Copyright idumea 2003
LE LIVRE D'ABRAHAM ET L'EGYPTOLOGIE MODERNE
Marcel Kahne
RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES
De tous les fondateurs de religions, Joseph Smith a été le seul à affirmer avoir traduit trois documents
qu'il prétend être authentiquement historiques (le Livre de Mormon, la section sur Enoch dans le Livre de
Moïse et le Livre d'Abraham), fournissant ainsi au monde scientifique une occasion en or de le confondre
s'il était un faussaire, et à l'humanité un puissant témoignage concret de l'existence de Dieu, et de la
véracité de l'œuvre, si ses dires se confirmaient.
Il est en effet impossible à qui que ce soit de créer un faux historique, surtout s'il le situe dans un passé
lointain et dans une autre civilisation que la sienne, sans être immédiatement démasqué. Chaque mot,
chaque expression, chaque phrase, chaque idée, aussi anodins qu'ils paraissent, sont autant de pièges
(cf. "Le Livre de Mormon vu par un auteur de science fiction", d'Orson Scott Card). D'une part il est
impossible de penser à reproduire chacun des innombrables détails culturels qui doivent transparaître
dans le texte ancien - en admettant qu'on les connaisse tous - , d'autre part le faussaire est incapable
d'éliminer les indices de sa propre culture qu'il intègre inconsciemment dans son texte. Le faussaire sans
instruction sera repéré dès le premier mot. Le faussaire érudit sera peut-être un peu plus difficile à
démasquer, mais le temps jouera à coup sûr contre lui, car la science est ainsi faite que les nouvelles
découvertes viennent remettre en question les certitudes du passé. Autrement dit, ce qui aurait semblé
vrai à un érudit de 1830 se révélerait être faux à la fin du 20ème siècle, et chaque nouvelle découverte
serait un argument de plus contre lui.
Inversement, chaque touche juste apparaissant dans le texte doit s'expliquer. S'il n'y en a qu'un très petit
nombre, on pourra les considérer comme des coups de chance. Mais dès l'instant ce nombre devient
plus important, le calcul des probabilités se met à jouer en faveur de l'authenticidu document. Les
chances pour qu'un faussaire tombe juste 10 ou 15 fois sont déjà très faibles. Lorsque des centaines de
touches sont justes (surtout si "l'auteur" n'avait pas accès à l'information à son époque), les chances de
falsification deviennent infinitésimales.
Or c'est le cas pour les documents publiés par Joseph Smith. Non seulement ses "coups de chance" sont
très nombreux, mais la recherche scientifique vient régulièrement apporter de nouveaux éléments qui
augmentent leur nombre.
Hugh Nibley, professeur à l'université Brigham Young, a été le premier à mettre en évidence de
nombreuses touches authentiques dans le Livre de Mormon ("Lehi in the Desert and The World of the
Jaredites", 1952, "An Approach to the Book of Mormon", 1964, et "Since Cumorah", 1967), dans l'histoire
d'Enoch du Livre de Moïse ("A Strange Thing in the Land", série d'articles parus dans l'Ensign 1976-
1977), et dans le Livre d'Abraham ("A New Look at the Pearl of Great Price", série d'articles parus dans
l'Improvement Era, de janvier 1968 à juillet 1970, "The Message of the Joseph Smith Papyri", 1975, et
"Abraham in Egypt", 1981), ainsi que dans d'innombrables articles.
En 1976, Lynn et Hope Hilton, après une étude minutieuse de 1 phi, allaient sur le terrain et suivaient
l'itinéraire probable de hi et de sa famille de Jérusalem jusqu'à l'océan Indien, ramenant une foule
d'informations confirmant le récit du Livre de Mormon, notamment la découverte probable du lieu-dit
Nahom (1 Néphi 16:34). Conclusions confirmées et précisées par des recherches sur place de Warren et
Michaela Aston, en 1986 et 1989.
A partir de 1980, un certain nombre de chercheurs, beaucoup d'anciens élèves de Hugh Nibley, qui ont
poussé plus loin dans les nombreux domaines celui-ci avait ouvert des portes, et surtout qui sont
devenus de véritables autorités dans leur domaine, se sont groupés dans la Foundation for Ancient
Research and Mormon Studies (F.A.R.M.S.), dans le but de faire connaître au grand public les résultats
Copyright idumea 2003
de recherches d'un haut niveau professionnel, qui ne sont habituellement accessibles que dans des
revues spécialisées lues par un nombre restreint d'érudits. Ces chercheurs ont publié à ce jour beaucoup
d'ouvrages dont le nombre ne cesse de croître. Entre autres:
John L. Sorenson, "An Ancient American Setting for the Book of Mormon" (1985), résultat de 30 années
de recherches sur le terrain, montrant que le Livre de Mormon s'adapte parfaitement, géographiquement
et archéologiquement, à une section précise de l'Amérique centrale. John Clark a récemment publié le
modèle théorique de la topographie du Livre de Mormon, constitué à partir des données du livre, qui
s'adapte comme un calque sur le territoire en question.
Stephen D. Ricks et William J. Hamblin, "Warfare in the Book of Mormon" (1990), une étude sur la
guerre, la stratégie et les armements dans le Livre de Mormon, avec des comparaisons avec les
techniques antiques et méso-américaines.
John W. Welch, "Chiasmus in the Book of Mormon" (BYU Studies, 1969): mise en évidence d'un procédé
de style propre au monde antique et surtout aux breux, redécouvert après l'époque de Joseph Smith,
et présent dans le Livre de Mormon sous des formes extrêmement élaborées.
John Tvedtnes, "A Nephite Feast of Tabernacles" (1978) et John Welch, "King Benjamin's Speech in the
Context of Ancient Israelite Festivals" (1985) dégagent les fêtes religieuses juives qui, sans être
mentionnées explicitement dans le Livre de Mormon, apparaissent en filigrane dans certains passages.
Voilà quelques exemples parmi une véritable avalanche de découvertes résultant de travaux récents. Il
ne se passe pas six mois sans que de nouvelles informations paraissent, confirmant telle ou telle facette
du Livre de Mormon.
Il revient à chacun de décider, après étude de ces documents, s'il les considère comme convaincants ou
non. Mais désormais, plus personne ne peut soutenir valablement que les œuvres publiées par Joseph
Smith sont son invention ou celle d'un de ses contemporains érudits. Ceux qui veulent attribuer aux
Écritures modernes une origine purement humaine auront de plus en plus de mal à s'en expliquer.
LE LIVRE D'ABRAHAM
Il n'y a pas de réponses simples aux questions relatives à la civilisation égyptienne. "Il ne faut jamais
oublier que nous avons affaire à une civilisation vieille de milliers d'années, une civilisation dont il n'est
resté que des fragments minuscules. Ce que l'on présente fièrement comme de l'histoire égyptienne n'est
rien d'autre qu'un recueil de bribes et de morceaux" (Alan H. Gardiner, 'Egypt of the Pharaohs', Oxford,
Clarendon Press, 1964, p. 53). Les ouvrages de grande vulgarisation, de par leur nature même, ne
révèlent que très peu de l'énorme complexité des choses. De même, les quelques explications qui
suivent ne sont que des bribes de tout un traité sur la question. Toutes les citations proviennent des
ouvrages du professeur Nibley mentionnés plus haut.
I. LA TRANSMISSION DU TEXTE
Comment un manuscrit écrit de la main d'Abraham - en égyptien de surcroît - a-t-il pu se retrouver, plus
de 1500 ans plus tard, nanti de vignettes qui lui sont largement postérieures (la première et la troisième
remontent à la 17ème Dynastie, la seconde - l'hypocéphale - date de la période saïte, 7ème-6ème
siècles) dans une tombe thébaine avec des papyrus qui datent clairement du me siècle avant Jésus-
Christ?
M. A. Korostovstev note que "un moyen infaillible pour un Égyptien de traverser les siècles était
d'attacher son nom à un texte" C'est peut-être la raison pour laquelle Abraham choisit ce moyen
essentiellement égyptien pour transmettre son livre. Du moins, c'est sous cette forme qu'il est parvenu
jusqu'à nous. Theodor Böhl a récemment observé que l'unique chance que la littérature patriarcale
Copyright idumea 2003
pourrait jamais avoir de survivre serait de la rédiger sur des papyrus égyptiens. En égyptien,
naturellement.
Est-ce l'original?
Il faut tenir compte de deux particularités qui sont étrangères à notre mode de pensée: Dans la pensée
égyptienne ou hébraïque, toute copie d'un livre écrit à l'origine par Abraham serait considérée et
désignée dorénavant comme étant l'œuvre même de sa main, quel que soit le nombre de reproductions
faites et transmises au cours des années. Si c'était Abraham qui avait donné l'ordre d'écrire le livre, il
serait considéré comme l'ayant écrit lui-même. Quand un livre saint (ordinairement un rouleau de cuir)
était vieux et usé par la manipulation, il n'était pas détruit, mais renouvelé. Le vieux livre n'est pas
remplacé par un nouveau, c'est l'original qui poursuit son existence rajeuni. Selon Spiegel, pour
l'Égyptien, "il n'y a pas de différence essentielle entre un original et une copie. Car selon sa façon de voir
les choses, toutes les images ne sont que des reproductions d'un original idéal."
Comment ce document se trouvait-il en compagnie d'un ouvrage écrit par Joseph, son arrière-
petit-fils (également un immigrant en Égypte)?
Un passage du Livre des Jubilés (découvert en 1850) raconte que, tandis qu'il vivait en Égypte, Joseph
"se souvint du Seigneur et des paroles que Jacob, son père, lisait d'entre les paroles d'Abraham." Voi
qui dit clairement que les paroles d'Abraham étaient transmises sous forme écrite de génération en
génération, et étaient étudiées sérieusement dans le cercle familial. La même source nous apprend que
quand Joseph mourut et fut enseveli en Canaan, "il donna tous ses livres et les livres de ses pères à
Lévi, son fils, pour qu'il les conservât et les renouvelât pour ses enfants jusqu'à ce jour." Ici "les livres des
pères", y compris "les paroles d'Abraham", ont été conservés pour une génération future par un
processus de renouvellement. Les livres de Joseph étaient, bien entendu, des livres égyptiens.
Comment l'Hébreu Abraham aurait-il pu dessiner les vignettes?
Quand Abraham nous dit: "Pour que vous vous fassiez une idée de ces dieux, je vous en ai donné la
représentation dans les figures qui sont au début", nous ne devons pas croire que c'est le Patriarche lui-
même qui a dessiné les vignettes que nous avons sous les yeux. Il était de pratique courante chez les
scribes égyptiens de reformuler les vieux passages obscurs qu'ils copiaient pour les rendre plus clairs.
Ce qui résout le problème de l'anachronisme créé par la présence des trois vignettes dans un texte qui
leur est de loin antérieur. Elles ont manifestement été introduites beaucoup plus tard, à titre d'illustration,
par un scribe utilisant une pratique égyptienne que l'on voit se manifester, par exemple, dans le grand
livre des mystères appelé l'Amdouat: "La nature de cette chose, vous la voyez dessinée sur le mur sud
de la chambre cachée (...) cette chose secrète (...) on la voit complètement expliquée dans une
représentation se trouvant sur le mur sud de la chambre cachée". Le fait que le scribe en question ait
inséré la phrase comme si elle avait édite par Abraham n'a rien d'étonnant puisque tout ce qui se
trouve dans le manuscrit est considéré comme étant "de la main" d'Abraham.
Comment est-il possible que le manuscrit ait fini dans un hypogée thébain?
On ne sait pas comment il y est arrivé, mais la possibilité qu'il y soit arrivé est confirmée par deux
papyrus, le Leyde I 383 et le Leyde I 384. Tous deux proviennent d'une collection de 132 papyrus
achetés en 1828 par le Rijksmuseum à une des relations d'Antonio Lebolo, un certain d'Anastasi. Les
deux textes viennent de Thèbes et sont à peu près contemporains des papyrus de Joseph Smith.
Le Leyde I 384 contient l'image d'un lit à te de lion portant un personnage couché et Anubis debout à
côté. L'avant-dernière colonne du papyrus contient un texte en démotique et en grec intitulé: "Le sacrifice
(ou holocauste) d'Untel", dans lequel le personnage s'écrie: "Vite, vite, je vous en supplie, dieux des
morts, contre les morts, le dieu Balsamos, le dieu à tête de chacal et les dieux qui sont avec lui."
Directement sous la scène on trouve écrit en grec les mots "orichthambito abraam ho epi..." qui signifient
Copyright idumea 2003
"Abraham qui... sur... s'étonne émerveillé..." Le texte est interrompu là, et on peut supposer que la fin est
"qui est couché sur l'autel" ou "qui invoque Dieu". Cela rappelle évidemment le fac-similé n°1: "Abraham
attaché sur un autel".
Le Leyde I 383 contient un extrait du Papyrus magique démotique. La 8ème colonne mentionne
"Abraham, la pupille [et l'iris] de l'œil udjat". C'est une désignation très intéressante, parce que "la
pupille de l'œil udjat" est un des noms que les Égyptiens donnent à l'hypocéphale (le fac-similé n°2). Ce
qui rend le passage si intéressant, c'est que cette épithète est donnée à Abraham au milieu d'une section
concernant la manière d'obtenir la révélation. Or, l'explication que donne Joseph Smith concernant
l'hypocéphale dans le Livre d'Abraham concerne aussi l'obtention de la révélation du ciel et du cosmos.
Voilà donc deux textes scientifiquement reconnus, provenant du même endroit et de la même époque
que les papyrus de Joseph Smith, non seulement apparaît le nom d'Abraham, mais il apparaît en
relation avec deux des trois fac-similés!
Un autre élément intéressant: Dans les textes abrahamiques non-bibliques, le nom d'Abraham est
systématiquement lié à Nimrod, lequel est lié à la dynastie de Shishaq I ou Sheshonq, qui réintroduisit les
sacrifices humains. Contemporain de Salomon, il fonda la 22ème Dynastie. Le professeur Breasted a
trouvé le nom d'Abraham sur une stèle de Sheshonq I en Palestine. Or le nom Shishaq ou Sheshonq
apparaît sur le bord de l'hypocéphale (fac-similé n°2). Serait-ce la tradition de cette famille qui aurait
amené le manuscrit d'Abraham jusqu'à nous? (Selon M.D. Rhodes, BYU Studies, 1977).
II. LES FAC-SIMILES
Quel rapport peut-il bien y avoir entre des vignettes provenant du Livre des Morts et Abraham?
Il est impossible d'apporter une ponse à cette question dans le cadre d'un exposé aussi bref que celui-
ci. Elle requiert en effet un développement assez important qu'on ne peut pas résumer. Il existe une
importante littérature extra-biblique concernant Abraham d'où il ressort clairement que les traditions
abrahamiques ont une liaison étroite avec le Livre des Morts.
L'étude des fac-similés eux-mêmes fait l'objet d'un traitement très important de la part du professeur
Nibley, qu'il faut consulter pour avoir une vue globale sur le sujet. Il suffit ici de montrer que les
explications qu'en donne Joseph Smith sont parfaitement possibles.
Un avertissement est toutefois indispensable: l'iconographie égyptienne ne tente pas de faire de portraits
au sens moderne du terme. Elle est essentiellement symbolique, d'où son aspect figé. D'où aussi le fait
qu'une même illustration peut représenter toute une série de choses différentes. Dans le fac-similé n°1, il
est question au départ de l'embaumement d'Osiris par Anubis après sa mise à mort par Seth. Au second
degré, Anubis est remplacé par le prêtre (portant le masque d'Anubis) et Osiris par le pharaon, qui
devient le nouvel Osiris. Avec le temps, les riches se feront représenter de la même façon, et à la fin de
l'empire égyptien, ce sera tout un chacun qui pourra se permettre de se transformer en Osiris. D'autre
part, les vignettes, tout en ayant le même aspect général, diffèrent souvent par de petits détails qui en
changent la signification. Nous en verrons un exemple en relation avec le fac-similé n°1. Enfin, la nature
tardive des fac-similés élimine le problème de savoir comment un Hébreu peut se permettre de
représenter iconographiquement une divinité à l'encontre du 1er commandement. A ce propos, d'ailleurs,
il convient de préciser que les Dix Commandements n'ont pas d'effet rétroactif et qu'il ne faut pas
appliquer notre logique d'Occidentaux du 20ème siècle à des événements vieux de près de 4.000 ans.
Pour s'en convaincre, il suffit de lire l'épisode des théraphim (dieux domestiques) de Laban dans Genèse
31:19-35.
Copyright idumea 2003
Le fac-similé n° 1
S'agit-il d'un embaumement sur un lit ou d'un sacrifice sur un autel?
Selon Nibley, la présence du crocodile "montre qu'il s'agit d'un autel. On ne trouve jamais un crocodile
comme celui-ci dans une scène d'embaumement (...) mais il est tout à fait à sa place dans une scène de
sacrifice."
Fig. 1: "L'Ange du Seigneur"
Dans la pensée égyptienne, la meilleure manière de montrer un ange, c'est d'utiliser l'épervier. L'épervier
"monte jusqu'au ciel", "ouvre les ailes jusqu'aux limites de l'univers", et "fonce à travers le cosmos
jusqu'au lieu de lumière". Comme tel, il porte le nom d' "Annonciateur" et de "Connaisseur", ce qui le
révèle comme étant le messager par excellence.
1 / 16 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !