Cercle de lecture « L`humilité a sa source dans la - E

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Cercle de lecture
« L’humilité a sa source dans la conscience d’une indignité, parfois
aussi dans la conscience éblouie d’une sainteté » (Colette).
Philosophie
L’humilité
L’humilité peut être définie comme étant « le sentiment, pour une personne,
d’une faiblesse, d’une insuffisance qui la pousse à s’abaisser volontairement, en
réprimant en elle tout mouvement d’orgueil. » (Robert)
Si, sur un plan religieux, l’humilité évangélique est une vertu non
contestée, elle apparaît par contre ambiguë dans son rôle social et de nombreux
philosophes ont émis des doutes sur cette qualité de vertu.
L’humilité est absente du monde grec ; elle ne figure pas parmi les vertus
comme la magnanimité, la libéralité, la magnificence, qui méritent d’être célébrées
dans la vie publique de la cité.
Pour Aristote, toute vertu est « un sommet entre deux abîmes » ; ainsi pour la
grandeur d’âme ou magnanimité : celui qui s’en éloigne par excès tombe dans la
vanité, et celui qui s’en éloigne par défaut tombe dans la bassesse. Etre bas, c’est
méconnaître sa valeur réelle et se croire jamais capable d’une action un peu haute.
C’est ce qu’appelle Aristote « la micropsuchia, la bassesse de faire de soi, par
tristesse, moins de cas qu’il n’est juste ».
Pour Spinoza, « l’humilité est une tristesse née de ce que l’homme considère
son impuissance ou sa faiblesse ». C’est état d’âme n’est pas une vertu, car, au
contraire, la vertu est une force d’âme, et toujours joyeuse.
Cependant, Spinoza reconnaît que l’humilité, sans être une vertu, est « plus
utile que dommageable et peut conduire celui qui la pratique à vivre enfin sous la
conduite de la raison ». Cet homme, en effet, en prenant conscience de sa faiblesse,
se connaît lui-même, contrairement à l’orgueilleux qui est ignorant de son état.
Kant, dans la Doctrine de la vertu, oppose ce qu’il appelle la fausse humilité
ou bassesse au devoir de respecter en soi la dignité de l’homme : la bassesse est le
contraire de l’honneur. Il ajoute qu’il existe aussi une véritable humilité qui est « la
conscience et le sentiment de son peu de valeur morale en comparaison avec la
loi ». L’humilité est un devoir et se comparer à la loi est une exigence de la loi même.
Kant ne tient aucunement compte de la dimension chrétienne de l’humilité
et des traditions spirituelles les plus hautes et les plus avérées ; pour lui,
s’agenouiller ou se prosterner jusqu’à terre est contraire à la dignité humaine. Or
l’humilité n’est pas l’humiliation et si se courber devant un homme est indigne,
s’incliner devant Dieu n’est pas un péché contre l’humanité.
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Il résulte de ces considérations que l’humilité, même triste, peut être
vertueuse, car on peut être triste de son impuissance sans l’exagérer pour autant et
même en y trouvant un surcroît de force pour la combattre. La tristesse est parfois
une force et mieux vaut une vraie tristesse qu’un fausse joie.
« L’humilité vertueuse est cette tristesse vraie de n’être que soi. Qu’il faille se
contenter de soi, voilà ce qu’enseigne la miséricorde. Mais en être content, qui le
pourrait, sans vanité ? Miséricorde et humilité vont ainsi de pair et se complètent.
S’accepter soi, mais ne pas se raconter d’histoires ». ( André Comte-Sponville )
Valeur de l’humilité
L’humilité n’est pas une valeur sociale positive car elle va à l’encontre de
tout ce qu’a promu la société moderne : le progrès, la richesse, l’émancipation, la
concurrence, la vitesse, l’impatience à l’égard de ce qui entrave le désir ou la
puissance, le bien-être…
Durant longtemps, l’humilité a été associée au paysan, figure conservatrice
incarnant la patience, l’endurance, la soumission aux lois de la nature et l’acceptation
de la tradition : l’envers du progrès et de l’émancipation.
Aujourd’hui les humbles se confondent souvent avec les parias de la société :
les exclus, les chômeurs, les pauvres, les mendiants ; ce sont les laissés-pour-compte
des systèmes économiques, plus ou moins secourus, mais sans parole.
D’autres marginaux, tels les mystiques, les saints, les sages, ont choisi de
vivre ce que les humbles subissent ; ils ont rejeté le monde pour mieux aimer « le
maître de l’humilité qu’est le Christ » (Saint Augustin).
L’humilité n’est pas un monologue intérieur, mais une rencontre avec
Dieu. L’âme, consciente de ne posséder rien qui ne provienne de Dieu, devient libre
de soi et pour l’autre.
Saint François de Sales a insisté sur le lien indissoluble entre humilité et
générosité. Tout ce qu’il y a de grand s’accomplit, dans l’ordre de l’amour, par
humilité ; et seule l’humilité rend possible la véritable grandeur :
« Nous nous formons ordinairement une fausse idée de l’humilité, la
concevant comme une chose qui nous ravale. Elle fait tout le contraire, elle nous
apporte la vraie grandeur que nous cherchons en vain hors de Dieu » (Lallemand)
La pierre de touche de toute mystique chrétienne est donc bien l’humilité, le
renoncement à sa volonté propre pour accomplir la volonté de Dieu. L’humilité est à
la racine de l’existence : « Les lumières fécondantes ne doivent pas faire oublier
l’obscurité de nos origines où se refait aussi l’humus de la pensée ».
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Conclusion
Notre société manque-t-elle particulièrement d’humilité, ou est-elle au
contraire en train de la découvrir ?
Gaëtane Lamarche-Vadel, écrivain et philosophe, estime que « l’humanité et
l’humilité sont tombées ensemble, l’une avec l’autre, dans l’oubli ;alors il nous
prend parfois un vertige : la réussite, le progrès conduisent-ils à l’élimination de la
vie ? Nous perdons pied, glissons sur les choses, ne sentons plus rien, ne jugeons
plus rien. Les réponses arrivent avant les questions, les solutions techniques
suppléent l’expression ou dispensent d’avoir quelque chose à dire.
Pour lutter contre ce dépérissement, il convient de « remonter à la source des
valeurs morales et de porter un regard neuf sur elles ».
Il est urgent de « faire la distinction entre les règles morales maintenant
érodées, et les illuminations de quelques hommes ou femmes, chrétiens,
musulmans, juifs ou hindous…d’où nous vient la certitude de la puissance des
vertus. Dans leurs récits, l’humilité apparaît d’une vitalité et d’une audace
déconcertante dont nous n’avons pas fini de tirer des enseignements ».
Les poètes et les écrivains les plus vrais cheminent dans la voie de l’humilité ;
la plus belle phrase est celle qui semble donnée, sans volonté forcenée, mais dans
l’attente d’une sorte de grâce :
« J’aime le poème lorsqu’il s’évapore dans l’air, lorsqu’il flotte dans l’air,
lorsqu’il devient un objet musical et qu’il s’évanouit. J’aime ce moment où le livre
s’évapore. C’est un moment de grande jouissance » (Pierre Lartigue).
L’humilité ramène aux choses élémentaires : « Je ne veux être qu’un grain de
sable de façon à ce qu’on ne puisse me réduire à moins » ( P. Reverdy ).
Elle n’est pas une résignation, mais une lucidité, une disponibilité à ce qui
arrive, une acceptation du présent ; elle avive la pensée car elle propose une autre
mesure des choses : « simplicité dérisoire des choses élémentaires où le regard et la
pensée craignent de se poser de peur de plonger dans un abîme sans fond… où tout
commence pourtant… et recommence.
Comme la hauteur de la montagne se mesure à la profondeur de la vallée,
ainsi l’abîme révèle l’altitude de l’âme » ( G.Lamarche-Vadel ).
L’humilité est au croisement de la pensée mystique et de la parole poétique :
« Je rêvais que j’étais sur une longue planche en bascule sur la rive d’un
grand fleuve bordé de sable éblouissant, et à chaque bout de la planche, c’était
moi, tantôt en l’air, tantôt en bas. Mais à l’un des bouts, c’était moi déjà mort, à
l’autre encore moi, mais vivant. Et tous les deux à chaque montée et à chaque
descente, de rire aux éclats et de pleurer alternativement » ( P. Reverdy ). D.G.
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