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cas, industries culturelles, informationnelles et éducatives dans l'ensemble des industries créatives décharge les
États d'une bonne part de leurs obligations. A fortiori lorsqu'au nom de leur commune participation à la
construction des identités, les produits culturels, informationnels et éducatifs sont mis sur le même plan que les
croyances, les comportements et les autres « traits » culturels relevant de la culture au sens anthropologique du
terme, les dispositifs visant à favoriser l’exception culturelle perdent leur sens.
Par exemple, adopter l'approche de Tyler Cowen
, selon laquelle « le commerce culturel augmente le menu de
choix disponible pour chacune des sociétés engagées dans l’échange, mais diminue la différence entre menus de
choix de ces deux sociétés », conduit à formuler une définition si large de la culture qu'elle inclut les produits
alimentaires. Dès lors, noyées dans un ensemble trop vaste, les productions culturelles ne semblent plus
constituer une catégorie propre à justifier la mise en œuvre de politiques publiques spécifiques. La volonté de
certains pays, dont la France, de défendre leurs productions nationales en est peu ou prou disqualifiée.
De cette disqualification sont responsables nombre d'approches : « On peut d’autant mieux s’accommoder de la
réduction de la diversité entre les sociétés que les produits plus marchands, plus homogénéisés, seraient plus
facilement exportables », souligne l'économiste Françoise Benhamou
, marquant du même coup sa préférence
pour l'exportation au détriment de la diversité. Sur un autre registre, auquel Tristan Mattelart
s’est intéressé, les
Cultural Studies et des approches comme celle d’Arjun Appadurai
mettent l’accent, non pas sur les conditions de
production des produits culturels, mais sur les conditions de leur réception et son « autonomie » par rapport à
l’offre. Dès lors, tout se passe comme si les publics n'avaient qu'à se réapproprier les œuvres, selon des clés qui
leur sont propres, atténuant d'autant les risques de domination des produits culturels américains sur les marchés
mondiaux des programmes.
Tel est le contexte de dérégulation théorique dans lequel (et contre lequel) se situe notre projet de recherche : des
menaces sérieuses pèsent sur la légitimité d'une approche communicationnelle des industries culturelles,
attentive à leur spécificité et aux conditions particulières de leur production-consommation. Mais plutôt que de
nous contenter de prendre acte de ce dépassement intempestif et dirimant, nous souhaitons travailler à
l'élaboration d'une approche communicationnelle des industries créatives apte à prendre en compte les mutations
des cadres économiques, réglementaires et idéologiques, sans rien sacrifier, pour autant, à la reconnaissance de ce
qui fait la spécificité des industries culturelles et éducatives. À cette fin, l'accent sera mis dans notre recherche sur
ce qu'il y a de créatif dans ces industries, autrement dit, sur la singularité de leur régime de création, susceptible
de les inscrire dans la catégorie générique des industries créatives, mais sans les y fondre en un ensemble
indifférencié.
Notre objectif est de donc de proposer une théorie communicationnelle critique des industries créatives. En effet,
selon notre hypothèse c’est par l’étude de la dimension créative des produits culturels que l’on peut analyser les
mutations des industries culturelles. Telle n’est pas la réponse qui est habituellement apportée. Les discours
dominants expliquent les mutations des industries culturelles par la convergence. Sous l’effet de la numérisation,
les différents supports proposés par les industries de la communication s’articuleraient entre eux et avec les
contenus, voire seraient en voie de « fusion ». Le développement de ces supports ruinerait les modes traditionnels
de valorisation des industries culturelles et, à terme, conduiraient à la disparition de celles-ci. La convergence
pousserait, selon ces conceptions, à l‘autoproduction et à l’autodiffusion. Le Web collaboratif serait emblématique
de cette évolution annoncée. Dans le même temps, les contenus, devenus des « biens collectifs » seraient échangés
et diffusés « gratuitement », sans rémunération pour leur producteur, ce qui réduirait les industries culturelles au
rang de simples fournisseurs de contenus pour les opérateurs des supports. Les opérateurs des supports
émergents pourraient d’ailleurs mettre en concurrence les contenus « professionnels », c’est-à-dire issus des
industries culturelles, avec les contenus autoproduits par les usagers, abaissant ainsi le coût d’acquisition des
premiers. Telle n’est pas notre perspective, même si nous reconnaissons bien évidemment l’importance des
Cowen, T., 2002, Creative destruction, how globalization is changing the world’s cultures, Princeton, Princeton University Press, p.15
Benhamou F., 2006, Les dérèglements de l’exception culturelle, Paris, Éd. Le Seuil., p.256.
Mattelart, T., (2007). « Déconstruire la notion de diversité. Diversité et théories de l’internationalisation de la culture », Rapport
au Département des études, de la prospective et des statistiques, ministère de la Culture et de la Communication.
Appadurai, A., 1996, Après le colonialisme, les conséquences culturelles de la globalisation, trad. de l’anglais par Fr. Bouillot, Paris,
Payot, 2001.