Interview : Marie-France Daniel.
Entre-vues : Le dialogue, chez vous, va vers quelque chose de construit alors que la conversation
serait plus de l’ordre du ludique. J’en viens là encore à une autre distinction entre le philosophique
et l’émotionnel. Et là il me semble que vous avez aujourd’hui fait de façon très précise et pertinente
la différence entre les deux. Le dialogue pourrait s’apparenter à la philosophie et, de l’autre côté, la
conversation qui a son intérêt ludique irait plus vers la satisfaction émotionnelle. Pourriez-vous
expliciter votre rapport à ces concepts ?
Marie-France Daniel : En ce qui concerne la conversation, il y a toujours différentes perspectives
et différents cadres. Dans la perspective dans laquelle je me situe la conversation est vraiment libre.
Les gens conversent de façon ludique avec ou non un objectif particulier. Le dialogue il doit viser
un but commun. C’est une construction, l’étymologie de dialogue c’est « dia logos ». Logos c’est
penser. On pense ensemble, on pense avec l’autre. Le dialogue implique donc nécessairement la
pensée de l’autre, l'écoute de l’autre. La construction de ma propre pensée ne se fait pas de façon
individualiste mais à partir de l’intervention de l’autre. Je prends en compte ce que l’autre fait pour
enrichir ma pensée. Des conversations, on en a de manière informelle tous les jours. On peut
arrêter spontanément une conversation et ça ne brise rien. On peut introduire quelqu’un de nouveau
dans la conversation. Il y a cet élément de liberté. La conversation peut être importante dans le sens
d’un récit. Si des gens ont des expériences très douloureuses, ils doivent passer par cette période de
« je raconte mon traumatisme, je raconte mon histoire qui est douloureuse. Et je vais recevoir du
fait de ce récit les bienfaits du psychanalytique ou du psychologique. » Donc le récit, la
conversation, c’est une des étapes. Le dialogue constitue une autre étape plus complexe qui ne se
fait pas dans la perspective de régler un problème personnel mais qui se fait dans une perspective
d’agir en vue d’améliorer un concept commun. Cet élément n’est pas nécessairement facile à
distinguer pour les enseignants. Que ce soit en Amérique du Nord, au Québec, en Europe ou en
Australie, j’ai vu des enseignants qui laissent parler les enfants dans une conversation libre et qui
n’ont pas de critères pour déterminer la distinction entre converser et dialoguer. Ils n’ont pas les
critères pour eux-mêmes et ils n’ont donc pas de points de repère ni les moyens de guider les élèves
vers un dialogue. Et c’est le rôle de l’enseignant d’aider les élèves à sortir de la conversation pour
les faire entrer dans un dialogue. Il faut toujours qu’ils les guident dans cette reconstruction : « Est-
ce que tu peux reformuler ce que X ou Y avant toi vient de dire ? Comment est-ce que tu peux
greffer ton intervention à partir de ce qui vient d’être dit » ? Les enfants et même les adultes, sont
portés à donner leur idée, leur opinion dans une perspective très individualiste. On a notre idée
c’est l’idée la plus importante, c'est celle qu’on veut verbaliser au groupe. Alors il faut que
l’enseignant réussisse à faire en sorte que les enfants se décentrent de leur point de vue personnel
pour qu’ils puissent participer à cette construction du dialogue. Cela se fait par un encadrement
assez serré : reformuler ce que l’autre vient de dire, se greffer aux idées des pairs, enrichir des idées
précédentes, toujours avec un lien pour faire comme Botloyd disait « une pyramide dans la
réflexion ». Et ce n’est pas facile pour les élèves. Bien sûr il y a un apprentissage. Ce n’est pas
facile non plus pour les enseignants de se donner ces critères et ces moyens de faire en sorte
d’arriver au dialogue. Et c’est pour ça qu’on le retrouve peu. Lorsque les enfants dialoguent, l’étape
suivante consiste à faire en sorte qu’il y ait un dialogue critique. Je dis dialogue critique parce que
j’ai essayé d’opérationnaliser le dialogue philosophique. Qu’est-ce qu’un dialogue philosophique ?
Comment peut-on le retrouver en classe? Pourquoi une opérationnalisation de cette philosophie
passerait-elle par le dialogue critique ? Lorsqu’on a atteint le dialogue avec les élèves, il s’agit de
passer à l’étape suivante et de les aider à critiquer de manière constructive. Des études ont
démontré que ce n’est pas parce que je dialogue qu’il va nécessairement y avoir transformation ou
amélioration du discours ou de la pensée. Si tous les élèves vont dans le même sens, dans la même
perspective, s’il y a empathie, s’il y a décentration, il n’y a pas nécessairement amélioration. Il se