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fois, s’est réalisé l’homme rationnel, l’homme formé par la Raison. […] Toute l’Europe, l’humanité
moderne proviennent de la Grèce. » Gombrowicz
Il est classique de définir le fondement de la civilisation occidentale par sa double origine: la
pensée grecque et hébraïque. Aussi distincts, voire divergents, que soient ces deux ancrages, ils n'en sont
pas moins constitutifs de notre inconscient collectif culturel, dont on pourrait dire qu'il pose un pied à
Athènes et l'autre à Jérusalem. D'un côté, la pensée rationnelle, l'humanisme, la conception d'un univers
éternel régi par des lois, l'esprit de recherche et de conquête; de l'autre, la suprématie d'un Dieu unique et
séparé, la conception d'un monde historique, linéaire, qui aspire au salut par la souffrance et l'effort.
D'un côté, la vérité scientifique, celle que l'on déduit par raisonnement; de l'autre, la vérité révélée, celle
à laquelle on adhère.
Nos racines ont 2500 ans. Deux courants de fonds, deux « matières premières », deux influences
majeures, deux cultures : grecque et juive, rationnelle et spirituelle. (Bien noter qu’on ne parlera pas de
religion, mais d’esprit, de culture).
Plus précisément, voici comment on peut caractériser ces deux dimensions, tout en se gardant de
trancher au point que leurs distinctions en deviendraient fausses :
Raison et Révélation (Leo STRAUSS), savoir et sagesse, être et devenir, langage conceptuel et parole
inspirée, dominantes visuelle et auditive, conquête du monde ou conquête de soi, immuabilité et
temporalité, mais aussi immanence (Asie, Asie mineure, Grèce) et transcendance (Égypte, Israël).
Mots-clés : Grecs : Éternité, Raison, Conquête
Juifs : Durée, Relation, Accomplissement
D’un côté, la pensée grecque se montre éprise d’harmonie, d’unité et de stabilité. Elle est à
l’image de ce que qu’on peut imaginer qu’un homme de l’Antiquité voyait de l’univers lorsqu’il levait la
tête et regardait le ciel nocturne : un univers fixe, immobile et « en ordre » (cosmos). Cette vision du
monde, qu’on dit aujourd’hui Aristotélicienne, a influencé l’Occident dans sa longue quête d’une vérité
absolue, définitive et immuable, du souverain Bien, de l’universel et du nécessaire (tels que les énoncés
mathématiques qui sont « apriori » : 2 + 2 font 4 pour tout le monde et partout) et de l’ontologie (tout ce
que les existentialistes rejetteront). Elle a traversé en fond tout le Moyen Âge, et rapportée par les
Arabes et à la faveur des écoles de traduction espagnoles et italiennes, s’est déployée à la Renaissance.
Pour les anciens Grecs, le « primat de l’expérience », telle qu’on le conçoit aujourd’hui, était un
non-sens. Étant par définition variable, relative, éphémère, imprévisible et « a posteriori », ce que
Parménide, suivi de Platon, appelait la « doxa » (l’opinion par définition confuse et changeante)
correspondait justement à ce dont tout être épris de sagesse et de vérité devait s’éloigner. Idem pour les
valeurs actuelles d’incertitude, de probabilité. L’ « Être » des grecs et des scolastiques est sans négation
et sans altération.
Il y a aussi l’immanence grecque qui s’oppose à la transcendance sémite (venue du Moyen
Orient et d’Afrique, Moïse était égyptien). Le « Connais-toi toi-même », l’injonction la plus célèbre (et
la moins comprise) de toute l’histoire de la philosophie, a émergé en Ionie, laissant supposer une origine
asiatique (Thalès de Milet, Asie mineure, VIe av. JC, un siècle après Lao-tseu, Bouddha et Confucius)
De l’autre, « La culture hébraïque n’est pas discursive : c’est un chant, une danse » dit la grande
spécialiste Annick de Souzenelle. C’est une incantation, parfois une lamentation, une relation à plus
grand que soi, une voix de prophète qui appelle à la transformation. Il existe une autre intelligibilité que