Proposition de correction pour le second axe d’analyse de l’incipit de Pierre
et Jean : une esthétique réaliste, ou la volonté de faire vrai.
L’incipit d’un roman est aussi le moment privilégié dans lequel le lecteur découvre
l’esthétique qui va couvrir l’ensemble de l’œuvre.
1ère sous-partie : une ouverture dynamique.
Le roman débute sur une parole prononcée au style direct, c'est-à-dire au milieu de l’action (début in
médias res au théâtre, c'est-à-dire au milieu de la chose).
- « Zut », interjection prononcée par le père Roland, connecteur « tout à coup » qui marque la
soudaineté et le verbe s’exclamer au passé simple, temps de l’action.
- Les indications concernant l’histoire sont disséminées dans la narration.
- L’imprécision des informations semble alors naturelle pour quelqu’un qui arrive brutalement
de l’extérieur (le lecteur).
Le lecteur entre dans une histoire qui a déjà commencé : la vie est montrée dans son déroulement et
ne débute pas avec le roman.
2ème sous-partie : une scène sans action.
Cependant, cela crée une sorte de contraste car la scène se caractérise par l’absence d’action.
- Il s’agit d’une banale scène de pêche en famille, situation tout à fait réaliste.
- Champs lexicaux de l’immobilité (« demeurait immobile ; fixés ; mouvements très légers ») et
de l’attente (« depuis un quart d’heure ; par moments »), accentués par le verbe à l’imparfait
(temps de la description, et donc de la pause narrative) et l’amplitude de la fin de la première
phrase.
Maupassant montre ici son refus de l’extraordinaire, du « romanesque », et cherche plutôt à montrer
la réalité dans sa vérité la plus plate, voire la plus ennuyeuse.
3ème sous-partie : l’importance des dialogues.
Après l’interjection initiale, on constate l’omniprésence de dialogues au style direct. On retrouve la
ressemblance avec le théâtre qui est justement l’art de la représentation du réel (l’art de la mimésis,
c'est-à-dire qui mime la réalité).
- Ce sont les dialogues qui organisent la narration, ce que montrent les nombreux verbes
introducteurs de la parole : « s’écria ; répondit ; s’excusa ; murmura ». Nous pourrions presque
utiliser le terme théâtral de didascalies (indications scéniques).
- Les dialogues contribuent à la construction d’une scène, c'est-à-dire que l’étude de la
temporalité montre bien, même lorsque nous sommes en présence de passages narratifs, que le
temps de l’action correspond à celui de la narration.
- Nous pouvons ajouter à cela le niveau de langue familier utilisé par le père Roland (« Zut ;
Christi »), l’auteur utilise le français sous sa forme la plus triviale, employée quotidiennement.
Le lecteur a donc l’impression d’assister à une scène qui se déroule de façon naturelle sous ses
yeux, il y a véritablement un travail de la part de Maupassant pour faire coïncider narration et histoire.
4ème sous-partie : un narrateur discret.
Nous constatons dans le passage la volonté de cacher la présence du narrateur.
- Le point de vue est omniscient : « Ils faisaient, chaque fois, le même mensonge … ».
- Cependant, nous pouvons voir que la façon de montrer les personnages se rapproche d’un
point de vue externe : « Mme Roland […] regardait d’un air attendri… ; avec un air satisfait
de propriétaire. » Il y a regard extérieur, sorte de modalisation du point de vue, dès qu’il y a
évocation d’un sentiment. Le vocabulaire reste très objectif dans le reste des descriptions.
Seuls éléments qui posent question : les désignateurs du père Roland (« père Roland ;
bonhomme ; vieux pêcheur » ; termes subjectifs).
- Le décor est présenté d’un point de vue plutôt interne : « les yeux fixés sur l’eau ; un coup
d’œil bienveillant sur le panier ; … »
Le texte cherche ainsi à donner l’impression que le récit se déroule de lui-même, sans l’intervention
d’une voix extérieure (le narrateur), cette voix qui est le signe du caractère artificiel de tout récit.