Grille de discernement éthique1 Introduction On parle souvent aujourd’hui des valeurs, d’une morale des valeurs. Encore faut-il s’entendre sur le mot valeur et sur le type de valeur envisagé. 1. Qu’est-ce qu’une valeur ? - Une chose Une situation Une action… Que l’on apprécie positivement parce qu’on estime que si elle est présente si elle est favorisée si elle est mise en œuvre … la vie sera plus belle, plus viable, plus sensée. 2. Quels sont les différents types de valeurs possibles ? Voici une grille d’analyse de la réalité ; elle n’est pas la seule, mais elle peut être intéressante. a. Valeurs factuelles (non morales) Il s’agit des valeurs où la responsabilité humaine n’est pas engagée : la vie, la santé, la beauté, l’argent, le soleil, …et leurs contraires qui sont alors des contre-valeurs factuelles ou non-morales : maladie, mort, pluie, nuit, … C’est un constat N.B. : l’interprétation comme positive ou négative dépend, entre autres, de la situation, du contexte ; Une valeur factuelle ne rend pas automatiquement bon, et l’inverse nécessairement mauvais, moralement. Ne pas mélanger ou confondre les valeurs factuelles et les valeurs morales est une distinction éclairante. b. Valeurs éthiques (morales) Il s’agit des valeurs où la responsabilité et la décision autonome sont engagées : le respect de l’autre, la bonté, la justice, le courage, le don de soi, la fidélité… et leurs contraires qui sont alors des contre-valeurs : le non-respect, la paresse, l’inégalité, l’injustice… N.B. : la façon dont on appréciera telle situation ou que l’on prendra telle décision dépendra de sa propre vision de l’homme, du sens de la vie… de son système éthique (voir plus loin) L’ensemble du travail fait principalement référence aux études de Xavier Thévenot (par ex. Repères éthiques pour un mond nouveau, Salvator, 1982 et une série d’articles de revue) et de Jacques Valléry (essentiellement Passages, Lumen Vitae/ Vie ouvrière, 1989) 1 c. Valeurs relationnelles (symboliques) 2 personnes au moins Ce sont les valeurs qui ne résultent pas seulement de la décision responsable d’une personne, mais qui impliquent une ou plusieurs autres personnes, où chacune, dans la réciprocité, reçoit et donne, se reçoit de l’autre et se donne à l’autre : le bonheur, le climat de confiance, la réconciliation, la fête … et leurs contraires qui sont alors des contrevaleurs relationnelles ou symboliques. Conclusion : Dans la réalité, ces 3 niveaux fonctionnent souvent ensemble : des exemples à trouver dans la vie d’une famille, d’un couple, d’une école, d’une communauté chrétienne… L’existence peut alors trouver sens. I. La visée de l’éthique Que recherche l’éthique ? Préliminaires : - Ethique (grec : ethos = les mœurs) - Morale (latin « mores » = les mœurs) L’éthique comme la morale étudie l’agir humain, les comportements humains au plan normatif. On utilisera indifféremment les deux termes, en se souvenant qu’aujourd’hui le terme « morale » est souvent connoté péjorativement (« faire la morale, moralisation, etc.) Que recherche donc l’éthique ? A quoi répond l’éthique ? Que dois-je faire pour être plus humain ? Que dois-je faire pour réaliser davantage l’humanité ? (la mienne et celle des autres ?) L’éthique a en effet pour but de réfléchir sur les conditions ou les chemins (que dois-je faire ?) qui permettent à l’homme pris dans sa réalité historique concrète de devenir plus homme et de poursuivre ainsi le bonheur. Cette visée est marquée par une représentation de ce qu’est l’homme, et l’homme dans sa relation à l’humanité, à l’autre, aux autres. C’est pourquoi, on constate très vite qu’il n’y a pas une morale, une éthique, mais une diversité de morales, auxquelles les sociétés et les groupes se réfèrent pour s’humaniser et atteindre le bonheur. En fonction de leur système éthique. II. Quelques systèmes éthiques En effet, devenir plus homme, travailler à plus d’humanité, c’est tenir compte de systèmes de valeurs éthiques différents, eux-mêmes traversés par des conceptions de l’homme et du sens de la vie différentes. Sans entrer dans les grands courants éthiques comme le stoïcisme, l’épicurisme, relevons brièvement : 1. L’hédonisme : doctrine philosophique qui fait du plaisir le but de la vie. Serait bon moralement toute recherche du plaisir pour lui-même. Toujours, tout de suite et pour moi tout seul. 2. L’utilitarisme : doctrine qui considère que l’utile doit être le principe de l’action. Ne serait bon moralement que ce qui peut servir les intérêts de la personne, lui être utile. 3. Le particularisme : qui concerne une partie, un groupe… Ne serait bon moralement que ce qui contribue au bien, au bonheur d’un groupe particulier, de « son » groupe. 4. Le système universaliste, appelé aussi « Règle d’or » N.B. : Fait-il tout tolérer ? Jusqu’où ? Dans l’esprit de la Règle d’Or, n’y a-t-il pas de choses intolérables ? Les droits de l’homme ont comme fondement cette éthique universaliste III. Les normes éthiques Que faire pour s’humaniser davantage ? Trois dimensions qu’il faut toujours prendre en compte pour répondre à la question du « que faire concrètement ? ». A. La dimension universelle de la morale C’est la prise au sérieux d’un projet, d’une visée, mais avec la conscience qu’ils ne sont jamais complètement et définitivement atteints. La morale se fonde tout entière sur la volonté de respecter l’homme, tout homme, tout l’homme. C’est l’impératif catégorique repris depuis Kant (philosophe allemand, 17241804) en deux formules : »Agis toujours de telle façon que ce qui guide ton action puisse être universalisé - Ceci rejoint la Règle d’Or, basée sur le respect réciproque. - Et la formule populaire : « Si tout le monde faisait comme toi, il n’y aurait plus moyen de vivre ! » »Traite toujours l’humanité en ta personne et en celle des autres jamais simplement comme un moyen, mais toujours comme une fin. » Ainsi le respect de la personne humaine, la sienne, celle de l’autre est un ABSOLU. La dimension universelle ne doit pas encore comment, dans telle situation concrète, agir ; elle pousse « en avant », vers « un mieux être » homme et homme-ensemble. Absolue, elle est de l’ordre de l’utopie. Invariante, dès lors, à travers le temps et l’espace. B. La dimension particulière de la morale C’est la prise au sérieux du passé. La morale va s’efforcer de rechercher ce qui, dans telle société donnée, permet habituellement de respecter l’autre et la vie, de poursuivre plus d’humanité. Cela aboutira à des normes concrètes, particulières à une époque et à une société données, qui sont comme des points de repère sur le chemin d’humanisation. L’homme ne peut en effet bâtir son projet à partir de rien et il n’est pas seul au monde : il est bon qu’il fasse mémoire, qu’il se souvienne de l’expérience et de la réflexion de celles et ceux qui l’ont précédé et qui, par ces normes, ont tenté de réaliser toute leur humanité. Il est utile de mettre ces normes particulières en relief : en effet, certaines sont plus importantes que d’autres. Ainsi, devrait-on tenir compte : de leur poids d’humanité ; par ex. : les conséquences de la bombe atomique ; de leur persistance à travers les siècles ; par ex. le refus de l’infanticide ; de l’insistance d’une autorité morale, à travers le temps : par ex. : le magistère de l’Eglise sur la fidélité conjugale ; de l’expérience des hommes et des femmes ; par ex. : on peut difficilement dissocier parenté biologique et parenté relationnelle ; des meilleures recherches philosophiques, scientifiques et théologiques ; par ex. : l’unité de la personne humaine ; pour les chrétiens, les priorités de la Parole de Dieu ; par ex. : l’option préférentielle pour les plus faibles, les pauvres. Ces normes particulières ne sont pas absolues, mais relatives à une communauté, à une époque, à un groupe. Enraciné quelque part, l’homme se doit de les prendre en compte pour trouver le chemin qui, dans la situation unique au monde qu’il est en train de vivre, respectera au mieux les personnes. C. La dimension singulière de la morale C’est la pris eau sérieux du présent. La morale recherche ce qui s’avère effectivement possible dans telle situation donnée, singulière. Il s’agit de bien analyser la situation dans ce qu’elle a de singulier, d’unique au monde, tout en ayant le regard tourné vers l’universel du respect de l’humain et vers le particulier des normes d’une époque, d’une société et, comme chrétien, de l’Eglise aussi. De cette analyse on relève ceci : Dans toute analyse de situation, des obscurités apparaissent ou persistent. Il y a donc un risque dans toute décision éthique : - soit que le terrain est mal analysé, exploré (en matière économique, par ex., ou dans un conflit social) - soit que le domaine est très nouveau (en bioéthique, par ex.) - soit que le domaine est trop vaste et très complexe (rapports Nord/Sud) S’humaniser, c’est donc prendre des risques dans une situation humaine, il arrive de gérer des conflits de valeurs. Agir, c’est sacrifier certaines valeurs, c’est en promouvoir d’autres. Il faut un jour décider ! En fin de compte, l’être humain au moment de sa décision vit une solitude fondamentale : il est seul avec lui-même après s’être fixé sur l’universel et s’être fait éclairé et conseillé par d’autres ou à travers les normes particulières. Il devra agir en « âme et conscience »