LE PRINCIPE D`EGALITE

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Ecole des Avocats Sud-Ouest Pyrénées
LE PRINCIPE D’EGALITE
LE POUVOIR DE DIRECTION ET SES LIMITES
L’employeur conserve-t-il le pouvoir d’individualiser les rémunérations ?
Intervention de Pascal SAINT GENIEST, Avocat à la Cour (27 septembre 2007)
Introduction
Le principe « à travail égal, salaire égal » constitue une entrave objective aux pouvoirs de
l’employeur dans la fixation de la rémunération de son personnel.
La motivation que l’on peut trouver aujourd’hui à cette limitation tient au fait que, au-delà du
pouvoir de direction de l’employeur, le versement du salaire constitue une obligation
essentielle de l’employeur dans l’exécution du contrat.
Certes, en théorie, dans le contrat synallagmatique que constitue le contrat de travail, le salaire
est le résultat de la négociation entre les parties sous les seules réserves des contraintes
imposées par les minima légaux (SMIC) et conventionnels.
En pratique, l’on sait bien que le salaire est fixé par l’employeur à charge pour le salarié de
l’accepter ou non.
C’est pourquoi la liberté de l’employeur dans la fixation des salaires est encadrée par un
principe général d’égalité de traitement des salariés placés dans une situation identique.
L’employeur n’est donc plus en mesure désormais de procéder à des individualisations
discrétionnaires.
La jurisprudence le contraint à justifier les rémunérations versées au personnel par les critères
objectifs et vérifiables.
1. Rappel de la distinction entre deux notions distinctes : Non discrimination et
égalité salariale
-
Non discrimination
Le principe de non discrimination prohibe les comportements opérant des distinctions
fondées sur l’origine, le sexe, les mœurs, l’âge… (Art. L. 122-45 du Code du Travail)
La discrimination se définit donc par le motif qui se trouve à l’origine de la différence
constatée.
Elle intéresse, en raison de cette particularité, les intérêts collectifs, ce qui explique qu’elle soit
assortie de sanctions pénales.
-
Egalité salariale
Ce principe suppose une égalité de salaire pour un travail égal entre salariés placés dans une
situation identique.
Le motif de cette différence importe peu.
Cette distinction était importante, notamment en matière de preuve, mais la jurisprudence a
unifié les régimes, de telle sorte que le salarié n’est dans les deux cas tenu que de rapporter des
éléments de fait laissant supposer l’existence de la discrimination directe ou indirecte dont il se
prétend victime.
L’importance demeure car si la différence de rémunération est licite dès lors qu’elle est justifiée
par des éléments objectifs, la discrimination, en raison de son motif, ne peut, elle, jamais être
légitime.
Mais si la non discrimination, simple obligation négative, n’impose à l’employeur que la preuve
de l’absence de motif illicite de la différence invoquée, le principe d’égalité salariale, lui,
suppose une comparaison entre les travaux effectués par les salariés concernés, sans qu’il soit
nécessaire de s’interroger sur la raison de cette différence ; ce principe conduit donc à une
obligation positive de l’employeur qui peut être contraint par le juge de modifier le classement
et la rémunération d’un employé.
2. Comment comparer ?
La différence implique une comparaison du travail effectué par celui qui se prétend victime de
l’inégalité avec celui des autres salariés.
2.1. Définition de la notion de « travail de valeur égale »
Selon l’Article L 140-2 du Code du Travail, les travaux comparables sont les « travaux qui exigent
des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une
pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités ou de charges physiques
ou nerveuses ».
2.2. Deux conceptions ont été envisagées quant à la notion de travail égal.
- D’abord, une comparaison peut être établie selon les coefficients de la qualification donnée à
un poste de travail.
Cette approche est insuffisante puisque la fonction réellement exercée doit être envisagée audelà du poste décrit (CJCE 11 mai 1999, 26 juin 2001).
- Dès lors, la comparaison doit se faire sur une période suffisante et porter sur la nature des
taches réellement accomplies et sur la technicité effective du travail.
En pratique, le salarié peut se limiter à dire qu’il est moins rémunéré que tel autre de ses
collègues, ce qui contraint l’employeur à apporter la preuve des raisons matérielles de la
distinction litigieuse
2.3 .Dans la recherche de la preuve, aménagée comme on l’a vu, plusieurs institutions peuvent
remplir un rôle et être sollicitées :
-
les institutions représentatives du personnel,
l’inspection du travail,
le juge,
la HALDE.
3. Les éléments objectifs pouvant justifier la différence de rémunération
Pour l’employeur, confronté aux éléments de faits laissant supposer l’existence d’une
discrimination directe ou indirecte présentée par le salarié (L 122-45 et L 123-1), il appartient
de fournir des éléments objectifs étrangers à toute discrimination justifiant l’inégalité de
traitement. (Soc. 28 avril 2006)
3.1. Caractéristiques de l’emploi et qualités professionnelles du salarié
-
Statut de la fonction publique et contrat de droit privé (Soc. 11 oct. 2005)
Technicité particulière du poste (Soc. 8 janv. 2003)
Charge de responsabilités particulières (Soc. 11 janv. 2005)
Tâches plus larges (Soc. 13 mars 2002)
Qualité du travail fourni (Soc. 26 nov. 2002)
Expérience acquise (Soc. 29 sept. 2004, 16 fév. 2005, 15 nov. 2006)
Formation
Parcours professionnel spécifique (Soc. 3 mai 2006)
Pénurie de candidats à un emploi (CJCE 27 oct. 1993)
On comprend tout de suite que ces critères supposent que l’employeur apporte des preuves
par des méthodes fiables reposant sur des critères objectifs. A défaut, l’employeur ne pourra
pas justifier la différence de salaire par les distinctions de compétence entre les salariés.
Noter aussi que l’expérience et la formation ne peuvent être normalement retenues que si elles
ont un lien avec le travail confié au salarié.
3.2. Ancienneté
L’ancienneté peut justifier une différence de traitement (CJCE 17 oct. 1989)
Mais c’est à la condition que ce critère ne soit pas déjà pris en compte par le biais d’une prime
d’ancienneté distincte du salaire de base (Soc. 29 oct. 2006)
Il faut donc prendre garde à ce critère simple mais qui est inutile dans les secteurs d’activités
nombreux prévoyant des primes d’ancienneté et qui est critiqué parce que ne reflétant pas la
compétence réelle des salariés.
3.3. Sacrifices consentis par les salariés
Les sacrifices consentis par les salariés peuvent légitimer une différence de rémunération. (Soc.
17 juin 2003, 1er déc. 2005, 11 janv. 2005)
-
Attribution d’un droit d’option sur des actions nouvellement émises en raison des
sacrifices consentis lors d’un plan de restructuration Aff. Alitalia Soc. 17 juin 2003
Versement, en application d’un accord d’entreprise, d’une indemnité différentielle de
salaire aux seuls salariés présents dans l’entreprise lors de la signature de l’accord Soc.
1er déc. 2005, 11 janv. 2005)
Mais il faut que l’employeur prouve les éléments justificatifs légitimant les différences de
situation prises en considération y compris par un accord collectif ; la seule circonstance que
des salariés aient été embauchés avant ou après cet accord ne peut suffire à légitimer les
différences (Soc. 21 février 2007)
3.4. Maintien des avantages acquis
Le maintien des avantages acquis a été admis comme justifiant les différences de
rémunérations dans l’hypothèse où, à la suite d’une fusion, l’ancienne convention collective a
été remise en cause, sans que lui soit substitué un nouvel accord. (Soc. 11 juil. 2007, 19 juin
2007)
Mais l’employeur ne peut unilatéralement substituer à l’ancien accord une nouvelle grille de
rémunération, ce qui pérenniserait de façon sélective une différence de traitement (Soc. 25 mai
2005)
D’ailleurs, ce qui semble pouvoir justifier la différence tient essentiellement à son caractère
provisoire, les avantages en cause ayant vocation à disparaître. (Soc. 11 janv. 2005)
En outre, la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après la signature
d’un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux. (Soc.
11 juil. 2007)
3.5. Localisation géographique
- L’identité de situation géographique est un critère insuffisant, notamment lorsque les
entreprises différentes travaillent sur un même chantier ; dans cette hypothèse, les salariés
n’ont pas à bénéficier des mêmes avantages (Soc. 6 juil. 2005).
- Le principe est le même en matière d’unité économique et sociale (Soc. 1er juin 2005, 2 déc.
2003).
- S’agissant des entreprises à établissements multiples, la Cour de Cassation paraît avoir admis
la possibilité pour l’employeur de prévoir une différence de traitement entre les salariés de son
entreprise, spécialement par accords d’entreprises (Soc. 18 janv. 2006).
4. La preuve attendue de l’employeur
4.1. Les éléments traditionnels
- Historiquement, les employeurs ont fourni des graphiques et des diagrammes présentant les
rémunérations des salariés placés dans des situations comparables.
L’objectif poursuivi était de faire apparaître que le demandeur se trouvait dans une situation au
moins moyenne par rapport à ceux de ses collègues placés dans une situation comparable.
Mais de tels éléments paraissent aujourd’hui
qu’exceptionnellement d’éviter une sanction.
insuffisants ;
ils
ne
permettent
- Les contrats et autres éléments personnels des salariés concernés
Ces différents éléments doivent faire l’objet de renseignements objectifs, classés, quantifiés,
traités et ordonnés de manière rationnelle, logique et objective.
Problématique de la confidentialité des dossiers des salariés (bulletins de salaire, dossiers
disciplinaires, situations personnelles…)
4.2. Le dossier du salarié ; son contenu, sa mise à jour
Désormais, il faut conseiller à l’employeur de produire le dossier personnel du salarié, tenu à
jour.
Encore faut il que ce dossier soit présentable et convaincant.
4.2.1. Eléments à faire figurer dans le dossier personnel du salarié
- L’ancienneté est évidemment le premier élément mais il s’agit d’un critère insuffisant lorsqu’il
est déjà pris en compte pour le versement d’une prime d’ancienneté.
Et l’ancienneté n’est pas nécessairement synonyme d’expérience.
Dès lors, le critère de l’ancienneté doit, on l’a vu, être considéré comme soit inopérant, soit en
tout cas tout à fait secondaire.
- Le dossier personnel du salarié doit donc présenter les éléments suivants, beaucoup plus
déterminants :
-
évolution de carrière,
qualité de performance,
formations suivies ou refusées,
implication,
erreurs professionnelles (dossier disciplinaire),
absences injustifiées, retards…
En réalité, ces éléments supposent la mise en œuvre d’un système d’évaluation qui doit être à la
fois transparent et pertinent.
4.2.2. La nécessaire évaluation du salarié
a. La transparence de l’évaluation est prévue par les articles L 121-27 et L 121-8 du Code du
Travail.
-
Information / Consultation du comité d’entreprise,
Intervention des syndicats lors de la négociation annuelle des salaires.
On notera néanmoins que sous réserve des règles relatives à la négociation, le principe « à
travail égal, salaire égal » maintient une liberté de l’employeur pour la fixation des salaires entre
les différentes catégories ou classes de son personnel.
b. Pertinence de l’évaluation
b.1. La pratique a imaginé de nombreux systèmes d’évaluation :
-
entretien annuel d’évaluation :
. bilan contradictoire de la période écoulée
. prévision des objectifs futurs
-
bilan de compétences :
. réflexion globale sur le parcours professionnel de l’intéressé conduisant vers
une action de formation et/ou une réorientation professionnelle
-
ranking :
. classement et évaluation relative des performances des salariés placés dans des
conditions similaires au même poste, en fonction de leur motivation, de leur
rendement, de leur présence.
-
assessment center :
. bilan comportemental dans le cadre de simulation de situations
professionnelles
-
360 °
. questionnement des collègues de travail à niveau égal, inférieur et supérieur.
La pratique et la jurisprudence permettront de dégager les critères de validité de ces différents
systèmes.
De façon naturelle, leur adaptation suppose de prendre en considération les moyens et la
dimension de l’entreprise.
En toute hypothèse, il est indispensable de définir des objectifs précis tant au niveau du salarié
lui-même que du service ou de l’entreprise à laquelle il appartient ainsi que les aptitudes
nécessaires pour obtenir la réalisation de ces objectifs.
Ce qui suppose une connaissance précise du métier considéré et du travail à fournir.
Une fois les différentes qualités ciblées, l’on peut définir les taches et chacune d’entre elles peut
faire l’objet d’une évaluation en fonction des aptitudes nécessaires à la réalisation de ces taches,
ceci dans le cadre d’un tableau de notation.
Tableau d’évaluation (exemple)
Technicité
Note
Relations Initiative
Note
Note
Fiabilité
Note
b.2. Les résultats de l’évaluation sont évidemment communiqués au salarié et il faut organiser
les recours en cas de désaccord.
Cette évaluation doit être renouvelée régulièrement.
Elle doit constituer la base d’une véritable méthode de gestion prévisionnelle de l’emploi et des
rémunérations.
(Voir sur le thème de la licéité du ranking : Riom Cour d’Appel 7 novembre 2006 Syndicat
CGT de la Haute-Loire / SAS Lisi Automotive Former)
c. Critiques du ranking
Ces différents systèmes ont fait l’objet de critiques en jurisprudence (Aff. IBM et Hewlett
Packard).
Les critiques qui sont apportées au ranking sont les suivantes :
-
Un système discriminatoire puisqu’il aboutit au classement des salariés.
Mais c’est oublier qu’il reste licite de distinguer les salariés selon leurs qualités professionnelles
dès lors que ce classement est fondé sur des éléments objectifs.
-
Un moyen de gestion des carrières dans lequel les dés sont, dès l’origine, pipés.
Par exemple, lorsque les catégories du classement répondent non aux qualités objectives de
chaque intéressé, mais à des quotas pré-établis dans chaque catégorie.
-
Une sanction pécuniaire illicite déguisée
Mais le refus par l’employeur d’accorder une augmentation de salaire à certains employés n’est
pas constitutif d’une sanction pécuniaire prohibée, quand bien même ce refus serait motivé par
leur qualité professionnelle estimée insuffisante (Crim. 26 avril 1988).
-
Fiabilité douteuse de l’évaluation d’un collaborateur moyen dans un groupe médiocre
et dans un groupe à haut potentiel.
-
Utilisation ultérieure dans le cadre d’une approche de l’ordre des licenciements à
l’occasion de mesures de restructuration et de licenciements pour motifs économiques.
-
Le problème de la confidentialité se pose également puisque les résultats d’une
évaluation doivent être confidentiels à l’égard des tiers, alors que l’égalité suppose une
comparaison. (Rôle des partenaires extérieurs, constats d’huissiers…)
5. Accords d’entreprise
Dans les entreprises les plus importantes, des accords d’entreprises visant à corriger des
inégalités inexpliquées ont été mis en œuvre.
Ces accords prévoient la question difficile des représentants du personnel et des représentants
syndicaux qui n’exercent plus en fait leur activité professionnelle et dont le classement est en
général l’objet de moyennes.
6. Les sanctions
Tout acte discriminatoire à l’égard d’un salarié est nul de plein droit. (art. L. 122-45)
Il convient de distinguer les sanctions réparant le préjudice antérieur de celles visant, pour les
salariés encore présents dans l’entreprise, à remédier à la situation pour l’avenir.
6.1. S’agissant du passé, la sanction consiste en général en un rappel de salaire fondé sur une
approche mathématique.
La prescription est quinquennale.
Mais certaines décisions allouent des dommages intérêts avec l’application d’une prescription
alors trentenaire.
6.2. En ce qui concerne l’avenir, l’employeur peut être, sur la demande du salarié, condamné
par le juge à procéder à une remise à niveau tant en terme de classification qu’en terme de
rémunération, cette sanction étant, le cas échéant, assortie d’une astreinte.
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