaient pas à la culture légitime » « font l’objet d’une réappropriation par les milieux
diplômés et urbains ». Exemple : le cirque, les musiques du monde, la thématique de la diversité
culturelle et du métissage artistique.
Pour lui, ces changements expliquent « les difficultés de renouvellement de certaines salles de
concert, comme la salle Pleyel », désertées par les enfants du public habituel qui lui préfèrent
d’autres types de musique, comme « la variété chic : Christophe, Bashung, etc. ». Pour Olivier
Donnat, les bobos « cherchent à se distinguer à la fois du beauf et de la bourgeoisie mainstream ».
La distinction, c’est aussi la clé pour Bernard Lahire, héritier de Pierre Bourdieu. « Les bobos tels
qu’on en parle aujourd’hui, Bourdieu en parlait déjà plus ou moins dans La Distinction, même s’il
traitait plutôt d’une petite bourgeoisie attirée par le mysticisme et les nouvelles technologies. Il
parlait notamment du yoga, du végétarisme, comme stratégies de distinction par rapport à la
bourgeoisie classique. »
Bernard Lahire réfute toutefois l’apparente opposition entre bourgeois et bohêmes. « Les bohêmes
sont souvent des enfants de bourgeois, qui possèdent les moyens culturels liés à leur éducation ». Il
assimile ainsi les bobos à « une fraction de la classe dominante ». « En se distinguant par la voie
moderniste, en adoptant des positions politiques différentes (l’écologie), les bobos parlent à leurs
parents et aux gens avec qui ils étaient à l’école, qui ont choisi des métiers bourgeois traditionnels,
comme avocat ou notaire ». Un jeu de compétition et de différenciation au sein de la classe
bourgeoise. »
Source : Camille Polloni « Qui sont les bobos ? » dans les Inrocks, le 29 avril 2010
Les travaux de Pierre Bourdieu représentent un espace social toujours hiérarchisé et
conflictuel
Lorsque son livre « La seconde révolution française » sort à la fin des années 1980, la
représentation que Mendras fait de l’espace social fait l’objet de nombreuses critiques, notamment
celle de P.Bourdieu (1930-2002). Alors que Mendras décrivait une société française en pleine
transformation, Bourdieu s’efforce, lui, de montrer que les inégalités sont toujours présentes et
qu’elles se reproduisent au cours du temps malgré l’amélioration des conditions de vie durant les
Trente glorieuses.
La représentation de l’espace social chez P.Bourdieu s’inscrit dans une double filiation : celle de
Marx et de Weber.
De Marx, Bourdieu garde l’idée d’un conflit entre un groupe dominant et un groupe dominé. De
Weber garde la démarche nominaliste et la multiplicité des critères de classement des individus.
Nous sommes donc dans une démarche nominaliste et une représentation continuitise, mais
conflictuelle et mutlidimensionnelle de l’espace social.
Document 15
« La société est structurée par la distribution inégale du capital. Ainsi, le volume et la structure de
deux types de capitaux. Le capital économique qui est l’ensemble des biens économiques tels les
titres, moyens de production, épargne... et le capital culturel qui est l’ensemble des ressources
62
culturelles comme par exemple les titres scolaires, la possession de livres ou la capacité à
s’exprimer en public) permettent de hiérarchiser l’ensemble des groupes sociaux et de construire
un espace social selon une double dimension. [...] Ces classes « virtuelles », construites par le
sociologue, peuvent «prendre corps», à condition que s’engage un processus de représentation et
de mobilisation, un travail collectif ayant pour objectif de faire exister le groupe en tant que classe
« réelle » [...]. La classe dominante, dont les membres cumulent souvent les différents types de
capitaux, cherche à maintenir sa position par une stratégie de distinction, en définissant et en
imposant, pour le reste de la société, le « bon goût », la culture légitime. La petite bourgeoisie
occupe une position moyenne dans l’espace social, mais fait preuve d’une volonté d’ascension
sociale [...]. Elle témoigne d’une « bonne volonté culturelle » en « singeant » les pratiques nobles
de la classe dominante ou en se livrant à des pratiques de substitution. Enfin, les classes
populaires, situées à l’extrémité de l’espace social, sont condamnées au «choix du nécessaire», leur
unité se fondant également sur l’acceptation de la domination. [...]
Selon P. Bourdieu, plus que l’accumulation de capital économique, c’est celle du capital culturel
qui devient un enjeu majeur de lutte entre les groupes. Il est au cœur des conflits symboliques ;
ceux-ci portent sur l’imposition d’une vision du monde et sur la manière de percevoir tant la
position objective des différents groupes dans l’espace social que ses représentations subjectives ».
Source : P.Bonnewitz, Classes sociales et inégalités, Bréal, 2004
Document 16
63
Document 17
« Dans Les Héritiers (1964), les deux auteurs s’attachent à remettre en cause deux idées reçues : il
y aurait des élèves doués par nature, d’une part, et, d’autre part, les obstacles de type économique
permettraient d’expliquer la moindre réussite des jeunes gens issus de milieux populaires. Le plus
souvent, les succès scolaires sont attribués par les enseignants, mais également par les étudiants
eux-mêmes, aux aptitudes innées de chacun et au mérite individuels (donc ils sont perçus comme
échappant aux déterminismes sociaux). Les enfants issus vivent leur échec comme un « destin
personnel ». (…) Or, selon Bourdieu et Passeron, l’origine des performances scolaires se trouve
dans le milieu familial. Le facteur déterminant n’est pas à chercher seulement du seul côté des
revenus, mais aussi dans l’inégal accès à l’information et surtout dans les « déterminismes », les
« dispositions héritées » qui produisent leurs effets tout au long du cursus scolaire, tout
particulièrement lors des grands tournants d’orientation. Certaines formes de privilèges
apparaissent de manière évidente : recommandations, relations, aide au travail scolaire, cours
particuliers, … Mais c’est surtout la transmission de « l’héritage culturel », qui fait la différence.
Dès lors, une politique d’allocation de bourses, même généreuse, ne peut suffire à établir une
pleine égalité des chances entre étudiants. La culture savante, celle qui est valorisée à l’école, est
celle que détiennent les milieux favorisés : la culture scolaire est une « culture de classe ». il y a là
une affinité, qui constitue un important atout pour les jeunes gens dont les parents en sont
fortement dotés. Bourdieu et Passeron évoquent le niveau de langue, l’attitude à l’égard du savoir
et des pratiques culturelles. Si pour les enfants issus de milieux populaires, le rapport à la culture
scolaire relève de l’acculturation, ceux des classes dominantes peuvent faire preuve de
dilettantisme. Quant aux classes moyennes, elles sont caractérisées par leur bonne volonté
culturelle. Or, l’école ignore ces inégalités initiales. (…) C’est ainsi que se trouve introduite la
notion de « culture libre », que l’on peut définir comme la culture que l’école présuppose et exige
« sans jamais la délivrer méthodiquement ». Non seulement les inégalités sociales ne sont pas
prises en considération, mais les enseignants vont jusqu’à dévaloriser la culture qu’ils transmettent
lorsqu’ils reprochent « à un travail scolaire d’être trop scolaire ».
Dans La Reproduction (1970), le concept de violence symbolique est précisé. La domination n’est
pas perçue comme telle par les individus, qui la subissent. Intériorisée, elle leur semble légitime, et
ils finissent eux-mêmes par prendre part à leur propre relégation. Bourdieu et Passeron parlent de
« l’auto-élimination » dans le système scolaire des jeunes issus de milieux populaires. Ces derniers
se dévalorisent ; ils anticipent leur échec et ainsi y contribuent. (…) Même ceux qui réussissent font
des choix d’orientation moins prestigieux, ils limitent leurs ambitions. »
Source : Céline Béraud et Baptiste Coulmont « Les courants contemporains de la sociologie », Puf,
Document 18
64
Source : Philippe Coulangeon « Les métamorphoses de la Distinction. Inégalités culturelles dans la
France d’aujourd’hui» P.33, coll. Mondes vécus, Grasset, 2011
Document 19 : origine sociale et obtention des diplômes par les enfants
Taux de bachelier 2002
Agriculteurs
69,7
Artisans commerçants
63,5
Chefs d’entreprise
83,9
Enseignants
90,6
Cadres
87,6
Professions intermédiaires
76,6
Employés de bureau
62,1
Employés de commerce
58,8
Employés de service
38
Ouvriers qualifiés
52,9
Ouvriers non qualifiés
40,7
Ensemble
62,9
Source : calculs de l’Observatoire des inégalités (selon Ministère de l’Education nationale)
Document 20 : appartenance socioprofessionnelle et espérance de vie
Certains travaux contemporains prolongent la représentation marxiste de l’espace social et
mettent l’accent sur un cumul des inégalités dont l’origine est la position dans les rapports
sociaux de production
Certains travaux contemporains (Alain Bihr et Roland Pfefferkorn par exemple) poursuivent quant
à eux dans la veine marxiste en y intégrant quelques variantes. Ils insistent (comme chez Marx) sur
le rôle premier de la position dans les rapports de production comme générateur d’inégalités à la
fois économiques (revenus, patrimoine, accès consommation …) et sociales (diplômes, accès au
logement, santé …). Mais ces travaux mettent l’accent sur la dimension cumulative des inégalités.
La conséquence de cette cumulativité est que les « handicaps » appellent les « handicaps », tandis
que les « avantages » appellent les « avantages ». Ce mécanisme producteur d’inégalités est donc
source de polarisation de la société entre d’un côté une classe dominante qui profite de ses
ressources et de l’autre côté une classe dominée qui se trouve en bas de toutes les échelles d’accès
aux ressources rares et socialement valorisées (le revenu, le patrimoine, le logement, la santé, le
diplôme, la consommation …). Ces travaux s’appuient sur les transformations de l’espace social des
années 1980 caractérisé par l’apparition d’un chômage de masse durable et la désindustrialisation.
Les progrès économiques et sociaux associés aux Trente glorieuses ont disparu et les conditions de
vie des classes populaires se distinguent encore très nettement de celles des autres groupes sociaux
en raison de leur appartenance à un prolétariat exploité.
65
Ces auteurs représentent donc l’espace social comme multidimensionnel mais hiérarchisé et
polarisé, en raison d’un générateur d’inégalités puissant qu’est la position dans les rapports sociaux
de production.
Document 21
« Des situations défavorables au sein des rapports de production, se traduisant par des travaux
qualifiées ou des emplois instables s’accompagnent presque toujours de faibles rémunérations et
d’un faible niveau de vie ; elles valent à ceux qui les exercent une morbidité et une mortalité
supérieures à la moyenne ; ceux-ci n’accèdent de surcroît que difficilement à des bonnes conditions
de logement ; ils n’ont pratiquement aucune chance de bénéficier d’une promotion par le biais de
la formation professionnelle continue ; et leurs loisirs se réduisent à peu de chose. Dans ces
conditions, la scolarité de leurs enfants est hypothéquée dès le départ ; ils se trouvent privés des
conditions matérielles, relationnelles, même affectives qui seules permettent la construction d’un
projet de vie ; et ils ont toute (mal)chance de se retrouver dans la même situation que leurs
parents ; en un mot, le handicap appelle le handicap : celui qui subit les effets des inégalités
sociales sous un angle déterminé risque fort de les subir sous d’autres angles. Au terme de cette
accumulation de handicaps se profile l’éviction des modes de vie considérés comme normaux dans
notre société, qui marque le degré extrême de la pauvreté. (…) Les mêmes enchaînements qui
conduisent à l’accumulation de handicaps à l’un des pôles de la hiérarchie sociale, produisent une
accumulation d’avantages à l’autre pôle. (…) Autrement dit, de même que le handicap appelle le
handicap, le privilège donne naissance au privilège ; et celui que la fortune favorise sous un angle
a toutes les chances de la voir lui sourire sous tous les autres. »
Source : Bihr & Pfefferkorn « Le système des inégalités » La découverte p.60/67 (2008)
Document 22
Source : Bihr & Pfefferkorn « Le système des inégalités » La découverte p.46/54 (2008)
66
Pour A.Touraine (né en 1925), le passage d’une société industrielle à une société postindustrielle s’accompagne de l’apparition de nouveaux conflits sociaux (NMS), ces NMS
structurent différemment la société
Les travaux de Touraine ouvrent de nouvelles perspectives dans l’étude de l’espace social. Comme
beaucoup de sociologue, il comprend que la société change très vite durant l’après-guerre et il
associe ce changement au passage d’une société industrielle à une société post-industrielle, dans
laquelle la manipulation des idées et de la connaissance est plus importante que la manipulation des
objets (des marchandises). il est donc conduit à considérer que les conflits du travail mené par la
classe ouvrière vont peu à peu laisser le champ libre à de nouveaux conflits sociaux au sein de
l’espace social.
Il appelle ses conflits les nouveaux mouvements sociaux. ces conflits portent sur des nouveaux
enjeux qui apparaissent dans les années 1960/1970 et supplantent peu à peu les conflits du travail :
les identités culturelles, les luttes féministes ou homosexuel, les luttes écologistes …
L’espace social chez Touraine est donc toujours conflictuel mais dans un sens très différent du
conflit de l’analyse marxiste.
Ses travaux sont précurseurs au sens où Touraine met l’accent sur des nouveaux clivages sociaux :
le genre, l’identité culturelle … ce qui caractérise la représentation de l’espace social aujourd’hui
c’est justement la multiplicité des lignes de fractures entre les individus.
Document 23
« Tout au long des années 1960-1970 Touraine étudie les mouvements non-ouvriers, à savoir le
mouvement étudiant (1978), le mouvement régionaliste (1981), le mouvement anti-nucléaire (1980),
le mouvement féministe (…). En 1968, il publie un ouvrage pionnier sur la Société Post-industrielle
où il souligne le changement de type de société, la marginalisation du mouvement ouvrier et
l’émergence des nouveaux mouvements sociaux. (…) D’une société où les relations de production
sont au centre même de la production de sens, on passe à des ensembles om d’autres enjeux
émergent (…). »
Source : extrait de l’article A.Touraine dans Le dictionnaire des Sciences humaines, Puf, 2006
Document 24
« La vie sociale n’est pas organisée autour de principes, de valeurs et de normes : ce qu’on voit en
son centre est un ensemble de conflits qui mettent en cause l’organisation générale de la société
(…). Ces conflits centraux opposent des groupes définis par la possession ou la non-possession des
ressources principales d’une société : richesse, domination économique, pouvoir politique, contrôle
des mœurs, définition de la déviance et de la répression et aussi influence exercée sur les
représentations qu’une société a d’elle-même et de ses membres. Alors que les puissants
manifestent leur pouvoir à travers les institutions, les règles et les interdits, ceux qui sont soumis à
la puissance des autres manifestent leur conscience d’être dominés, le refus de l’ordre établi et leur
espoir en des changements sociaux importants par des actions collectives qui, quel que soit leur
contenu comportent toujours trois éléments : une définition du groupe concerné, la désignation
d’un groupe dominant qui est combattu et la proclamation de l’enjeu de leur conflit, point essentiel
car un mouvement social n’est pas l’affrontement entre deux groupes ou deux cultures : il est un
conflit autour de l’utilisation sociale de ressources culturelles qui sont valorisées par les deux
camps comme le progrès industriel fut valorisé aussi bien par les entrepreneurs que par les
salariés. (…) Un affrontement total comme le choc des civilisations (Samuel Huntington) ne met
pas face à face des mouvements sociaux puisqu’il n’y a rien de commun entre les adversaires en
présence, ce qui explique pourquoi les chocs entre religions sont les plus violents : parce qu’il ne
peut rien y avoir en commun entre des dieux et leurs églises. »
Source : A.Touraine dans Le dictionnaire des Sciences humaines, Puf, 2006, p. 800
67
Au-delà des clivages socio-professionnels, les travaux de Touraine ouvrent la voie vers l’étude
de nouveaux clivages au sein de l’espace social
Document 25
« Quelles sont aujourd’hui les principales lignes de clivage au sein de la population ? Il y a
cinquante ou soixante ans, elles séparaient les riches et les pauvres, les hommes et les femmes, les
instruits et les non-diplômés, les citadins et les ruraux. Richesse, éducation, sexe, lieu de résidence,
constituaient, à l’aube des Trente glorieuses, les principaux champs d’inégalités de la société
française. D’autres clivages venaient s’y ajouter, par exemple celui qui séparait les indépendants
des salariés, la part des paysans, artisans et commerçants étant encore très élevée au sein de la
population active.
Aujourd’hui, le paysage s’est modifié. Certains clivages persistent, d’autres se sont estompés, de
nouveaux sont apparus. La richesse et le niveau d’instruction continuent à creuser des écarts
substantiels. Loin de se combler, les différences entre hommes et femmes, filles et garçons, se sont
néanmoins modifiées, par exemple en matière de taux d’activité et de réussite scolaire. La
différence entre les villes et les campagnes s’est accrue sous l’effet conjugué de la « fin des paysans
» et de l’urbanisation croissante du territoire. D’une certaine manière, la France des inégalités a
connu une remarquable stabilité. Mais de nouvelles lignes de clivages sont apparues : l’âge, le
logement, la stabilité professionnelle, l’origine ethnique. »
Source : Christian Baudelot (2011), L’âge contre le mérite, in Refaire société, Seuil, Coll. La
République des Idées
Document 26
« Le sort réservé à la jeunesse depuis les chocs pétroliers s’inscrit dans la même logique. Dans les
années 1960, l’âge ne constituait pas une source de clivage sensible. Autant le statut social, le
montant des rémunérations, le niveau de formation et le sexe constituaient des lignes de fracture –
les événements de Mai 68 les ont mises en évidence -, autant les différences d’âge demeuraient,
dans la famille comme dans les entreprises, la source de tensions plutôt faibles. La césure opérée
par l’âge séparait à l’époque les actifs, jeunes et moins jeunes, des retraités. Les personnes âgées
disposaient en moyenne de faibles ressources et souffraient d’un état de santé dégradé. Il n’en va
plus de même aujourd’hui : la situation des retraités et des personnes âgées s’est considérablement
améliorée en matière de ressources, de santé et d’espérance de vie. Celle des jeunes s’est en
revanche beaucoup détériorée. (...) Frappés de plein fouet par le ralentissement de la croissance
consécutif aux chocs pétroliers des années 1970, la jeunesse a fait les frais de la nouvelle donne
économique. Elle a payé le plus lourd tribut aux mutations profondes du marché du travail:
chômage, précarité, petits boulots, intensification du travail, flexibilité, le tout sur fond d’insécurité
sociale et professionnelle. La moitié des salariés embauchés en CDD, en stage ou en apprentissage
a aujourd’hui moins de vingt-neuf ans, alors que la moitié des salariés recrutés en CDI a plus de
quarante-trois ans. Plus d’un pauvre sur deux a moins de trente-cinq ans en France. »
Source : Christian Baudelot (2011), L’âge contre le mérite, in Refaire société, Seuil, Coll. La
République des Idées
Document 27
« Les revendications fondées sur l’identité prennent une place croissante (…). Je me propose de
distinguer entre deux conceptions globales de l’injustice. La première, l’injustice socioéconomique
est le produit de la structure économique de la société (…). Les théoriciens ont depuis longtemps
entrepris de conceptualiser la nature de ces injustices économiques. (…) La seconde conception de
l’injustice est de type culturel ou symbolique.
A ce titre, l’injustice est le produit des modèles sociaux de représentation, d’interprétation et de
communication, et prend les formes de la domination culturelle (être l’objet de modèles
d’interprétation et de communication qui sont ceux d’une autre culture et qui sont étrangers ou
hostiles à la sienne propre), de la non-reconnaissance (devenir invisible sous l’effet de pratiques
68
autoritaires de représentation, de communication ou d’interprétation) ou de mépris (être déprécié
par les représentations culturelles stéréotypes ou dans les interactions quotidiennes).
Quelques théoriciens ont récemment entrepris de conceptualiser la nature de ces injustices
culturelles ou symboliques. Ainsi, Charles Taylor s’est inspiré de Hegel pour soutenir que
« L’absence de reconnaissance ou la reconnaissance inadéquate peuvent constituer une forme
d’oppression ou emprisonner certains dans une manière d’être fausse, déformée, réduite. Le défaut
de reconnaissance ne trahit pas seulement un oubli du respect normalement dû. Il peut infliger une
cruelle blessure en accablant les victimes d’une haine de soi paralysante. La reconnaissance n’est
pas seulement une politesse qu’on fait aux gens : c’est un besoin vital. » De même Axel Honneth
souligne que « Nous devons notre intégrité à l’approbation ou la reconnaissance d’autres
personnes. (…) Le refus de la reconnaissance (…) représente une injustice pas simplement parce
qu’ils entravent la liberté d’action des sujets ou leur causent du tort,. (…) De tels comportements
sont injurieux également parce qu’ils portent atteinte à la capacité de ces personnes de développer
une compréhension positive d’elles-mêmes ». Evidemment cette distinction entre injustice
économique et injustice culturelle est analytique. Dans la pratique, elles sont enchevêtrées. (…) Il
en résulte un cercle vicieux de la subordination économique et de la subordination culturelle. »
Source : Nancy Fraser « Qu’est-ce que la justice sociale ? » La découverte, 2005, p.16-21
Aujourd’hui, un des clivages sociaux dont les sociologues discutent est celui de l’appartenance
ethnique : celle-ci structure-t-elle la société française aujourd’hui ? Si oui, est-il nécessaire de
fabriquer des statistiques ethniques pour en rendre compte ? D.Schnapper dans ce texte paru dans la
Revue française de sociologie rappelle à la fois les enjeux (lutte contre les discriminations), les
difficultés (comment compter les membres d’un groupe ethnique) et met en garde contre les effets
pervers de la mise en œuvre de statistiques ethniques (cristalliser des différences sociales). Elle
rejoint en cela F.Dubet dont vous avez lu l’ouvrage « Les places et les chances » cet été; je vous
conseille de vous replonger dans la partie sur l’obligation identitaire p.91.
Document 28
La société moderne n’est pas formée de groupes juxtaposés, aux frontières claires, mais d’individus
dont les rôles, les références et les identifications sont multiples. Suivant les situations sociales et
les circonstances historiques, ils choisissent, en fonction de leur passé individuel et collectif, des
références et des identifications – sans compter les oublis –, toujours susceptibles d’être remises en
question. Les sociétés modernes sont fondées sur la mobilité des hommes, la pluralité de leurs
fidélités et de leurs abandons, de leurs identités et de leurs identifications. « Le propre des
ensembles sociaux est d’être équivoques, d’avoir des frontières mal définies [...] Chaque fois que
l’on envisage des groupements, des entités collectives, diverses perspectives sont possibles, donc
plusieurs classifications » (Aron, 1964, p. 90). La diversité des origines, des pratiques et des
références, la multiplication des populations marginales rendent particulièrement ambiguës les
notions mêmes de « population juive », « musulmane », « arabe », « noire » ou « arménienne » à
l’intérieur d’une population nationale. La seule définition que l’on puisse en proposer est
l’affirmation par les individus de leurs références et de leurs identifications – sans oublier qu’elles
évoluent avec les événements historiques. Le nombre des juifs avait brutalement augmenté lors de
la guerre de Six Jours : convaincus que l’État d’Israël était en danger mortel, nombre de personnes
qui croyaient avoir oublié leurs liens avec le judaïsme se sentaient à nouveau juives (Schnapper,
1987, pp. 319-332). Les relations des individus aux collectivités historiques particulières dont ils
sont issus, réellement ou mythiquement, sont complexes, elles évoluent avec le temps. Cela rend
difficile d’isoler la population par les instruments habituels de la statistique publique, dont les
critères ne peuvent être que simples et constants. Les instruments statistiques précis mais, par
définition, grossiers imposent une clarification qui trahit la complexité et les ambiguïtés de la
réalité sociale. L’autodéclaration, le plus souvent utilisée au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, ne
permet pas mieux que les catégories indirectes de connaître les véritables identifications. Au nom
de quoi demander aux individus de se classer une fois pour toutes dans une catégorie ? Autre
69
illustration de cette complexité de la réalité sociale, dans quelle catégorie classer ceux que l’usage
qualifie d’enfants de « mariages mixtes » ? L’interrogation n’est pas vaine. Pour appliquer le statut
des juifs, le gouvernement de Vichy se trouva devant les « demi-juifs », les « trois-quarts » et les «
quarts de juifs ». (…)
La société, contrairement à ce que pensent beaucoup de sociologues américains concentrés sur
l’expérience de leur propre pays, n’est pas naturellement ou nécessairement formée de « groupes
ethniques ». (…) Les données élaborées par les statisticiens, comme toute politique et comme toute
connaissance, deviennent une part de la réalité elle-même. La politique et la recherche, en prenant
en compte les catégories ethniques, ne peuvent manquer de concourir à ce que la conscience «
ethnique » se renforce. Plus généralement, elle contribue à la conscience que les sociétés modernes
prennent d’elles-mêmes. C’est d’ailleurs pourquoi certains militants antiracistes ont envisagé que
le mot « race » soit évacué des textes officiels, car en déclarant lutter contre les préjugés liés à la «
race », les rédacteurs des constitutions et des lois auraient implicitement reconnu, et donc
consacré, l’existence même des « races ». La politique de lutte contre les discriminations a pour
effet pervers de contribuer à faire exister socialement les catégories de population, de consacrer la
réalité de ces catégories. Il faut en effet qualifier en les catégorisant les victimes des
discriminations pour pouvoir les compenser. La politique vient sanctionner l’existence de ces
critères. Une campagne du Greater London Council en 1984 avait pour slogan inscrit sur les murs
de la capitale :
« Le racisme nous concerne tous : nous en sommes les victimes ou les acteurs. »
En introduisant les catégories ethniques, on risque d’imposer une perception « ethnicisée » – donc
à vocation essentialiste – de la réalité sociale aux dépens d’autres catégorisations significatives,
comme celles qui définissent la condition sociale : accès aux diplômes, au marché du travail, statut
de l’emploi, niveau de revenus.
(…) Bien entendu, les catégories ethniques ne sont pas construites à partir de rien.
L’« ethnicisation » croissante de la vie collective que l’on observe aujourd’hui n’est pas née de
l’adoption de critères ethniques dans les statistiques. Il est vrai que l’espace social, qu’il s’agisse
de la résidence ou des établissements scolaires, est marqué par la dimension ethnique. Il est vrai
que les recrutements dans l’emploi tiennent compte de l’origine perçue à travers le nom et
l’adresse. Ce n’est pas la mesure des discriminations qui les crée. Les discriminations existent dans
la vie sociale et ne sont pas le produit de la classification de la statistique publique. Il n’en reste
pas moins que la conscience plus aiguë que l’on en prendrait par la statistique publique
contribuerait à les entériner, et cela, quelles que soient les intentions communes à tous les
chercheurs partisans ou critiques de l’adoption des catégories ethniques, à savoir lutter contre les
discriminations.
On peut juger que le jeu en vaut la chandelle – c’est un choix politique –, mais il ne faut pas nier
pour autant le renforcement de la conscience « ethnique » qui en résulterait inévitablement. (…) La
question que nous aurons rapidement à traiter n’est plus de savoir s’il faut introduire des
catégories ethniques, mais comment limiter les effets pervers de l’établissement de ces statistiques,
sachant que les chercheurs sont unanimes à vouloir en faire un instrument de la politique d’égalité
de tous.
Ma réticence se fonde sur le caractère essentiellement politique de l’établissement des statistiques
ethniques, particulièrement contraires à la tradition de l’intégration à la française. Les difficultés
et les effets pervers risquent d’être, dans notre pays, plus conséquents qu’en Grande-Bretagne ou
aux Pays-Bas. Mais ma réticence s’accompagne du sentiment fort que l’adoption des catégories
ethniques, qui, dans une société qui valorise la raison scientifique, apparaît nécessaire pour
consacrer « scientifiquement » l’existence des discriminations et donner aux militants antiracistes
et aux responsables politiques des instruments de lutte fondés en raison – en raison sociologique –,
est inéluctable dans la mesure où elle participe de la dynamique démocratique.
Source : Dominique Schnapper « Les enjeux démocratiques de la statistique ethnique », Revue
française de sociologie, 2008/1, vol.49
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