Existentialisme 1 - Groupe d`étude sur l`intersubjectivité

De Descartes à Lévinas
Le courant existentiel dans l’histoire de la pensée occidentale
Son influence en psychologie
«
Il n'est pas de théorie, pas de philosophie, [...] qui n'ait son temps biologique, son temps de ve et de
rayonnement, et son temps de bois mort.
»
Christiane Singer
« Exister » :
du latin ex « hors de » et sistere (racine indo-européenne sta : être debout) « être
placé, se tenir ». Littéralement « se tenir au dehors, apparaître, se montrer, surgir ».
Jusqu’au XIIe, employé dans le sens de « se trouver en un lieu »
Au XVIIIe, avec Voltaire (1760), le terme prend par extension le sens de « vivre »
(Dictionnaire historique de la langue française)
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Au XIXe, Kierkegaard, père de l’existentialisme, lui confère le sens spécifique de
« être subjectif, avoir une conscience, pouvoir dire « je ». Ainsi défini, le terme ne
s’applique philosophiquement qu’à l’humain.
Au XXe, le terme « existence », que les existentialistes opposent à « essence »,
affermit sa connotation concrète, vécue, expérientielle.
Au XXIe, l’existence est le sens intime, octroyé par le regard d’autrui, d’appartenir
à l’humanité.
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Introduction:
Présentation du courant philosophique dit existentialisme contextualisé dans l’histoire
occidentale de la pensée. La pensée étant un mouvement continu d’émergences et d’influences
successives, il est bon de comprendre le génie de chacun par rapport à l’ensemble. L’accent sera mis sur
le mouvement et la séquence plus que sur le détail des différents systèmes de pensée.
Ainsi, nous allons nous promener dans les méandres et les soubassements de la philosophie tout
en faisant un peu d’Histoire et de géographie. Dans quel terreau fertile l’existentialisme s’enracine au
début du XIXe et comment a-t-il donné naissance aux grands vecteurs de la pensée contemporaine?
Trois parties : avant, pendant et après
(Première partie)
Avant l’existentialisme
« On ne peut se regarder soi-même avec un regard fourni par soi-même dans un système
autoréférentiel. C’est mortel. L’Histoire nous donne une perspective. »
Jean Bédard, Le Devoir, 17-18 mars 2012
L’Existentialisme est un phénomène unique dans l’histoire de la pensée occidentale, et dans
l’humanité parce qu’il suppose les notions préalables purement occidentales de moi, de sujet,
d’humanisme, etc. Si on considère globalement des visons du monde complètement différentes, comme
la pensée africaine ou la pensée chinoise, on ne trouve pas cette importance accordée à l’existence
proprement humaine, consciente, subjective, détachée d’une vision cosmologique d’ensemble. Mais
curieusement, nous adoptons aujourd’hui, sans toujours le savoir, certains éléments de ces pensées nées
très loin de chez nous.
1- Le double ancrage de la culture occidentale
« Pourquoi la Grèce est-elle si importante pour nous? Parce que, en Grèce, pour la première
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fois, s’est réalisé l’homme rationnel, l’homme formé par la Raison. […] Toute l’Europe, l’humanité
moderne proviennent de la Grèce. » Gombrowicz
Il est classique de définir le fondement de la civilisation occidentale par sa double origine: la
pensée grecque et hébraïque. Aussi distincts, voire divergents, que soient ces deux ancrages, ils n'en sont
pas moins constitutifs de notre inconscient collectif culturel, dont on pourrait dire qu'il pose un pied à
Athènes et l'autre à Jérusalem. D'un côté, la pensée rationnelle, l'humanisme, la conception d'un univers
éternel régi par des lois, l'esprit de recherche et de conquête; de l'autre, la suprématie d'un Dieu unique et
séparé, la conception d'un monde historique, linéaire, qui aspire au salut par la souffrance et l'effort.
D'un côté, la vérité scientifique, celle que l'on déduit par raisonnement; de l'autre, la vérité révélée, celle
à laquelle on adhère.
Nos racines ont 2500 ans. Deux courants de fonds, deux « matières premières », deux influences
majeures, deux cultures : grecque et juive, rationnelle et spirituelle. (Bien noter qu’on ne parlera pas de
religion, mais d’esprit, de culture).
Plus précisément, voici comment on peut caractériser ces deux dimensions, tout en se gardant de
trancher au point que leurs distinctions en deviendraient fausses :
Raison et Révélation (Leo STRAUSS), savoir et sagesse, être et devenir, langage conceptuel et parole
inspirée, dominantes visuelle et auditive, conquête du monde ou conquête de soi, immuabilité et
temporalité, mais aussi immanence (Asie, Asie mineure, Grèce) et transcendance (Égypte, Israël).
Mots-clés : Grecs : Éternité, Raison, Conquête
Juifs : Durée, Relation, Accomplissement
D’un côté, la pensée grecque se montre éprise d’harmonie, d’unité et de stabilité. Elle est à
l’image de ce que qu’on peut imaginer qu’un homme de l’Antiquité voyait de l’univers lorsqu’il levait la
tête et regardait le ciel nocturne : un univers fixe, immobile et « en ordre » (cosmos). Cette vision du
monde, qu’on dit aujourd’hui Aristotélicienne, a influencé l’Occident dans sa longue quête d’une vérité
absolue, définitive et immuable, du souverain Bien, de l’universel et du nécessaire (tels que les énoncés
mathématiques qui sont « apriori » : 2 + 2 font 4 pour tout le monde et partout) et de l’ontologie (tout ce
que les existentialistes rejetteront). Elle a traversé en fond tout le Moyen Âge, et rapportée par les
Arabes et à la faveur des écoles de traduction espagnoles et italiennes, s’est déployée à la Renaissance.
Pour les anciens Grecs, le « primat de l’expérience », telle qu’on le conçoit aujourd’hui, était un
non-sens. Étant par définition variable, relative, éphémère, imprévisible et « a posteriori », ce que
Parménide, suivi de Platon, appelait la « doxa » (l’opinion par définition confuse et changeante)
correspondait justement à ce dont tout être épris de sagesse et de vérité devait s’éloigner. Idem pour les
valeurs actuelles d’incertitude, de probabilité. L’ « Être » des grecs et des scolastiques est sans négation
et sans altération.
Il y a aussi l’immanence grecque qui s’oppose à la transcendance sémite (venue du Moyen
Orient et d’Afrique, Moïse était égyptien). Le « Connais-toi toi-même », l’injonction la plus célèbre (et
la moins comprise) de toute l’histoire de la philosophie, a émergé en Ionie, laissant supposer une origine
asiatique (Thalès de Milet, Asie mineure, VIe av. JC, un siècle après Lao-tseu, Bouddha et Confucius)
De l’autre, « La culture hébraïque n’est pas discursive : c’est un chant, une danse » dit la grande
spécialiste Annick de Souzenelle. C’est une incantation, parfois une lamentation, une relation à plus
grand que soi, une voix de prophète qui appelle à la transformation. Il existe une autre intelligibilité que
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la rationalité, défend Catherine Chalier : celle de la métaphore, du symbole et du paradoxe. La vocation
de l’être humain est de s’accomplir (Pour les grecs, elle est dans la recherche de la vérité). Notion de
chemin, de passage (symbole de la mer Rouge) entre inaccompli et accompli. Il y a un début et une
fin (Création et fin du monde). On est davantage dans le devenir que dans l’être, Lévinas dirait, moins
dans la Totalité que dans l’Infini.
À titre d’illustration, on pourrait dire que la théologie relève d’un esprit grec, alors que la
mystique nous livre sa résonance juive. (Voir Érasme qui, au XVIe, dans Éloge de la folie, oppose
l’ «adoration » à l’«explication» dans la religion.)
La chrétienté, qui cristallise les deux mondes, ne peut renier son double héritage. Mais la
jonction ne s’est pas faite sans effort ni friction. Qui a hellénisé le message du juif de Galilée? Pour en
faire une institution avec des dogmes, des règles, des articles de foi, puis une scolastique? Un grec et un
romain. Deux figures majeures de la chrétienté : Saint Paul de Tarse (d’Asie mineure, 1er s.) d’abord,
puis Saint Augustin (d’Afrique du Nord latinisée, 354-430), les deux ayant vécu des conversions
soudaines et spectaculaires, ce qui n’est pas sans évoquer l’immense bond qui leur fallait effectuer pour
lier ces deux mondes. Un deuxième point de rencontre a lieu à la Renaissance. On pourrait qualifier la
chrétienté, telle qu’elle s’est édifiée, de « terrain d’entente » de ces deux pensées qui viennent
d’horizons très différents (d’anciennes populations qui, dans le mouvement antérieur des dominations et
colonisations, ne s’étaient jamais vraiment rencontrées).
Symboliquement et historiquement, la rencontre de ces deux mondes, l’hébraïque et le gréco-
romain, se produit au moment de la crucifixion. La croix est aussi un croisement! Ces deux courants
culturels difficiles à mettre ensemble ont fait à la fois la difficulté, les drames et la fécondité
exceptionnelle de notre civilisation établie, en quelque sorte, sur une contradiction. Leurs entrelacements
ont participé aux éclosions successives de la civilisation occidentale et continuent de l’alimenter en
nombreux génies : pensons au nombre prodigieux de grands penseurs d’origine juive en Occident, et
aujourd’hui de juifs allemands américains. On ne soupçonne pas toujours l’enchevêtrement des racines
qui se cachent derrière une seule nationalité!
[Remarque pour les psys: Freud représente une sorte de mélange parfait à l’occidentale :
l’ « analyse » est un mode de pensée typiquement grecque, alors que l’ « interprétation » livre
incontestablement sa résonance hébraïque. La question rebattue : « La psychanalyse est-elle une science
ou une voie d’accomplissement? » est l’illustration même d’une culture mixte ou ambiguë qui ne sait
pas toujours sur quel pied danser!]
Si l’évolution des idées a accouché de ses points forts en des lieux successifs (Égypte, Grèce,
Empire romain, Arabie, Espagne, Italie, France et Allemagne), on est en droit de se demander qui,
aujourd’hui, détient la force vive de la pensée? ponse : sûrement, mais non exclusivement, les États-
Unis, en dialogue avec une Europe effervescente loin d’avoir dit son dernier mot (France et Allemagne
encore, et Angleterre). Et il est impossible de ne pas remarquer la profusion et la richesse l’apport
intellectuel de la diaspora juive sur le continent américain: en ce qui concerne la psychologie,
l’immigration fut extraordinairement fructueuse: Perls, Bettelheim, Kohut, Gendlin, etc. Le juif
allemand (ou autrichien, russe ou lituanien, peu importe), sans en détenir le monopole, participe pour
beaucoup à cette force vive de l’Occident d’aujourd’hui (ajoutons Freud, Arendt, Lévinas, Putnam, notre
Sucharov, ainsi qu’un nombre impressionnants de savants.)
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Plusieurs penseurs constatent que l’époque contemporaine se montre de moins en moins
« grecque » (certains disent «cartésienne ») à l’exception du retour au courant philosophique de l’art
de vivre, à la « vie bonne » des anciens grecs (possiblement d’origine asiatique), et qu’elle tend à se
« judaïser » (Catherine Chalier). Aujourd’hui, l’orientation est éthique, relationnelle, subjective,
ressentie. On ne s’encombre plus de la recherche d’une vérité immuable et on répugne aux grandes
abstractions. Le verbe se fait chair : en philosophie, l’hégémonie de la rationalité a cédé le pas au primat
de l’expérience. Et l’être humain est soudainement vu comme vulnérable, tributaire et moralement
assigné, plutôt que dominant, rationnel et auto-glorifié. Assisterait-on à une deuxième « Renaissance »
celle des lettres hébraïques? Pour le moins, à une reviviscence féconde, non de sa « lettre » mais de son
« esprit ».
2- Qu’est-ce qu’un paradigme ?
En 1959, l’Américain Thomas Kuhn publie La Structure des révolutions scientifiques, œuvre
capitale dans l’histoire de l’épistémologie, proposant une vision systémique et dynamique des vérités
scientifiques. 1. définition : En introduisant la notion de paradigme, l’auteur offre un modèle de
compréhension du changement. Pour lui, l’évolution des idées ne se fait pas de façon linéaire et continue
par accumulation du savoir, mais par succession de modèles à cohérence intrinsèque, les paradigmes. Si
un paradigme se caractérise par sa logique interne qui fait que, pendant un certain temps, tout
phénomène est traité à l’intérieur et dans la forme inhérente à ce paradigme, il en va tout autrement d’un
paradigme à l’autre. Entre eux, ils s’entrechoquent, se heurtent et, par définition constituent deux façons
différentes de penser la réalité. Et même, deux façons de « découper » la réalité, deux sortes qu’elles ne
sont plus superposables.
Puis le terme à été repris dans le domaine de la pensée en général et signifie en gros tout ce qui suit :
les structures gissant la pensée, un ensemble de postulats fondateurs, un environnement intellectuel,
une tonalité, des habitudes de pensée partagées par tous dans une société donnée, un corps de pensées à
tendance cohésive, etc.
2. Lien avec principes organisateurs : On définit plus précisément le paradigme comme : ce qui régit
et donne cohésion à une vision du monde, le schème de pensée qui caractérise une culture donnée et
influence tous les individus qui la composent ou, selon Yves Boisvert « un schéma théorique qui
cherche à rendre compte de la tendance lourde qui marque le fonctionnement d’une société ». Il
constitue une sorte de principe organisateur, donnant lieu à un ensemble cohérent de présuppositions
partagées. Émanant d’une culture en particulier, il en maintient la cohésion. Je suis portée à voir le
paradigme comme le pendant philosophique du schème organisateur psychique. Entrer dans un
paradigme, c’est saisir une logique intrinsèque prise entre la tendance à protéger sa cohésion et celle de
s’ouvrir à du nouveau. À un moment donné, le paradigme en vigueur devient contraignant ou stérile :
après ou pas un moment de crise, il s’affaisse progressivement et cède sa place à des thèmes nouveaux et
insolites.
3. Le contexte des idées : Une idée, une hypothèse, une théorie n’arrive jamais de nulle part, elle
émerge d’un contexte de pensée qu’elle influence en retour. Le paradigme est en quelque sorte le
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