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LE TRAITE DE LISBONNE : UNE REFORME (IN)ACHEVEE ?
Jean-Denis MOUTON
Au terme de cette très riche rencontre, il me revient la tâche délicate d’en
dresser les conclusions. Je vais tout naturellement m’engouffrer dans les pas du
rapport introductif du Professeur Gautron, en tenant compte des apports des
différentes autres communications mais en essayant aussi d’y ajouter une petite
touche personnelle. Ceci m’amène à développer ces deux points
successivement : le Traité de Lisbonne ne procède qu’à une
« déconstitutionnalisation » très relative ; ce faisant il me semble révéler une
forme d’organisation politique originale certes mais imparfaite.
I Le Traité de Lisbonne : une « déconstitutionnalisation » relative
Pour illustrer ce caractère, je partirai des deux aspects auxquels renvoie la
notion de constitution.
Sur un plan formel, une constitution est un acte fondateur, doté d’une forte
légitimité car incarnant la souveraineté (populaire ou nationale). En tant que tel,
cet acte est soumis à une procédure d’élaboration et de révision particulières. Il
va être doté du caractère de norme fondamentale, c’est-à-dire se retrouver au
sommet de l’ordre juridique considéré.
Sur un plan matériel, une constitution va avoir pour objet de régir
l’organisation et le fonctionnement du pouvoir politique et les relations entre les
citoyens et le pouvoir.
Ainsi définie, une constitution renvoie à l’Etat mais on peut considérer que
ce n’est pas une relation strictement nécessaire ; cette considération nous
amène à pouvoir évoquer un processus de constitutionnalisation de l’Union
européenne et donc aussi un processus de « déconstitutionnalisation ». De ce
point de vue, le Traité de Lisbonne, par rapport au Traité établissant une
constitution pour l’Europe, révèle une rupture formelle à relativiser ainsi qu’une
continuité matérielle également à relativiser.
Professeur à l’Université Nancy 2, France.
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I-1 Une rupture formelle à relativiser
Le Traité de Lisbonne peut sembler marquer un retour en arrière sur trois
plans.
D’abord en ce qui concerne sa procédure d’élaboration, il est clair qu’on
abandonne ce qui dans le Traité constitutionnel relevait d’un procédé
constituant. Plus de convention sur l’avenir de l’Europe mais au contraire un
procédé d’élaboration intergouvernemental marqué par un mandat conféré par
le Conseil européen particulièrement directif. Ceci aboutit à une forme
classiquement internationale : le Traité de Lisbonne se présente avec une
structure particulièrement complexe, qu’amplifie la présence d’un nombre très
important d’annexes. Et bien entendu les gouvernements des différents Etats
membres de l’Union n’ont pas été enclins à recourir à la forme référendaire :
seule l’Irlande y est par sa constitution obligée. Ceci traduit également une
« déconstitutionnalisation » quant à la procédure d’adoption.
Un autre aspect de cette rupture formelle tient à ce que l’on a pu appeler
avec humour « la mort des signes » : disparition des symboles (drapeau,
hymne, devise), disparition du vocabulaire constitutionnel (exit le Ministre des
affaires étrangères ainsi que le vocabulaire législatif).
Un troisième aspect concerne ce que j’appellerai la dévalorisation des
aspects matériels les plus liés à un ordre juridique formel. Le principe de
primauté, comme nous l’a rappelé Madame Drumeva, à la suite de nombreux
compromis, se retrouve rejeté dans une déclaration annexe. La Charte des
droits fondamentaux subit un sort semblable. La présentation du système de
répartition des compétences subit aussi dans une certaine mesure une
dévalorisation formelle, étant rejetée dans le Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne, phénomène qu’illustre également la dispersion de la
politique étrangère et de sécurité commune (cf Isabelle Bosse-Platière).
Cependant il faut relativiser cette « déconstitutionnalisation ».
S’agissant de la procédure d’adoption du Traité de Lisbonne, je me
permettrai de souligner que le Traité constitutionnel a provoqué un début
« d’européanisation » du débat politique européen ; ceci ne peut pas être
complètement effacé (en France bien que l’on s’en tienne sagement à une
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procédure exclusivement parlementaire, le Traité de Lisbonne a donné lieu à un
débat dans l’opinion publique).
L’effacement des symboles n’a pratiquement aucune portée. On est de ce
point de vue dans le descriptif et non pas dans le normatif ; ce qui signifie que la
situation n’est pas dans les faits changée. Le drapeau européen ne disparaitra
pas et l’hymne non plus. Quant au vocabulaire constitutionnel, comme nous le
verrons dans le point qui suit, son abandon n’emporte pas de conséquence
normative. Le Haut représentant à la PESC garde le même statut et les mêmes
attributions que le Ministre des affaires étrangères ; O. Dubos nous a montré
que le Traité de Lisbonne ne supprimait pas complètement l’affirmation du
caractère législatif des actes adoptés par le Conseil et le Parlement. Quant à la
primauté, la Déclaration annexée au Traité de Lisbonne renvoie au statu quo,
c’est-à-dire une primauté du droit de l’Union telle qu’affirmée par la Cour de
Justice de Luxembourg. La Charte des droits fondamentaux garde la valeur
obligatoire qu’elle aurait acquise par le Traité de Lisbonne. Tout ceci conduit
donc à relativiser cette rupture formelle.
I-2 Une continuité matérielle à relativiser
Du point de vue matériel, la continuité l’emporte indiscutablement et
d’ailleurs, la relativisation peut être ici appréhendée de deux points de vue : à
certains égards, il y a recul par rapport au traité établissant une constitution
pour l’Europe, à d’autres égards l’acquis de celui-ci est amélioré.
Madame Vasiljevic nous a bien montré comment les valeurs et objectifs de
l’Union européenne étaient affirmés dans les mêmes termes. Même la
concurrence qui a disparu dans ces dispositions sur demande française, de
toute façon, ainsi que l’a souligné Dusan Popovic, est toujours un des principes
sous-tendant le droit de l’Union et ses politiques. En ce qui concerne le système
juridique et la structure de l’Union, la fusion de la Communauté et de l’Union,
avec personnalité juridique attribuée à celle-ci, se retrouve dans le Traité de
Lisbonne. Se retrouve également la disparition des piliers (avec les mêmes
atténuations concernant par exemple la PESC que l’on trouvait déjà dans le
Traité constitutionnel). S’agissant de la structuration de l’ordre juridique, comme
je viens de l’indiquer, le Traité de Lisbonne revient sur cette tentative de
rationalisation opérée par le Traité établissant une constitution pour l’Europe : la
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distinction entre loi cadre et loi, entre règlement et règlement délégué est
beaucoup moins affirmée, mais pour autant le Traité de Lisbonne distingue
entre le pouvoir législatif exercé par le Conseil et le Parlement et le pouvoir
exécutif exercé par la Commission ou par les Etats. S’agissant de la
différenciation entre plusieurs formes de révision, la généralisation du
mécanisme des clauses-passerelles réintroduit finalement plusieurs types de
révision.
Mais la continuité matérielle est surtout visible dans les réformes
institutionnelles. Le président de l’Union européenne garde le statut et les
compétences que lui attribuait le Traité constitutionnel. Je l’ai déjà signalé, le
Haut commissaire à la PESC retrouve également le même statut et les mêmes
fonctions. S’agissant du Conseil de l’Union, la modification profonde du système
de vote que prévoyait le Traité constitutionnel est maintenue : il faut d’ailleurs
signaler que le Traité de Lisbonne étend ce système à des domaines plus
larges que ne le faisait le Traité constitutionnel ; c’est ainsi que Christo Hristev
nous a souligné que cette amélioration concernait aussi l’espace de liberté de
sécurité et de justice. On retrouve également dans le Traité de Lisbonne la
même réduction prévue du nombre de commissaires que dans le Traité
établissant une constitution pour l’Europe. Avec certaines différences, qu’a
soulignées Isabelle Bosse-Platière, la PESC se trouve cependant simplifiée,
personnifiée et renforcée par le Traité de Lisbonne par rapport à la situation
actuelle, avec une nouvelle vision stratégique (cf. Imed Frikha). Mais la
continuité, avec des nuances allant plutôt dans un sens renforcé par rapport au
Traité constitutionnel, concerne aussi la démocratie. S’agissant de la
démocratie représentative, le Parlement européen se voit étendre son pouvoir
de co-décision à cinquante nouveaux domaines. Il participe aussi au processus
de révision des traités fondateurs. Quant à la Commission européenne, le Traité
de Lisbonne confirme « cette légitimité dérivée » tirée des élections
européennes. Les parlements nationaux voient, comme l’a souligné Monsieur
Weber, leur rôle accru quant au contrôle de la subsidiarité (cette amélioration
réalisée par le Traité de Lisbonne évidemment est aussi le signe d’un retour des
Etats dans le système). Le Traité de Lisbonne réaffirme la transparence des
travaux du Conseil de l’Union, lorsque celui-ci agit en co-législateur. S’agissant
de la démocratie participative, comme le faisait le Traité constitutionnel, le Traité
de Lisbonne reprend l’embryon d’initiative populaire et réaffirme le rôle de la
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société civile. En ce qui concerne la protection des droits fondamentaux, malgré
les reculs que j’ai déjà signalé, il n’empêche que globalement le Traité de
Lisbonne confirme ce choix d’une approche syncrétique adoptée par le Traité
établissant une Constitution pour l’Europe : charte des droits fondamentaux à
caractère obligatoire (malgré la différence évoquée) adhésion à la convention
européenne des droits de l’homme et maintien des principes généraux. La
discussion a montré que l’opting-out à destination de la Pologne et du
Royaume-Uni, comme l’indique d’ailleurs Jean-Paul Jacqué dans son texte,
n’emportait pas de bouleversement. Au total, on peut donc prétendre que,
même si sur certains points le Traité de Lisbonne est un peu en recul par
rapport au Traité constitutionnel, la continuité matérielle domine. Comme nous
l’ont d’ailleurs dit Madame Zaharieva et Monsieur Tanchev, cette continuité,
replacée dans ce processus et « cette constitution non écrite » à la base de la
construction européenne, ne doit pas étonner. C’est ce qui me permet de
prétendre que le Traité de Lisbonne confirme une forme d’organisation politique
originale mais imparfaite.
II Le Traité de Lisbonne : la confirmation d’une forme d’organisation
politique originale mais imparfaite
II-1 Une forme d’organisation politique originale
Cette originalité me semble pouvoir ressortir de la spécificité du statut d’Etat
membre de l’Union européenne que le Traité de Lisbonne inscrit dans la
continuité du Traité constitutionnel et à certains égards plus largement dans la
continuité des Traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Nice. L’Etat membre de
l’Union présente cette particularité de rester un Etat souverain mais en même
temps d’entrer dans un statut d’Etat intégré.
Le Traité de Lisbonne confirme ce que déjà le Traité constitutionnel
explicitait à savoir le renforcement des Etats membres dans le système de
l’Union. Ce renforcement passe par la réaffirmation de ce que l’on peut appeler
la souveraineté substantielle (affirmation de la compétence de la compétence
au profit des Etats, ce qui passe par une possibilité d’une préemption en retour
au profit de ceux-ci, droit de retrait pour les Etats) : Olivier Dubos et Marie-
France Christophe-Tchakaloff nous l’ont montré. Et l’article 4 du Traité de
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