La classification des plantes
Paul Caro
CNRS/Cité des Sciences et de l'Industrie
Le règne végétal est caractérisé par une prodigieuse diversité. Les
botanistes reconnaissent environ 270000 espèces de plantes (350000 si
l'on tient compte des algues, mousses, lichens, etc...). Environ 240000
sont des plantes à fleurs.
Il s'agit de classer ces "espèces". Les espèces sont des populations de
plantes dont les individus présentent entre eux de grandes
ressemblances que l'on peut, en général, reconnaître par la simple
observation. Une définition plus stricte implique qu'ils forment un
groupe capable de se reproduire sexuellement soit naturellement, soit
artificiellement dans un laboratoire. En fait les individus doivent avoir
en commun le plus grand nombre possible de traits y compris autres
que morphologiques.
I. A quoi sert la classification ?
La classification présente deux caractéristiques différentes.
Elle permet l'identification d'une plante en conduisant obligatoirement
à une dénomination, donc à une place dans une nomenclature.
L'objectif est de s'assurer que l'individu observé correspond à un type
déterminé. Les flores proposent une méthode pratique systématique
pas à pas pour reconnaître un végétal par l'analyse des formes de ses
différentes parties. S'il n'y aucune correspondance avec le connu, (c'est
à dire avec les descriptions associées aux espèces conservées dans les
herbiers), l'individu appartient à une nouvelle espèce (on en découvre
environ 350 par an pour la seule Afrique).
Elle a une valeur théorique, pratique, et prédictive, car elle permet de
rechercher et d'inférer les parentés entre les espèces. Le classement
peut aussi servir à établir l'origine des plantes en tentant de remonter le
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temps géologique, un problème qui, à la limite, se confond avec celui
de l'origine des êtres vivants.
II. Comment est-elle établie ?
Identification et classement doivent pratiquement s'appuyer sur des
caractères. C'est à dire des propriétés caractéristiques de l'espèce.
Celles-ci sont très diverses. Il y a bien sûr l'apparence, les traits
morphologiques. Ils sont généralement les seuls exploités par les
classifications anciennes et les flores. Mais avec le développement des
capacités analytiques de la science contemporaine ils peuvent être
déterminés à travers toute sortes de mesures ou d'observations. On
distingue donc des caractères morphologiques, physiologiques,
génétiques, moléculaires, écologiques, sexuels. Les caractères qui sont
utiles pour identifier ne sont pas forcément adaptés aussi à
l'établissement d'une classification. En général, il faut essayer d'utiliser
le plus grand nombre de caractères différents possibles. Les
classifications sont toujours des hypothèses. Il peut être dangereux
d'utiliser des caractères uniquement non-morphologiques.
De nombreuses branches de la science concourent à la détermination
des caractères : les descriptions morphologiques, l'anatomie et
l'anatomie comparée, l'embryologie (les mécanismes de formation des
spores, des gamètes, des graines ...), l'examen de la structure et de
l'évolution dynamique des constituants des cellules (forme et nombre
des chromosomes, processus de division cellulaire, ...), les
ultrastructures observées à très fort grossissement au moyen des divers
microscopes électroniques, la palynologie (étude des pollens et des
spores), la paléobotanique (étude d'échantillons fossiles), l'analyse des
séquences génétiques de divers types d'ADN, les composés chimiques
spécifiques de la plante. Il ne faut pas négliger les informations
apportées par l'étude de l'environnement comme les associations avec
des insectes (pour la fécondation ou pour mettre en oeuvre des
mécanismes de défense contre les prédateurs) ou les interactions avec
les herbivores. La communication entre les plantes et les insectes et
autres éléments du monde vivant fait largement appel à des médiateurs
chimiques qui sont souvent spécifiques. Les natures du sol et du
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milieu géographique sont naturellement importantes surtout dans le
contexte des isolats (îles), ou de milieux particuliers (sols salés). Le
climat joue un rôle (par exemple le vent pour disperser les graines). La
paléogéographie est souvent utile en raison de l'ancienneté de la
présence des plantes sur la planète (les premières algues apparaissent
il y a 570 millions d'années, les premières plantes à fleur il y a environ
135 millions d'années).
Le plus grand nombre de ces éléments doit être pris en compte dans la
construction de la classification. Par exemple, on peut comprendre les
ressemblances entre des plantes géographiquement très éloignées si on
tient compte de la dérive des continents qui les a séparées au cours des
temps géologiques ou du régime des vents qui, à travers l'Atlantique
transportent les germes de plantes africaines vers la zone du delta de
l'Orénoque.
III. Les différentes manières de classer
Une classification est d'abord une banque de données, un dispositif
pour stocker et coder des informations qui doit permettre en outre un
accès facile à ces informations. C'est un outil qui doit autoriser les
prédictions et faciliter des interpolations et qui doit aussi pouvoir être
utilisé pour dégager des concepts. Par construction, il offre une
explication. Il y a plusieurs méthodes pour classer les êtres vivants.
1/ la classification est construite à partir d'une conception de
l'évolution :
L'idée de base est que ce que nous observons aujourd'hui dans la
Nature est le produit de l'évolution des espèces. Il s'agit de
reconstruire l'histoire des organismes, de remonter dans le temps pour
retrouver leurs liens de parenté. Ceux qui ont des parents communs
rapprochés dans le temps doivent se ressembler le plus. On fait donc le
bilan des ressemblances et des différences entre les caractères
spécifiques aux organismes pour déterminer leur degré de proximité.
Ces choix dépendent de l'opinion des chercheurs et les mêmes
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données peuvent être interprétées d'une manière différente. Mais, dans
tous les cas, de principe, on recherche des filiations.
2/ la classification est construite à partir d'une comparaison numérique
de l'ensemble des caractères disponibles, les liens supposés de parenté
n'étant qu'une donnée parmi d'autres :
Chaque caractère a un poids égal et les données sont traitées par
l'ordinateur selon des méthodes statistiques qui permettent de
regrouper les espèces selon leurs ressemblances d'une manière qui est
rigoureusement indépendante de toute idée préconçue. Les
algorithmes de calcul produisent des diagrammes où les organismes
apparentés se regroupent en agrégats. On reproche à cette méthode de
sous-estimer l'évolution, donc l'histoire des espèces.
3/ la classification cladistique :
Les parentés sont cette fois reconnues en accordant beaucoup plus de
poids à certains caractères dont on estime qu'ils se sont conservés à
travers l'évolution et caractérisent un ancêtre commun. Le choix de
caractères véritablement représentatifs de l'évolution est essentiel. On
construit des rapprochements à partir d'un principe d'économie qui
minimise le nombre de caractères qui changent d'une espèce à une
autre. Le diagramme qui résulte de ces comparaisons est appelé un
clade. Il engendre directement une classification hiérarchique des
organismes traités. Les caractères qui servent à définir les noeuds du
diagramme (là où deux espèces divergent) sont parfois très particuliers
(ils peuvent, à la limite être considérés comme des curiosités
anatomiques). La méthode est bien adaptée à la représentation des
résultats de l'analyse génétique après leur traitement statistique par un
ordinateur au moyen de programmes mathématiques qui permettent de
distinguer séquences conservées et séquences modifiées d'un
organisme (vivant, rarement fossile) à l'autre. Le cladisme est
généralement critiqué parce qu'il a tendance à détruire les
classifications traditionnelles et leurs hiérarchies rigoureuses. On lui
reproche de générer une classification foisonnante et touffue, peu
simple, difficile à utiliser pratiquement.
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Il semble qu'il y ait pas mal de disputes entre les spécialistes
concernant les mérites respectifs de ces modes de classement ! Dans
tous les cas le résultat se traduit par une figure. Les classifications
classiques (évolutionnistes) proposent des schémas d'arborescence, ou
des représentations plus vaporeuses (dans le genre chou-fleur ou
cactus). Chaque branche ou chaque lobe représentant une espèce
(comme dans une structure fractale il peut y avoir plusieurs niveaux
selon la position dans le temps géologique que l'on choisit).
Dendogrammes et clades sont plus schématiques, sinon plus austères.
Ils ont la forme de râteaux, chaque dent finale (associée à une espèce)
étant supportée par des embranchements variables qui se rassemblent
tous dans un manche qui conduit à l'ancêtre unique. Les
cladogrammes peuvent être représentés sous une forme circulaire, un
peu à la manière d'un parcours à effectuer dans un labyrinthe. C'est le
choix scénographique de certains Musées qui tentent de présenter
l'évolution au public (comme le Museum of Paleontology de
l'Université de Californie à Berkeley).
IV. La question centrale de l'évolution
L'importance de l'évolution dans la construction des classifications est
évidente. Or, il y a dans la communauté scientifique des vues
divergentes à propos de ce qu'est l'évolution. Cependant tout le monde
accepte que l'identité d'un individu est définie par son matériel
génétique. L'ADN code les possibilités qui peuvent s'exprimer
notamment morphologiquement, et cette molécule géante est donc au
coeur de la notion d'hérédité et on peut présumer qu'elle joue un rôle
fondamental dans l'évolution. En particulier par les mutations dont elle
est régulièrement le siège (en fait les génomes sont instables). On peut
aujourd'hui analyser les séquences des diverses sortes d'ADN et cela
change nettement nos capacités de compréhension des relations entre
les êtres vivants. Les quatre bases nucléiques qui se succèdent dans un
ordre variable le long du brin d'ADN peuvent être considérées comme
un alphabet de quatre lettres qui sert à écrire de très longues séquences
: pour une cellule de plante le "fil" déroulé d'ADN aurait une longueur
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