Sur le plan éthique, il est bien tentant de donner le bon Dieu sans confession à ce secteur
particulier du monde professionnel qu’est l’action humanitaire. A chacun vient en effet, à
l’évocation de ce mot, l’image d’un docteur Schweitzer ou d’un French doctor. Cela sent bon
l’aventure culturelle en sac à dos, le combat généreux au détriment du vil matérialisme.
Mais le cliché est devenu obsolète. Le secteur de l’humanitaire connaît depuis 20 ans une
expansion et une professionnalisation sans précédent. De nombreuses ONG ont adopté des
structures d’entreprises ; certaines, telles WorldVision ou Oxfam, ont désormais la force de
frappe financière d’une multinationale.
Les myriades d’ONG présentes sur la scène humanitaire internationale se trouvent
désormais en concurrence féroce les unes par rapport aux autres pour la collecte de fonds,
et certaines choisissent de jouer sur les leviers émotionnels et psychologiques pour susciter
plus efficacement les dons des particuliers. Ces dérives, plutôt courantes en marketing
classique, deviennent soudain choquantes et suscitent la polémique lorsqu’elles sont mises
au service de causes altruistes - ce n’est pas sans raison.
Comment concilier, sur le plan éthique, la collecte de fonds humanitaires et les
valeurs éthiques portées par l’action que ces fonds rendent possible ?
Afin de résoudre ce problème, il importe dans un premier temps de définir clairement les
valeurs éthiques fondamentales de l’action humanitaire ; pour ce faire, nous tâcherons de
suivre les traces de cette action dans l’Histoire.
Dans un second temps, il s’agira d’identifier les dérives posant actuellement problème dans
les pratiques de fund raising, et de souligner l’incohérence éthique qui en découle.
Enfin, nous terminerons sur une note plus optimiste en proposant des pistes de résolution de
ces problèmes, basées sur des systèmes déjà existants.
I- L’éthique fondatrice de l’humanitaire
1) Qu’est-ce que l’éthique ?
Le dictionnaire propose la définition suivante de l’éthique : « réflexion relative aux conduites
humaines et aux valeurs qui les fondent, menée en vue d'établir une doctrine, une science
de la morale. »
Du grec ethikos (la morale), lui-même dérivé d’ethos (les mœurs), l’éthique est, au sens
étymologique, la science de la morale et des mœurs, l’équivalent grec du latin mores qui a
donné la morale.
Les notions d’éthique et de morale s’appliquant à distinguer le bien du mal se sont
distinguées avec le temps et l’usage, mais différemment selon les utilisateurs. Ainsi pour
Edgar Morin
, la morale concerne les décisions et actions d’un individu, tandis que l’éthique
s’intéresse au bien de l’individu, de l’espèce ou de la société. Pour Suzanne Rameix
,
l’éthique consiste non pas à distinguer le bien du mal, mais à choisir entre plusieurs biens,
ce qui induit des conflits de devoir. André Comte-Sponville
définit la morale comme ce que
l’on fait par devoir, et l’éthique comme ce que l’on fait par amour. Les définitions d’usage
sont donc variables, c’est pourquoi il importe d’en fixer une comme cadre de cet essai.
La distinction la plus répandue entre ces deux notions considère la morale comme un
ensemble de lois universelles et immuables sur le bon et le mauvais, l’éthique se
différenciant par son attachement au contexte et aux valeurs : elle traite de situations
singulières et concrètes dans un contexte spécifique.
Edgar Morin, sociologue et philosophe français né en 1921.
Suzanne Rameix, philosophe, auteur de « Fondements philosophiques de l’éthique médicale ».
André Comte-Sponville, philosophe et membre du Comité national consultatif d’éthique.