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Namur philosophie politique et économique John Pitseys
2016-2017
Philosophie sociale et p
oliti
qu
e
Annexe I. La démocratie
athénienne
Au VIe s. av. JC, le monde grec, bien que culturellement, religieusement et
linguistiquement homogène, est divisé en une multitude de petites cités-états qui ont,
pour la plupart, abandonné les formes de gouvernement monarchique au profit d’une
organisation politique dont les institutions politiques, mais aussi administratives et
judiciaires, sont structurées par des lois. Les Grecs appellent polis cette forme nouvelle
de régime politique. Plusieurs de ces cités se dotent d’un gime démocratique.
L’exemple le plus célèbre et le mieux connu est celui d’Athènes
Le régime démocratique athénien trouve ses origines au VIe siècle av. JC dans le
travail du législateur Solon (qui donne à chaque citoyen le droit de vote dans
l’assemblée législative) et va connaître son plein épanouissement au Ve s. av. JC grâce
aux réformes successives entreprises par Clisthène et Périclès. Plusieurs facteurs
expliquent l’émergence de ce nouveau type de régime. Les protestations des petits
paysans qui s’appauvrissent, l’émergence d’une classe moyenne d’artisans et de petits
commerçants qui insuffle un dynamisme économique à Athènes, la nécessité croissante
de mobiliser des hoplites (fantassins) pour la guerre et l’instabilité politique mettront à
mal le système oligarchique qui associait le pouvoir à la propriété foncière. Cette
nouvelle donne socio-économique conduira Athènes à se doter d’un régime
démocratique (alors qu’il conduira Sparte, la rivale d’Athènes, à un régime d’oligarchie
militaire). L’âge d’or de la démocratie athénienne coïncide avec une période d’essor
économique, démographique, militaire et culturel. Il se termine avec la prise d’Athènes
par Alexandre le Grand (330 av. JC).
Pour les Grecs, la dêmokratia était tout à la fois un régime politique, celui que
connaissait Athènes, (1) et un idéal de vie individuelle et collective (2). Toutefois, dès le
Ve s., la démocratie athénienne fut l’objet de critiques (3).
1. Le régime politique athénien : les institutions
Le régime politique athénien était une démocratie directe. Il accordait un pouvoir de
décision publique direct aux citoyens tant par leur participation à l’assemblée que par
l’accès du plus grand nombre aux différents mandats publics. Il est difficile de présenter
en quelques lignes un régime politique très complexe et qui a connu des évolutions sur
près de deux siècles. On peut toutefois relever quelques caractéristiques importantes.
Le pouvoir politique suprême est détenu par l’assemblée des citoyens (Ecclésia) qui
se réunit régulièrement sur la Pnyx. N’importe quel citoyen peut y soumettre une
proposition et y prendre la parole. Les décisions sont prises à la majorité, mais aussi
souvent par simple acclamation, qu’il s’agisse de faire une loi, de lever des impôts,
de partir en guerre, d’ostraciser un citoyen, etc. A la suite de la forme de Périclès,
les citoyens qui participent à l’assemblée perçoivent un dédommagement financier
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(le mistos). L’Ecclésia est présidée par un citoyen tiré au sort pour une journée. Un
citoyen ne peut exercer cette charge qu’une fois dans sa vie.
La citoyenneté est réservée aux individus libres (c-à-d qui ne sont pas esclaves), de
sexe masculin, ayant accompli l’éphébie (service militaire) et originaires d’Athènes.
Un citoyen pouvait être banni par décision de l’Ecclésia (ostracisme).
La Boulé est un conseil de 500 citoyens chargés de préparer les travaux de
l’assemblée et de veiller à l’exécution des décisions. Les membres de la Boulé (50
pour chacune des dix tribus qui composent la cité), sont désignés par tirage au sort
pour un mandat d’un an. Un citoyen ne peut pas exercer plus de deux mandats
pendant un an. Comme tous les autres magistrats, les bouleutes étaient soumis à un
examen préliminaire (dokimasia) portant non pas tant sur leurs qualifications que
sur leurs qualités morales. Ils étaient aussi susceptibles de devoir rendre des comptes
à tout moment et, de manière systématique, à la fin du mandat.
Les prytanes coordonnent et président les travaux de la Boulé. La prytanie est une
charge exercée à tout de rôle pendant un dixième de l’année par les 50 bouleutes de
chaque tribu.
Les archontes (au nombre de 9) sont des magistrats désignés par le sort pour une
année qui ont en charge l’administration de la cité.
Les stratèges (au nombre de 10) sont les généraux chargés de conduire l’armée. Ils
sont élus par l’Ecclésia.
Les archontes, les stratèges et les autres magistrats, sont soumis à un examen
préliminaire et à une reddition de compte en fin de mandat. L’Ecclésia peut en outre
leur demander des comptes et les sanctionner à tout moment.
Les tribunaux sont aussi composés des jurys de citoyens tirés au sort. Le nombre de
jurés dépend de la nature et de l’importance des affaires (jusqu’à 1501).
L’aréopage est un conseil des anciens vers lequel tout citoyen s’estimant lésé par un
magistrat peut se tourner.
En conclusion, on retiendra que les décisions politiques majeures sont prises par
l’assemblée des citoyens et que les fonctions exécutives et judiciaires sont assurées de
manière collégiale par des citoyens désignés par le sort pour un terme court et font
l’objet d’un contrôle permanent pas les citoyens.
2. Les principes fondateurs
Pour les Athéniens, la valeur et la légitimité de leur régime politique reposaient sur le
fait qu’il réalisait certains principes fondamentaux : la liberté, l’égalité et la délibération
collective. Ce sont ces principes qui, au-delà des détails institutionnels, font l’originalité
et l’esprit propre à la démocratie athénienne. On trouve une belle expression de cet
esprit dans un texte de Thucydide qui relate l’oraison funèbre prononcée par Périclès
aux funérailles des premiers guerriers athéniens tombés lors du conflit avec Sparte.
37. Notre constitution politique n'a rien à envier aux lois qui régissent nos
voisins; loin d'imiter les autres, nous donnons l'exemple à suivre. Du fait que
l'Etat, chez nous, est administré dans l'intérêt de la masse et non d'une minorité,
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notre régime a pris le nom de démocratie. En ce qui concerne les différends
particuliers, l'égalité est assurée à tous par les lois; mais en ce qui concerne la
participation à la vie publique, chacun obtient la considération en raison de son
mérite, et la classe à laquelle il appartient importe moins que sa valeur
personnelle; enfin nul n'est gêné par la pauvreté et par l'obscurité de sa
condition sociale, s'il peut rendre des services à la cité. La liberté est notre règle
dans le gouvernement de lapublique et dans nos relations quotidiennes la
suspicion n'a aucune place; nous ne nous irritons pas contre le voisin, s'il agit à
sa tête; enfin nous n'usons pas de ces humiliations qui, pour n'entraîner aucune
perte matérielle, n'en sont pas moins douloureuses par le spectacle qu'elles
donnent. La contrainte n'intervient pas dans nos relations particulières; une
crainte salutaire nous retient de transgresser les lois de la république; nous
obéissons toujours aux magistrats et aux lois et, parmi celles-ci, surtout à celles
qui assurent la défense des opprimés et qui, tout en n'étant pas codifiées,
impriment à celui qui les viole un mépris universel
[…]
40. Ceux qui participent au gouvernement de la cité peuvent s’occuper de
leurs affaires privées et ceux que leurs occupations professionnelles absorbent
peuvent se tenir fort bien au courant des affaires publiques. Nous sommes en
effet les seuls à penser qu’un homme ne se mêlant pas politique mérite de
passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile. Nous
intervenons tous personnellement dans le gouvernement de la cité au moins par
notre vote ou même en présentant à propos nos suggestions. Car nous ne
sommes pas de ceux qui pensent que les paroles nuisent à l’action. Nous
estimons plutôt qu’il est dangereux de passer aux actes, avant que la discussion
nous ait éclairé sur ce qu’il y a à faire. Une des qualités encore qui nous
distingue entre tous, c’est que nous savons tout à la fois faire preuve d’une
audace extrême et n’entreprendre rien qu’après mûre réflexion.
Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse,
Livre
II.
L’égalité des citoyens
Les lois et les institutions de la cité visent à garantir un statut strictement égal pour
tous les citoyens. On notera toutefois que seule une partie de la population bénéficie de
ce statut : à savoir les adultes de sexe masculin d’origine athénienne et qui ne sont pas
esclaves. En ce sens, l’égalité, à Athènes, est strictement politique et non pas morale ou
universelle. Même si on peut déplorer cette limitation, on doit toutefois noter qu’elle
n’est pas liée à la fortune mais à la naissance et au sexe. On remarquera aussi que la
proportion de citoyens dans la population athénienne adulte (entre 20 et 30 % selon les
époques) est significativement beaucoup plus importante que la proportion de titulaires
du droit de vote avant l’instauration du suffrage universel en Belgique à la fin du 19e s.
L’égali entre les citoyens prend essentiellement trois formes.
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Egalité des droits (isonomia).
La loi s’applique de la même manière à tous et chaque citoyen doit bénéficier de la
protection de la loi (ce qui se traduit par le droit d’intenter une action en justice lorsque
l’on s’estime lésé) et des mêmes droits.
Egalité dans la participation au pouvoir politique (isocratia).
Elle se traduit par le droit participer et de voter à l’assemblée, par le droit d’accéder
aux différentes fonctions politiques et judiciaires, par le souci de faire en sorte que le
plus grand nombre puisse exercer ces fonctions et que personne ne puisse les accaparer
(tirage au sort et rotation rapide), par le fait que la participation à l’assemblée et
l’exercice des mandats fait l’objet d’un dédommagement financier, de sorte que même
les plus pauvres ne soient pas exclus.
Pour la désignation aux mandats, on ne recourt que rarement à l’élection. Celle-ci
n’est utilisée que lorsqu’il s’agit d’une fonction qui demande une compétence technique
particulière comme dans le cas du stratège (le commandant de l’armée). Dans ce cas, il
faut choisir le meilleur. Les Grecs considéraient d’ailleurs l’élection comme un mode de
désignation non démocratique mais aristocratique, rompant avec le principe d’égalité,
alors que le tirage au sort était, lui, perçu comme égalitaire. Il était considéré que tout
citoyen devait pouvoir prendre part à la gestion des affaires de la cité. En revanche, la
conduite de l’armée, comme la gestion des finances publiques, supposait une
connaissance technique que ne possédait pas le citoyen moyen. Il fallait donc prendre
les meilleurs experts, lesquels devaient toutefois rendre des comptes.
Egalité dans le droit de prendre la parole (isêgoria).
Ce droit est très important pour les Athéniens : il inclut notamment l’absence ce censure
sur la parole et la possibilité pour tout citoyen de prendre la parole dans l’espace public
et dans toute les assemblées publiques et les conseils, y compris les tribunaux, même
lorsqu’il n’y a pas le droit de vote.
La liberté des citoyens par la loi et par la vertu civique
La liberté par la loi.
Athènes partage avec la plupart des cités (polis) du monde grec le principe selon
lequel, dans la cité, le pouvoir politique n’appartient à personne à titre personnel. Le
pouvoir appartient à la loi. C’est la loi (fondamentale) qui détermine par qui, comment
et dans quelles limites le pouvoir peut-être exercé. C’est pour les Grecs une condition
nécessaire à la fois à la paix sociale et à la liberté. Aucun citoyen ne peut être soumis à
un autre. Il ne peut être soumis qu’à la loi. C’est la condition même de la liberté.
La liberté par la vertu civique
Mais la liberté ne suppose pas seulement la protection et le respect de la loi. La
liberté véritable ne peut s’acquérir que dans la participation à la vie publique. Celle ci
n’est donc pas qu’un droit, elle est une condition essentielle à l’accomplissement par
l’homme de sa véritable nature « L’homme est un animal politique » écrit Aristote (384-
322 av. JC) : c’est la thèse dite de l’humanisme civique. La participation civique est
même une obligation, dès lors qu’elle est nécessaire au maintien d’un système
garantissant la liberté de tous. Bien entendu, nul ne peut être obligé d’exercer un
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peut être inquiété, traîné devant un tribunal et éventuellement banni.
En fait, la conception politique grecque ne connaît pas la distinction moderne entre le
public et le privé. Il n’y a pas de droits naturels de l’individu, de sphère privée de
souveraineté individuelle dans laquelle la puissance publique ne pourrait s’introduire.
Pour le Grecs, le citoyen n’a des droits que dans la mesure ceux-ci lui sont reconnus
et octroyés par la cité.
La délibération collégiale
On notera que même dans les fonctions exécutives, le régime athénien vise à ce que
les décisions ne soient jamais prises par un homme seul mais de manière collégiale. Les
magistrats ne détiennent aucun pouvoir à titre individuel. Ils ne l’exercent que
collectivement. Il s’agit bien entendu d’éviter qu’un citoyen accapare le pouvoir. Mais
la collégialité, associée au principe de l’isêgoria, vise aussi à ce que les décisions soient
prises au terme de discussions dans lesquelles les positions et les arguments sont
librement exprimés et confrontés. Il ne faut pas seulement décider collégialement, il faut
délibérer ensemble. La démocratie suppose un échanges d’idées et d’arguments auquel
tous les citoyens doivent pouvoir prendre part et qui doit viser la recherche de bonnes
décisions.
3. Les critiques des anciens à la démocratie athénienne
La démocratie athénienne fut considéré comme un idéal à suivre ou commenté au
cours de siècles qui suivirent, et particulièrement à partir de l’époque classique. Elle fait
également l’objet de diverses réinterprétations contemporaines en philosophie du droit
(Villey) ou en philosophie politique (Arendt, Strauss). Mais elle est aussi un objet de
réflexion philosophiques pour les Anciens eux-mêmes.
La démocratie athénienne et les sophistes
La démocratie athénienne est avant tout une cité de la parole. Dans une démocratie directe,
chacun est amené à s'exprimer en public, ce qui suppose un apprentissage. Il faut apprendre les
gens à discuter, à prouver leur point de vue. Ceci exige qu'on apprenne les techniques
rhétoriques: les rhéteurs vont apprendre cet art aux gens. Les rhéteurs sont les maîtres du beau
langage qui prétendent qu'on peut persuader (et non convaincre) autrui de ce que l'on veut par le
beau langage. Les rhéteurs sont aussi des sortes d'avocats de l'époque (l'institution des avocats
est inconnue à Athènes et chaque citoyen doit se défendre seul. Or les procès sont nombreux) :
les rhéteurs écrivent contre rémunération les plaidoiries de ceux qui doivent parler au tribunal.
L'ensemble des cités grecques du s s'ouvre au commerce. Des voyageurs vont dès lors
découvrir qu'il y a d'autres villes et d'autres pays. Ceci permet un renouveau des connaissances.
Les valeurs traditionnelles sont remises en question: on compare Spartes à Athènes par exemple.
On s'aperçoit que les mœurs sont variables, que les institutions sont variables, que la conception
de la justice est variable.
Dans la cité existent donc des maîtres qui ont voyagé: les sophistes, sortes de conférenciers
itinérants. Ceux-ci vont prétendre que la coutume n'est pas universelle, qu'elle est relative, que
les manières de vivre sont changeantes. Ils en concluent que la vérité n'est pas universelle. Les
sophistes apprennent aux autres que chacun peut convaincre, est apte à savoir: chacun a son idée
et son opinion. Il y a une multiplicité d'opinions et chacun peut défendre la sienne. Pour eux,
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