Revue Commerce - Mai 2000 L’économie de la région montréalaise en meilleure forme, mais il n’y a pas lieu de pavoiser MAURICE N. MARCHON Professeur à l'Institut d'économie appliquée École des Hautes Études Commerciales 2 mars 2000 Note : Ne pas oublier de mentionner que les données pour les graphiques proviennent de Statistique Canada et du Bureau of Labor Statistics. Page - 1 - Il est tout à fait vrai que l’économie montréalaise connaît un regain de vitalité après plusieurs années de grande morosité, mais il faut placer cette amélioration dans un contexte plus global. Il est probable que la région de Montréal et l’économie canadienne ne bénéficie que d’une amélioration cyclique de leur performance. Ce n’est toutefois pas le temps de pavoiser, car certains facteurs nécessaires à l’amélioration durable de notre niveau de vie ne sont toujours pas présents à l’appel. L’emploi confirme certainement une amélioration cyclique Après avoir créé 118 000 emplois en quatre ans (de janvier 1994 à janvier 1998), la grande région de Montréal a créé 143 000 emplois en deux ans (de janvier 1998 à janvier 2000). Cette accélération du taux de création d’emplois est certainement l’un des meilleurs indicateurs du dynamisme renouvelé de la grande métropole. Depuis deux ans, elle se compare avantageusement à la grande région métropolitaine de Toronto et de Boston (graphique 1), même si Toronto conserve une longueur d’avance. Notons que la région de Boston n’est plus une région en croissance rapide puisque le taux de croissance de l’emploi n’a été que de 1,8 % de janvier 1998 à décembre 1999 comparativement à 11,6 % pour la région d’Atlanta. Cette dernière devance aisément le taux de croissance de 9,6 % pour la région de Montréal et de 5,9 % pour celle de Toronto. Graphique 1 Indice de création d’emplois pour les régions métropolitaines de Boston, Montréal et Toronto (indice normalisé à 100 en janvier 1994) 124 122 120 118 116 114 112 110 108 106 104 102 100 janv-94 sept-94 mai-95 janv-96 Région de Boston sept-96 mai-97 Région de Montréal janv-98 sept-98 mai-99 Région de Toronto On constate également que la région de Montréal est devenu le moteur de l’économie québécoise puisque de janvier 1994 à janvier 2000, la croissance de l’emploi Page - 2 - a été de 17,8 % dans la région métropolitaine comparativement à 7,1 % pour le reste de la province (graphique 2). L’importance relative des ressources naturelles qui se situent principalement en région ne cesse de diminuer et les entreprises d’exportation en forte croissance et œuvrant dans le secteur de la haute technologie se trouvent dans la région de Montréal. À titre d’exemple, le taux de croissance des exportations québécoises de matériel de télécommunication s’élevait à 10,9 % en 1999 et celui des avions entiers avec moteurs de 11,6 %. On constate également que les nouvelles entreprises productrices de biens et de services reliées à la « nouvelle économie » se trouvent en grande majorité dans la région de Montréal. Selon une étude spéciale de la Financière Banque Nationale, 40 % des emplois de la région de Montréal sont associés à la « nouvelle économie » en 1999 comparativement à 44,3 % pour la région de Toronto. Cet écart de 4,3 % serait toutefois en régression par rapport à un écart de 7,1 % en 1989. Graphique 2 La région de métropolitaine de Montréal est devenu le moteur de l’économie québécoise (indice de création d’emplois normalisé à 100 en janvier 1994) 120 118 116 114 112 110 108 106 104 102 100 98 janv-94 sept-94 mai-95 janv-96 Région de Montréal sept-96 mai-97 janv-98 sept-98 mai-99 janv-00 Province de Québec sans région de Montréal L’accélération de la croissance économique et la forte création d’emplois se traduisent également par une poussée d’activité dans le secteur de la construction résidentielle et les activités connexes comme en témoigne l’augmentation de 22,3 % des mises en chantier dans l’agglomération de Montréal en 1999 comparativement à 35,6 % pour celle de Toronto. Une autre statistique importante en ce qui concerne la renaissance de Montréal est la reprise du prix moyen de revente des maisons existantes (graphique 3). Le taux d’augmentation du prix moyen de revente a été très semblable à celui de la région de Toronto au cours des dernières années, même si le prix moyen des maisons unifamiliales est toujours près de 100 000 dollars moins élevé à Montréal. L’anticipation Page - 3 - d’une plus value dans la valeur de revente est un élément important de la sécurité financière des ménages. Graphique 3 Prix moyen des maisons unifamiliales sur le marché de revente des régions métropolitaines de Montréal et Toronto (indice du prix moyen en moyenne mobile de quatre trimestres et normalisé à 100 au 1er trimestre de 1994) 112 110 108 106 104 102 100 98 96 94 1994.1 1994.3 1995.1 1995.3 1996.1 1996.3 1997.1 1997.3 1998.1 1998.3 1999.1 1999.3 Région métropolitaine de Montréal Région métropolitaine de Toronto Davantage une amélioration cyclique que structurelle Nous estimons toutefois que l’économie montréalaise et l’économie canadienne en général bénéficient des retombées du boom économique américain même si des progrès ont été réalisés en se qui concerne sa restructuration. Nos indices en faveur d’une amélioration reliée à la prospérité américaine sont l’augmentation rapide du pourcentage de nos exportations de marchandises à destination des États-Unis au cours des dernières années. Ce taux est passé de 77 % en 1995 à plus de 86 % en 1999. De janvier 1999 à janvier 2000, 48,8 % des emplois créés au Québec proviennent des entreprises manufacturières comparativement à 33,9 % depuis le creux du cycle économique en mars 1991. L’économie québécoise est de plus en plus dépendante du secteur manufacturier puisqu’au Canada seulement 19,6 % des emplois créés depuis le creux du cycle proviennent de ce secteur et 28,9 % en 1999. Bien que les informations précédentes soient des plus encourageantes, l’absence de participation à l’accélération des gains de productivité connu par les Américains au cours des cinq dernières années est compromettante pour notre niveau de vie à long terme. Le taux de croissance annuel moyen des gains de productivité des entreprises manufacturières à été de 4,6 % aux États-Unis comparativement à 1,7 % au Canada. Page - 4 - L’absence d’accélération des gains de productivité s’est traduite par un écart de près de 18 % en 1999 par rapport à un niveau normalisé à 100 en 1986 (graphique 4). Pour l’ensemble de l’économie, le différentiel du taux de croissance annuel moyen des gains de productivité des cinq dernières années s’élevait à 1 %, soit 2,3 % pour l’économie américaine et 1,3 % pour l’économie canadienne. Graphique 4 Indice de productivité du travail du secteur manufacturier Canada et États-Unis (indice du PIB réel par heure travaillée normalisé à 100 en 1986) 155 150 145 140 135 130 125 120 115 110 105 100 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 Canada États-Unis Une autre façon d’illustrer à quel point l’amélioration à long terme de notre niveau de vie est compromise provient de la comparaison de la croissance de la production par rapport à la création d’emplois dans le secteur manufacturier (tableau 1). Au cours des cinq dernières années, la création d’emplois du secteur manufacturier au Québec a été superbe, mais on déchante vite lorsqu’on la compare à l’augmentation de la valeur ajoutée qui a été légèrement inférieure à celle de l’emploi. La seule façon d’accroître le niveau de vie des travailleurs est une augmentation plus rapide de la production comparativement à l’emploi. Le tableau 1 illustre à quel point le Québec et le Canada ont été en perte de vitesse par rapport aux États-Unis au cours des cinq dernières années. Page - 5 - Tableau 1 Comparaison de la croissance de l’emploi et de la production du secteur manufacturier du début de 1995 à la fin 1999 Emploi Production Québec 19,4 % 17 % Canada 19,7 % 22 % États-Unis -1,1 % 24,4 % Sources : Statistique Canada, Institut de la statistique du Québec et Bureau of Labor Statistics. Les conséquences à long terme d’un retard aussi significatif dans le taux de croissance des gains de productivité sont claires. Pour rester compétitif et maintenir le plein-emploi, les travailleurs canadiens devront se contenter d’augmentations salariales plus faibles qu’aux États-Unis ou le taux de change se dépréciera. Notons qu’au cours des cinq dernières années, le maintien de notre compétitivité provient d’un taux de change inférieur à 70 cents américains et d’un taux d’augmentation annuel moyen des salaires horaires plus faible, 1,4 % comparativement à 3,6 % aux États-Unis. Cet écart de 2,2 % par année s’est définitivement traduit par une amélioration plus rapide du niveau de vie des travailleurs américains puisque le taux d’inflation annuel moyen n’a été que de 0,7 % plus élevé, soit 2,4 % aux États-Unis comparativement à 1,7 % au Canada. Poursuite de l’amélioration cyclique Nous prévoyons la poursuite de l’amélioration cyclique de notre économie aussi longtemps que l’économie américaine poursuit sur sa lancée, mais l’analyse de notre performance économique montre clairement que nous avons encore de nombreux défis à relever en ce qui concerne notre amélioration des gains de productivité par le truchement d’une meilleure organisation du travail et probablement par une optimisation de la taille de nos entreprises. De plus, il est permis d’espérer que les gains de productivité apportés par la révolution micro-informatique se diffuseront à travers le monde au cours des prochaines années. Le Canada est bien placé pour en récolter une partie des bénéfices, mais seul l’avenir nous le dira. Page - 6 -