Dans quelle mesure le système de financement de la protection sociale
française est-il en crise ?
Introduction / Idées essentielles:
Le système français de protection sociale a longtemps été considéré comme l'un des meilleurs du monde. Il traverse
pourtant une crise financière de grande ampleur qui risque de mettre en jeu une partie des acquis sociaux. Protection sociale de
crise, car confrontée au chômage, à la précarité et à la montée de la pauvreté, elle est aussi une protection sociale en crise qui
doit faire face à une croissance de ses dépenses plus forte que celle de ses recettes.
I/ LA PROTECTION SOCIALE SUBIT UN EFFET DE CISEAUX.
A. Un système dans le contexte de croissance d'après-guerre et qui constitue un élément central
du compromis keynéso-fordiste.
Bien définir la notion de protection sociale: la protection sociale est l'ensemble des mécanismes de prévoyance collective qui
permettent aux individus ou aux ménages de faire face financièrement aux conséquences des risques sociaux, c'est-à-dire aux
situations pouvant provoquer une baisse des ressources ou une hausse des dépenses (vieillesse, maladie, invalidité, chômage,
charges de famille,...). La protection sociale a donc à la fois des objectifs matériels (permettre aux individus de survivre quand
ils sont malades, ou âgés, ou chargés de famille nombreuses, par exemple) et des objectifs sociaux (réduire l'inégalité devant
les risques de la vie et assurer aux individus un minimum de revenus leur permettant d'être intégrés à la société). La protection
sociale est assurée par des institutions (ici, une belle référence à faire: D. North), qui contribuent au bon fonctionnement de la
société en réduisant les risques de conflit social.
Un système diversifié autour de deux grands axes aux logiques nettement différentes: le système beveridgien et le système
bismarckien.
Le système bismarckien repose sur un mécanisme d'assurances sociales et de droits sociaux attachés à l'activité professionnelle.
Autrement dit, la mutualisation des risques s'inscrit dans une logique de solidarité professionnelle et son financement est assuré
essentiellement par des prélèvements sur les salaires (cotisations sociales). La cogestion des caisses d'assurances sociales est
confiée aux partenaires sociaux. Ce système présente, en revanche, trois types d'inconvénients : (1) il nécessite le maintien d'une
assistance publique pour les plus démunis, (2) il crée entre les groupes professionnels des inégalités qui peuvent concerner à la
fois les coûts et les niveaux de protection sociale, (3) l'évolution défavorable des emplois et de la mographie peut provoquer la
faillite de certaines caisses.
Le système de Beveridge, à la suite du rapport Beveridge présenté en 1942 à la Chambres des communes, a inspiré la conception
du système de protection sociale au Royaume-Uni. Il repose sur trois principes nouveaux, dits des 3U : universalité (tous les
individus ont droit à la protection sociale), unité (la gestion des risques sociaux doit se faire au sein d'un même gime ou d'une
même institution), uniformité (les prestations doivent être versées en fonction des besoins des individus.). À l'objectif de solidarité
professionnelle, prôné par le système de Bismarck, est substitué un objectif de solidarité nationale. Le financement de la
protection sociale est alors logiquement assuré par l'impôt. En effet, l'impôt, contrairement aux cotisations sociales, doit faire
l'objet d'un consentement démocratique (vote du parlement) mais il permet d'élargir l'assiette du prélèvement à toutes les
catégories de revenus et non pas aux seuls revenus salariaux. Le système de Beveridge repose finalement sur un contrat social
entre les citoyens, par lequel ces derniers se reconnaissent mutuellement une dette. Il est par conséquent normal que tous les
individus, quelles que soient leur situation professionnelle et l'origine de leur revenu, contribuent à son financement.
Ce système de protection sociale, quel que soit sa nature, a grandement contribué à la prospérité des "Trente Glorieuses" dans la
mesure où il participe à la définition du compromis keynéso-fordiste. (Ne pas développer, ce sera abordé en 2e partie)
B. Le déficit de la protection sociale est à une hausse inexorable des dépenses, liée à la conjonction de
plusieurs facteurs.
La Sécurité sociale souffre d'un déficit quasi-permanent depuis le début des années 1990. Donner ici quelques ordres de grandeur
chiffrés: dotée d'un budget de fonctionnement supérieur au budget de l'Etat (530 milliards d'€ en 2011) le déficit total de la
Sécurité Sociale a été de 18 milliards d'€, dont 9,5 pour la branche santé, 6 pour la branche vieillesse et 2,6 pour la branche
famille.
Cette situation de déficit, qui prend un caractère de plus en plus structurel est lié à l'accroissement des dépenses.
Pourquoi ? Les causes tiennent à la fois de l'approche microéconomique (comportement des acteurs du système) et des
phénomènes macroéconomiques.
Aspects microéconomiques:
C'est un bien supérieur (cf. loi d'Engel + Loi de Wagner)
La nature du système de santé français favorise certainement la surconsommation médicale en raison de l'extrême liberté dont
jouissent les acteurs: liberté de choix du médecin, liberté de prescription, solvabilité de la demande de soins ...
Mais un tel système favorise les comportements microéconomiques fondés sur les principes du "cavalier seul" (free-rider).
Expliquer et donner des exemples. La logique des acteurs n'est donc pas innocente ; chacun a intérêt à la croissance des
dépenses : les médecins parce que leurs revenus dépendent du nombre de consultations, les malades qui exigent les soins les
meilleurs et les collectivités locales qui espèrent des infrastructures hospitalières modernes et efficientes.
Aspects macroéconomiques:
Le dérapage des dépenses résulte aussi d'évolutions structurelles et conjoncturelles touchant la population.
- Le vieillissement de la population alourdit les dépenses sociales ; les personnes âgées consomment beaucoup plus de soins
que les jeunes. Mais surtout, le vieillissement de la population (donner ici quelques statistiques éclairantes) creuse le déficit
des retraites ; ainsi, les dépenses de l'assurance vieillesse augmentent à un rythme important et régulier, en fonction de l'arrivée
des générations pleines du baby-boom à l'âge de la retraite.
- La croissance du nombre des demandeurs d'emploi provoque de fortes augmentations des dépenses de l'assurance chômage.
- La précarité et la pauvreté nées de la crise sont aussi des facteurs importants d'alourdissement des dépenses (mise en place du
RMI puis le RSA). Surtout, la mise en place de la CMU, mesure de justice sociale et d'humanité, contribue aussi à alourdir les
charges
Le système de protection sociale est donc victime de son succès. Cette croissance des prestations est tout d'abord due au
processus de généralisation et d'amélioration de la couverture des besoins. (Donner ici des exemples concrets, vus en cours:
cataracte, angioplastie, scanner ). En effet les soins dicaux sont de plus en plus chers et la médecine est en phase de
rendements décroissants : le rapport coût/résultat de la santé se détériore inéluctablement.
B. ... alors que les recettes ont tendance à stagner
La protection sociale est financée par des cotisations (patronales et salariales) assises sur les salaires. Ce mode de
financement est très sensible à la conjoncture économique car dès que la croissance se ralentit, l'emploi stagne ou diminue, ce
qui a un effet dépressif important sur les recettes. De plus, dans un contexte d'ouverture économique, il nalise fortement la
compétitivité des entreprises.
La crise économique ralentit fortement la croissance des cotisations. 3 millions de chômeurs représentent un manque à
gagner considérable pour la Sécurité sociale. On observe que la cause principale des difficultés financières de la protection
sociale est le sous-emploi. La faible progression des salaires depuis la crise (austérité salariale quasi-permanente depuis le
tournant de 1983, partage salaires-profits en faveur de ces derniers) représente par ailleurs un frein supplémentaire aux
cotisations.
La protection sociale subit donc un effet de ciseaux. Alors qu'en raison de la crise les recettes ont tendance à plafonner,
les dépenses suivent, elles, une progression qui semble irréversible. Face à cette situation, des mesures gouvernementales
se sont multipliées et le système de protection sociale est de plus en plus souvent mis en cause.
II/ UNE REFONTE DU SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE EST NÉCESSAIRE, MAIS IL SUPPOSE UN
CONSESUS SOCIAL DIFFICILE A TROUVER.
A. Des mesures ponctuelles de redressement sont nécessaires mais ont une efficacité limitée
De nombreux plans se sont succédé pour tenter de redresser les finances de la Sécurité sociale. Ces mesures visent surtout à
diminuer les dépenses. Pour cela, plusieurs moyens sont utilisés :
- baisse des taux de remboursement (ticket modérateur)
- baisse du nombre de médicaments donnant lieu à des remboursements
- création en 1982 du forfait hospitalier, fortement réévalué depuis ;
- rationalisation, surtout depuis 1988, de l'offre de soins : il s'agit de limiter les dépenses jugées peu utiles et ainsi, par exemple,
de diminuer le nombre de lits d'hôpitaux ou de modérer, par une politique concertée, la progression du volume des actes
médicaux.
Tous ces efforts ont eu des effets limités, ils ont pu freiner le dérapage financier, mais ils ne sont pas parvenus à l'enrayer;
ainsi, malgré toutes ces mesures, la part des dépenses de protection sociale dans le PIB continue de progresser régulièrement.
Ces plans agissent aussi sur les recettes de la protection sociale.
- Il visent à augmenter les recettes en alourdissant les taux de cotisations à la charge des employés et des employeurs, en
élargissant les cotisations à de nouvelles catégories (les retraités versent des cotisations d'assurance maladie depuis 1979), ou
en augmentant les taxes (sur le tabac et les alcools par exemple).
- L'objectif est aussi de rendre les recettes moins dépendantes de la conjoncture économique et de faire en sorte qu'elles ne
pèsent pas trop sur le coût de la main d'oeuvre, et donc sur la compétitivité des entreprises. Les recettes de la protection
sociale ont donc tendance à être de plus en plus fiscalisées afin de ne plus dépendre uniquement des salaires. L'exemple le
plus éloquent est la mise en place de la CSG (contribution sociale généralisée). Quoique nécessaires, ces plans demeurent
largement insuffisants.
Vers quelles pistes se tourner ? Faut-il agir par la mise en place de la TVA Sociale ? Donner ici (rapidement) les éléments du
débat. Récemment, le rapport Gallois a relancé le débat, en proposant de basculer une partie des cotisations employeurs sur la
CSG et sur la TVA sociale. Cependant, le gouvernement Ayrault a choisi la voie du crédit impôt-recherche.
B. La théorie libérale préconise une mise en cause du système de protection sociale...
Dans une logique libérale, la protection sociale a un coût bien supérieur à ce qu'elle peut apporter. Elle serait l'une des causes
de la crise. Ainsi la hausse des cotisations sociales qui est la principale responsable de la montée des prélèvements obligatoires
serait à la source de nombreux dysfonctionnements :
- ils nuisent à la liberté individuelle d'affectation des revenus
- ils sont dissuasifs car, selon A. Laffer, des prélèvements obligatoires trop élevés incitent les individus à moins produire ou à
moins travailler et à frauder davantage ;
- en alourdissant le coût de la main-d'oeuvre, les cotisations sociales découragent l'embauche, elles seraient donc l'un des
principaux responsables du chômage (cf. Rueff "L'assurance-chômage, cause du chômage permanent".).
Le système actuel de protection sociale serait donc fortement préjudiciable aux équilibres économiques :
- son effet redistributif favoriserait les catégories qui consomment le plus, au détriment de celles qui épargnent le plus. Cela
nuirait à l'investissement qui est selon les libéraux le moteur principal de la croissance ;
- les aides sociales sont accusées de déresponsabiliser les individus et de les inciter à l'oisiveté ;
- les déficits sociaux sont le signe d'une mauvaise gestion et leur financement est inflationniste.
Certains libéraux espèrent donc un démantèlement de la Sécurité sociale et affirment qu'un système d'assurances privées pourrait
remplacer, en partie, le système actuel. En fait, deux voies sont préconisées:
Développer le recours à l'impôt, c'est à dire aller vers une fiscalisation croissante de la protection sociale, dans le droit fil de
la CSG, ce qui présente l'intérêt d'élargir considérablement l'assiette de prélèvement;
Une solution radicale de type libéral: développer un système d'assurance privée pour les risques maladie et vieillesse
travers les fonds de pension dans ce second cas).
Développer ici les avantages et inconvénients de ces solutions).
C. ... mais il conserve des fonctions sociales et économiques essentielles
William Beveridge a établi, dans son rapport de 1942, les premiers fondements d'un système moderne de protection sociale.
Il pense que le but de la protection sociale est « de libérer l'homme du besoin » et que « ce doit être une fonction de ~l'État
que de protéger ses citoyens contre le chômage de masse, aussi définitivement que c'est maintenant la fonction de l'État que
de défendre les citoyens contre les attaques du dehors et contre les vols et la violence du dedans». Rejeter la protection
sociale publique reviendrait à mettre en cause la fonction de solidarité de l'État. Dans ce cas, l'État perdrait sa fonction
de garant de l'intérêt général ; son désengagement du domaine social risquerait d'avoir de nombreux effets pervers, dont
l'appauvrissement des plus démunis et la perturbation de la cohésion sociale.
La protection sociale n'assure pas uniquement une fonction sociale ; les keynésiens pensent qu'elle a aussi une fonction
économique indispensable. Elle est l'un des outils de la redistribution.
- En couvrant les nages contre la réalisation d'un risque (maladie, chômage, vieillesse), la redistribution horizontale a
une fonction anticyclique qui assure le soutien de la demande. Ainsi, les indemnités chômage freinent la chute de la
demande qui aurait des effets dépressifs sur la production.
- Le système de protection sociale participe aussi à la redistribution verticale car les cotisations dépendent davantage du
niveau de revenu que les prestations. En opérant un transfert de revenu des plus riches vers les plus munis, la
protection sociale soutient la demande qui est, selon les keynésiens, le moteur principal de la croissance.
Les libéraux considèrent que la protection sociale est à la source de nombreux déséquilibres alors que les keynésiens croient
qu'elle est le prix à payer (plus élevé, il est vrai, en période de crise) pour le maintien d'une certaine solidarité et pour le soutien de
la demande des ménages.
Idée de conclusion
Les conditions de la vie humaine ont été profondément transformées par l'augmentation de la longévité. Aujourd'hui, l'espérance
de vie à la naissance a triplé par rapport au XVIIIe siècle. Il est clair que notre système de protection sociale, un des plus
généreux au monde, a joué un rôle essentiel dans cette évolution. Mais ce système, conçu à une époque de forte croissance et de
plein emploi généralisé, a du mal à résister aux effets conjugués de la crise économique et des bouleversements démographiques.
Ainsi, à l'image des États-Unis, la protection sociale française risque dans l'avenir de se segmenter en trois niveaux :
- celui de la solidarité minimum envers les plus démunis;
- celui de l'assurance sociale apportant une protection minimale aux salariés stables
- celui de l'assurance complémentaire (compagnies d'assurance ou mutuelles) qui garantit une protection supérieure à ceux qui
en ont les moyens.
L'adoption d'un tel système assainirait les finances de la curité sociale, mais elle détériorerait la protection sociale en mettant
en cause la fonction de solidarité de l'État. Car, au fond, la vraie question qui vaut la peine d'être posée est celle de la finalité de
notre système économique: doit-il rechercher à tout prix une croissance forcenée au seul bénéfice de quelques-uns, ou bien doit-il
être orienté vers la satisfaction des besoins du plus grand nombre? Cette seconde proposition justifie à elle seule que l'on se batte
pour sauvegarder notre protection sociale.
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