Les attentes du quatuor de wildiens enthousiastes qui ont franchi la porte cochère devant le Petit Théâtre de
Naples pour assister à la pièce étaient des plus hautes. Malheureusement, le spectacle était bien en deçà de
leurs espérances. Au lieu de respecter l’architecture de la pièce de Cocteau, où toute sa créativité s’est
exprimée, le metteur en scène en a bafoué la structure en introduisant deux scènes d’un autre cru. Elles sont
sans doute de la main de Pierre Boutron, dont l’adaptation de Dorian Gray (on pense évidemment à son
téléfilm de 1976) est citée parmi les productions de la compagnie Icare dans le programme distribué dans la
salle. Cocteau n’avait écrit ni la scène entre Sibyl Vane et son frère qui la met en garde contre Dorian Gray,
ni la scène entre Lord Henry Wotton et une dame de l’aristocratie qui révèle toute la superficialité de la
haute. L’ajout de ces deux scènes au texte de Cocteau en détruit son plus grand intérêt en rendant bancale
la construction mesurée de sa première pièce de théâtre. Quelle déception de constater que la première du
Portrait surnaturel ne respectait ni l’invention ni la magie de Cocteau.
Il n’y avait guère plus de magie dans le jeu des acteurs. Il manquait du mystère au Dorian Gray de Jérôme
Feucht, et au Lord Wotton de Fabien Paris la touche du dandy, le cynisme acerbe et la tentation diabolique.
Sonia Ouldammar en tenue de jogging et baskets n’incarnait nullement l’esthétique éthérée qui aurait séduit
Dorian. Faire jouer Basil Hallward par une comédienne aurait pu rendre plus complexes les rapports entre
le peintre et ses amis Lord Henry et Dorian, mais ce sous-texte homosexuel est passé presque inaperçu dans
les scènes les réunissant. La mise en scène de Patrick Rouzaud va aussi à l’encontre des didascalies de
Cocteau, qui précise que le portrait de Dorian Gray n’est jamais visible, pour laisser libre cours à
l’imagination des spectateurs. Dans l’intime salle du Petit Théâtre de Naples, ces derniers sont littéralement
entourés de portraits de Dorian : un en face, sur la scène, regarde un autre, derrière, à l’entrée. Seule astuce
qui rachète tant de bévues : l’installation d’une coiffeuse au pied de l’estrade qui sert de loge aux comédiens
où chacun s’assoit à son tour pour se maquiller et se préparer à entrer en scène. Idée inspirée, non seulement
pour montrer le passage du temps (on voit le vieillissement des personnages dans les couches du
maquillage) mais surtout pour souligner l’importance du jeu, de la pose et du masque dans le monde de
Wilde.