1 Ce texte a été préparé pour « le Dictionnaire mondial des images » publié sous la direction de Laurent Gervereau par Nouveau Monde Editions 2006 Les images scientifiques de l’infiniment petit à l’infiniment grand Paul Caro Directeur de recherche honoraire au CNRS Les images scientifiques sont produites par des instruments qui fonctionnent comme des prothèses dans le sens ou elles améliorent, et de beaucoup, les capacités d’observation des sens physiologiques humains. Les microscopies produisent des images qui permettent à l’œil d’aller bien au delà des apparences de la matière et de percevoir la structure de celle-ci parfois jusqu’aux limites atomiques (la matière est faite de point pesants -- les atomes -- séparés par du vide). A l’autre extrémité de l’échelle des dimensions, les télescopes permettent d’observer les objets géants qui peuplent le ciel : étoiles, galaxies situées à d’énormes distances qui se déclinent en annéeslumière unité de mesure représentant la distance que parcourt la lumière en un an (elle voyage à environ 300000 km par seconde ...). Du « portrait », calculé, du virus du SIDA aux anneaux de Saturne, les images de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, très répandues, font partie de la panoplie de la culture contemporaine et placent l’échelle humaine entre deux Univers. Les échelles de distance Le mètre est une unité de mesure singulièrement bien adaptée aux dimensions des objets que l’homme manipule quotidiennement. Mais, pour observer certaines fourmis, le centimètre, le centième du mètre, est une subdivision du mètre convenable. L’œil distingue bien des objets distants d’un millimètre, le millième de mètre (10-3 m ), mais déjà un instrument d’optique, la loupe peut aider. Au delà, la prothèse est indispensable pour une vision réelle. Le microscope est utilisé pour l’observation du détail des objets au niveau du micromètre, un 2 millième de millimètre (10-6 m), par exemple des cellules comme les globules rouges du sang. Mais lorsque les dimensions à observer atteignent le nanomètre (10-9 m), le microscope électronique est indispensable pour beaucoup d’objets biologiques comme les grosses molécules (virus, acides aminés, protéines) ou des aspects de la matière minérale (joints de grains, défauts cristallins, inclusions). Les distances entre les atomes sont souvent de l’ordre de grandeur du dixième de nanomètre si bien que les cristallographes utilisent une unité intermédiaire, l’angström, qui vaut un dixième de nanomètre soit 10-10 m. Au delà, dans les domaines des distances picomètriques (10-12 m) ou femtomètrique (10-15 m), il n’existe pas vraiment de techniques d’imagerie expérimentales à part éventuellement des images calculées théoriquement (pour représenter le noyau des atomes par exemple et leurs composants les quarks…). Dans le sens inverse, évidemment les distances vont de l’échelle humaine à l’infini. La figure de la Terre et ses dimensions sont assez bien connues du public et l’image présentée le soir à la télévision montrant la météorologie du jour au moyen de l’image du globe terrestre et de sa couverture nuageuse capturée par les caméras des satellites est une image scientifique devenue très familière qui conforte l’idée du « petit œuf bleu suspendu dans l’espace ». Les télescopes installés à terre ou embarqués sur des satellites permettent d’obtenir des images des objets célestes les plus proches : lune, planètes, qui peuvent être observées dans la mesure où elles sont éclairées par la lumière du soleil qui est la source indispensable dans tout système d’imagerie. Le soleil, comme les plus lointaines galaxies, est lui même la source de rayonnement qui permet d’en obtenir des images. L’image obtenue dépendra de l’intensité du rayonnement émis par la source et éventuellement des contrastes qu’elle offre. La lumière perçue par un instrument sur Terre ou satellisé, dépend de l’énergie propre de l’émission et de la distance de l’objet observé (car une partie du rayonnement peut être capturé en route par le milieu interstellaire). Mais surtout l’image obtenue va dépendre de la nature du rayonnement observé. Le ciel apparaît aujourd’hui différent si on l’observe dans le domaine des ondes radio, dans l’infrarouge, dans le visible ou dans le domaine des rayons X. Les astres selon leur âge et 3 leur histoire émettent en effet leurs rayonnements les plus intenses dans des domaines de longueur d’onde différents. La possibilité de distinguer deux objets célestes situés dans la même ligne de visée par rapport à la Terre dépend de l’intensité respective de leurs émissions mais aussi de la résolution angulaire des télescopes (et non pas de la capacité de résolution entre deux points dans un plan comme pour les microscopes). Les distances en matière céleste se déterminent par des méthodes d’observation qui font appel aux calculs de l’optique géométrique (parallaxes), surtout pour des objets proches, mais pour les objets les plus éloignés par des mesures spectrographiques. L’analyse de la lumière par le spectroscope permet de connaître la nature chimique des étoiles par l’observation de raies d’émission spécifiques d’éléments ou de raies d’absorption. Cette possibilité correspond au fait que chaque atome (ou chaque molécule d’ailleurs) présente une série d’états excités qu’il (ou elle) peut occuper sans perdre sa nature et qui ont des énergies différentes mais de valeurs bien définies (à cause de la théorie quantique). Le passage d’un état à un autre se traduit par une absorption ou une émission de lumière de longueur d’onde caractéristique. La liste des énergies des états excités est comme un code barre qui identifie chimiquement l’atome ou la molécule. C’est ainsi que l’on peut savoir que l’Univers entier est fait des mêmes éléments que ceux que nous connaissons sur Terre. Mais pour certains objets lointains les raies d’émission mesurées sur Terre par le spectrographe associé au télescope, sont déplacées vers le rouge (ce qui signifie que l’énergie associée est plus faible), ce déplacement peut être mis quantitativement en rapport avec la distance (qui peut alors se mesurer en millions d’années lumière …). Il est beaucoup plus délicat d’observer des objets dans l’espace qui ne sont pas sources de rayonnement. C’est ce qui rend l’observation de planètes dans un système stellaire éloigné (les « exoplanètes ») si difficile en effet les planètes ne sont pas elles mêmes sources de rayonnement mais ne font que réfléchir celui de l’astre autour duquel elles gravitent. 4 Les résolutions La limite de résolution d’un instrument d’optique dépend évidemment de sa construction et de la qualité des pièces optiques utilisées. Comme la lumière est une onde, il y a cependant une limite théorique qui dépend de la longueur d’onde de l’émission de la source utilisée. Pour la lumière visible cette longueur d’onde va de 0,8 microns pour le rouge à 0,4 pour le bleu. Le phénomène de diffraction fait que l’image d’un point est une tache circulaire dont le diamètre dépend des caractéristiques de l’instrument et de la longueur d’onde. Il en résulte que pour la lumière visible, on ne peut pas séparer des points dont la distance est inférieure à un demi-micron environ. On atteint donc la limite de la microscopie optique pour l’examen de la matière. On peut améliorer un peu cette résolution en utilisant une technique de balayage point par point de l’échantillon par un laser. C’est le microscope confocal qui donne d’excellents résultats si l’échantillon est « marqué » par des substances qui peuvent émettre un rayonnement de fluorescence à l’impact du faisceau laser. La résolution peut être beaucoup améliorée si la longueur d’onde du rayonnement diminue. C’est la raison de l’utilisation du faisceau d’électrons. L’électron n’est pas comme le photon sans masse mais comme toute particule il a une longueur d’onde associée (c’est la mécanique ondulatoire de De Broglie) qui dépend de la tension sous laquelle il est émis (par un filament métallique chauffé) pour être ensuite accéléré par un champ électrique dans le vide. La longueur d’onde peut varier entre 1 et 4 millièmes de microns, elle est bien inférieure à la distance entre les atomes. On peut donc obtenir des images de ceux–ci, (ou du moins des colonnes d’atomes dans un cristal). Le microscope électronique doit fonctionner sous vide, ce qui est une contrainte pour certains échantillons qui peuvent se décomposer. Il a fait l’objet de perfectionnements considérables qui en font un instrument courant des laboratoires. Certains effets physiques permettent de conduire des analyses chimiques qui établissent une 5 cartographie de la composition de l’échantillon. Les microscopes ainsi équipés sont donc des outils de microanalyse très importants. Si l’on a pu concevoir un microscope électronique c’est que le faisceau d’électrons peut être manipulé par des lentilles électrostatiques qui jouent le rôle des lentilles en verre dans le microscope optique. Les rayons X dont la longueur d’onde est de l’ordre du nanomètre seraient convenables pour l’obtention d’images haute résolution sauf que l’on ne sait pas construire de lentilles qui permettraient de focaliser les faisceaux de rayons X car il n’existe pas (encore …) de matériaux pour ça. Les télescopes, Comme les microscopes, les premiers télescopes ont été construits avec des lentilles de verre, la lunette astronomique de Galilée en est l’un des premiers exemples. L’instrument collecte la lumière provenant des astres et la focalise sur un détecteur de photons : l’œil, une plaque photographique ou des détecteurs très sensibles (cameras CCD). Il existe deux types de télescopes, l’un fonctionne par réfraction, la lumière est focalisée à travers une lentille, l’autre utilise la réflexion sur un miroir courbé qui focalise la lumière à un foyer (un miroir de forme parabolique par exemple). La quantité de lumière céleste capturée dépend du diamètre de la lentille ou du miroir. Un problème pratique important est de pouvoir fabriquer des lentilles ou des miroirs de grande taille puis de les intégrer dans un instrument, c’est à dire les mettre en place sur des supports (une lentille par exemple doit être soutenue sur ses bords). Il faut aussi que la fabrication soit parfaite, réalisée dans un verre sans défaut. La plus large lentille utilisée a un diamètre de l’ordre du mètre, mais les miroirs peuvent être beaucoup plus grands (et très lourds !). Celui du télescope du Mont Palomar a un diamètre de 5 mètres, il reçoit beaucoup plus de lumière que l’œil dont le diamètre en vision de nuit est de l’ordre de 7 millimètres. Il est donc possible d’observer des objets célestes peu lumineux d’autant plus que certains détecteurs (CCD, « charge coupled devices », systèmes électroniques en phase solide sensibles aux photons ) permettent d’accumuler les photons émis par une source au cours d’une nuit d’observation et de le faire en 6 fonction des longueurs d’onde que l’on souhaite étudier, de l’infra rouge à l’ultra violet. L’œil a une résolution angulaire de l’ordre de la minute d’arc, les grands télescopes peuvent faire beaucoup mieux évidemment mais les perturbations atmosphériques limitent leur résolution à environ 0,5 seconde d’arc alors que le pouvoir de résolution théorique d’un télescope équipé d’un miroir de 10 mètres est de l’ordre de 0,01 seconde d’arc. Pour compenser ce problème on fait appel à des techniques d’optique adaptative : un ordinateur corrige l’image en permanence à partir d’un modèle de la turbulence de l’atmosphère, et permet de déformer le miroir en temps réel pour corriger cette turbulence. La plupart des grands télescopes sont installés dans des sites géographiques en hauteur pour lesquels la turbulence est limitée : pic du Midi de Bigorre, îles Canaries (2400 m), montagnes du Chili (2400 m), volcan Mauna Kea à Hawaï (4200 m d’altitude). Une autre solution est d’utiliser des télescopes satellisés comme le Hubble Space Telescope qui a un miroir de 2,4 mètres de diamètre et qui atteint effectivement sa résolution théorique de 0,05 seconde d’arc. Les télescopes en orbite sont nécessaires pour observer les objets célestes qui émettent de l’ultraviolet (comme le soleil) ou des rayons X (par exemple dans le voisinage d’un trou noir). L’infrarouge peut être observé du sol (dans la fenêtre de transmission de l’atmosphère pour des longueurs d’onde comprises entre 10 et 20 microns) ou en orbite. Un très grand nombre d’instruments d’observation astronomique ont été lancés depuis le 26 avril 1962 et le satellite anglais Ariel 1 qui a étudié la radiation solaire ultraviolette et les émissions de rayons X jusqu’au satellite japonais Akari lancé le 22 février 2006 pour obtenir des images infra rouge. Il y a bien d’autres projets en route dans toute la gamme des longueurs d’onde. Les plus belles images du ciel ont été obtenues par le télescope Hubble lancé par la NASA le 24 avril 1990 et qui orbite à une altitude de 600 km. C’est le plus grand des télescopes en orbite mais son optique a du être améliorée par une mission spéciale de la navette Endeavour en décembre 1993. 7 La radioastronomie Beaucoup d’objets célestes émettent des ondes radio par exemple les nuages de poussière et de gaz qui contiennent le radical hydroxyl OH (un morceau de molécule d’eau) qui peut émettre une puissante onde radio cohérente, un faisceau maser, à la longueur d’onde de 21 cm (les émissions de la source sont en phase comme dans le cas d’un laser). Les ondes radio sont bien entendu repérées par des antennes radio paraboliques. Celles-ci peuvent être des disques de grandes dimensions pointés vers le ciel, mais elles peuvent aussi être couplées. La technique de l’interférométrie permet de combiner les images obtenues par plusieurs récepteurs situés dans des lieux géographiques différents, même sur divers continents. Le système de communication Internet permet de rassembler les mesures effectuées au même moment par plusieurs instruments, de les combiner dans un puissant ordinateur et d’obtenir par exemple des images en temps réel des mouvements du gaz observé. La résolution est équivalente à celle d’un télescope dont le diamètre est égal à la distance qui sépare les observatoires les plus éloignés ! Pour une séparation de 8200 km la résolution atteint 20 millièmes de seconde d’arc, 5 fois mieux que le télescope Hubble. Comme la longueur d’onde des radiations infrarouge et visible est plus faible que celle des ondes radio il est plus difficile de combiner les faisceaux optiques provenant de plusieurs télescopes mais on peut attendre des progrès dans cette direction de l’interférométrie. Au bout du monde L’instrumentation progresse parce que l’on espère obtenir des images du « bout du monde », ou plutôt du monde tel qu’il était peu après sa naissance si l’on croît à la théorie du Big Bang. Naturellement le ciel vu de la terre peut procurer des images pittoresques (comme la « tête de cheval » dans la constellation d’Orion) mais l’image elle-même ne fournit pas d’explications, ce sont les mesures physiques associées à l’observation : distance, température, vitesse, composition chimique, 8 qui permettent de composer une histoire. Il en est de même des microscopies, l’interprétation est nécessaire. L’image n’est pas en elle même une ouverture sur les mystères du monde à grande ou petite échelle mais un outil de travail qui situe les problèmes à résoudre dans un espace, grand ou petit. Si l’image scientifique peut être aussi une image esthétique voire artistique c’est que nous y voyons un reflet de notre culture, nous y ajoutons quelque chose qui a des correspondances avec nos propres créations … ou nos rêves … Ajoutons que les opérateurs de microscopes choisissent souvent de saisir des images sur la pellicule ou la plaque photographique lorsqu’ils pensent percevoir quelque chose de significatif dans la jungle qu’ils observent. A ces moments là, la culture de l’opérateur et ses goûts esthétiques peuvent jouer.