Le malentendu entre l`Europe et l`Islam à l`époque moderne

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Le malentendu entre l’Europe et l’Islam à l’époque moderne.
Le présent article fait suite à une analyse de l’ouvrage de Franco Cardini (Professeur
d’histoire médiévale à l’université de Florence) :
« Europe et Islam. Histoire d’un malentendu », Seuil, Paris, 2002, p.279.
De Croisade en Jihad, de colonisation en immigration, les malentendus s’installent entre
la Croix et le Croissant, l’Europe et l’Islam. L’ouvrage de F. Cardini s’attache à restituer et
à étudier l’histoire des représentations des musulmans et de l’Islam dans les consciences
européennes. Les figures du « mahométan » hérétique, du « féroce Saladin » et du « Turc »
ont hanté – hantent peut-être encore – l’imaginaire européen et font obstacle à toute
compréhension.
Mais l’Islam n’aurait-il pas concouru à forger l’unité européenne ? N’est-ce pas devant
cet autre tout proche que l’Europe a pris conscience de son unité ? N’aurait-elle pas de nos
jours intérêt à surmonter ses préjugés pour tenter de tisser de nouveaux liens avec l’autre
rive ?
A l’interrogation : quel est le principal malentendu entre Europe et Islam à l’âge moderne ?,
un élément de réponse peut être exposé comme tel :
L’esprit des croisades, le désir de mater les infidèles, de faire régner le christianisme et
être en possession de la Terre sainte, et l’emblématique sultan Saladin dont « la nature
négative de l’islam tenait tout entière à la personnalité néfaste de son fondateur »1, avaient
marqué le monde occidental à l’époque médiévale face à l’expansion de l’Islam, et cela se
perpétue à l’aube de l’époque moderne après la chute de Constantinople en 1453. En outre, la
thèse du pape Pie II, à savoir « l’Europe était le siège (patria et domus) de la chrétienté, elle
s’identifiait à la religion chrétienne, et, par voie de conséquence, tout Européen doit être
considéré comme chrétien »2, semble être ancrée dans les mentalités durant l’époque
moderne, forgeant ainsi une cohésion et une identité européenne, renforcée face au combat
contre les infidèles. La propagation de l’Islam en Europe de l’Est et du Sud-est, entretient et
nourrit ce sentiment et s’inscrit dans le contexte de la lutte pour la suprématie sur le
« continent liquide », la Méditerranéen.
Tout comme à l’époque précédente, les Européens ne savent que très peu de choses
sur l’Islam et ses adeptes, en particulier des Ottomans, qui contrairement aux Maures et à
l’Afrique du Nord, étaient géographiquement distants. Lacune qui alimenta les préjugés en
tout genre et marqua l’esprit des Européens par la « peur du Turc », ce que Franco Cardini
nomme le Türkenfurcht (« le cauchemar turc »).
1
Franco CARDINI, Europe et Islam, Histoire d’un malentendu, Seuil, Paris, 2002, p.279.
2
Ibid., p.197.
1
L’ignorance, ou du moins les quiproquos, alimentèrent la crainte de l’Autre, voilà
probablement le grand malentendu entre l’Europe et l’Islam. Comment comprendre l’Autre si
on ne sait rien de lui ? Pourquoi prétendre que nos valeurs sont les meilleures quand on n’a
pas connaissance de celles d’Autrui ? En outre comment maîtriser une menace lorsque l’on ne
peut l’identifier qu’avec des éléments erronés ou du moins en partie. Avec une connaissance
limitée des Orientaux musulmans, cela ne pouvait aboutir qu’à la succession d’équivoques,
puis du mépris. L’ouverture d’esprit des Occidentaux qui se bornait au dogme chrétien, et en
particulier les catholiques, causèrent de nombreux conflits, et les décennies de l’époque
moderne furent quasiment toujours sous tension, sauf quand des trêves étaient signées. Tel en
1535, lorsque les Capitulations furent signées entre le roi de France, François Ier et le sultan
Soliman. Capitulations qui s’inscrivirent également dans les rivalités franco-espagnoles avec
Charles Quint. Durant toute l’époque, des alliances se font et se défont ; des alliés qui se
retournent contre leur « camp », avantagent de nombreuses fois l’expansion de l’Islam, et
alimentent davantage la crainte et la rancœur envers ces infidèles. Ce fut notamment le cas
après la défaite du 27 septembre 1538, en face de Préveza, infligée par Barberousse [amiral
pour le sultan] à la flotte réunie par le pape, Venise et l’Empire ; « l’alliance entre puissances
chrétiennes va fondre comme neige au soleil : deux ans plus tard, Venise signe avec la Porte
une trêve séparée qui prévoyait le paiement d’une lourde indemnité de guerre et la cession
des ultimes forteresses vénitiennes dans la péninsule grecque »3 .
Les mésententes entre les Chrétiens, que ce soit entre les têtes couronnées, tel noté
précédemment le cas de François Ier « qui était convaincu que tout ennemi de son ennemi
Charles Quint ne pouvait qu’être son ami »4, soutenant ainsi l’Empire Ottoman, ou « dans la
polémique entre catholiques et protestants, c’était à qui, pour mieux discréditer l’adversaire,
prodiguerait le plus de louanges aux infidèles »5, n’ont fait qu’entretenir le malentendu avec
l’Islam, et les ressentiments envers ses partisans, et probablement les ont avantagés lors des
différents conflits, car des combattants divisés sont davantage vulnérables aux attaques des
musulmans.
Néanmoins, le 7 octobre 1571 la Sainte Ligue, qui réunissait la papauté, Philippe II
d’Espagne, ainsi que les républiques de Venise et de Gênes, remporta une victoire sans
précédent qui mettait fin au mythe de l’invincibilité des Ottomans sur les mers.
A partir du moment où des études islamiques se développèrent, le schéma militaire et
mental des croisades se dissipe et laisse place à l’émergence d’une culture orientalisante.
Cardini souligne, que c’est suite à la publication en 1691 et 1698 de deux volumes de
l’ouvrage d’un religieux, Ludovico Marraci, qui associée « à la première traduction fidèle et
intégrale du Coran une réfutation non belliqueuse »6 fut une des sources de la fin du
Türkenfurcht.
In fine, en surmontant les préjugés portés sur l’Islam, l’Occident a pu d’une part éclaircir de
nombreux points qui lui permirent d’accroître son savoir et son prestige dans les domaines de
la connaissance, et d’autre part sur le long terme, d’éclipser le croissant dans leur posture de
dominateur de la Méditerranée.
3
Ibid., p.228.
Ibid., p.227.
5
Ibid., p.221.
6
Ibid., p.250.
4
2
Le constat de ce malentendu, cette ignorance de l’Autre et qui a
intrinsèquement enfanté la peur et attisé la crainte d’un côté comme de l’autre, fut le quotidien
des Hommes à l’époque moderne. Cette réalité qui marqua les relations de l’Europe et
l’Empire Ottoman du XVIème au XVIIIème siècle, est probablement toujours d’actualité et
elle sème les discordes entre les deux rives.
Ilham Soufi.
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