1 Le Mal Texte résumé Louis Girard Café-Philo / 1er avril 2015 LE MAL Le mal : ce qu'on repousse, ce qu'on rejette, soit parce qu'il fait souffrir, soit parce qu'il est interdit par une autorité. C'est un vécu psychologique ; réclame-t-il une existence objective, sous quelque forme que ce soit ? Première problématique : La douleur physique et la souffrance morale L'action de défense de l'organisme suffit-elle à justifier la souffrance physique ? 2) La souffrance morale, et même la souffrance physique, peuvent-elles être justifiées parce qu'elles permettraient des progrès spirituels ? Deuxième problématique : Le Mal moral 1) Alors que les morales sont diverses, peut-on cependant rêver d'une universalité et même d'une réalité objective de la morale ? 2) le scientisme peut-il fonder une morale ? toute morale implique la référence à des valeurs ; sauf la valeur économique, la valeur n'est pas un fait, et le scientisme ne veut connaître que des faits ; la connaissance elle-même y est un fait, résultat de la causalité naturelle ; elle n'est pas une spontanéité (élément producteur indépendant ) s'exprimant par la réclamation d'un pouvoir-être. Troisième problématique : Refus du caractère absolu du Mal (Spinoza) ; morale et sagesse Si le scientisme ne semble pas pouvoir fonder une morale, la philosophie de Spinoza paraît propre à le faire, tout en proclamant le déterminisme rigoureux qui est l'exigence fondamentale du scientisme. C'est que le spinozisme pose comme origine de tout ce qui est une spontanéité absolue : Dieu ou la Nature (expression consciemment posée par Spinoza pour distinguer cette spontanéité fondamentale du Dieu de la tradition judéo-chrétienne). Dieu ou la Nature s'exprime par une infinité d'attributs (dont l'étendue et la pensée) comportant eux-mêmes une infinité de modes (les corps humains sont des modes de l'étendue, les psychismes humains des modes de la pensée). Tout ce qui est est l'expression de Dieu : c'est le panthéisme. Mais Dieu ne fait pas que s'exprimer ; il se pense et exprime sa pensée, et cette pensée divine se formule dans la philosophie de Spinoza. En pensant comme Spinoza, on passe d'un état où l'on est le résultat passif d'une expression à un état où cette expression s'avère comme le résultat d'une nécessité logique, rationnelle ; donc comme un devoir-être ; on passe de la servitude humaine à la sagesse. Mais ce passage n'est évidemment pas l'effet d'une spontanéité libre ; on est déterminé à connaître ou à méconnaître la libération spinoziste. Ainsi il y a un Bien et un Mal objectifs (penser ou non l'expression de Dieu), mais cela ne correspond pas à une vertu ou à un mal subjectifs, parce qu'il n'y a pas de spontanéité en dehors de la spontanéité divine. On est déterminé à être "bon" ou "mauvais", ce qui signifie qu'on ne l'est pas vraiment. Quatrième problématique : Choix du tragique ? Le Mal comme option du sujet Sortir du spinozisme. Pour qu'il y ait un Bien et un Mal comme qualificatifs des individus concrets, il faut posséder une liberté de décision. Spinoza explique la (fausse, 2 Le Mal Texte résumé Louis Girard Café-Philo / 1er avril 2015 selon lui) impression que nous avons qu'il faudrait que ces individus soient des spontanéités indépendantes au moins relativement, c'est -à-dire d'être libres par l'ignorance des causes qui nous font agir. Mais n'est-ce pas confondre la conscience d'une présence avec l'ignorance d'une absence ? Au moment de la décision, dans certaines circonstances, il nous arrive de nous trouver devant rien, aucune possibilité ne s'imposant ; et c'est l'angoisse, conscience du néant. L'angoisse nous ouvre à la liberté. Cinquième problématique : Le Bien correspond à l'épanouissement de la volonté humaine et le Mal à son anéantissement On admettra une infinité d'autres spontanéités en dehors de celle du Dieu (ou Nature) originel. Mais on se trouve alors devant la difficulté : quel rapport ces deux spontanéités ont-elles entre elles ? Si c'est uniquement un rapport de forces, alors se soumettre à Dieu plus fort que soi est question de prudence et non de morale, et l'on risque de penser avec Proudhon : "L'homme devient athée quand il se découvre meilleur que son Dieu" La moralité est non pas la soumission à une force extérieure, mais l'épanouissement de soi (cf les deux exemples de Kant). Et cet épanouissement ne peut s'accomplir que dans et par le rapport aimant à l'autre. Si la spontanéité divine est ce en quoi la spontanéité humaine trouve sa vérité et son accomplissement, on interrogera : mais comment le mal est-il possible ? Comment peut-on décider d'agir non seulement contre Dieu, mais contre soi ? Sixième problématique : Le péché en contradiction avec l'état normal dirigé vers le Bien : comment est-il possible ? La première explication se rapproche du spinozisme ; c'est celle de Socrate : nul n'est méchant volontairement ; accablé par le poids des déterminismes extérieurs, le "méchant" ne peut voir la vérité ; pour qu'il n'y ait pas de méchants, il faut construire la société juste, qui produira uniquement des hommes justes. Mais c'est là encore anéantir toute spontanéité en dehors de la spontanéité originelle. Comment comprendre qu'on pèche ? Le péché est différent de la faute, qui est simplement la non-observance d'un commandement. Le péché est un état de la volonté qui se sait en contradiction avec l'état normal, dirigé vers le Bien. Comment est-il possible ? Plusieurs possibilités : 1) La chute par fascination ; elle est comme un vertige ; l'"innocence" humaine n'est pas l'innocence animale, elle s'accompagne de la conscience confuse de la possibilité du péché, qui survient dans l'instant, lequel, dit Kierkegaard, n'est pas l'atome du temps, mais l'atome de l'éternité 2) Une déviation du sentiment d'"agent moral" ; la notion d'"autrui", comme de l'individu semblable à soi envers lequel on a des devoirs est restreinte ; on considère qu'on n'a pas de devoirs envers telles personnes (le Juif, les "mécréants") ici : les méfaits de la croyance au diable. 3) Une hypertrophie du sentiment de soi, qui aboutit à refuser toute action entraînant un désavantage ; on observe l'impératif moral, à condition que cela ne gêne pas. Problème : celui qui est arrivé à ne plus avoir vraiment conscience de ses devoirs serait-il innocent ? L'ironie de Pascal. 4) A la limite, le refus total d'autrui, allant jusqu'à la volonté de faire le mal parce que 3 Le Mal Texte résumé Louis Girard Café-Philo / 1er avril 2015 c'est le mal. C'est le sens de la révolte. Septième problématique : Figures concrètes du Mal Don Juan ; autrui (surtout les femmes) considéré comme un simple objet avec lequel on joue ; refus de s'incliner devant même l'évidence ; Sade (le personnage de Delville) : refus de toute morale parce que refus de tout "autrui" ; Faust : ne pouvant être Dieu, il veut épuiser tout l'humain ; Le Mal devient ambigu quand il est révolte contre ce qui se prétend le Bien, car le Bien, lorsqu'il est installé, institutionnalisé, n'est plus vraiment le Bien, et même peut devenir son contraire. Figures de la révolte : Prométhée (Zeus passant de l'enivrement de la puissance au respect de l'autre, à la morale) ; Baudelaire ; Jean Genet et la sanctification du Mal. Le " satanisme". Huitième problématique : Les explications du Mal dans les religions Les explications de l'origine du Mal . L'expérience humaine du Mal montre que celuici, au niveau humain, se donne plutôt comme consentement à une possibilité que comme action originelle. Comme le Bien se veut absolu, ainsi le Mal ; mais alors il doit avoir une origine supra-humaine. L'évolution des religions montre qu'elles sont devenues de plus en plus morales, sans le devenir tout à fait (les sacrifices, les interdictions alimentaires...) Comment ont-elles rendu compte de l'existence du Mal ? Mazdéisme (Zarathoustra) : un Dieu bon et un Dieu méchant ; ceci repris dans la Gnose qui fait du monde sensible une production du Mal, par Marcion qui voyait dans le Dieu de l'Ancien Testament le Dieu méchant, par le manichéisme. Neuvième problématique : Le christianisme explique le Mal par le consentement de la volonté humaine à une puissance mauvaise originelle, figurée par Satan, création du Dieu bon Cette création qui s'est refusée à lui (cf.l'interprétation de l'Islam : le diable a refusé de s'incliner devant l'homme à sa création). Les difficultés sont nombreuses : pourquoi Dieu tolère-t-il Satan ? L'existence du mal en l'homme implique le péché originel, donc la chute d'Adam et la transmission héréditaire du péché. L'enfer : comment concilier cela avec la bonté divine et une religion du pardon ? Des théologiens estiment que ces difficultés doivent disparaître parce que l'intuition centrale du christianisme est celle de la possibilité d'une divinisation de l'homme : "Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu". Mais cela implique que l'homme surmonte une culpabilité fondamentale, que le christianisme est accusé d'avoir souvent tendance à cultiver ; on a parlé de " névrose chrétienne".