1. Critique historique, Bousmar, jeudi 11 heures.
Critique Historique
A. Partie générale.
Introduction
Nous commençons par 2 citations d’auteurs de la fin du 19ième siècle.
E. Reman: « La critique est contraire à l’allure normale de l’intelligence. La tendance
spontanée de l’homme est d’ajouter foi aux affirmations et de les reproduirent, sans même les
distinguer de ses propres observations. »
Louis Pasteur: « L’instinct naturel de l’homme face à l’eau est de se noyer; apprendre à
nager c’est acquérir l’habitude de réprimer des mouvements spontanés et d’en exécuter
d’autres. De même l’habitude de la critique n’est pas naturelle, il faut qu’elle soit inculquée.»
Il faut prendre ces propos dans un contexte historique, c’est l’époque de l’essor des sciences
expérimentales.
Reman montre que les sciences humaines jouent un rôle car utilisent une méthode, qui est la
critique historique, pour lutter contre les superstitions et autres crédulités.
L’objectif du cours est double.
1. Comment la critique historique est-elle élaborée?
2. Se servir de la méthode de la critique historique pour s’aider dans les autres sciences.
Les règles classiques de la critique historique sont nées de l’épistémologie.
→ Comment l’histoire est-elle devenue une discipline scientifique?
L’évolution des principes du métier d’historien a permis de comprendre la place
qu’occupe la critique.
Comment l’historien travaille-t-il?
Que peut-on tirer de ses résultats?
Quels sont ses bases méthodologiques?
Quel est le lien de sa méthode et les autres disciplines?
Le premier objectif est de comprendre la spécificité de la connaissance historique. Et le
deuxième objectif est de tirer parti des critiques des sources documentaires faites par les
historiens. → L’historien doit voir si un document est fiable.
La critique historique permet de formuler un jugement sur un document, une source
d’information et doit donner un jugement fondé sur la raison.
I. Les fondements de la critique historique.
1. Nature et finalité de l’histoire.
La reconstruction du passé est basée sur une étude critique des traces laissées par le passé. De
ce fait la préhistoire se différencie de l’histoire, car il n’y a pas de traces écrites. Mais la
préhistoire est quand même une partie de l’histoire même si historien et préhistorien ont
différentes sources.
L’histoire est une reconstruction du passé humain mais il y a des limites de la connaissance et
tout doit être basé sur des traces. → Le passé est lacunaire, il faut donc le rendre intelligible,
la visée (pourquoi sommes-nous telles que nous sommes devenus) est à la fois modeste mais
aussi terriblement ambitieuse. Il faut faire une distinction entre l’histoire chaude (l’activité
humaine)et l’histoire froide (prendre du recul). Prendre du recul c’est voir ce qui est important
avec le recul du temps car une étude menée à chaud risque d’être infectée par les passions de
l’époque. Mais d’après Lévi Strauss « tout est histoire, ce qui c’est dit hier et il y a une
minute ». Et l’histoire du temps présent prend le risque de faire un travail avec certains des
acteurs encore vivants.
Histoire en Grecque veut dire enquête et c’est comme ça que Hérodote fait de l’histoire. Il
essaye néanmoins de rester le plus impartial possible cela fait que le travail d’historien se
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différencie de l’apologétique qui prend la défense d’une cause et de l’hagiographie qui
étudie les écritures des vies des saints.
Le problème pour la vérité sont les différents biais.
* Le biais nationaliste, par exemple historien allemand et français s’opposent sur différents
sujets (entre autre la noblesse). Ils essayent de mettre la supériorité de leur nation en avant par
rapport à l’autre. L’histoire en Belgique se développa en même temps que la création de l’état.
Mais maintenant les gens ne s’intéressent plus à l’histoire nationale donc on a droit aux
histoires des régions, la dernière œuvre sur l’histoire de la Belgique remonte à Henri
Pirenne.
* Un autre biais est la classe sociale, les historiens s’intéressent tout particulièrement à leur
propre classe, et seulement depuis Marx il y a des historiens de classes populaires et donc une
histoire des classes populaires.
* Il y a aussi le biais egnocentrique, par exemple en Europe, l’Europe domine le monde
durant la colonisation et les pays africains sont décadents, mais après la décolonisation on
remarque que l’on s’est trompé, on a d’autres perspectives.
* $$$$: donne un regard masculin, les hommes ne partagent pas avec les femmes et il y avait
peu de femmes historien, mais le mouvement féministe a changé tout cela.
L’histoire s’inspire aussi d’autres sciences humaines à partir de 1900. Avant cela l’histoire ne
s’intéressait qu’à des évènements et des institutions et n’avait donc pas besoin des autres
sciences humaines. La réaction apparaît entre les deux guerres avec l’école des annales (1929)
fondée par Marc Bloch et Lucien Febvre, continuée ensuite par Fernand Braudel après
guerre. Ces historiens s’attaquent au biais de la classe et commencent à s’intéresser à autre
chose que les classes supérieures, ils analysent les problèmes sociaux, plus tard ils s’attaquent
aussi à l’histoire des mentalités.
« L’histoire fait feu de tout bois, l’histoire se critique de natures », c’est une discipline au
cœur des sciences humaines. L’histoire évolue grâce à l’apport de nouvelles questions (apport
du Marxisme et du féminisme, il y a aussi de nouveaux problèmes, par exemple l’écologie) et
de nouvelles découvertes, de nouvelles sources (grâce notamment à l’apport de l’archéologie,
par exemple les manuscrits de la mer Morte).
2. Conditions de la connaissance historique.
La condition première est la nécessité de traces du passé appelées sources qui ne sont pas la
même chose que des travaux, réalisés par d’autres historiens et qui n’ont de la valeur que
parce ce que basés sur des sources.
Paul Veyne a dit: « Les vrais problèmes d’épistémologie historique sont des problèmes de
critiques et le centre de toutes réflexions de connaissance historique est ce que l’on fait des
sources », il a aussi dit: « L’histoire est connaissance mutilée, un historien ne dit pas ce qu’a
été l’Empire romain ou la résistance en ’44, mais ce qu’elle est capable de savoir et non pas
de ce qui c’est passé ». Henri Irénée Marrou lui a dit: « A parler net l’histoire ce n’est rien
de plus que ce que nous étions raisonnables de croire vrai dans ce que nous avons compris de
ce que notre documentation révèle du passé ».
Il faut donc dégager l’essentiel.
Les traces historiques sont fragiles car écrites, mais le code des annales ne veut pas se
contenter que de sources écrites.
D’après Febvre il y a un combat pour l’histoire, l’histoire se fait avec des documents écrits ou
sans s’il n’en existe pas. Febvre a une conception humaniste de l’histoire, il veut comprendre
l’être humain de son temps en étudiant ce qu’il était. Chez Ricœur la source est un élément
du présent qui met en contact avec le passé. Pomian lui dit que les traces se trouvent parmi
nous ou bien rassemblés dans des musées, bibliothèques et autres.
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Il y a donc une double discussion temporelle car l’histoire est à la fois objet du passé et du
présent. Les sources étonnent car elles renvoient vers le passé. La trace devient une
matérialisation du passé, et est un intermédiaire entre nous et le passé.
Le problème est que premièrement la mémoire humaine n’est pas parfaite et deuxièmement il
y a des risques de pertes et de destructions de sources. Par exemple tremblement de terre,
guerres, destruction volontaires, … . On peut citer tout les documents d’avant le 17ième siècle
disparu à Bruxelles, les archives d’Ypres et de Louvain qui disparurent durant la guerre ’14,
les archives de Mons et de Tournai durant la guerre ’40, la bibliothèque de Sarajevo. Et parmi
les destructions volontaires il y a la destruction des archives du Congo par Léopold II et la
destruction de tout documents écrits en Afghanistan.
Il y a donc des problèmes pour les historiens, et en plus de tout ça il y a les destructions par
manque de places. La loi oblige à garder toutes sortes de documents que l’on doit envoyer aux
archives d’états après un petit temps, et ils décident là bas de garder ou de jeter.
A tout ça s’ajoute encore le fait que par exemple le papier du 19ième siècle se détruit petit à
petit car ont été fait avec des acides (le papier du Moyen-âge lui par contre se garde bien). Il y
a aussi le problème de conservation des films des années ’50. Aussi nous-mêmes au quotidien
nous ne gardons pas tout, de ce fait certaines choses comme les premiers enregistrements et
les premiers films ont disparus.
Le dernier type de destruction est du à l’archéologie elle-même car aujourd’hui ce n’est pas
seulement les objets trouvés qui intéressent mais aussi l’environnement dans lequel il est
trouvé (par exemple des traces de feux ou de morceaux de bois). Mais les fouilles détruisent
ces traces car elles veulent aller plus loin, un bon enregistrement est donc nécessaire, car il
faut aussi faire attention au comment la trace a été conservée.
Il n’y a pas seulement l’intérêt historique que l’on peut porter aux traces du passé, il y a aussi
l’intérêt esthétique, mais il vaut mieux faire attention à l’intérêt historique qui apporte un plus.
Par exemple: * Tintin et sceptre d’Ottokar, le roi figure comme une partie de la population
voit le roi des Belges, on pourrait se passer du parlement, mais tout le monde ne partage pas
cette vision des choses en Belgique (socialistes).
* On peut écouter Beethoven différemment quand on sait qu’il est un
contemporain de Napoléon et des grands bouleversements politiques.
3. La critique historique et son propos.
A. L’émergence.
Hérodote, contemporain de Socrate, est l’ancêtre des historiens. Il va produire une enquête
dont les sources seront l’observation et ce qu’il a entendu, il utilise une méthode de
journaliste. * Il recherche les guerres récentes (Perses et Grecques).
* Les mythes.
* La géographie (Il est aussi considéré comme le précurseur des géographes).
Après lui vient Thucydide qui apporte le développement des méthodes, il est acteur et aussi
spectateur des évènements de son temps. Il va étudier les causes des différents évènements et
les différencier.* Il cherche les causes lointaines, profondes et immédiates.
* Il utilise des témoignages et les confrontent, quand il n’en a pas il raisonne
par analogie.
* Il produit des preuves.
* Plus de légendes, seulement des humains et des causes humaines.
On pourrait croire qu’après Thucydide les historiens seront définitivement lancés mais il n’en
est rien car ils vont succomber à au moins une des 3 tentations, la rhétorique, la politique et
l’éthique. * La rhétorique consiste à parler bien, c’est une activité littéraire, les faits sont
moins importants, il faut bien raconter.
* La politique c’est produire une histoire engagée au service de son propre Etat
contre un autre.
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* L’éthique, ce sont des maximes morales, de belles actions et des faits d’armes.
Ces 3 tentations, les historiens ne devraient pas y succomber. Mais par exemple Polybe
produit une histoire critique mais malheureusement morale. Les Romains Tite-Live et Tacite
produisent un discours fictif pour embellir l’histoire, peut importe le sens des mots, seul
compte la gloire littéraire.
Le Moyen-Age n’apporte malheureusement rien de plus, mais vers le 15ième-16ième siècle les
choses vont changer. Car ce qui importe à la Renaissance c’est le retour à l’Antiquité, il y a
donc une prise de recul, une érudition. Une érudition qui commence avec la philologie (étude
des langues) latine et grecque, les humanistes veulent parler les langues de l’Antiquité.
Parmi ces humanistes on retrouve Lorenzo Valla, il découvre que le document qui attribuait
un état au pape, de la part de Constantin, était un faux. Il a découvert ça car il recherchait
toujours les meilleurs textes car au fil du temps les fautes de copies deviennent de plus en plus
grandes. Un autre humaniste qui faisait la même chose était Erasme. Il y avait aussi la
numismatique qui collectionne les monnaies anciennes, d’autres témoins du passé.
L’épigraphie, elle s’occupe des inscriptions anciennes, et la chronologie des dates.
Mais comme les humanistes imitent les Romains (et les Grecques) ils retombent dans les
mêmes tentations. C’est-à-dire l’histoire comme genre littéraire avec par exemple les
Romantiques Voltaire et Michelet qui ne s’intéressent pas à la vérité mais ne font que répéter
leurs prédécesseurs. Mais on retrouve quand-même aussi les érudits, il y a donc une division
des historiens.
Les érudits étudient les techniques de collection, d’études et de classements de sources, ce qui
débouche sur des catalogues et des bibliographies.
Ces historiens sont surtout des religieux, Bénédictins et Jésuites. Chez les Jésuites se sont
surtout les Bollandistes qui rassemblent, critiquent et confondent les récits de saints
(hagiographie). Le Bénédictin Dom Mabillon s’intéresse aux chartres et diplômes qui
donnent des droits, il veut prouver que se sont des documents authentiques. Il a écrit: « A
propos de la diplomatique ». La diplomatique étant l’étude des diplômes (chartres et
parchemins). Il se développe d’autres branches qui sont des sciences auxiliaires pour les
historiens: la paléographie, l’étude des écritures anciennes; la sigillographie, qui est l’étude
des sceaux et aussi l’héraldique qui étudie les armoiries.
Dans la seconde moitié du 19ième siècle il y a la fin du divorce entre les érudits et les autres, et
enfin l’histoire devient professionnel car avant ça c’était affaire d’amateurs. C’est l’histoire
scientifique qui fait enfin son apparition, les historiens travaillent dans des musées et publient
pour des revues scientifiques. Il y a l’étude critique du passé, la compréhension du passé, la
recherche des causes et l’analyse. Les historiens renoncent volontairement à l’esprit littéraire
de l’histoire, il faut un récit sobre. L’un des premiers est Léopold von Ranke professeur à
l’université de Berlin; il parcourt l’Europe pour voir les archives nationales. Langlois et
Seignebois vont en 1898 systématiser la méthode de travail et les règles d’érudition.
B. La systématisation.
Le 19ième siècle est le moment des premiers grands progrès de la médecine par exemple
Pasteur découvre le vaccin contre la rage. Mais à coté de la science se développe aussi les
sciences humaines. Les historiens vont développer une méthode qui va valider leur
connaissance, ils vont systématiser la critique historique. D’autres sciences humaines vont
apparaître comme la psycho scientificité, la sociologie (Durkheim), l’économie, la
géographie, la linguistique (De Saussure) et l’histoire avec Langlois et Seignebois. Il y a
quand même 4 remises en questions.
La prétention de l’histoire à la subjectivité. C’est une illusion, la volonté
d’imiter les sciences naturelles car il fallait établir des faits, réaliser une
opération de synthèse. Les historiens pensaient que l’érudition pouvait tout
faire, par exemple Von Ranke pensait qu’il fallait savoir comment les choses
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c’étaient passées. Et d’après Foustel de Coulanges l’histoire n’est pas un art
mais une science pure, l’histoire doit bien voir les faits par une observation
des textes, et l’histoire ne peut faire place à la subjectivité. → Tout ceci n’est
pas possible c’est pourquoi illusion, et il faut donc être conscient de sa propre
subjectivité pour s’en protéger.
L’histoire problème qui est formulée par l’école des annales et entre autre
Febvre, qui pense que l’histoire ne doit pas être une succession d’évènements.
Il faut partir du présent, c’est évidemment un risque de subjectivité. Il faut
partir des questions du présent et essayer d’y répondre avec l’histoire. Il faut
surtout faire parler les sources → émergence de l’hypothèse de travail, il faut
d’abord poser des questions qui détermineront la façon de rassembler et de
critiquer des sources.
Il va y avoir des nouvelles sources et de nouvelles méthodes, parmi les
nouvelles sources il y a les sources non-écrites apportées par l’archéologie et
les statistiques vont permettre de découvrir l’histoire sérielle.
L’écriture de l’histoire doit rester neutre.
C. Remises en questions.
Dans le mouvement post-moderniste il y a un tournant linguistique et en suit un relativisme
cognitif. Sous l’influence de la linguistique et de la psychanalyse il va y avoir de la littérature
renouvelée qui parle des travaux et sources. → Les textes étudiés par les historiens seraient
auto référentiel car le langage est un système fermé de signes et la réalité serait contenue dans
le langage lui-même (Hayden White 1973). Le système historien tournerait sur lui-même et
l’histoire serait à mettre sur le même pied que le roman. Barthes remet en cause la différence
entre fiction et histoire, on voit l’histoire comme une narration.
Le relativisme cognitif pense que puisqu’un discours est auto-référentiel de multitudes de
discours peuvent se tenir sur le même thème et sont donc interchangeable.
Mais les historiens pensent que tout ceci est fort exagéré et les différents discours de l’histoire
vont se confronter et s’enrichir mutuellement. M. de Certeau (en 1975) réagit en disant que
le récit n’est pas auto-référentiel, Ricœur lui écrit en 1983 « temps et récits », et Pomian
« Manque d’historicité », il y a des notes de bas de pages et des citations.
II. Les règles de la critique historique.
1. La portée des témoignages et des documents.
A. La critique externe.
Elle examine la valeur extrinsèque de la source → le document est-il bien ce pourquoi il se
donne et par quel moyen de transmission ce document est-il venu jusqu’à nous.
Critique de provenance (auteur/date/lieu). Il faut identifier la source, il y a le
problème des anonymes et des pas signés. Aussi, problèmes d’auteurs car il y a
parfois 3 auteurs: L’auteur intellectuel, responsable du contenu; l’auteur matériel, par
exemple un scribe et l’auteur officiel, un prince ou roi. Problème de savoir qui est
quel auteur. Il y a aussi les auteurs qui emploient un pseudonyme (George Sand), des
anagrammes (Rabelais) et certains auteurs signent seulement avec leurs initiales. A
coté de ça il y a les fausses attributions pour rehausser une œuvre (les pseudos-
Augustin) faites par l’auteur lui-même ou par un copiste, ce qui arrive aussi c’est de
rehausser un auteur en lui attribuant une œuvre anonyme.
La date peut aussi poser un problème car incomplète et on ne peut qu’évaluer une
fourchette chronologique avec les terminus a quo (à partir duquel), post quem (après
lequel), ad quem (vers lequel) et ante quem (avant lequel). Il y a aussi le problème de
conversion des dates (calendrier romain (753 avant Jésus-Christ) et musulman (622)).
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