peuvent protéger leurs créations par le copyright et échappent au champ statistique de la culture. Or,
aujourd’hui, la frontière entre artiste et artisan d’art est pour le moins floue ;
– la troisième difficulté tient à la nature des emplois. Plus on fait entrer de secteurs de l’économie dans les
industries créatives, plus la notion de talent artistique devient ténue. Les politiques d’industries créatives,
certes, sont des politiques de lancement des petites et moyennes entreprises (PME), de « soutenabilité »
des PME, de durée de vie des PME naissantes etc., mais ce ne sont pas nécessairement des politiques de
formation, d’éducation ou même de protection des revenus des talents dans un certain nombre de cas.
L’alternative consiste en un saut épistémologique et revient à réviser un certain nombre des approches et
notions appliqués à la culture à partir de la notion de créativité et à situer la culture dans le monde de la
créativité aux cotés d’autres activités mais avec des acteurs pouvant donc passer d’un domaine d’activité à
l’autre. Quelques études, au plan international, vont dans ce sens: en Angleterre avec les rapports NESTA
parus en février 2008, en Nouvelle-Zélande, en Australie – soit plutôt dans le monde anglo-saxon. En
France, il faudrait tenter d’identifier de manière plus précise la question de la culture à travers celle des
emplois culturels créatifs, quel que soit le secteur de l’économie où ils sont exercés.
Le premier intérêt de cette approche est qu’elle permet de fusionner, comme le rappelait Walter
Santagata, la créativité sociale et la créativité économique. De cette manière, c’est l’ensemble du processus
qui est analysé à l’aune de la créativité : ce n’est pas à l’arrivée qu’on devient socialement créatif, c’est dans
la distribution. Ces deux dimensions sont, de plus, complémentaires.
Le deuxième intérêt de cette approche est de souligner les moyens de redonner du sens à la
condition artistique, laquelle dépasse justement les frontières traditionnelles des secteurs artistiques. En
2004, dans La valorisation économique du patrimoine, nous avons montré que les emplois liés à la mise en
valeur du patrimoine culturel dans les entreprises en général étaient cinq fois plus importants que les
emplois dans les monuments, les musées et les archives en France. Or si la condition artistique a toujours
été économiquement fragile, elle l’est plus encore dans les entreprises dites non culturelles. Peut-être pour
aider à la consolider faut-il alors élargir la perspective et présenter la culture non pas comme un petit
secteur de l’économie, même en pleine croissance., mais démontrer que la créativité est la dimension
fondamentale de l’adaptation des économies européennes à un monde où la concurrence se fait
nécessairement de plus en plus par la qualité des produits et bien entendu par les coûts.
Enfin, cette manière d’analyser les choses éclaire les débats sur l’organisation des ministères de la
Culture et leurs statistiques. Ils continuent trop souvent de se considérer comme l’interlocuteur de lobbys
artistiques reconnus là où il faudrait devenir celui de la mobilisation des talents artistiques.
Pour finir, il faut souligner que ces questions ne sont pas si nouvelles. Dans une recherche récente sur les
archives d’Émile Gallet et plus largement sur les entrepreneurs de l’école d’Art nouveau au tournant du
XIXe siècle en Europe, nous avons montré qu’à cette époque déjà, un certain nombre de chefs
d’entreprise rêvaient de placer l’art au cœur du quotidien – de faire en quelque sorte que les artistes
puissent être valorisés et que les travailleurs contribuent à cette création artistique et soient à leur tour