L’ignorance, ou du moins les quiproquos, alimentèrent la crainte de l’Autre, voilà
probablement le grand malentendu entre l’Europe et l’Islam. Comment comprendre l’Autre si
on ne sait rien de lui ? Pourquoi prétendre que nos valeurs sont les meilleures quand on n’a
pas connaissance de celles d’Autrui ? En outre comment maîtriser une menace lorsque l’on ne
peut l’identifier qu’avec des éléments erronés ou du moins en partie. Avec une connaissance
limitée des Orientaux musulmans, cela ne pouvait aboutir qu’à la succession d’équivoques,
puis du mépris. L’ouverture d’esprit des Occidentaux qui se bornait au dogme chrétien, et en
particulier les catholiques, causèrent de nombreux conflits, et les décennies de l’époque
moderne furent quasiment toujours sous tension, sauf quand des trêves étaient signées. Tel en
1535, lorsque les Capitulations furent signées entre le roi de France, François Ier et le sultan
Soliman. Capitulations qui s’inscrivirent également dans les rivalités franco-espagnoles avec
Charles Quint. Durant toute l’époque, des alliances se font et se défont ; des alliés qui se
retournent contre leur « camp », avantagent de nombreuses fois l’expansion de l’Islam, et
alimentent davantage la crainte et la rancœur envers ces infidèles. Ce fut notamment le cas
après la défaite du 27 septembre 1538, en face de Préveza, infligée par Barberousse [amiral
pour le sultan] à la flotte réunie par le pape, Venise et l’Empire ; « l’alliance entre puissances
chrétiennes va fondre comme neige au soleil : deux ans plus tard, Venise signe avec la Porte
une trêve séparée qui prévoyait le paiement d’une lourde indemnité de guerre et la cession
des ultimes forteresses vénitiennes dans la péninsule grecque »
.
Les mésententes entre les Chrétiens, que ce soit entre les têtes couronnées, tel noté
précédemment le cas de François Ier « qui était convaincu que tout ennemi de son ennemi
Charles Quint ne pouvait qu’être son ami »
, soutenant ainsi l’Empire Ottoman, ou « dans la
polémique entre catholiques et protestants, c’était à qui, pour mieux discréditer l’adversaire,
prodiguerait le plus de louanges aux infidèles »
, n’ont fait qu’entretenir le malentendu avec
l’Islam, et les ressentiments envers ses partisans, et probablement les ont avantagés lors des
différents conflits, car des combattants divisés sont davantage vulnérables aux attaques des
musulmans.
Néanmoins, le 7 octobre 1571 la Sainte Ligue, qui réunissait la papauté, Philippe II
d’Espagne, ainsi que les républiques de Venise et de Gênes, remporta une victoire sans
précédent qui mettait fin au mythe de l’invincibilité des Ottomans sur les mers.
A partir du moment où des études islamiques se développèrent, le schéma militaire et
mental des croisades se dissipe et laisse place à l’émergence d’une culture orientalisante.
Cardini souligne, que c’est suite à la publication en 1691 et 1698 de deux volumes de
l’ouvrage d’un religieux, Ludovico Marraci, qui associée « à la première traduction fidèle et
intégrale du Coran une réfutation non belliqueuse »
fut une des sources de la fin du
Türkenfurcht.
In fine, en surmontant les préjugés portés sur l’Islam, l’Occident a pu d’une part éclaircir de
nombreux points qui lui permirent d’accroître son savoir et son prestige dans les domaines de
la connaissance, et d’autre part sur le long terme, d’éclipser le croissant dans leur posture de
dominateur de la Méditerranée.
Ibid., p.228.
Ibid., p.227.
Ibid., p.221.
Ibid., p.250.