Psychanalyse et cognition Psychanalystes et neuropsychologues : quel dialogue possible ? par Jacques Boulanger Table des matières A B Introduction ....................................................................................................................................................... 2 1. François Dupont ......................................................................................................................................... 2 2. Le travail médico-psychologique contemporain ......................................................................... 5 Théorie freudienne de la connaissance................................................................................................. 6 1. Pulsion et relation d’objet...................................................................................................................... 7 2. Trauma, refoulement, latence ............................................................................................................... 7 3. Le désir de savoir ....................................................................................................................................... 9 4. La mère-environnement........................................................................................................................ 11 5. Les « empêchés de latence » ............................................................................................................. 13 6. L’évaluation de la connaissance ........................................................................................................ 14 7. Le cas Basile ............................................................................................................................................... 15 8. Refoulement et cerveau ........................................................................................................................ 18 Le neurocognitivisme .................................................................................................................................. 19 C 1. Historique .................................................................................................................................................... 19 2. La neuropsychologie .............................................................................................................................. 21 D La pensée complexe .................................................................................................................................... 22 E Conclusion ........................................................................................................................................................ 26 1. les "troubles dys" ..................................................................................................................................... 26 2. Le cognitivisme n'est pas l'ennemi de la psychanalyse ......................................................... 27 1 ________ A Introduction 1. François Dupont François consulte au CMPP avec ses parents alors qu'il est âgé de 12 ans, est en 5è. Le motif de la consultation est une demande de prise en charge en orthophonie du fait d'une dyslexie et d'une dysorthographie anciennes et sévères, et en neuropsychologie du fait de difficultés de mémoire. Une rééducation orthophonique en libéral a été mise en place en grande section de maternelle et est toujours active. Les parents expliquent qu'ils ont récemment décidé de saisir la MDPH sur le conseil du médecin scolaire qui a aussi organisé un bilan neuropsychologique à Toulouse. C'est suite à ce dernier bilan que la situation de handicap a été reconnue pour leur fils. La notification de la commission s'appuie sur ce diagnostic de dyslexie/dysorthographie mais aussi de difficultés visuospatiales et recommande des aménagements scolaires (tiers temps, aménagements pédagogiques avec photocopies et ordinateur en classe). Les professeurs du collège se montrent réticents à ces aménagements dans le cadre d'une scolarité normale. Je prends connaissance du dossier médicopsychologique de François avant de le rencotnrer avec ses parents. Il s'agit du dernier bilan de l'orthophoniste libérale qui atteste de la sévérité de la difficulté en langage écrit, de son impression d'une évolution beaucoup trop lente en regard du rythme scolaire et du décalage qui s'accentue. Je lis également le résultat d'une une évaluation psychométrique, réalisée un an auparavant par le psychologue scolaire, au moment où une orientation en SEGPA était évoquée. Le résultat du Wisc IV évoque un garçon dynamique et volontaire, d'une efficience intellectuelle dans la moyenne de son âge, avec un profil homogène, ayant de bonne connaissances linguistiques et langagières, ayant intégré les règles sociales, en légère difficulté dans le raisonnement catégoriel et abstrait, ayant une graphomotricité peu précise. Un test projectif (TAT) avait aussi été réalisé à la même période qui fait état d'une prestation dominée par l'évitement, d'une production peu spécifique, informative, adaptative, de la prévalence d'un attachement aux parents comme indice de sécurité prioritaire, d'une installation fragile des différences des sexes et des génénération. Les chiffres du Wisc : ICV 108. IRP 99. IMT 103. IVT 109. QI 108. Je lis enfin les résultats du bilan neuropsychologique réalisé à Toulouse. De nombreuses épreuves normées ont été 2 réalisées : l'Alouette (vitesse de lecture), le test de Stroop (attention sélective), la Nepsy (analyse cinq domaines : fonctions exécutives, langage, sensori-motricité, domaine visuospatial, mémoire, apprentissage), la recherche d'un THADA (critères DSM IV), le Zazzo (double barrage, attention soutenue et divisée), la figure de Rey (compétences visuospatiales et compétences en mémoire visuelle), le Khomsi (vitesse de lecture). La conclusion de ce bilan évoque un niveau lexicographique en décalage de 4 ans, l'absence de trouble praxique sérieux, au niveau non verbal, des capacités de mémoire visuospatiale et de repérage performantes, une difficulté en raisonnement hypothéticodéductif compensée par une grande rapidité, voire une impulsivité du raisonnement intuitif. Le niveau de compréhension oral est excellent. L'attention auditive et la mémoire de travail sont excellentes, mais l'accès au lexique personnel et à la mémoire à long terme difficile. François est en sévère difficulté d'accès au sens d'un texte, donc pour en retranscrire les idées directrices. Il peut se lancer dans la rédaction empressée d'un texte de façon confuse, incohérente, comme sans savoir où il va. Il n'y a pas de difficulté de comportement. Avant que je ne reçoive François et ses parents le cas est évoqué en réunion de synthèse, à partir de l'exposé d'une psychologue du service ayant reçu les parents et repris l'historique de la situation depuis l'origine. Je suis surpris par les éléments de l'anamnèse familiale que je n'avais pas trouvés dans le dossier : en fait, sous un patronyme typiquement local, se cache un enfant adopté, d'origine russe, est arrivé chez ses parents adoptifs à trois ans "dans un état physique et psychologique désastreux" selon le récit maternel. Il ne marchait pas, ne parlait pas, entrait dans une grande terreur si on allumait la lumière. Il était couvert d'un eczéma surinfecté qui fut difficile à soigner du fait d'un grattage incoercible. La psychologue évoque la situation du couple parental, gens de la cinquantaine vivant ensemble depuis une quinzaine d'année. La mère de François a deux grands enfants d'un premier mariage. Le père était célibataire, fils unique ; il est stérile. Enfant, il avait été élevé avec une cousine de son âge, orpheline acueilliée par ses parents ; adulte, il s'était opposé à l'adoption de cette cousine par ses parents. J'ai donc reçu François et ses parents. Sa poignée de main est molle. Il m'apparaît d'emblée comme un adolescent présent dans la relation, attentif, guettant du regard mes réactions. Je le sens triste, un peu perdu. Sa mère parle de sa demande d'orthophonie et de neuropsychologie pour rééduquer la mémoire. Elle regrette que le diagnostic de dyslexie, cette maladie du cerveau, ait été si tardivement reconnue. Le père est réservé, attentif lui aussi, semble dans l'expectative. Il parle d'une façon moins instrumentale de son fils, s'inquiète de ses difficultés de mémoire, si dit convaincu qu'elles sont relatives à son origine traumatique. Il dit son étonnement qu'enfant, vers 6 ou 7 ans, François posait de nombreuses questions sur son origine tandis que maintenant cette question est 3 devenue tabou ; l'adolescent interdit d'en parler. Le père se demande ce que ces "non- dits" recouvrent. Il s'inquiète également de l'attitude relationnelle de son fils. Il décrit un accomodement de façade, un enfant qui répond vite par recherche de la complicité avec son interlocuteur, est influençable, n'a pas d'amis au collège. Je reçois François seul. J'ai rapidement la conviction d'une relation blanche. Son regard est particulier ; quand il croise le mien, je ne suis pas sûr qu’il me soit destiné. Il y a de la réfléctivité dans le contact visuel, du spéculaire. Il y a aussi de l'hostilité, alors que sa bouche esquisse un sourire convenu. Le dialogue est difficile ; François, immobile, ne parle pas spontanément, adopte une attitude passive. Ses réponses de tiennent de l’automatisme et d’un au-delà du princpe de plaisir : « Je ne sais pas », formule itérative qui signe la stase libidinale, la présentation narcissique et la détresse précoce liée à l’absence de l’objet, sans l'imagne mnésique compensatrice, une répression farouche des affects. François dit ne pas rêver. Ce que je vis d'impression de vide et de destructivité dans la relation à cet adolescent dépressif me confirme dans l'idée que le diagnostic n'est pas le bon. Je pense à un fauxself au sens de Winnicott. Je reverrai François seul huit jours plus tard et il poura se dégager de ce foncfionnnement as if. Le dialogue pourra aller plus loin et il me confiera, au cours de ce deuxième entretien, deux paroles hautement significatives : "Ma mère, quand je suis arrivé de Bulgarie, je lui faisais pitié", et cette autre : "Mon père est plus mon père que ma mère". Sollicité à en dire plus, François expliquera se sentir plus proche de son père qui, lui, n'a qu'un fils. Je suis sensible à la véracité de ces paroles, à leur ton et leur formulation justes, à la part de souffrance qu'elles signifient, à la réalité de la communication, dans cet instant, avec l'adolescent. Point de dyslexie donc, au sens scientifique du terme, ce que nous examinerons plus loin, mais les séquelles d'un hospitalisme précoce et prolongé. Les troubles instrumentaux, surtout les troubles lexicographiques et ceux de la fonction mnésique, sont à l’évidence un des éléments du cortège symptomatique. Ils sont d’origine environnementale et non développementale. S'il était utile au débat d'en chercher une causalité linéaire (mais estce utile ?), elle serait plus à rechercher du côté des fantasmes parentaux, que du côté d'une ectopie de migration neuronale in utero d'origine génétique. La réunion de synthèse qui suit est mouvementée. J'y fais part de mes conclusions, de l'absence de dyslexie mais de la lourdeur de la dépression narcissique avec son impact sur les fonctions cognitives. Et de la nécessité d'une prise en charge psychologique plutôt que neuropsychologique, d'une psychopédagogie plutôt que d'orthophonie. Et de la négociation avec les professeurs des aménagements scolaires conseillés. Cette position occasionnera des frictions institutionnelles, au sein de l’équipe d’une part, de l’école d’autre part, du médecin de la MDPH qui ne comprend pas qu’un diagnostic de CHU soit contesté. 4 Il faudra deux autres rencontres avec les parents seuls pour qu'ils entendent ce changement de perspective. La mère de François renonce difficilement à sa demande de rééducation de la mémoire et entend douloureusement la proposition d'aide externe à l'organisation du travail scolaire. De même, elle renonce difficilement au forcing scolaire à domicile ("Des week-ends entiers à faire les devoirs"). J'ai l'agréable surprise, par contre, d'une alliance décisive avec le père. Cet homme a senti la dépression de son fils et, maintenant qu'elle est dite explicitement, se sent soulagé de la reconnaître pour ce qu'elle est : un découragement face aux exigences du cursus scolaire normal. Un extrême découragement qui doit en rappeler d'autres, inaccessibles dans la mémoire de François qui, pourtant informée, en garde trace. Il peut dire que François aime beaucoup bricoler avec lui et que ce plaisir partagé de la transmission d'un savoir-faire lui semble plus être dans le cadre de la mission qu'il se donne à l'égard de son fils. Quant au savoir attendu du socius, il dit qu'il viendra quand son fils en aura envie. Nous dirions : quand les investissements auront pu être remaniés, au delà de la période dépressive. 2. Le travail médico-psychologique contemporain L’évolution des cadres de prise en charge des enfants en difficulté psychique a considérablement évolué depuis une vingtaine d’années. Ce qui semblait relativement simple dans le contexte de l’après-Libération, époque de la création des CMPP, puis celui des années 1975, création des intersecteurs (inter signifie ici mise en réseau), s’est progressivement complexifié, surtout depuis les derniers aménagements législatifs (loi du 2 janvier 2002 dite « démarche qualité », loi du 11 février 2005 dite « de l’égalité des chances » traitant du handicap). L’évolution se fait vers une formalisation renforcée des pratiques professionnelles dans les établissements médico-sociaux avec un renforcement du droit des usagers, une sécurisation des interventions, une transparence du fonctionnement, une astreinte épidémiologique perçue comme nouvelle contrainte. L’objectif du législateur a été, clairement, une meilleure professionnalisation des pratiques en vue d’un travail en réseau intensifié. Ceci est la dimension sociologique de l’évolution. Dans le même temps, une évolution importante est aussi advenue dans le champ scientifique et la tradition analytique originelle du secteur pédo-psychiatrique français est entrée en concurrence avec de nouveaux paradigmes anglo-saxons qui ont des prolongements précis dans la culture en générale, c’est-à-dire la position des parents, mais aussi dans les pratiques de soins en particulier : « Le médecin scolaire nous envoie pour l’orthophonie. On ne veut pas qu’il voit un psychologue ». Constructivisme et neuro-cognitivisme s’imposent comme de nouveaux modèles de référence, à partir des centres du même nom (Centres Référents créés en 2001 pour le dépistage et la prise en charge des troubles spécifiques du langage et des 5 apprentissages scolaires). Nous reviendrons sur ce mot « spécifique » à l’origine de nombreux malentendus. Autre facteur déstabilisant pour la communauté psychanalytique, les « freudian wars »1 2 sont arrivées en Fance, offensive anti-freudienne dont le toulousain Jacques Benesteau s’est fait le 3 hérault avant que Michel Omfray4 ne monte sur ce créneau porteur. C’est le statut scientifique de la psychanalyse qui est ici contesté. Tous ces changements, scientifiques, sociologiques, épistémologiques, culturels ont un impact direct sur la pratique des professionnels des soins intervenant auprès des enfants : la pluridisciplinarité est élargie à des champs méconnus des psychanalystes (la neuropsychologie), la pression administrative est renforcée, l’obligation épidémiologique (les statistiques, les bases de données) est nouvelle. Ainsi, le partenariat, le travail en réseau des équipes ou des intervenants libéraux est devenu un poste en soi dans le travail quotidien (rédaction des écrits). Dans ce contexte mouvant, il devient plus difficile aux psychanalystes d’affirmer leur identité, leur scientificité, leur exigence d’une élaboration continue au plus près de la clinique, au plus près des besoins de chaque enfant et de sa famille. C’est de cette complexité ambiante que nous allons parler. Nous n’aborderons pas ici le débat sur la scientificité de la psychanalyse, traité par ailleurs. Par contre, nous identifierons avec précision où est, dans ce contexte, la spécificité du travail analytique. Notre démarche sera d’abord d’évoquer le refoulement et la période de latence, période essentielle pour comprendre l’investissement de la connaissance par l’enfant, puis la théorie freudienne et post-freudienne de la connaisance. Nous aborderons ensuite la théorie neurocognitiviste de la connaissance et son application pratique, la neuropsychologie. Puis nous évoquerons Edgar Morin et son concept de « pensée complexe » qui permet d’imaginer les pratiques de demain. Enfin, nous concluerons par l’identité du psychanalyste et la spécificité du travail analytique dans cet univers devenu complexe de la prise en charge de l’enfant en difficulté psychique dans son développement. B Théorie freudienne de la connaissance 1 BORCH-JACOBSEN, M., Le dossier Freud : Enquête sur l’histoire de la psychanalyse, Mikkel Borch-Jacobsen et Sonu Shamdasani, Les empêcheurs de penser en rond/Seuil, Paris, 2006. 2 BRICMONT, J. (1997), Impostures intellectuelles, Odile Jacob, Paris, 1997. 3 BENESTEAU, J. (2002), Mensonges freudiens, Mardaga, Liège, 2002. 4 ONFRAY, M., Le crépuscule d’une idole, Grasset, 2010. 6 1. Pulsion et relation d’objet Classiquement, si l’on prend pour modèle, par exemple, ce qu’en dit Pierre Marty 5 la chiquenaude initiale de l'évolution d'un être vivant est impulsée par le programme génétique, puis vectorisée par un capital pulsionnel originaire dont la quantum est individuel (d’où proviendrait la résilience »6), enfin et surtout l’environnement maternel, puis social. Cette poussée évolutive suit un trajet dit faisceau central commun, permet à l’enfant de traverser les différentes étapes de son développement. Du côté de la libido, ce seront les stades connus de la sexualité infantile (oral, anal, phallique). Du côté de la relation d’objet, ce seront les périodes de l’auto-érotisme, du narcissisme, de l’œdipe, ce dernier étant considéré comme "la pointe évolutive" en ce sens que le système relationnel œdipien une fois acquis (la triangulation, le refoulement) va permettre l’installation des applications culturelles. Le « déclin de l’œdipe »7, savoir la période chaude du complexe, aboutit à la constitution d’une capacité de refoulement fonctionnelle, d’un surmoi stable et souple, ouvre la période de latence et, théoriquement, la symbolisation secondaire desexualisant partiellement l’envie de savoir, ouvrant aux apprentissages scolaires. Mais une poussée contre-évolutive exerce une force contraire au fil de ces différentes étapes. Elle est constituée de trois occurrences : le trauma, la maladie, la vieillesse. Ces trois circonstances contre-évolutives génèrent un sous-produit commun : l’angoisse. L’émergence de cet affect de base est un traitement émotionnel des données de l’environnement, très rapide, en attente d’un traitement cognitif (exigence représentative) beaucoup plus long. Si cette poussée contre évolutive est forte (trop d’excitation), elle provoque des fixations, aires de repos utiles en cas de régression. L’évolution peut reprendre, au delà de ces palliers de fixation-régression, et regagner le fasceau central commun (refoulement, névroses). Cette évolution peut ne jamais rejoindre le faisceau central commun et constituer des dynamismes parallèles (clivage, perversions, psychoses). 2. Trauma, refoulement, latence Je ne reprendrai pas en détail ici ce concept de refoulement, concept central de la psychanalyse. Gérard Pirlot a remarquablement développé lors de la conférence publique de novembre 2010 ce monument métapsychologique consubstanciel de la psychanalyse. Gérard Pirlot a bien rappelé la place spécifique du refoulement dans ce « moteur à 5 MARTY, P., Les mouvements individuels de vie et de mort, Payot, 1979 6 ALTOUNIAN, J., Les héritiers des génocides, Le traumatisme psychique, Monographie, PUF, 2007, direction T. BOKANOWSKI. 7 FREUD, S., 1924, Le déclin du complexe d’Œdipe, in RFP 1934, 7, n°3, pp. 394, 399. 7 quatre temps » du fonctionnement psychique dont parle Jean Cournut8 : affectreprésentation-refoulement-symbolisation. Cette séquence se compare à celle de Damasio9 : perception-émotion-image-sentiment. Un représentant-représentation (l’élément idéationnel du représentant pulsionnel, par opposition à l’autre élément constitutif de la pulsion qu’est l’affect) est refusé par le conscient et est stocké dans l’inconscient. L’affect déconnecté de sa représentation va générer l’angoisse, et c’est lui qui va servir d’amorce à l’envie de savoir. Sauf qu’à la période de latence, du fait de la désexualisation des relations d’objet suite au renoncement au désir incestueux, cette capacité nouvelle de refoulement, solution provisoire nécessaire au maintien de la relation d’objet, va s’intensifier et favoriser l’identification. Il ne s’agit plus d’être tout contre la maîtresse mais de faire comme elle (comme elle dit, en fait, exécuter la consigne). Passer du toucher/collé au copier/collé, au contrôle de la motricité, à l’attention auditivo-verbale et visuelle, la mémoire de travail, la mémoire à long terme. L’enjeu fondamental de l’œdipe, aimer sans toucher, c’est-à-dire cet interdit incestueux qui oblige l’enfant à désinvestir le corps à corps avec l’objet, le « corps pour deux », le contact sexuel en terme d’adhésivité, sera exploité dans la période de latence. Renoncer à l’amour passionnel soulage, économiquement parlant, et réorganise les investissements. Cette période voit se décupler les réseaux de la cognition. Cette transformation des investissements d’objet propre à la période de latence, à partir de l’identification aux parents, puis à leurs substituts, permet le développement de la sublimation. Le soma solide devient gazeux sans passer par le fluide sexuel. L’enfant découvre la liaison bluetooth, le réseau sans fil avec la base. Ce qui est latent, dans la période de latence, c’est le désir incestueux, intact à sa source mais qui attend son heure. L’enfant entre dans les apprentissages scolaires, las de la bataille incestueuse, mais ne se résigne pas vraiment ; il reprend des forces. Rémy Puyuélo10 préfère parler de « mouvement de latence », mettant l’accent sur cet élément dynamique. Cette invisibilité de l’élément comportemental de la pulsion, la décharge par l’acte indique que l’élément sublimatoire dirige le mouvement pulsionnel de la latence vers la symbolisation, la cognition. À l’adolescence, moment où la réalisation de ce désir sexuel incestueux peut s’agir de nouveau, la capacité de refoulement, découverte au décours de l’œdipe, confirmée dans la période de latence grâce à l’investissement des apprentissages scolaires, est la garantie de l’intégration groupale. À l’adolescence, la liaison bluetooth, réservée à la base, devient wifi, ouverte au réseau universel. Sous réserve que l'enfant ait préalablement résolu l'énigme de la 8 COURNUT, J. 1992, L’ordinaire de la passion, RFP 1992, 1, p. 283. 9 DAMASIO, A., Spinoza avait raison, joie et tristesse, le cerveau des émotions, Odile Jacob, 2002, p. 190. 10 PUYUELO, R., L’enfant du jour, l’enfant de la nuit, 2002, PUF. 8 question des origines. À l’adolescence, le lobe préfrontal est au maximum de son développement et va pouvoir gérer l’immensité virtuelle des représentations et des affects. Que le refoulement intervienne comme censure active, instance de triage dont le discriminant est sexuel et qui, de la mémoire à court terme, autorise ou pas l’inscription dans la mémoire à long terme en lien avec le travail du rêve, ceci est évidemment refusé par les cognitivistes. Le concept de refoulement reste au cœur de la querelle aves les neurocognitivistes tels que Olivier Houdé11, Lionel Naccache12, Stanislas Dehaene13. Pour Lionel Naccache le filtre est la capacité d’attention soutenue qui travaille sur le seul facteur quantitatif. Il est en soi passif et n’a aucune compétence pour intervenir sur la qualité du contenu à mémoriser. Seule la conscience ordonne, pour cet auteur, la mémorisation des concepts et le « nouvel inconscient » est limité aux routines cérébrales, à l’automation. 3. Le désir de savoir Je ne reprendrai pas ici non plus en détail ce qu’expose si bien le bulletin N°21 du GT SPP intitulé « Le désir de savoir », thème de la Journée Annuelle 2009 sous la direction de Marc Babonneau et Bernard Bensidoun. La théorie de la connaissance freudienne repose sur la curiosité sexuelle d’une part comme facteur de croissance de la connaissance, le trauma d’autre part comme facteur inhibiteur. Pour Freud, connaître c’est d’abord percevoir les stimuli sensoriels provenant du monde extérieurs. Ensuite, très tôt dans de développement de l’enfant, c’est aussi percevoir les stimuli internes (affects, représentations de choses) et, avec l’aide de l’environnement qui initie au langage, les catégorier et les mémoriser en les accollant aux représentations de mots. « À l’origine, la fonction de l’attention n’est pas tournée vers le monde intérieur mais vers les stimuli affluant du monde extérieur et n’est informée, en ce qui concerne les processus endopsychiques, que des développements de plaisir et de déplaisir. C’est seulement à mesure qu’un langage de pensée abstrait s’est formé par la connexion des restes sensoriels des représentations de mots avec des processus 11 HOUDÉ, O., MAZOYER, B., TZOURIO-MAZOYER, N., Cerveau et psychologie, PUF, 2002. 12 NACCACHE, L. Le nouvel inconscient, Odile Jacob, 2006 13 DEHAENE, S., Les neurones de la lecture, Odile Jacob, 2008. 9 internes que peu à peu ces derniers devinrent susceptibles d’être perçus14 » Les « restes sensoriels des représentations de mots », de nos jours, correspondraient aux phonèmes. Devoir les connecter, sous la pression pédagogique, à des images de mots (des graphèmes) est appelé « conscience phonologique » par les orthophonistes. Cette opération est à la base des apprentissages scolaires, de l’accès aux symboles culturels. Nous reviendrons sur ce qu’en dit maintenant la théorie « connexioniste » des neurosciences, mettant l’accent sur la fluidité des données, théorie qui tend à remplacer la théorie « computationiste », plus statique. Pour Freud, l’enfant pose, vers l'âge de trois ans, de nombreuses questions pour remplacer une seule qu’il n’ose pas poser : « D’où viennent les enfants ? ». L’enfant perçoit l’embarras des parents et sent un interdit peser sur la réponse. Il entre alors dans ce que Freud appelle la « période d’investigation sexuelle infantile » et va forger ses propres théories. Le désir de savoir passe obligatoirement par la question des origines. Ce n’est pas tant le caractère informatif des réponses parentales qui est important, que l’accordage de l’affect, le fait que les parents ne se dérobent pas aux questions de l’enfant. Ceci est fondamental pour les parents adoptants : c'est leur fantasme qu'ils transmettent dans la modalité de leur réponse à la question des origines. Ce qui est signifié par l’évitement parental de la question sexuelle posée par l’enfant, c’est un interdit de penser (Denkverbot). Ce qui est signifié par les réponses parentales adaptées, c’est la possibilité de sublimation de la pulsion d’emprise en désir de savoir. Vers six ans, le mouvement de désexualisation de la latence va, nous l’avons dit, organiser durablement l’exploitation du mécanisme du refoulement comme organisateur de la machine cérébrale à savoir, développeur de la computation des nombreux logiciels désormais fonctionnels. Examinons le schéma que Freud nous a livré en 193215. Freud envisage trois possibilités évolutives selon l’intensité initiale de la pulsion d’investigation : inhibition, compulsion, sublimation. Dans le premier cas, toute la pulsion d’investigation se laisse entraîner dans l’inconscient par le mécanisme de refoulement de la sexualité, du fait d’un Denkverbot. C’est l’inhibition névrotique au désir de savoir. Dans le deuxième cas, toute la pulsion d’investigation résiste au refoulement ; il y a sexualisation de l’acte de penser. C’est la rumination mentale de la névrose obsessionnelle, du « nourrisson savant » de Ferenczi16, qui ressemble à tant d’enfants dits surdoués, futurs adolescents 14 FREUD, S., (1912), Totem et tabou, Gallimard, Paris, 1993, p. 170. 15 FREUD, S., 1932, Nouvelles conférences, Paris, Gallimard, 1936. 16 FERENCZI, S., Confusion de langues entre les adultes et les enfants, in Psychanalyse IV, Œuvres complètes, Payot, p.125-135 10 « normopathes » de Joyce Mc Dougall17. Dans le troisième cas, une pulsion partielle échappe au refoulement et vient renforcer la pulsion d’investigation (intérêt pour tel secteur d’investigation). C’est la sublimation, qui garde un caractère compulsif et tend à remplacer l’activité sexuelle. C’est le cas de Léonard décrit par Freud en 191018. C’est le désistement de l’objet, la satisfaction hallucinatoire, puis le fantasme qui sauvegarde un reste de sexualisation à l’origine du passage obligé par le réel, à l’école la consigne de l’institutrice. Ce détour par le réel, en ce qu’il est imposé par l’autre, est l’opération qui commande, pour Freud, l’opération de jugement, de la pensée et du langage, comme de l’inhibition motrice. La capacité d’attention, qui consiste à prélever périodiquement des données du monde extérieur pour que celles-ci soient connues, introjectée, mémorisées, est du ressort de la pulsion d’investigation. Pour Freud, cette opération nécessite un domptage des affects qui est à l’origine de l’inhibition de la décharge motrice et permet la conversion (Verwandlung) de la passion en désir de savoir. Il s’agit là de deux tendances en conflit permanent : bouger ou écouter. L’intuition freudienne du dispositif du divan tient de ce schéma. 4. La mère-environnement Winnicott, avec l’espace transitionnel et Bion avec le facteur K ont mis l’accent sur la participation maternelle à l’amorçage de l’investissement des réseaux de la cognition par l’enfant. Mettre l’accent sur la « mère-environnement » suppose d’examiner une période beaucoup plus précoce que la période des trois ans illustrée par Freud. Quoique l’épisode dit du « jeu de la bobine »19, une observation par Freud de son petit-fils de dixhuit mois, met déjà l’accent sur la précocité de l’émergence de l’épistémophilie chez l’enfant. Pour Winnicott, la période transitionnelle irait du quatrième au douzième mois. Elle vient après la fin de la période de l’illusion où l’enfant ressent la dangerosité de la dépendance. Même si l’utilisation d’un objet transitionnel n’est pas constante chez les enfants, quasi inexistante chez les enfants de culture non occidentale, le système interactif créé par cet espace entre mère et jeune enfant conditionnerait la tonalité de l’accès au réel. On sait combien l’industrie liée au monde de la petite enfance a su exploiter la confusion entre objet transitionnel et objet-fétiche (la sucette, le doudou, Teddy bear). L'objet transitionnel est, pour le jeune enfant, un moyen d'accéder au réel, à l'objectivité. 17 Joyce Mc Dougall, Théâtres du Je, 2004, Folio Essais. 18 FREUD, S., 1910, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, 1927. 19 FREUD, S., Au-delà du principe de plaisir (1920), Paris, Payot 11 Il lui permet de renoncer à l’illusion de toute puissance (le bon sein, au bon moment, au bon endroit : l’enfant a l’illusion d’en être le créateur, comme s’il l’avait conçu avant de le percevoir) et de se consoler en s’organisant un recours à disposition contre l’angoisse dépressive de séparation. Ni moi ni mère, il fonctionne comme un entre-deux, une aire de repos entre l’objectif et le subjectif. Melanie Klein avait évoqué les positions psychiques comme devant être dépassées, les objets infantiles devant être abandonnés. Winnicott précise le statut de cet objet comme transitionnel, en attente de progrès. Ceci conditionnerait plus tard les dispositions transférentielles. On retrouve cette même capacité de deuil primaire qui permet de désinvestir une position antérieure (la décharge motrice, l’objet transitionnel) et conditionne les potentialités cognitives, l’accès au symboles, aux apprentissages scolaires, à la culture. On peut voir dans cet apport original de Winnicott un complément à la théorie freudienne de la sublimation : l’investissement cognitif comme sauvegarde contre l’angoisse de perte d’objet. Avec Bion, nous allons plus loin dans l’observation du comportement du bébé : ce que propose Bion, Jacques Touzé20 le qualifie de « théorie psychanalytique de l’apprentissage ». Bion explore l’engendrement de la pensée par l’expérience, à l’instar du Freud de Totem et tabou (« Au commencement était l’acte »), à l’instar de ce que nous disent les neurologues sur l’histoire du cerveau21 : homo habilis (600 cm3) avant homo sapiens (1500 cm3), le savoir-faire avant le savoir. Les apports de Bion se fondent sur la capacité du nourrisson d’abstraire des éléments de son expérience et de les organiser en images mentales (représentations de choses), images de lui-même et de son environnement. Ces captures d’images seront ensuite traitées en interne, puis soit introjectées, soit projetées en fonction de l’accompagnement maternel. Les images brutes seront introjectées grâce à l’aide maternelle et feront dès lors partie de l’expérience acquise, inscrite dans les réseaux cognitifs personnels du sujet, au sein de ses traces mnésiques (transfert des aires visuelles primaires occipitales aux aires visuelles associatives pariétales droites). Chaque instant de la vie du nourrisson dans l’interaction avec l’objet primaire voit de nouvelles images mentales s’inscrire dans ses réseaux mnémoniques. L’image du corps propre et l’image de la mère seront les premiers organisateurs de la mémoire. Les fantasmes originaires, surtout le principal, celui de scène primitive, vont servir d’attracteurs organisationnels et les élements d’expérience les évoquant vont provoquer une « cristallisation immédiate » dont un des restes chez l’adulte, selon Christian David, est « le coup de foudre »22. Mais, sans doute 20 TOUZÉ, J, Le cerveau et l’inconscient (1994), Césura, p. 210. 21 LAZORTHES, G., L’histoire du cerveau (1999), Ellipses, p. 52. 22 DAVID, C., L’état amoureux, 1979, Payot. 12 contrairement à ce que pensent les cognitivistes, cette fixation de la trace mnésique dépend évidemment des conditions affectives liées à l’expérience. Bion, on le sait, nomme « fonction alpha » l’expérience de plaisir née de l’éprouvé commun avec la mère qui nomme l’élément perçu dans la réalité. A ce stade pré-langagier, seule la tonalité de la prosodie maternelle sert d’agent facilitateur à l’investissement du « nouveau à savoir ». Pour Freud, l’expérience de l’ambivalence (l’amour, la haine), est antérieure à l’envie de connaître, qu’il nomme cependant « Erkenntnstrieb » : « L’envie de connaître semble inséparable de la curiosité sexuelle »23 Une position qu’il a confirmé en 1915 dans un ajout à son essai de 1905 : « La pulsion de savoir ne peut être comptée au nombre des composantes pulsionnelles élémentaires ni subordonnée exclusivement à la sexualité. Son action correspond d’une part à un aspect sublimée de l’emprise, et, d’autre part, elle travaille avec l’énergie scopique »24 Pour Bion au contraire, amour, haine et pulsion de connaître co-existent d’emblée. Il nommera « facteur K » (knowledge) cette composante pulsionnelle qui naît primitivement avec l’objet, et « -K » l’incapacité de penser (Denkverbot), d’apprendre, une des composante de l’enfermement psychotique. 5. Les « empêchés de latence »25 Entrer en période de latence suppose un préalable : renoncer aux parents comme objets sexuels. La période de latence intervient, nous l’avons vu, comme organisateur de l’aprèscoup traumatique que représente l’épreuve œdipienne heureusement surpassée. Ce mouvement évolutif nécessaire ne doit pas être vécu comme une perte subie par l'enfant, mais un renoncement élaboré, porté par les parents eux-mêmes. Alors, la capacité de deuil, celle qui permet de quitter ses objets infantiles, inaugurée pendant la période transitionnelle, rééditée avec le renoncement œdipien, profite de l’accalmie de l'extériorisation pulsionnelle de la latence pour se développer durablement. Mais il arrive souvent que cette belle mécanique déraille et que l’enfant se trouve à inaugurer sa période de latence ayant contourné l’obstacle œdipien. La problématique œdipienne que les « empêchés de latence » n’ont pu élaborer à domicile, ils la retrouvent à l’école et cette confrontation agit comme un après-coup à un moment qui 23 FREUD, S., (1909), Analyse d’une phobie d’un petit garçon de conq ans : le petit Hans, in Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1954, p. 96 24 FREUD, S., (1905), Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Gallimard, 1991, p. 123. 25 PUYUÉLO, R., Les empêchés de latence, Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, juillet 2009. 13 aurait dû être plus serein. Cette réédition traumatique ravive la blessure narcissique. Le refoulement, à nouveau, ne peut opérer et les substituts parentaux, comme les parents eux-mêmes, sont perçus comme objets sexuels, c’est-à-dire prisonniers de l’ambivalence amour/haine qui maintient la gestion de l’affect dans un rapport archaïque incorporation/répulsion. Il s’agit de pseudo-latence où l’idéalisation des figures parentales gêne la mise en place de l’identification. L’imitation adhésive sert de fausse identification et la rationalisation aboutit à un investissement mimétique, non-subjectivé du savoir. L’enfant continue de prendre le mot pour la chose. L’économie reste prégénitale sous une présentation sociale parfois adaptée, le surmoi non-fonctionnel. L’excitation maniaque domine dès que l’obligation de renoncement émerge de l’environnement. Rémy Puyuélo parle de « latence actuelle » pour signifier que ces pseudo-latences actualisent des carences affectives précoces. C’est que le jeu de la bobine, pour amorcer efficacement l’envie de savoir ce qu’il y a derrière l'absence, savoir le symbole, suppose qu’un parent aime réellement ce jeu. Ceci pose la question de la reprise thérapeutique de cette détresse du nourrisson à la période de latence. Ou à l'adolescence dans le cas de François. « Les empêchés de latence, abusés narcissiques, nécessitent un accueil individuel, groupal, institutionnel qui tient compte de l’ampleur de la vulnérabilité de leur identité narcissique ». Tirer bénéfice de la période de latence pour investir la connaissance suppose donc un environnement parental « suffisamment bon » dès l’origine. Parental signifie ici qu’il doit être équilibré entre mère et non-mère. L’attractabilité libidinale organisatrice de l’affect partagé avec l’objet doit être contrariée dès après l’origine par une distanciation antisymbiotique. C’est le rôle du « refoulement originaire » de Claude Le Guen26, lié à l’œdipe originaire, à la fonction séparatrice du « non-mère » qui anticipe sur la castration. 6. L’évaluation de la connaissance Connaître, donc, c’est « naître avec ». Pour Freud, dans une lignée philosophique qui va se Socrate (pour connaître, se connaître, c’est-à-dire naître à son monde interne), Spinoza (ad-petere, naître avec l’objet, connaître pour se rapprocher de l’objet), à Kant (naître avec l’expérience, lier la connaissance à l’expérience du désir). Pour le psychanalyste travaillant en CMPP, évaluer les capacités cognitives d’un enfant suppose évidemment, une fois l’équipement sensoriel et le fonctionnement somatique préalablement explorés, de porter l’investigation sur son monde interne, la gestion des affects, les fantasmes, les rêves, le niveau de la relation d’objet, laquelle s’inscrit dans 26 LE GUEN, C., (1974), L’œdipe originaire, Coll. Sciences de l’homme, Paris, Payot, 1974. 14 l’histoire, la sienne et celle de sa famille. Les compétences cognitives, c’est-à-dire, pour le psychanalyste, le pallier de symbolisation atteint par l’enfant en fonction de son âge, est une conséquence des aléas du développement libidinal et de la relation d’objet. L’entretien clinique, en soi, suffit, avec ou sans les tests projectifs qui permettent une focalisation rapide sur la problématique introjection/projection, c’est-à-dire le traitement des informations. Pour le neuropsychologue, il s’agira d’explorer un à un les quatre modules de la cognition (agir, parler, se souvenir, comprendre) qui sont les quatres applications essentielles du cerveau, animal comme humain nous dit Morin, considéré pour ce qu’il est anatomiquement parlant : un organe dédié au traitement des informations d’origine externes et internes, qui fonctionne comme un cloud, un nuage de super-calculateurs et serveurs en réseaux. Les émotions seraient considérées au mieux comme des facteurs de modulation de la vitesse de traitement en fonction du stress, au pire comme des artefacts à éliminer de la procédure. Examinons d’un peu plus près d’où vient la neuropsychologie. 7. Le cas Basile27 Basile, 10 ans, CM2, consulte avec ses parents pour difficultés des apprentissages, après une proposition de maintien en CM2. Ses parents mettent l'accent sur la difficulté à l'écrit et en mémoire. Ils racontent également un épisode récent : Basile s'est coupé les cheveux à la suite de remarques de camarades qui le comparaient à une fille. Une rééducation orthophonique est en cours depuis le CE1. Du discours de Basile émerge une notion de souffrance psychique : dévalorisation, rejet du groupe, sentiment d'impuissance face à ses difficultés. Il dit de lui-même qu'il est "un garçon manqué". Wisc III. Hétérogénéité des résultats avec écart-type de 24 points au profit du verbal (Cf. 2 écarts-types pour parler de pathologie, soit 30 points d'écart28). QI verbal normal fort. Deux épreuves échouées : Mémoires des chiffres (explore la mémoire auditivo-verbale, si importante pour les premiers apprentissages en lecture) et Code (met en évidence l’accès aux symboles, le transcodage de signes arbitraires). Basile excelle à l'épreuve de similitudes (compétences conceptuelles et raisonnementales), ce qui écarte un trouble de la représentation mentale. 27 DJENATI, G., Moa, Basile, garçon manqué, 10 ans et demi, in Le Carnet Psy, N° 137, juillet/août 2009. 28 MAZEAU, M., Le bilan neuropsychologique chez l’enfant, Ed. Masson, mars 2008. 15 L'adaptation à la réalité (Compréhension, Arrangement d'images) est de bonne qualité, de même que la pensée logique. Les connaissances générales et le vocabulaire sont riches, ce que confirment les résultats scolaires à l'oral. À l'examen du résultat du Wisc, l'origine des difficultés scolaires de Basile restent obscures. L'épreuve de Code est la seule qui rappelle le scolaire : se soumettre à un modèle imposé, arbitraire. La dimension symbolique de cette épreuve est à prendre en compte, comme celle de toutes les autres épreuves d'ailleurs. Ce sub-test Code implique l'origine de l'écriture (déroulement spatio-temporel imposé, gauche-droite, ordre, ...) et met en jeu les limites (de la feuille). Cet impératif de se soumettre au modèle rappelle l'implacable de la loi. Il est mal toléré par les enfants rêveurs. Il implique aussi la question de la temporalité (chronomètre) et du rythme, dimension qui restent en référence originelle avec les premières expériences sensorimotrices. Le sub-test Mémoire des chiffres met en scène les mêmes enjeux, de sorte que si ce sont ces deux épreuves qui sont échouées, on peut penser qu'elles soint à relier avec les expériences précoces du développement liées à l'insécurité, à la temporalité, à l'absence. Dans ces deux épreuves, il s'agit de savoir perdre un instant de vue un signe antérieur (la ligne, le chiffre, l'image) pour accéder aux allers et retours comparatifs du traitement interne. Savoir abandonner un repère perceptif suppose de pouvoir négocier avec un mode de fonctionnement omnipotent. Le fait, par ailleurs, que ce soient les signifiants lettres et chiffres qui sont refusés, signifiants qui mettent en jeu les notions d'identique et de différent, sont probablement à relier avec une problématique identitaire. Un autre test, la figure de Rey, va confirmer ce point de vue en révélant une fragilité particulière de l'image du corps (évitement de la médiane verticale centrale). Là encore, le va et vient entre le monde interne et la trace est engagé. Basile renonce à retrouver ces éléments disparus de sa mémoire. Salomon Resnik29 voit dans l'absence de cette ligne médiane une défaillance de l'activité de pont et de séparation typique de la fonction paternelle. À ce stade du bilan, on peut dire que les difficultés de Basile se situent dans les domaines du rythme et de la mémoire. L'épreuve de la Dame de Fay, avec une "faute d'orthographe" évocatrice ("la dame se proment"), montre par ailleurs un repli sur le monde interne, un refus de la réalité externe préoccupant. On apprendra plus tard le mensonge familial portant sur la filiation du père. Basile est censé ne pas savoir que l'homme qui l'a reconnu n'est pas son père. 29 RESNIK, S., Temps des glaciations-Voyage dans le monde de la folie, Eres, 1999. 16 On apprendra aussi les difficultés d'endormissement de Basile, qui interroge le fantasme, l'irreprésentable, la peur de penser (le travail d'inscription en mémoire à long terme que réalise le rêve). À propos d'inscription mnémonique, on se souvient de l'article de Freud30 (1925) sur la mémoire où il évoque le bloc magique comme métaphore de l'appareil mnésique. Freud insiste sur la fragilité de la surface externe, soumise au tracé en même temps qu'aux percepts, lorsqu'elle n'est pas soumise au contact de la couche de cire sous-jacente. Le travail de mémoire est ce passage du système préconscient-conscient vers l'inconscient, l'inscription définitive sur la couche du dessous. La qualité de l'investissement de la perception est ici essentielle. Si le système préconscient sert de filtre de façon permanente (stabilité de l'investissement du percept), le relai est pris par le travail de rêve et la discontinuité jour/nuit ne fait pas rupture mais, conclut Freud, va être àl'origine de la perception du temps. Chez Basile, les difficultés d'endormissement, de sommeil, de vigilance interrogent sa vie fantasmatique. A ce stade, Geneviève Djenati fait l'hypothèse que le trouble orthographique de Basile, enfant qui ne photographie pas les mots, est lié à une difficulté mnésique, plus précisément à un manque d'un objet référent de sa mémoire qui met en échec sa capacité de refoulement, au deuil difficile d'un objet non-advenu qui entrave sa capacité de symbolisation. Le trouble orthographique serait le résultat de cette problématique d'une symétrie parentale introuvable. S'il y a dysfonctionnement des circuits neuronaux de la lecture et de l'écriture, c'est que la fonction est advenue de façon incomplète par défaut de sollicitation d'une image-source (imago), de sa stimulation métaphorique (le Nom du Père ?). Arrêtons-nous, pour conclure l'évocation du cas Basile, sur le commentaire des épreuves projectives qu'en fait Estelle Louët dans cette même revue. Estelle Louët fait un rappel qui est tout à fait dans notre propos : "Il ne s'agit pas ici d'offrir une interprétation exclusivement psychodynamique des troubles instrumentaux - ce qui reviendrait à nier la disparité et la spécificité des compétences cognitives de tout à chacun - mais bien de proposer une approche holistique des difficultés d'un sujet, nécessitant un aller-retour permanent entre ses compétences cognitives instrumentales et les modalités de son fonctionnement psychique et donc de ses avatars". 30 FREUD, S., (1925), Note sur le Bloc-notes magique, trad. J. Laplanche et J. B. Pontalis, in Résultats, idées, problèmes, II, Paris, PUF, 1985, 3. 17 Estelle Louët note la rétention comme l'élément dominant dans les production de Basile, l'évitement du conflit interne : "Ça me fait rien penser". Elle y voit justement une tentative de contention des émergences fantasmatiques. Au Rorschach, l'accrochage défensif au percept domine dès la première planche, tandis qu'au TAT les émergences projectives font parfois irruption. Ainsi, à la planche 8BM (au premier plan, un jeune homme tenant un fusil, tourne le dos à une scène d'opération au second plan où deux hommes se penchent au-dessus d'un troisième. L'un des deux tient un scalpel), où le conflit d'ambivalence et le refoulement sont directement sollicités, Basile laisse libre court à sa pulsion homicide et au sadisme : "Quelqu'un veut assassiner un homme". Les autres planches mettront aussi en exergue un univers fantasmatique prégénital avec fixations anales prégnantes. On voit que ce test, particulièrement, qui sollicite la capacité de symbolisation de l'enfant, est illustratif ici du trouble de la pensée de Basile, l'altération de la structuration du récit, la stabilité des repères spatiaux, la fragilité de ses positions identificatoires primaires, une stase narcissique et une souffrance identitaire sou-jacentes à une présentation œdipienne dont le déclin (renoncement à l'inceste) n'est pas assuré. Catherine Chabert31 a particulièrement développé l'intérêt de cette lecture analytique des épreuves projectives, mettant en jeu la part relationnelle, qualitative, de subjectivation raisonnée dans l'interprétation des résultats, tout en gardant l'attention portée à la part purement psychométrique, quantitative. On voit ainsi la coincidence forte entre développement de la personnalité et maturité cérébrale, entre apprentissages scolaires avec l'exigence de "recyclage neuronal"32 qu'elle impose à l'enfant et traversée de l'œdipe avec l'exigence de renoncement et de symbolisation qu'elle suppose. Basile est une illustration pertinente des avatars de ce parcours à double contrainte, somatopsychique. 8. Refoulement et cerveau Nous voici à nouveau face à cette notion freudienne d’équilibre de forces contraires, ce « principe de constance »33. Chez le petit écolier deux instances psychiques sont en concurrence : le moi de l’enfant qui veut bouger et son surmoi qui lui dit d’écouter. Cette conflictualité psychique suppose une conflictualité neuronale, mise en concurrence de 31 CHABERT, C. (1998), Psychanalyse et méthodes projectives, Paris, Dunod, 1998. 32 DEHAENE, S., (2008), Les neurones de la lecture, Odile Jacob, 2008 p. 399. 33 FREUD, S., (1920), « La continuité du moi est assurée par le principe de constance » (Gleichgewicht), Au delà du principe de plaisir. Paris, Payot, 1951, pp. 5-75. 18 modules cérébraux. Pour Gérard Pommier34, c’est bien le conflit psychique qui façonne le développement du cerveau et non l’inverse. Pour lui, le chiasme entre les hémisphères droit et gauche incarne le refoulement. L’hémisphère droit gère la somatognosie, le schéma corporel, l’intelligence intuitive, digitalisée, les images, l’aperçu global des expériences perceptives. L’hémisphère gauche est plus précis dans l’organisation du percept, gère la parole, le raisonnement logique, la lecture, l’écriture, le calcul. Les modules cérébraux situés à gauche seraient porteurs d’applications neuronales plus récentes en terme évolutif (l'écriture est née il y a 5000 ans, soit un temps très court en terme d'Évolution). Cette spécialisation des hémisphères cérébraux amène Gérard Pommier à penser qu’il y a vectorisation du pulsionnel au langagier par les allées et retours du corps calleux. Les mots refoulent la force pulsionnelle des aires associatives de traitement visuel, plus primitives. On se souvient de la parole radicale de J. Lacan : « Le mot tue la chose »35. Inversement, pourrait-on dire à propos des addictions aux écrans, trop d’images inhibe les performances verbales, la mémoire auditivo-verbales, la constitution du lexique personnel, la capacité d’attention auditivo-verbale. Cette entrée en scène du cerveau dans le discours analytique nous permet d’introduire ce qui va suivre maintenant dans notre exposé : le neuro-cognitivisme. C Le neurocognitivisme 1. Historique L’univers des sciences cognitives est large. Il comprend la philosophie (qui en est l’origine), la psychologie, la linguistique, la cybernétique, l’intelligence artificielle, l’anthropologie et, dernièrement, les neurosciences. Les sciences cognitives sont nées dans les années 50, en même temps que l’informatique. Il semble que ce soit d’une part les travaux d’Alan Turing de 1936 à 1954 qui jettent les bases mathématiques et conceptuelles d’un grand projet d’explication matérialiste et de simulation du fonctionnement mental. Il s’agissait de penser ensemble le cerveau, l’esprit et la machine (« Can a Machine Think ? », 1950). La « théorie de l’information » serait née des rencontres au MIT en 1956. Les années soixantes sont décisives. En 1962, F. Rosenblatt publie son « Principles of Neurodynamics ». En 1967, Ulric Neisser, publie « Cognitive Psychology ». Herbert Simon et Allen Newell prennent l'ordinateur comme modèle de l'esprit humain. E. Lenneberg 34 POMMIER G.,(2004), Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse, Flammarion, 2004. 35 LACAN, J. (1966), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 849. 19 publie un ouvrage annonçant la neurolinguistique : « Biological Foundations of Language » et les développements constructivistes de Chomsky : « Une capacité de langage génétiquement déterminée spécifie une certaine classe de grammaires humainement accessible … Tout ce que nous connaissons du monde, ce n'est point un environnement siégeant "autour" de notre organisme, mais seulement l'activité relationnelle que les neurones de notre système nerveux entretiennent entre eux ». Chomsky 36 En 1968, R. Atkinson et R. Shiffrin présentent une théorie de la mémoire. Tous ces travaux annoncent un tournant décisif en psychologie, mais aussi en anthropologie, en linguistique, en intelligence artificielle. Il s’agit bien d’un « changement de paradigme », au sens du livre de Thomas Kuhn, paru à la même époque dans ce milieu intellectuel. Parallèlement, l’évolution des moyens d’exploration en neurologie a permis de nouvelles connaissances sur le fonctionnement du cerveau. L’invention de l’IRM et de l’IRM fonctionnelle, a donné corps à cette approche connexioniste du cerveau considéré non plus sous son aspect topique (localisation d’aires cérébrales, Broca) mais dynamique et fonctionnel (« large scale network »). Le mot « scale » signifie hiérarchisation des réseaux et des fonctions cérébrales, une idée connue en neurologie depuis l’anglais John Hughlings Jackson, reprise par l’américain Mac Lean, vulgarisée en France par le film « Mon oncle d’Amérique », d’Alain Resnais en 1980. Ces découvertes des neurosciences sont essentiellement la confirmation de ce cerveau à trois étages de Mac Lean, mais aussi, au niveau du néocortex, à trois autres entités spécialisées (les deux hémisphèrres, le lobe pré-frontal), la plasticité cérébrale et, surtout pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, le cerveau modulaire : ce sont des populations de neurones disséminées en différents endroits éloignés du cortex qui agissent en réseau, de façon verticale (hiérarchisation), horizontale (plusieurs sous-modules d’un même niveau), et, surtout, globale (les parties sont toujours en lien au tout). Dans cette période de l’après-guerre la psychologie était elle-même en mouvement. L’influence de la gelstat-théorie (Frits Perls, 1951), fait partie de ce courant, plaçant la perception « hic et nunc » au centre du fonctionnement mental, la mise en forme des émotions, l’ajustement en temps réel entre l’individu et son environnement. Il faut ici faire une place bien sûr aux travaux de Piaget et de l’école constructiviste. Piaget a eu le mérite d’établir des repères dans le développement de l’intelligence de l’enfant en tenant 36 CHOMSKY, N. (1980), Rules and Representations, Columbia Univ. Press, 1980, trad. franç., Flammarion, 1985. 20 compte de l’Évolution (phylogenèse), du processus biologique (ontogenèse). On en connaît les grands stades : intelligence motrice, sensitive, opératoire, formelle. Piaget anticipe Morin pour qui l’émergence de l’intelligence chez homo sapiens est une étape de l’adaptation des espèces. Marty, on l'a dit, pensait que l’œdipe était la « pointe évolutive », tant de l’individu que de l’espèce. Morin reprendra les idées de "noosphère" de T. de Chardin. 2. La neuropsychologie La neuropsychologie cherche à relier comportement et fonctionnement cérébral. Elle est née de la rencontre de ces trois courants dont les applications concernent le vivant : la théorie de l’information, celle des automates (intelligence artificielle), celle du cerveau modulaire des neurosciences. Les bilans tels qu’ils sont pratiqués par les neuropsychologues explorent un à un les quatre modules de la cognition que nous avons cités (agir, parler, se souvenir, comprendre) au moyen de tests étalonnés. Le raisonnement est donc ici d’une part statistique (calcul d’un écart-type, d’une déviation-standart par rapport à une norme statistique), d’autre part issu de la théorie de l’information : entrer une donnée (input) dans le cerveau-machine dont l’enfant est équipé, la récupérer à la sortie (output) et en déduire la capacité fonctionnelle du module exploré. C’est bien le cerveau-organemachine, celui de Cabanis37, qui est exploré, le fonctionnement mental et non le fonctionnement psychique. Cette spécialisation nouvelle qu’est la neuropsychologie vise donc à établir des profils cognitifs des enfants, à détecter leurs difficultés, leurs potentialités et à mettre en place des rééducations adaptées. Scientifiquement parlant, relevant de la médecine (physiologie du cerveau, neurologie), elle n’entre pas en concurrence avec les méthodes psychothérapiques telles qu’elles ont été définies, par exemple en France depuis l’amendement Acoyer entré en vigueur au décours de la dernière loi du 4 avril 2010 (« Hôpital, patients, santé et territoires »). Leurs objets d’étude sont radicalement différents (le psychique, le mental). Culturellement et historiquement, par contre, la neuropsychologie, écartelée comme son nom l’indique entre neurologie et psychologie, peut être utilisée comme résistance dans l’acceptation de deux principes de la psychanalyse si difficiles à vivre : la présence d’un enfant sexuel en nous, la gestion du refoulement. Nous le verrons avec la polémique sur les « troubles dys » : la faute au cerveau ou la faute aux parents ? Étiologie développementale ou environnementale ? Il 37 CABANIS, PJG, (1802), Rapport du physique et du moral de l’homme, « Le cerveau digère les pensées comme l'estomac digère les aliments, et opère ainsi la sécrétion de la pensée » … « le moral n'est que le physique considéré sous certains points de vue particuliers » 21 est probable que les psychanalystes de formation psychosomatique ont plus d’outils conceptuels à leur disposition pour aborder cette complexité nouvelle ambiante. Nous allons voir avec Edgar Morin que lorsque deux spécialités ne parviennent plus à dialoguer alors qu’elles se trouvent en nécessité de le faire, il faut que parmi leurs rangs, des spécialistes se déspécialisent. D La pensée complexe « La pensée d’Edgar Morin est le produit d’une absence de culture spécialisée »38. Sociologue et philosophe contemporain, auteur prolixe, il écrivit La Méthode, son œuvre majeure (1977-2004, six tomes) qui exprime la mission qu’il s’est donnée : faire communiquer des sciences qui ont été disjointes et ne communiquent plus. Son ambition est grande : articuler les quatre éléments du savoir de la pensée occidentale : La Nature (physis), La Vie (bios), les idées (épistémé), l’humanité (anthropos). De la synthèse des connaissances actuelles dans ces différents domaines de connaissance, Il s’agit de faire émerger un nouveau type de savoir qui échappe aux cloisonnements disciplinaires. Le résultat en sera un nouveau paradigme dit « de complexité » (principe de conjonction et de distinction). Au fil de sa carrière, Edgar Morin s’est intéressé au rapport de l’homme à la mort, au cinéma (l’illusion dont nous avons parlé à la Journée d’Albi en novembre), aux crises de société (1968), à la physique, la biologie, la cybernétique, l’éthologie, l’écologie, l’anthropologie, la primatologie, la morale … Il fallait un véritable savoir encyclopédique pour prétendre à la synthèse. L’idée de complexité s’imposait d’elle-même. Dans « La rumeur d’Orléans »39 (1969), il écrivait par exemple : « Dans toutes ces affaires, c’est le grouillement des fantasmes, d’angoisses, de fascinations et de désirs … » Partant des sciences de la nature (physique), la succession des six tomes de La Méthode se rapproche du phénomène humain, puis du phénomène social (morale). Le tome 1 de La Méthode parle de la théorie des systèmes (« unité globale organisée d’interactions entre éléments, actions, ou individus », M. 1, p. 102), de l’intelligence 38 FORTIN, R. (2008), Penser avec Edgar Morin, PUL, 2008, p. 1. 39 MORIN, E. (1969), La rumeur d’Orléans, Paris, Seuil, 1969, p. 10. 22 artificielle et des machines (« être physique praxique, c’est-à-dire effectuant ses transformations, productions ou performances en vertu d’une compétence organisationnelle », M.1, p. 157), de la théorie de l’information (« L’information est un concept physique nouveau qui surgit dans un champ technologique. À la suite des travaux de Hartley40 (1928). Shanon détermine l’information comme grandeur observable et mesurable (1948), et celle-ci devient la poutre maîtresse de la théorie de la communication qu’il élabore avec Weaver (Shanon et Weaver, 1949) », M. 1, p. 301). Le tome 2 est le plus important en volume, mais aussi pour nous aujourd’hui. Il propose une série de concepts intéressants à visiter. Vient d’abord le concept « d’éco-système » (« Ce terme veut dire que l’ensemble des interactions au sein d’une unité géo-physique déterminable contenant diverses populations vivantes constitue une Unité complexe de caractère organisateur ou système », M.2, p. 20). Vient ensuite la « pluri-boucle » (« turnover de naissances, vies, morts s’entre-détruisant et s’entre-engendrant les unes les autres. Et, ce tourbillon, c’est l’être même de l’éco-organisation » M.2, p. 30), puis le « macro-concept d’autos » (« Toutes ces notions (auto-organisation, auto-réorganisation, auto-production, auto-reproduction, auto-référence, …) s’appellent et s’impliquent l’une l’autre, et demandent à être associées en constellation macro-conceptuelles. Cette constellation est en effet constitutive du macro-concept d’autos », M.2, p. 154), celui d’individualité (« L’individualité de l’individu, ce n’est pas seulement discontinuité, événementialité, aléa, actualité ; ce n’est pas seulement singularité, originalité, différence par rapport aux autres, y compris congénères et semblables ; ce n’est pas seulement l’individualité de l’organisme et du comportement. L’individualité de l’individu est aussi l’être et l’existence de soi-même », M.2, p. 154), celui de « qualité de sujet » (« La nature égo-auto-centrique et égo-auto-référente de l’être se manifeste en permanence de façon à la fois organisatrice, cognitive, active. C’est cette qualité de nature que nous pouvons nommer qualité de sujet. Autrement dit, la qualité de sujet est propre à tout être computant-agissant de façon égo-auto-centrique et auto-égo-référente » (M.2, p. 162) et enfin et surtout, celui de « grand paradigme du vivant » (« Dire paradigme, c’est dire que toute vie, le tout de la vie, depuis la reproduction jusqu’à l’existence des individus-sujets, toute la vie, depuis la dimension cellulaire jusqu’à la dimension anthropo-sociale, relève de l’auto-(géno-phéno-égo)-éco-re-organisation (computationnelle-informationnellecommunicationnelle) », M.2, p. 263-351). 40 Ralph Vinton Lyon Hartley (30 novembre 1888 – 1er mai 1970) est un chercheur en électronique. Il inventa l'oscillateur Hartley et le transformateur Hartley, et contribua au fondement de la théorie de l'information. 23 « Cela signifie du coup que la moindre parcelle d’existence suppose la mobilisation d’une formidable complexité organisationnelle » (M.2, p. 351). Le tome 3 explore une « bioanthropologie de la connaissance » et s’intéresse au cerveaumachine à l’échelon cellulaire : « Qu’il vive isolément ou au sein d’organismes polycellulaires, l’être cellulaire peut et doit être considéré comme un être machine computant. En effet, il comporte en lui les instances mémorielles, symboliques, informationnelles, et il effectue ses opérations d’associations/séparation en vertu de principes/règles spécifiques, assimilables à ceux d’un logiciel » (p. 40). Il passe en revue le développement phylogénétique du système nerveux, l’apprentissage, « l’intelligence animale » : « L’humanité de la connaissance a dépassé de beaucoup l’animalité de la connaissance, mais elle ne l’a pas supprimée : notre connaissance est cérébrale … La différence est dans la quantité de neurones, et dans la réorganisation du cerveau. C’est à partir de cette différence d’organisation qu’ont émergé les qualités humaines irréductibles que nous nommons pensée et conscience » (M.2, p. 66) Morin parle na « nature imageante » de la perception, de la « synthèse recomputante globale » qu’opère « l’esprit-cerveau » (M.2, p. 80), de « l’hypercomplexité cérébrale ». Le tome 3 s’achève sur une note pessimiste : « L’Esprit, émergence ultime du développement cérébral, n’en est encore qu’au début de son développement propre … L’intelligence, la pensée, la conscience qui nous font défaut adviendront-elles avant que sombre le millénaire ? » (M2, p. 202). Le tome 4 se veut une « sociologie de la connaissance » et exploite l’idée de complexité en rappellant la nécesité « d’écologiser les idées », de les inscrire dans leur milieu, leur histoire, leur culture pour permettre le dialogue entre spécialités. Morin rappelle que Popper avait divisé l’univers humain en trois mondes : celui des choses matérielles extérieures, celui des expériences vécues, celui des choses de l’esprit, produits culturels, langagiers, notions, théories, y compris les connaissances objectives. Ce dernier monde, pour Morin, est celui de la noosphère41, selon le terme que Teilhard de Chardin avait forgé dans les années 20. 41 La noosphère, concept forgé par Vladimir Vernadski, et repris par Pierre Teilhard de Chardin, serait le lieu de l'agrégation de l'ensemble des pensées, des consciences et des idées produites à chaque instant. Cette notion, qui repose généralement sur des considérations plus philosophiques que scientifiques, fut l'objet de 24 Le tome 5 réalise le grand rêve de Morin : une synthèse anthropologique complexe révélant l’homme dans sa triple identité subjective, biologique, sociale. Il y rappelle, notion essentielle en psychanalyse, que l’aptitude à se dédoubler, c’est-à-dire l’aptitude même à objectiver la relation à soi-même, est la condition obligatoire de la connaissance de l’humain. Freud a pu dire que la spécificité du travail du psychanalyste tenait de ce paraxose : prendre comme objet de connaissance l’outil même de la connaissance, le fonctionnement psychique. C’est-à-dire commercer avec la chimère transféro-contretransférentielle. Morin rappelle cette antinomie : « Paradoxe : l’objectivité ne peut venir que d’un sujet. Idée incroyable pour ceux qui ont subjectivement dénié toute existence au sujet » (M.5, p. 71) « Pour comprendre l’être humain, il faut certes le comprendre objectivement, mais il faut aussi le comprendre subjectivement » (M.5, p. 71) Le tome 6 jette les bases d’une « anthropo-éthique », estimant que le niveau des connaissances humaines est sufisant aujourd’hui pour qu’émerge une communauté de conscience et de destin universelle. Reprenons pour conclure le grand paradigme du vivant tel qu’il est formulé en fin du tome 2 : « Dire paradigme, c’est dire que toute vie, le tout de la vie, depuis la reproduction jusqu’à l’existence des individus-sujets, toute la vie, depuis la dimension cellulaire jusqu’à la dimension anthropo-sociale, relève de l’auto-(géno-phéno-égo)-éco-re-organisation (computationnelleinformationnelle-communicationnelle) », M.2, p. 263). Condensons le message : « auto-(géno-phéno-égo)-éco-re-organisation (computationnelle-informationnelle-communicationnelle ». Ce mot complexe, car c’est un seul mot, est volontairement forgé par Edgar Morin et signifie, entre autres destinataires, pour nous qui recevons des enfants en difficulté, que pour tirer des conclusions scientifiquement valables de l’évaluation du fonctionnement psychique d’un enfant, il convient de prendre en considération le fait que cette unité psychosomatique qui se débats assez vifs et reste associée à une forme de spiritualisme aujourd'hui assez marginale. On peut la rapprocher des notions de géosphère, de biosphère ou encore d'infosphère. 25 présente à nous relève d’une organisation qui est une réorganisation phénotypique individuelle en fonction de son génome, de son environnement familial, que cette réorganisation permanente vise à s’adapter de façon itérative à un environnement changeant dont il tire une masse considérable d’informations à traiter en interne et à renvoyer en externe de façon à rester en communication avec le réseau universel dont il dépend pour sa survie. Effectivement, c’est une pensée complexe qui nécessite que, face à l’enfant, on l’oublie et s’en réfère à la formule que Bion aurait empruntée à Beckett : l’aborder « sans mémoire et sans désir ». E Conclusion 1. les "troubles dys" Edgar Morin ne cesse, dans son œuvre, de vilipender les réductionismes de tous bords. Nous avons évoqué le risque de réduction du psychique au mental. Prenons un exemple de ce risque réductioniste en matière de neuropsychologie : la façon dont sont parfois perçus les « troubles dys ». Pour L’OMS, depuis 1991, la dyslexie est classée parmi les « troubles de la fonction symbolique » et consiste en un retard dans l’acquisition du langage écrit d’origine développementale. Les définitions des troubles « dys » reprises par les différents recommandations ministérielles, celles de l’INSERM, de l’ANAES 42 confirment leur champ nosographique étroit et recommandent, plutôt que ce préfixe « dys », d’utiliser l’expression complète « trouble spécifique du langage écrit ». « Spécifique » veut dire ici que la cause en est inconnue. Jean-François Démonet, neurologue, praticien-attaché au pôle de neurosciences du CHU de Toulouse, directeur de recherche de l’INSERM, pense, conformément à une hypothèse de la communauté scientifique, que l’origine de la dyslexie tient d’une mutation génétique qui désoriente in 42 Circulaire n° dhos/01/2001/209 du 4 mai 2001, relative à l’organisation de la prise en charge hospitalière des troubles spécifiques d’apprentissage du langage oral et écrit. Circulaire 2002-024 du 31 janvier 2002 relative à la mise en œuvre d’un plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage oral ou écrit. Bulletin Officiel du Ministère de l’Éducation nationale n°6 du 07/02/2002, relatif à la mise en œuvre d’un plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage oral. INSERM, Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, bilan des données scientifiques, synthèse et recommandations, Paris, 2007. Agence Nationale d’Acréditation et d’Évaluation en Santé (ANAES, 2007) : « La dyslexie est un déficit durable et significatif du lagage écrit qui ne peut s’expliquer par une cause évidente. Les causes les plus fréquentes de troubles d’apprentissage doivent être écartées : déficience intellectuelle, trouble sensoriel, maladie neurologique, carence éducative, trouble de la personnalité ». 26 utero la migration de corps neuronaux à destinée de la région occipito-temporale ventrale gauche43. Ces troubles concernerait de 6 à 8% de la population enfantine44. Poser scientifiquement le diagnostic de trouble « dys » est une démarche d’exclusion. L’enfant dyslexique n’est pas déficient, ni porteur d’une lésion neurologique macroscopique, ni de déficit sensoriel, ni de trouble psychologique. Le retard de l’acquisition du langage écrit doit au moins être de deux ans (fin du CE1 donc). Il convient donc, en théorie, de pratiquer en préalable à ce diagnostic un Wisc, une IRM cérébrale, un EEG, des bilans sensoriels, auditif et visuel, un bilan de personnalité. La totalité de ce bilan, on s’en doute, est difficile à réaliser, de sorte qu’on aboutit souvent, par facilité ambiante ou positionnement idéologique, à un diagnostic faux mais rassurant où le mot « dyslexie » (origine développementale) est utilisé à la place de « trouble lexicographique » (origine environnementale). C’est la faute au cerveau. 2. Le cognitivisme n'est pas l'ennemi de la psychanalyse Si les choses sont ainsi théoriquement claires au niveau scientifique, pourquoi sur le terrain sont-elles si complexes ? Il y a, à mon avis, une raison structurelle, d’évolution générale, et une raison conjoncturelle, de contexte local. Du côté structurel et historique d’une part, cette évolution scientifique importante que représente la neuropsychologie dans le domaine du cognitivisme va de pair avec un retour du soma dans le domaine de la psychanalyse, en France en tous cas. Par Pierre Marty45 (psychosomatique psychanalytique) et André Green46, l’affect, et par voie de conséquence le soma, donc le biologique, ont fait un retour certain en psychanalyse. Or, comme l’a dit André Green en 200647 dans un article écrit dans le contexte polémique de l’amendement Accoyer, écrit à méditer par ceux qui souhaitent comprendre où en est la psychanalyse française en 2010, certaines écoles de psychanalyse semblent mieux préparées que d’autres à collaborer avec le cognitivisme, c’est-à-dire à pouvoir méthodologiquement considérer le cerveau humain, comme un appareil (« Apparat »48), une machine, un computer, un ensemble de réseaux, paradoxalement, désaffectés. Pourvu qu’on en revienne toujours à le situer, ce cerveau (« l’objet de plus complexe de l’univers » pour Marc Jeannerod49), comme un des supports, probablement l’essentiel, de « l’appareil psychique » qui, seul, et c’est le 43 DEHAENE, S., Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 93. 44 DEHAENE, S., Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 312. 45 MARTY, P., L’ordre psychosomatique, Payot, 1985 46 GREEN, A., Le discours vivant, PUF, 1973 47 GREEN, A., Le mythe de la psychanalyse française, Le Monde du 06/01/2006 48 FREUD, S., Interprétation des rêves, 1900 49 JEANNEROD, M., Le Cerveau intime, Odile Jacob, Paris, 2002 27 processus d’hominisation, lie affect et représentation mentale (concepts). Pour ces différentes écoles de psychanalyse, il y a là une césure qui se vit parfois douloureusement au quotidien dans les établissements médico-sociaux. Du côté conjoncturel, il y a bien sûr les contingences humaines dans ce rapport au nouveau savoir, et le réductionnisme ambiant. Localement la collaboration avec l’approche cognitiviste est rendue difficile du fait de deux problèmes spécifiques. Il y a d’abord ce réductionnisme hospitalo-universitaire (la guerre au pansexualisme freudien, c’est-à-dire à l’idée même de sexualité infantile). Le « Centre d’Evaluation des Troubles du Langage et des Difficultés d’Apprentissage chez l’Enfant » ne se donne pas les moyens d’une véritable investigation psychopathologique et aboutit de ce fait à des faux diagnostics de troubles « dys ». Les soignants locaux que nous sommes ne doivent jamais se départir de leur esprit clinique et doivent savoir soumettre à leur propre regard critique ces diagnostics, n’en déplaise aux instances administratives que ces remises en cause désorientent. L'expérience clinique montre que, parfois, la composante psychopathologique, n’a rien de « secondaire au trouble dys », mais garde son caractère « primaire », à l’origine des difficultés cognitives. Il ne s’agit pas de comorbidité ici. Il y a là une vigilance particulière à avoir pour les personnels de formation analytique. S’adapter au nouveau savoir qu’est le cognitivisme ne signifie en rien renoncer à sa conviction analytique, à la spécialisation extrême que constitue une formation psychanalytique validée. En ceci je rejoins l’appel de Gérard Pirlot qui dénonce ce réductionnisme ambiant : « Non à l’uniforme mental ! »50. En définitive, pour les personnels des établissement médico-sociaux, intégrer une dose de cognitivisme dans une pratique exclusivement analytique, qui était la tradition depuis leur création au lendemain de la Libération, signifie : qu’il n’existe plus un « bilan psychologique », mais trois aspects distincts et complémentaires : « psychodynamique », « psychométrique » et « neuropsychologique ». que le nouveau vocabulaire issu du cognitivisme soit progressivement accepté et intégré aux échanges cliniques que tous, médecins compris, se familiarisent à ces nouvelles arborescences diagnostiques que constituent les tests normés utilisés par les neuropsychologues. que les projets thérapeutiques tiennent compte du profil cognitif de l’enfant tel qu’un état des lieux fait par ces tests le définit. que les moyens d’échange avec les partenaires rompus à l'approche neuropsychologique soient renforcés (Centre Référent, MDPH, divers instances) par 50 PIRLOT, G., « Contre l’uniforme mental, Scientificité de la psychanalyse face au neurocognitivisme », Doin, 2010. 28 un traitement renforcé des écrits (appliquer les deux nomenclatures : CFTMEA, CIM). Encore une fois, le cognitivisme n’est pas l’ennemi de la psychanalyse. Il s’agit d’une nouveau paradigme scientifique à intégrer à la pratique clinique, sans reniement aucun des convictions et filiations issues de la formation initiale reçue. « Le problème des troubles des apprentissages se pose le plus souvent au psychiatre d’enfant dans un contexte psychopathologique et psychiatrique avéré, et non sous la forme d’un « trouble spécifique » … La réponse doit être nuancée selon le contexte clinique psychiatrique des « troubles des apprentissages ». Tous n’impliquent probablement pas en effet des anomalies intrinsèques des mécanismes cognitifs de la lecture, de l’écriture ou du calcul ». Pr N. Georgieff, commentaire du rapport de l’INSERM 2006. Laissons le dernier mot à Edgar Morin : « Ainsi, le problème n’est pas seulement de reconnaître l’autonomie phénoménale des êtres vivants. Le problème est surtout de penser cette autonomie dans le paradoxe de sa dépendance à l’égard de l’empire des Gènes et de l’empire du Milieu, qui, non seulement écrasent de leur causalité dominatrice l’auto-causalité, mais la permettent et la coproduisent … L’autonomie vivante, qu’on la considère du point de vue de l’individu ou de celui de l’autos dans son ensemble, a besoin de la double dépendance » (Méthode 3, p. 139) Morin plaide pour un "plein-emploi de la causalité complexe" qui renvoie à l’idée de « causalité mutuelle inter-relationnée ». Il plaide enfin pour la prise en compte du principe d’incertitude. La pensée complexe doit pouvoir reconnaître et travailler avec l’incertitude. « On ne peut séparer clairement autos et oïkos ». (p. 376). « Nous ne saurons jamais ni le fin du fin, ni la fin des fins, et il nous faudra rester sur notre faim ... Il nous faut reconnaître que la certitude généralisée est un mythe, que l’incertitude grouille de richesses » (p. 380). ___________ 29