Initiation_et_renouveau_catéchétique

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Initiation et renouveau catéchétique
Par Henri Derroitte1
1. Crise de la catéchèse populaire et renouveau élitiste des démarches ?
De toutes parts, les signes d’un essoufflement, voire d’une disparition pure et simple des
modèles catéchétiques traditionnels s’accumulent. L’Occident est pris dans une spirale
apparemment de plus en plus rapide et inexorable qui l’entraîne vers un déclin de toute
tentative de transmission religieuse au niveau des groupes paroissiaux. Que restera-t-il du
paysage catéchétique traditionnel, avec ses parcours vers les sacrements de l’initiation et
vers la communion solennelle, avec ses mamans catéchistes et ses retraites préparatoires à
la « profession de foi » ? Il est venu le temps de la diaspora, le temps de « la patience », le
temps de vivre un « christianisme hospitalier et amical »2. Voilà qui entraînera des
modifications dans les représentations des animateurs en catéchèse, voilà qui les invitera
plus que jamais à vivre des expériences de dépouillement et de d’abandon3.
Certes ce constat n’a rien de neuf, on trouvera aisément un million d’explications et peutêtre autant de critiques. Mais cela dit, « on fait quoi» ?
Dans une conférence prononcée il y a quelques années à Liège, le Père Jossua jugeait que
la principale difficulté pour la parole chrétienne est à situer dans ce qu’il nomme le postchristianisme : nombre de gens que rencontrent les animateurs pastoraux sont mieux
décrits par la qualification de post-chrétiens (préférable à celle de non-chrétiens). Nos
contemporains ont entendu parler de la question religieuse et de la réponse chrétienne,
mais ils ont dépassé ce moment. Quand on arrive, ils connaissent déjà (plus exactement ils
croient connaître). Ca ne les intéresse plus, c’est une question vieillotte, réglée. Ils ne sont
ni pour, ni contre, mais au-delà. On se souvient ici de la réflexion riche d’Henri Nouwen :
« Pour transmettre quelque message que ce soit à des gens, il faut qu’ils soient au moins
prêts à l’accueillir. Cette disponibilité implique le désir d’écouter une question qui requiert
une réponse, ou tout au moins le sentiment d’une incertitude qui appelle clarification ou
compréhension. Mais chaque fois qu’une réponse est donnée quand on ne se pose pas de
question, ou qu’un soutien est offert quand il n’y a pas de besoin, ou un éclairage apporté
sans qu’on désire savoir, le seul effet possible est l’irritation ou l’indifférence »4.
Fragilisée et déstabilisée, l’Église occidentale fait bien actuellement l’expérience de pistes
alternatives, vécues plus ou moins confidentiellement, adoptées dans un climat hésitant,
pour des temps provisoires, par des catéchistes qui ne veulent se résigner. Et voilà
qu’aussitôt naissent de nouvelles tensions. Moins nombreux, souvent fatigués, les
animateurs de la pastorale se retrouvent au milieu de tensions internes.
Flavio Pajer a bien décrit ces hésitations de la pastorale paroissiale contemporaine, y
compris dans leurs implications pour la catéchèse5 : tensions entre indifférence et
Henri DERROITTE enseigne la missiologie, la catéchèse et la méthodologie pastorale à l’Institut International Lumen Vitae,
dont il est l’actuel directeur. Il est également directeur des éditions Lumen Vitae et directeur des revues Chemin Faisant et Lumen
Vitae. Il a publié récemment La catéchèse décloisonnée, Lumen Vitae, 2003 (3e édition revue et augmentée) et dirigé Théologie,
mission et catéchèse, Bruxelles/Montréal, Lumen Vitae/Novalis, 2002. - Adresse : 184-186, rue Washington, 1050 Bruxelles
2
A. BORRAS, “Pour une spiritualité des réaménagements pastoraux”, dans Prêtres diocésains, n° 1290, déc. 2001, p. 624.
3
Ibidem, p. 625.
4
H. NOUWEN, Pour des ministères créatifs, trad. de l’anglais, original de 1971, Montréal, Bellarmin, 1999, pp. 39-40.
5
Fl. PAJER, “Les Églises européennes et la crise de la catéchèse paroissiale”, dans Lumen Vitae, t. 54, 2000, pp. 291-304.
1
2
radicalité (faut-il une catéchèse « modérée », conventionnelle, consensuelle ou faut-il une
catéchèse « insoumise », qui voudra prendre l’évangile au pied de la lettre ?), entre
pluralisme et unité (faut-il privilégier l’unanimité chrétienne dans les positions
théologique, ecclésiologique et éthique ou bien faut-il considérer avec intérêt que les
chrétiens osent des paroles variées dans les débats de société ?), entre Église cléricale et
ministérielle (faut-il privilégier les dimensions communautaires, baptismales de la
responsabilité catéchétique ou bien considérer que le rôle du sacerdoce institué est central
et décisif en catéchèse ?), entre territoire et communauté (faut-il repenser la catéchèse à
l’échelle des structures, même réaménagées des territoires des nouvelles paroisses ou bien
privilégier la qualité de liens communautaires, de réseaux, indépendamment de la
proximité géographique ?), entre régulier et occasionnel (faut-il garder l’idée d’une année
catéchétique paroissiale, figée dans « le moule monotone des cadences paroissiales »6 ou
au contraire mettre l’essentiel des attentes sur des événements exceptionnels comme des
fêtes, voyages, rassemblements ou pèlerinages ?), enfin tension entre dire et faire (faut-il,
pour sauver la catéchèse, dire et redire l’essentiel des choses de la foi ou faut-il faire des
actions concrètes qui découlent de la foi et qui donnent à voir et à expérimenter
personnellement ce qu’est la vie chrétienne en ses diverses composantes ?).
Face à de tels défis, le recours au vocabulaire de l’initiation revient en force. Sous
l’influence des recherches sur le catéchuménat et sur l’historie des sacrements de
l’initiation, d’une part, sur celles qui associent liturgie et catéchèse d’autre part, ces
travaux entendent fonder l’acte catéchétique sur une tradition éprouvée en même temps
qu’ils veulent faire droit à la recherche spirituelle personnelle originale de nos
contemporains. Si le nom d’Henri Bourgeois est ici le premier qu’il convient de citer,
d’autres auteurs (Villepelet, Molinario, Bonnevie, Routhier…) alimentent eux aussi leurs
propositions à partir des différentes composantes intrinsèques à l’initiation :




une initiation suppose qu’il y ait un « avant », une conversion, un
questionnement7 ;
elle diffère de la « transmission », par la pédagogie, le rythme et surtout par
son point d’ancrage : l’initiation veut offrir à « vivre une découverte
progressive dans un contexte global qui permette d’avancer »8 ;
elle est autant découverte d’une personne, le Christ, que d’une manière de
vivre, « l’initié se laisse prendre par un style de vie, qu’il découvre en
l’habitant peu à peu »9 ;
elle place directement l’acte de foi dans une dimension existentielle, « l’effort
d’initiation rappelle que l’être humain est appelé à aimer Dieu de tout son être,
et qu’on ne saurait dissocier le corps, le cœur et l’esprit »10.
Toutes ces approches enrichissent petit à petit la réflexion sur un nouveau paradigme
catéchétique. Ce cheminement peut, à ce moment, être aussi élargi aux découvertes
annexes sur le catéchuménat contemporain et sur les liens entre anthropologie et initiation.
2. Mission, catéchuménat et initiation
6
Ibidem, p. 301.
H. BOURGEOIS, “Être initié à l’Évangile”, dans Croissance de l’Église, n° 84, 1987, pp. 4-6.
8
V. BONNEVIE, “Catéchèse : de l’enseignement à l’initiation”, dans Croire aujourd’hui, n° 69, avril 1999, p. 27.
9
D. VILLEPELET, “Catéchèse et crise de la transmission”, dans H.J. GAGEY et D. VILLEPELET, Sur la proposition de la foi,
Paris, Éd. de l’Atelier, 1999, p. 87.
10
F. MOSER, “Entre la mémoire et l’oubli : l’initiation chrétienne”, dans Catéchèse, n° 141, 1995, p. 23.
7
3
Le vocabulaire de l’initiation trouve sur terrain propre dans le vaste chantier catéchuménal. Il
y a là une source, antique et contemporaine, traditionnelle et neuve, de réflexion sur ce
qu’implique, au quotidien, le souci initiatique dans un accompagnement catéchuménal.
Cette question importante peut être traitée de deux manières, au moins.
Il y a une façon de faire théorique, un peu idéale et rêvée, qui consisterait à donner un
florilège des fondements théologiques et des espoirs pastoraux engendrés par l’appel à la
conversion et l’initiation baptismale des adultes depuis une quarantaine d’années. Il y a aussi
une façon plus modeste, sans doute aussi plus risquée et moins assurée : examiner si,
réellement, les catéchumènes sont les bienvenus dans tous les projets ecclésiaux, envisager
toutes les conséquences liées à la mise en place de structures initiales et initiatiques, réfléchir
aux réaménagements pastoraux à venir en pensant à l’ouverture missionnaire et à la richesse
des itinéraires de vie spirituelle des catéchumènes. C’est cette deuxième piste que je souhaite
aborder ici de manière succincte. On le voit, inévitablement, ouvrir la piste catéchuménale,
c’est réfléchir aux modèles ecclésiologiques prônés actuellement.
Dans son livre sur la catéchèse dans l’Église, Emilio Alberich donne ainsi quelques traits de
cette construction en Église : une Église prête à servir le monde, une Église elle-même en état
d’évangélisation et de dialogue, une Église solidaire avec les pauvres et au service de la
promotion et de la libération intégrale de tous, une Église-communauté prenant des formes
nouvelles, une Église ayant dépassé le paternalisme, l’infantilisme et la domination
masculine, etc.…11
Alors que beaucoup de diocèses sont engagés en Amérique du Nord et en Europe occidentale
à des « réaménagements pastoraux » et veulent dessiner les contours de « nouvelles
paroisses », il est plus que temps de penser au modèle ecclésial qui est promu. Dans la quasitotalité des cas, les tentatives de renouveau ecclésial sont justifiées par une motivation
« missionnaire » : c’est pour rendre l’Évangile plus disponible, plus percutant, plus proche des
préoccupations du monde contemporain que les Églises occidentales veulent redéployer leur
dispositif pastoral.
Voilà 26 ans, les délégués réunis à la IIIe rencontre nationale du catéchuménat en France (les
12 et 13 novembre 1977) sur la thématique « le catéchuménat, un avenir pour l’Église ? »
avaient déjà bien introduit la réflexion. Les 7 priorités discernées à l’époque me semblent
garder toute leur pertinence (et peut-être plus en 2003 qu’en 1977 !). Voici en résumé leurs
convictions12.
1. Un certain type d’Église se meurt. Le courant catéchuménal ne restaurera pas
« les ruines d’une institution de type pyramidal ». Le catéchuménat prône une
Église d’accueil, de respect, d’écoute et d’invitation.
2. L’esprit catéchuménal invite l’Église à se laisser interpeller par les noncroyances et à envisager de nouvelles naissances d’Église dans d’autres lieux.
E. ALBERICH, La catéchèse dans l’Église, Paris, Cerf, 1986. Dans un article publié dans la revue française Catéchèse, le P.
Alberich se montre particulièrement inquiet sur l’image qu’a l’Église auprès de nos contemporains : « L’Église actuelle en Europe
constitue souvent plus un frein et un obstacle qu’un instrument positif pour l’accueil et la maturation de la foi. L’entreprise de la
catéchèse, comme initiation à la foi et à la vie ecclésiale, apparaît désespérée : il s’agit d’attirer et de faire entrer dans un édifice,
d’où l’on voit sans cesse sortir et s’éloigner par des portes largement ouvertes une multitude déçue et fatiguée » (E. ALBERICH,
“Regards sur la catéchèse européenne”, dans Catéchèse, n° 100-101, 1985, p. 173).
12
“Convictions”, dans la revue Croissance de l’Église, n° 45, 1978, pp. 16 et ss.
11
4
3. Parce qu’il est un des lieux où l’annonce de la foi est explicite, le catéchuménat
rappelle sans cesse que les non-croyants recherchent notre spécifique chrétien
(en quoi la foi en Jésus-Christ interpelle notre vie).
4. Cette exigence est liée à une autre : la présence nécessaire de communautés où
l’essentiel de la foi est vécu. Non pas des communautés puissantes et
dépendantes de l’Église du passé, mais des communautés limitées mais reliées
entre elles.
5. Le catéchuménat a montré largement depuis 40 ans que des adultes de cultures
diverses, de langages divers, d’itinéraires spirituels divers, ont accédé à la foi et
ont pu être respectés dans leurs cultures. Par là, il invite l’Église à refuser la
tentation toujours possible de « déculturer » les humains en recherche et pousse
les communautés à inventer des modes d’expression et d’adhésion dans les
diverses cultures.
6. Le catéchuménat (de même d’ailleurs que les équipes de « recommençants ») a
rencontré dans des proportions très larges des demandes de personnes
modestes et pauvres. Celles-ci ont pu trouver dans l’Évangile un message de
libération et/ou de pacification. Ainsi le catéchuménat invite toute l’Église à
s’interroger sur sa disponibilité à être du parti des pauvres, à être signe de salut
pour les blessés et les meurtris et à se laisser purifier par eux.
7. Enfin, le catéchuménat qui prépare la célébration du sacrement du baptême
d’adultes et de jeunes souhaite ouvrir le débat sur la liturgie et contre certaines
pratiques sacramentelles sclérosantes. En 1977, les délégués français
souhaitaient faire « brèche » en posant des questions comme : les sacrements
dits communautaires vécus sans communautés, le poids de l’habitude au niveau
de la pratique sacramentelle, le manque d’attention au langage symbolique, …
Présentant récemment le document « Aller au cœur de la foi » de la Commission épiscopale
française de la catéchèse et du catéchuménat, le directeur du CNER, Jean-Claude Reichert,
choisissait de mettre en exergue un extrait de la « Lettre au catholiques de France : "Notre
Église tout entière doit se mettre davantage en état d’initiation, en percevant et en accueillant
plus résolument la nouveauté de Évangile pour pouvoir elle-même l’annoncer »13.
3. Mission, anthropologie, catéchèse et initiation
1. les rapports délicats entre missionnaires et anthropologues
Une remarque méthodologique s’impose à l’entame de cette section. Pour traiter de la
question de l’initiation, il sera fait mention des travaux et recherches de spécialistes de
l’anthropologie culturelle. Or l’histoire des relations entre les anthropologues et le
christianisme est lourde de préjugés, de méfiance et d’a priori. Les écoles d’anthropologie
behavioriste et fonctionnaliste, notamment en Angleterre, ont dénoncé avec vigueur toute
reprise de leurs travaux à des fins de recherche en théologie ou en missiologie 14. Parmi les
préjugés tenaces à l’encontre de chrétiens, on trouvera l’idée d’une collusion complète entre
J.-Cl. REICHERT, “Quand une liturgie conduit la réflexion eucharistique. À propos du document « Aller au cœur de la
foi »”, dans La Maison-Dieu, 234, 2003, p. 78. L’auteur cite la Lettre aux catholiques de France, parte 1, chapitre 2, 6.
14
Cfr J. BALL, “Missiology I – Incarnate Christianity”, dans The Way, vol. 25, 1985, pp. 59-60.
13
5
mission et colonisation15 ou encore l’idée que les missionnaires ne laissent pas les cultures
intactes, cherchant d’abord à convertir les populations et non à les comprendre16. Ces mises
en garde sont et restent utiles. Elles nous signalent au minimum que les apports fournis sur
l’initiation par l’anthropologie culturelle ne devront pas ici être simplifiés et réduits à des
simplismes, ils ne devront pas plus être instrumentalisés et sélectionnés à la rescousse d’un
projet évangélisateur pré-existant17.
2. Recherches sur l’initiation
Il est un fait que la catéchèse utilise de plus en plus le vocabulaire de l’initiation. Le
Directoire général pour la catéchèse (1997), stipule même que : « la catéchèse est un élément
fondamental de l’initiation chrétienne18 ». Le plus souvent cette utilisation du vocabulaire
initiatique se fait sans lien explicite avec les données recueillies par l’anthropologie culturelle
et travaillées en missiologie.
S’agissant des rapports entre initiation et catéchèse, le recours à la missiologie serait pourtant
bien utile. Nous voyons à cela trois motifs :
a) D’abord, il est aisé de montrer que l’histoire des missions est faite d’emprunts à des
patrimoines religieux exogènes au christianisme. Pour l’initiation, il est clair que le mot n’est
pas d’origine biblique et qu’il n’appartient pas aux tous premiers siècles chrétiens. Inscrit
dans la langue chrétienne à partir des IV° -V° siècles, il provient vraisemblablement des
religions à mystère, celle de Mithra et aussi de Cybèle. Henri Bourgeois rappelle aux
chrétiens que parler d’initiation, c’est « adopter un langage païen (…) Quand le christianisme
adopte le langage de l’initiation, il ne parle pas sa langue propre, mais celle de la société, celle
du monde19 ».
b) Ensuite, il est possible de montrer combien l’ensemble de la problématique de l’initiation
se déploie, se justifie et s’éclaire quand l’observateur veut comprendre comment l’initiation
s’inscrit dans une tradition religieuse précise, à condition que les procédés de la recherche
soient respectueux et dénués de relents prosélytes.
c) Enfin, la question dialogue interreligieux est devenue centrale dans la recherche
missiologique. Il faut dire que la missiologie a appris l’humilité et la modestie, elle sait
désormais que le dialogue avec d’autres traditions enrichit et questionne. Voici ce qu’écrivait
un missiologue il y a 50 ans. Je vous laisse juge du transfert possible de ce discours dans la
sphère de la catéchèse : « Il ne faut pas nous considérer comme donnant à d’autres qui
n’auraient qu’à recevoir, mais comme donnant à d’autres dont nous avons aussi à recevoir, et
peut-être beaucoup plus que nous n’aurons donné. L’amour n’est authentique entre nous que
F.B. WELBOURNE, “Missionary Stimulus and African Responses”, dans V. TURNERR (Ed.), Colonialism in Africa,
Cambridge, Cambridge University Press, 1971, p. 310.
16
Par ex., H. POWDERMAKER, Stranger and Friend – The way of an Anthropologist, New York, W. Norton, 1966, p. 43.
17
Sur les possibilités d’un dialogue contructif entre missiologie et anthropologie culturelle, voir : L.J. LUZBETAK, “Prospects
for a better Understanding and better Cooperation between Anthropologists and Missionnaries”, dans D.L. WHITEMAN (Éd.),
Missionaries, Anthropologists and Cultural Change, coll. Studies in Third World Societies, n° 25, Williamsburg, Dpt of
Anthropology, College of William and Mary, 1983, pp. 1-53 ; Fr. SALAMONE, “Anthropologists and Missionaries : Competition or
Reciprocity”, dans Human Organization, vol. 36, 1977, pp. 407-412 ; H.F. WOLCOTT, “Too true to be good : the Subculture of
American Missionaries in Urban Africa”, dans Practical Anthropology, t. 19, 1972, pp. 241-258 ; plus ancien, mais toujours utile A.
PERBAL, “L’ethnologie et les missionnaires”, dans Rythmes du monde, t. 5, 1950, pp. 3-4.
18
DGC, n° 66.
19
H. BOURGEOIS, Théologie catéchuménale, Paris, Cerf, 1991, pp. 112-113.
15
6
si nous désirons recevoir à notre tour, pour l’édification de l’Église, de ceux à qui nous
donnons aujourd’hui »20.
À ces trois raisons missiologiques, on peut ajouter une quatrième qui tient à la pastorale
catéchétique telle qu’elle a été mise en œuvre en République démocratique du Congo dans le
mouvement des « Bilenge ya Mwinda ». Lancé au début des années 70 par le Père Matondo,
aujourd’hui évêque de Basankusu, le mouvement des « Bilenge ya Mwinda » se définit
comme une « initiation chrétienne d’inspiration africaine. »21 C’est en combinant le registre
de l’initiation traditionnelle avec celui du contenu de l’initiation chrétienne que le P. Matondo
explique la pédagogie des BYM. La réclusion initiatique traditionnelle devient une retraite
intense ; la forêt initiatique devient un lieu où l’on se retire pour entrer dans la compréhension
du mystère chrétien ; le secret de l’initiation devient « la transmission des secrets de la foi
chrétienne sous forme de mystiques »; le langage symbolique des proverbes et de la sagesse
bantu sert à décortiquer le langage symbolique et parabolique fréquent dans la Bible, etc.
Ce faisceau d’arguments est donc notre justification pour travailler ici le sens de l’initiation
dans une tradition religieuse non-chrétienne. Il sera ici question de l’initiation dans la religion
africaine traditionnelle. Le problème n’est pas de traduire un langage initiatique dans un autre
– les seuils à franchir ne sont pas du même ordre –, mais de redécouvrir les questions
fondamentales qui étaient au cœur des initiations africaines et qui n’ont pas disparu malgré le
bouleversement des sociétés et de leurs coutumes. Mircea Éliade notait naguère que, présente
dans les rêves et la vie imaginaire, aussi bien de l’homme moderne que du « primitif »,
l’initiation « est une expérience constitutive de la condition humaine22 ». C’est pourquoi,
ajoutait-il, « il est toujours possible de ranimer des schémas archaïques d’initiation dans des
sociétés hautement évoluées ». Le propos n’est pas ici de réanimer des choses mortes, de
restaurer pour la beauté du geste des formes cultuelles révolues « mais de faire le lien avec les
fonctions propres qu’elles remplissaient, et plus loin encore avec la conscience religieuse,
avec le désir du salut, le sens d’un mystère au-delà de l’homme, que ces cultes postulaient à
leur manière »23.Le transfert, éventuel, vers la proposition d’une catéchèse de cheminement ne
viendra que plus tard. Et il ne sera pas question de transfert direct, mais de mettre à jour une
structure et une grille pour vérifier quel échange est possible entre une religion à vocation
locale et le christianisme à vocation universelle, entre une société rurale et un monde urbain et
post-moderne ; Emmanuel Laffont définit ainsi la théologie de la mission à l’heure du
dialogue interreligieux : « nous appuyer ensemble sur les points communs des religions, c’està-dire leur volonté de répondre aux questions humaines fondamentales que sont le sens de la
vie et de la mort, l’amour, la souffrance et le bonheur, le salut et le devoir de suivre notre
vocation d’hommes dans le respect de ce que nous sommes.24 »
Le jésuite congolais Boka di Mpasi Londi écrit : « On prend conscience que le système
éducatif africain appelé initiation se trouve être proche de la catéchèse initiatique pratiquée
jadis par les Pères de l’Église. On découvre, de l’une à l’autre, beaucoup d’analogies
Y. DE MONTCHEUIL, Aspects de l’Église, Paris, Cerf, 1948, p. 161.
Sur les « bilenge ya mwinda », voir LULEYE, Le Christ initiateur – Itinéraire spirituel des Bilenge Ya Mwinda, Kinshasa,
1990 ; MATONDO KUA NZAMBI, À l’assaut de l’Himalaya, Kinshasa, 1976 ; J. MVUANDA, Inculturer pour évangéliser – Des
initiations traditionnelles africaines à une initiation chrétienne engageante, coll. Étude d’histoire interculturelle du christianisme,
n° 101, Bern, Peter Lang, 1998.
22
M. ÉLIADE, Naissances mystiques – Essai sur quelques types d’initiation, Paris, Gallimard, 1959, p. 267.
23
R. BUREAU, “Les missions en question”, dans Christus, 34, 1962, pp. 255-256.
24
E. LAFFONT, “La théologie de la mission à l’heure du dialogue inter-religieux”, dans H.J. GAGEY et D. VILLEPELET, Sur
la proposition de la foi, Paris, Éd. de l’Atelier, 1999, p. 155.
20
21
7
inspiratrices, à commencer par le souci d’une éducation globale et participative, ce que le récit
fait mieux que le raisonnement, ce qu’obtient la pratique plus que l’enseignement.25 »
Il s’agira donc ici de rechercher dans la tradition africaine quelques éléments de réflexion sur
l’initiation26. Certes nous savons que l’approche des rites initiatiques négro-africains est
difficile : les informations manquent encore, le secret est de mise. En outre, bien souvent, ces
pratiques apparaissent comme surprenantes, car elles sont en rupture avec ce qui à nos yeux
est raison, logique et mesure. Qu’on nous pardonne si nous nous limitons ici à cinq chantiers,
abordés d’ailleurs brièvement, mais qui pris ensemble donneront à penser et susciteront peutêtre chez l’auditeur de telles analogies inspiratrices.
Premier aspect : initiation et nomination de Dieu
Dans son analyse de l’initiation en Guinée, J. Germain insiste sur le don d’un nouveau nom à
l’initié. « C’est, écrit-il, même plus qu’un passage d’un stade de la vie à un autre, c’est un
véritable changement de personnalité : avant l’initiation, l’enfant, quel que soit son sexe, est
considéré comme un incapable, il ne sait pas se conduire, il ne connaît pas la coutume, il n’a
aucune part aux secrets de la forêt. En un mot, c’est un aveugle et un sourd incapable de se
défendre dans la vie. Par une fiction qui rappelle certaines religions antiques, le non-initié est
censé mourir à son ancienne vie pour renaître à une vie d’homme. Ceci est vrai à tel point que
l’initié sort nu de la forêt à la fin du stage et qu’il est habillé de neuf. Il reçoit un nouveau
nom, on lui présente les membres de sa famille comme s’il ne les avait jamais vus : le
symbolisme est intégral27». La proportion importante de noms théophores dans plusieurs
ethnies africaines témoigne de la conviction de la présence et de l’action de Dieu dans leur
vie. Quand l’initié reçoit un nom où il est question de Dieu, c’est pour lui signifier que Dieu
est présent dans sa vie, qu’il y interviendra, qu’il l’éclairera. J. Hillaire a ainsi relevé, au
Tchad où il travaillait et dans les pays limitrophes des noms théophores tels que : « Dieu est
là », « Dieu me suit », « Dieu me gardera encore », « Dieu s’occupe de moi », « Dieu écoute »
ou encore « Dieu secours »28.
Deuxième chantier : initiation et temps
Pour l’ethnologie classique, l’initiation est le prototype du rite de passage qui a pour fonction
« de marquer la transition d’un statut ou d’un état social à un autre »29. En ceci elle constitue
un temps fort. Les recherches plus récentes ont pu montrer qu’il n’y avait pas de contradiction
entre le système de l’étalement de la formation dans la durée et celui de la formation
condensée et accélérée que constitue l’initiation30. Dominique Zahan a bien montré que chez
les Bambara « l’initiation est en fait un continuum (…) Elle est une expérience qui s’enrichit
de jour en jour parce qu’elle est un approfondissement ininterrompu de la personne, une
Extrait de son intervention au « Seminar on Third World Theologies », mai 1986 : BOKA DI MPASI LONDI, “À propos de
la théologie d’Églises africaines”, dans SEDOS Bulletin, n° 6, 1986, p. 156.
26
M. DUJARIER, “Expériences d’initiation chrétienne en Afrique de l’Ouest”, dans Concilium, 142, 1979, pp. 77-84 ; J.
HALLAIRE, “Chrétiens africains face à l’initiation traditionnelle”, dans Études, avril 1967, pp. 482-494 ; R. LUNEAU, “Pour une
pédagogie de la foi en Afrique”, dans Parole et mission, 56, 1971, pp. 233-248 ; A. PASQUIER, “Société initiatique et société en
recherche d’initiation”, dans Concilium, 142, 1979, pp. 15-28.
27
J. GERMAIN, Guinée. Peuples de la Forêt, Paris, Académie des Sciences d’Outre-Mer, 1984, p. 254.
28
. HILLAIRE, “Quand l’homme africain parle de Dieu”, dans La Maison-Dieu, n° 116, 1973, p. 134.
29
A. ZEMPLENI, Art. Initiation, dans P. BONTE et M. IZARD (Dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris,
PUF, 1991, p. 375. Pour une approche « classique » de l’initiation, voir A. VAN GENNEP, Les rites d’initiation, 1909.
30
R. BUREAU, “De l’initiateur au prophète – Les maîtres à penser et à vivre en Afrique noire”, dans M. MESLIN (Dir.),
Maître et disciples dans les traditions religieuses, coll. Patrimoines – Histoire des religions, Paris, Cerf, 1990, p. 64.
25
8
réponse à un appel de vie intérieure »31. Il en est de même pour les Peuls chez qui une
initiation complète dure en principe 126 ans32.
Troisième chantier : initiation et structures sociales
L’initiation traditionnelle en Afrique engendre une identité sociale dans un rapport
antagoniste au monde du dehors. Elle fonctionne dans une société de type holiste (formant un
bloc compact où tous se soumettent à l’ensemble social) et de type hétéronome (la loi qui
régit l’ensemble des activités sociales est en fait fondée sur une réalité extra-sociale, à savoir
les ancêtres, Dieu, voire la tradition)33. « Dans ce type de société, chaque individu est
largement programmé et prédéterminé : l’identité personnelle est recouverte par le statut
social, et la règle de vie des individus est fixée par la loi du groupe »34. En ce sens-là, on peut
dire que l’initiation est un rite identitaire qui contient en lui-même le principe de sa propre
répétition. Le missionnaire belge Firmin Rodegem, docteur en ethnolinguistique le dit bien :
« l’initiation vise à former des individus conformes au modèle culturel propre au groupe, des
êtres utiles à la communauté35 ».
Quatrième chantier : Initiation, persistance et mouvance de la culture
L’objection mérite qu’on s’y arrête : les éléments religieux traditionnels africains méritent-ils
encore de l’attention ? Ne sont-ils pas en voie d’élimination sous les coups de butoir
successifs des avancées missionnaires et surtout avec l’avancée irrémédiable de la
mondialisation, de l’urbanisation et l’arrivée de nouvelles générations d’Africains bien
éloignés des repères ancestraux ? À ce type d’arguments, le théologien congolais Oscar
Bimwenyi Kweshi oppose une réfutation circonstanciée36. Il distingue trois niveaux dans
l’univers socioculturel. Le premier, appelé morphologique, inclut les diverses modifications et
innovations relatives à l’habillement, au paysage, aux moyens de communication, à la
technique. Les changement à ce niveau sont rapides, importants, impressionnants. C’est sur
leur observation que certains concluent à l’occidentalisation de l’Afrique. Le second niveau
est celui des institutions. Là Bimwenyi constate un parallélisme et une coexistence entre les
institutions africaines et occidentales : coexistence d’une médecine moderne et d’une
pharmacopée traditionnelle, coexistence de tribunaux pénaux de droit importé et tribunaux de
droit coutumier, superposition d’une éducation scientifique et d’une éducation villageoise, etc.
On le voit, à ce second niveau, l’ancienne référence compose avec la modernité. Mais il y a
enfin un troisième niveau, celui des significations majeures. C’est là que se trouve « le vrai
sanctuaire d’un peuple » : il correspond au champ couvert par les notions de base, les
symboles prégnants, la vision première du monde, de l’homme et de l’au-delà. C’est là que se
situent les grands rites qui consacrent et célèbrent les moments critiques de l’existence
(naissance, initiation, mort). À ce niveau, s’il y a évolution, elle sera infiniment plus lente car
M. MESLIN, “Herméneutique des rituels d’initiation”, dans J. RIES (Éd.), Les rites d’initiation – Actes du colloque de
Liège et de Louvain-la-Neuve 20-21 novembre 1984, coll. Homo religiosus, n° 13, Louvain-la-Neuve, Centre d’histoire des religions,
1986, p. 102. Il se sert ici de D. ZAHAN, Sociétés d’initiation Bambara, Paris/La Haye, 1960.
32
A. HAMPATE BA, Aspects de la civilisation négro-africaine, Paris, Présence africaine, 1972, pp. 12-14.
33
L.-M. CHAUVET, “L’initiation chrétienne, une fois pour toutes ?”, dans Catéchèse, n° 141, 1995, p. 51.
34
Ibidem.
35
F. RODEGEM, “Initiation à la sagesse dans les sociétés africaines”, dans J. RIES (Éd.), Les rites d’initiation – Actes du
colloque de Liège et de Louvain-la-Neuve 20-21 novembre 1984, coll. Homo religiosus, n° 13, Louvain-la-Neuve, Centre d’histoire
des religions, 1986, p. 146.
36
O. BIMWENKYI-KWESHI, Discours théologique négro-africain – Problème des fondements, Paris, Présence africaine,
1981.
31
9
« l’homme y est trop concerné dans ses aspirations essentielles pour qu’il puisse se permettre
d’en échanger sans garantie les certitudes éprouvées contre l’aventure inconnue 37».
Cinquième chantier : Initiation et apprentissage
Voici une autre définition de l’initiation due à un théologien africain : « L’initiation consiste
en un système dynamique d’exercices, bien gradués, d’informations, et d’apprentissage visant
à intégrer la personne dans sa pleine identité humaine et socioculturelle 38». On voit qu’elle
englobe un large champ éducatif. Des philosophes de l’éducation ont pu dire récemment que
l’initiation est la forme la plus complète de l’acte d’apprendre car « elle interfère avec les trois
formes d’apprendre que sont l’enseignement, l’apprentissage et l’éducation sans pour autant
s’y confondre. S’initier, n’est-ce pas au-delà de tout savoir-faire et de tout savoir, apprendre à
être ?39 » L’initié se laisse prendre par un style de vie qu’il découvre en l’habitant peu à peu.
Ces cinq chantiers sont-ils inspirants ? Offrent-ils suffisamment d’analogies pour féconder la
recherche occidentale sur la transmission religieuse ? Chacun en jugera. Ramenés à leur
structure significative, ils nous disent successivement :
- que l’initiation fait vivre une expérience religieuse qui atteste de la présence proche
de Dieu ;
- que l’appropriation personnelle existentielle se poursuit au-delà du temps fort de
l’initiation ;
- que l’espace initiatique varie selon les sociétés et qu’il permet de s’y insérer en en
assumant la complexité ;
- que l’initiation fait le lien entre mémoire, tradition et innovation ;
- et enfin que l’initiation forme, par familiarisation, à toutes les dimensions du vécu.
Une réflexion d’un évêque africain célèbre, Mgr Anselme Sanon montre la richesse d’un
travail sur le concept d’initiation : « Présenter l’initiation chrétienne comme une véritable
initiation, c’est la ramener sur son propre terrain, celui de la foi où la vérité n’est pas donnée à
l’état nu(…) La vérité, c’est quelqu’un, et son approche exige une initiation, une approche du
mystère 40 ».
V. NECKEBROUCK, “Inculturation et changement socio-culturel – Options missiologiques et modèles anthropologiques”,
dans E.T.L., t. 74, 1998, p. 74.
38
BOKA DI MPASI LONDI, “Ce que les Africains attendent de leur synode”, dans Telema, n° 77, 1994, p. 17.
39
O. REBOUL, Qu’est-ce qu’apprendre ?, Paris, PUF, 1980, p. 92 cité par D. VILLEPELET, “Catéchèse et crise de la
transmission”, dans H.J. GAGEY et D. VILLEPELET, Sur la proposition de la foi, Paris, Éd. de l’Atelier, 1999, p. 87.
40
A.T. SANON et R. LUNEAU, Enraciner l’Évangile, Initiations africaines et pédagogie de la foi, coll. Rites et symboles,
n° 14, Paris, Cerf, 1982, p. 133.
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