La femme musulmane entre usurpation des droits et stéréotypes

femme musulmane entre usurpation des droits et stéréotypes...
(partie 1)
Par Asma Lamrabet jeudi 13 janvier 2005
Ce titre résume bien la problématique de la femme musulmane telle qu’elle est vécue
aujourd’hui... Une femme musulmane, prise en otage entre deux mondes...Un monde
intérieur, musulman, dans lequel on lui a usurpé beaucoup de ses droits- parfois même
tous ses droits- et un monde extérieur, non musulman où elle est représentée comme étant
l’archétype par excellence de la femme opprimée et on l’a condamne sans merci à une
représentation stéréotypée implacable...
Tandis qu’à l’intérieur des sociétés musulmanes on lui a confisqué ses droits au nom de
l’islam durant des siècles d’histoire, à l’extérieur on continue à instrumentaliser à outrance
cette image de « femme victime » pour justifier les théories les plus dramatiques, comme
celles du choc des civilisations, de l’incompatibilité de l’islam avec la modernité, du monde
civilisé et barbare, du bien et du mal...Bref, selon cette vision manichéenne très à la mode
qui poussera la rhétorique jusqu’à faire de la salvation de ces pauvres femmes une affaire
d’Etat comme cela a été l’exemple avec les femmes afghanes ou comme c’est aujourd’hui le
cas avec le projet- très américain- du Grand Moyen-Orient qui « proposerait » avec les
réformes politiques radicales, une révision sérieuse du statut de la femme musulmane !!
Le tapage médiatique autour donc de ce thème de la femme musulmane victime de tous les
maux est intarissable et il devient à la longue extrêmement difficile de faire la part des
choses entre le vrai et le faux, entre la réalité et l’imaginaire...
Il est intéressant de voir comment dans le monde musulman on répond à ces accusations
par des allégations catégoriques réfutant cet état de fait et argumentant, toujours selon un
mode de réaction passionnel, que les femmes musulmanes ont tous les droits en islam et
que toutes ces « tentatives de libération » de la femme, promulguées par certains courants,
sont en fait des tentatives de déstabilisation et d’acculturation qui n’ont pour but que de
rendre les sociétés musulmanes permissives et amorales, à l’image de ce qu’est aujourd’hui
l’Occident aux yeux de nombreux musulmans...Toujours cette manie de réagir selon le
mode de la réactivité identitaire qui fausse tous les débats et qui empêche toute tentative
réelle de dialogue - et de réformes surtout- et qui cela dit en passant, nous permet de
fermer les yeux sur beaucoup de transgressions au nom de la « préservation de l’identité
musulmane ».
A ce niveau là, il faudrait se mettre d’accord sur un point très important : parmi toutes les
critiques faites inlassablement à l’islam et aux musulmans, celle concernant le statut de la
femme, malgré sa médiatisation exagérée et parfois son instrumentalisation malhonnête, se
trouve être la plus avérée, la plus juste et la plus sensée... Il est indiscutable que le constat
d’une profonde et réelle discrimination à l’encontre des femmes musulmanes est réel, il est
même parfois accablant...Cependant, il est aussi tout important de différencier entre le fait
culturel et l’essence d’une religion, entre un message spirituel et ses diverses
interprétations : on accuse trop vite le Coran et l’islam en tant que religion de porter en eux
les prémices de la discrimination des femmes, de l’incitation à la violence ou de
l’application des châtiments corporels les plus barbares...
Or une lecture intelligente du message coranique ne révèle nulle part des manœuvres
discriminatoires diaboliques... ou une supériorité despotique de l’homme au détriment de la
femme telles qu’elles sont propagées de manière profuse. Bien au contraire, le texte nous
dévoile d’une manière très subtile l’égalité entre les hommes et femmes dans leur
humanité...Une égalité spirituelle qui émane le long des versets comme un rappel sans
cesse reformulé et que malheureusement la réalité des sociétés islamiques trahit tous les
jours que Dieu fait...
Le vrai problème qui se pose en fait ce n’est pas tant le Coran mais ce que l’on a fait de ce
Coran à travers des siècles et des siècles de lecture et d’interprétations sexistes envers la
femme. Des interprétations rigoristes et complètement fermées du religieux qui ont légitimé
durant toute l’histoire musulmane, volontairement ou non, une véritable discrimination à
l’encontre des femmes...Car on doit se mettre aussi d’accord sur une chose : il est très
facile de retrouver des arguments coraniques qui infériorisent la femme -comme dans tout
texte religieux que ce soit la Bible ou la Torah- quand on pratique une lecture littérale,
statique et qui ne prend pas en compte la dynamique historique des époques de la
révélation...
Je voudrais pour étayer un peu mon propos vous citer quelques exemples de droits acquis
en islam en faveur de la femme -depuis 14 siècles- et qui lui ont été usurpés du fait de la
logique de l’interprétation machiste des textes :
Droits humains l’égalité spirituelle en islam : Le Coran est formel quant à l’égalité
de la femme avec l’homme concernant leur humanité. On retrouve à cet égard deux notions
qui confirment cette égalité spirituelle :
: selon la vision coranique il n’y a pas de point
de vue humain profond de concept « Homme » ou « femme », les deux selon le Coran
représente une seule vérité celle de « l’âme humaine ». La création originelle est celle d’une
humanité indifférenciée qui transcende le genre. Le Coran évoque le terme d’Adam qui en
hébreu veut dire « l’espèce humaine » et n’évoque à aucun moment celui d’Eve. Ce qui
traduit une volonté de description de la création humaine à partir d’une origine unique.
Cependant, il est étonnant de voir comment des textes religieux d’exégèse sensés expliciter
la création font mention d’Eve et sa fameuse création à partir d’une côte d’Adam alors que
nulle part dans le Coran il n’est question de cette notion...Or ce genre de textes, à
l’encontre de l’égalité humaine de la création comme voulue par le Coran, vont servir d’
argumentaire quant à une supposée infériorité structurelle de la femme et vont ainsi
proliférer à travers l’histoire islamique sous l’influence de la tradition religieuse judéo-
chrétienne d’une part et de la lecture misogyne arabo-bédouine d’autre part...
: il n’existe dans le Coran aucune notion de
péché originel et encore moins d’une quelconque responsabilité de la femme liée à ce péché
contrairement aux traditions ultérieures. On sait combien ce concept a été instrumentalisé
en défaveur de la femme et comment pendant longtemps il a été à l’origine de toute une
culture de répression envers la femme à travers l’histoire de l’humanité. Le coran parle
plutôt d’une responsabilité commune ou partagée des deux sexes, responsabilité pardonnée
et absoute par Dieu. Il est cependant aberrant de voir comment les musulmans ont une
conception erronée à ce sujet puisqu’ils continuent de valoriser la présupposée
responsabilité de la femme dans cet acte originel.
Droit au savoir et à la connaissance : La tradition sacrée islamique est explicite quant à
l’obligation du musulman et musulmane au savoir et à l’éducation. Le texte coranique est
très clair et l’énonce à plusieurs reprises à travers divers versets qui incitent à la recherche
de la science et à l’instruction...En effet, la quête du savoir et formulée en islam comme une
quête de Dieu et de Ses signes à travers la création...La tradition prophétique confirme
cette volonté par le célèbre hadith : la recherche du savoir est une obligation pour tout
musulman et musulmane...L’éducation est fondatrice de l’identité musulmane et le
meilleur exemple reste sans aucun doute celui de l’épouse du prophète, Aicha, qui sera
l’une des plus grandes savantes que l’islam ait connu et dont le savoir est transmis de
générations en générations jusqu’à de nos jours dans les plus grandes universités
islamiques du monde...Or l’histoire musulmane confirme là aussi « l’usurpation de ce
droit » puisque l’on va au nom du religieux refuser aux femmes musulmanes ce droit
pendant des siècles d’histoire...La réalité aujourd’hui des sociétés musulmanes est pour
le confirmer : le taux d’analphabétisme des femmes dans les pays musulmans reste parmi
les plus élevés au monde ... L’ignorance entretenue des femmes, volontairement maintenue
dans les sociétés islamiques, reflète l’une des plus grandes trahisons du message de
l’islam...
Droits politiques : Il est étonnant pour celui qui lit l’histoire islamique des premiers temps de la révélation de
voir à quel point la participation des femmes était évidente dans le champ sociopolitique...Le droit à l’élection
d’un représentant politique a été un acte voulu et défendu par le prophète et la participation des femmes a été un
tournant important dans la gestion de la première cité islamique...L’histoire révèle comment elles ont été très
nombreuses à participer activement aux différents actes politiques de l’époque ce qui a été déterminant pour la
naissance de la première communauté de l’islam...Elles seront nombreuses à se sacrifier par amour à la cause de
l’islam et à son exigence de justice et leurs participation sera totale : elles vont subir des tortures du fait de leurs
choix religieux, elles vont s’exiler politiquement, elles vont financer par leurs propres moyens les différents
projets politiques de l’islam...Le Coran cite entre autres et à plusieurs reprises l’exemple de la reine de Saba
comme chef d’état politique douée de sagesse et d’intelligence...Cependant, l’exégèse masculine va « survoler »
le rôle précurseur de cette femme en le réfutant le plus souvent ou en le considérant comme un simple « incident
de parcours » et ce dans le meilleur des cas !! On refusera aux femmes le droit au pouvoir politique en faisant fi
de toutes les données coraniques et en se basant sur un seul Hadith formulé dans un contexte très
particulier...Encore une fois, la lecture machiste va essayer d’évincer toute présence féminine de l’histoire de
l’islam et l’on va assister en terre d’islam - bien évidemment toujours au nom du religieux- à une exclusion
institutionnalisée de la femme de tout champ politique...La preuve de cette régression en est qu’aujourd’hui
dans de nombreux pays du golfe par exemple même le droit de vote est interdit aux femmes .... Asma
Lamrabet
L’éternelle problématique de la femme musulmane
(partie 1 sur 2)
Par Asma Lamrabet
Il n’y a pas un jour qui passe sans que les informations, la télévision, les journaux, bref
toute l’armada médiatique internationale, ne rapporte quelque chose liée - de prés ou de
loin- à l’islam. Bien évidemment, rien de gratifiant dans tout ce que l’on nous étale sur le
sujet. Que cela soit un article d’analyse, une opinion, un thème de conférence, une
information relatant un événement donné, il y a toujours en clair ou en filigrane un aspect
très négatif, voire dédaigneux, quelque fois malsain, de la « chose » islamique.
Il y a un vrai problème avec l’islam et toutes ses composantes : civilisationelle, culturelle,
idéologique, religieuse..
L’islam serait finalement incompatible avec toutes les valeurs de la modernité occidentale.
Un grand réfractaire, comme dirait Jacques Berque. Il est surtout réfractaire à ce que le
monde moderne, considère - et ce à juste titre- comme l’un des critères du progrès d’une
société : l’émancipation de la femme.
La problématique de la femme en islam représente le point douloureux, essentiel,
inévitable. Elle fait l’unanimité. Le consensus. En occident et même -eh oui ! - dans le
monde musulman. Alors s’agit-il de mythes ou de réalités ? Je pense sincèrement en tant
que femme musulmane concernée par les changements actuels de nos sociétés
musulmanes, que les deux concepts existent et vont de pair. Tant que nos sociétés
musulmanes font l’impasse sur les vrais problèmes de la femme, notre image de société
retardataire sera amplifiée par l’occident et ce à juste titre. L’occident met tout sur le dos
d’un islam responsable de tous les préjudices, et le monde musulman trahit cet islam, jour
après jour, car il est à des années lumière de la véritable dimension de ce message
spirituel. L’occident juge le comportement et la façade « trop islamique » de nos
communautés et il a parfois pas tort, car nous nous acharnons à être des musulmans en
apparence, rarement en profondeur.
Si chez les occidentaux, on fait dans la paranoïa, chez nous on excelle dans l’art de la
contradiction.
En Occident : Le délire paranoïaque ! Selon la vision occidentale, la femme musulmane
détient tous les records en matière de discrimination, d’aliénation et de sous-
développement. Elle est l’image personnifiée de la femme soumise. Soumise à l’homme, aux
coutumes tribales, aux lois intransigeantes de cette religion qu’est l’islam. Elle est la
victime inéluctable d’un islam totalitaire, machiste, tyrannique. Pauvre créature de l’ombre,
voilée de tout bord : burka, tchador, hidjab. L’Occident, toutes tendances confondues, est
convaincu de la nécessité voire l’obligation de prendre la défense de cette pauvre victime de
l’islam. Oui, victime de l’islam et de rien d’autre. Car qu’on se le dise une fois pour toutes,
cela ne peut être qu’inhérent à l’essence même de l’islam. Les acrobaties intellectuelles et
les analyses déductives et réductrices proviennent - pour le cas de la femme musulmane-
exclusivement de la même vision ethnocentrique.
Au Maghreb si la femme reste soumise à des lois patriarcales, c’est la faute à l’islam. En
Egypte, si elle est victime de mutilations sexuelles, c’est toujours la faute à l’islam. En
Méditerranée selon où on se trouvera, rive nord ou sud, le machisme est forcément
islamique coté sud, il est purement méditerranéen coté nord. En Espagne, chaque semaine
une femme meurt pour cause de violence conjugale (1). L’explication est immédiate : c’est le
taux élevé de chômage féminin qui favorise ainsi les abus domestiques, explication un
tantinet incongrue, mais elle est donnée par le très sérieux parti socialiste espagnol (2). La
même constatation de violence conjugale au Maghreb, aurait eu pour fondement, non pas
la dépendance économique à l’instar de l’espagnole, mais les exactions de la tradition
islamique. C’est logique et cela va de soi.
En Inde, selon des traditions hindoues, des femmes sont brûlées vives, pour cause d’une
culture particulière à tendance métaphysique, mais qu’on se rassure, totalement
inoffensive pour les valeurs occidentales, alors on n’en fait pas tout un plat. On sait fermer
les yeux et on sait être discret devant des « contraintes culturelles ». Par contre au
Bengladesh et au Pakistan voisins - jadis formant le même pays et de même essence
culturelle Hindou - les mêmes scènes de femmes brûlées sont dues aux lois inhumaines de
la Sharia islamique. Il en est de même pour les « crimes d’honneur » dans le continent Indo-
Pakistanais, cela dépend de l’espace géographique et l’appartenance religieuse.
Du coté de la religion hindoue on analyse le coté anthropologique et sociologique de la
chose en essayant de comprendre. Du coté musulman, il n’y a plus rien à comprendre, on
est écœurés par ces crimes immanents des textes islamiques. On se doit de les dénoncer et
on en fait des reportages télévisés aux heures de grande écoute. En Amérique latine, la
violence sexuelle, la discrimination quotidienne des milliers de femmes indigènes, sont
consubstantielles aux dynamiques internes des sociétés en question. Les femmes mayas et
aztèques drapées de leurs habits traditionnels, dont beaucoup sont voilées, sont le reflet de
la résistance culturelle, du respect de traditions séculaires. Au Yémen, dans le Sud
marocain, en haute Egypte, dans les émirats arabes, les femmes vêtues de leurs tenues
traditionnelles : (même si elles sont aussi différentes les unes des autres, qu’importe, elles
seront toutes « islamiques ») seront le reflet de l’acculturation, la soumission aveugle, de
l’arriération.
Le sari hindou est révélateur d’une appartenance identitaire totalement légitime, ouverte,
exotique, qui n’incommoderait personne. Le tchador perse, le Haik maghrébin, le foulard de
la jeune étudiante égyptienne est par contre symptomatique d’une identité refuge, fermée,
aliénée. Une atteinte aux droits de la femme. Toujours, la faute à l’islam, rien de culturel, ni
d’exotique. On ne s’amuse pas avec ce genre d’atteintes aux droits humains. Chez la femme
Hindoue, Bouddhiste, Inca, Japonaise, c’est la fidélité à l’identité culturelle, chez la
musulmane - quelque soit son ethnie - c’est l’expression inconditionnelle du
fondamentalisme islamique. Les femmes aux caraïbes ont une tenue traditionnelle -
minimaliste certes - pas du tout conventionnelle, mais qui penserait parmi les occidentaux
aller occidentaliser les mœurs des femmes caraïbéennes ? Une vrai insulte à la diversité
culturelle de l’humanité. Toutes les femmes de la terre auraient le droit à l’expression
culturelle, vestimentaire entre autres. Droit inaliénable, mais dès qu’on appréhende le
monde musulman, le droit au relativisme culturel s’évapore. Il ne faudrait pas confondre
les choses ! Récemment en Espagne a éclaté une affaire « foulard islamique 2 », pâle
« remake » de sa consœur en France il y a quelques années. Toujours le me scénario
classique, apocalyptique, les valeurs de la laïcité, de la démocratie, de l’intégration des
immigrés sont mises en danger par le foulard en question. Pour avoir une idée du niveau
du débat : Un haut fonctionnaire de l’Etat espagnol a comparé le voile islamique à
l’excision. Quelle élégance !
Et pour bien enfoncer le clou, une intellectuelle d’origine égyptienne, de passage à Madrid,
questionnée sur le thème, décrit le voile islamique comme le symbole de l’esclavagisme (3).
Étant donné que c’est une intellectuelle arabe qui le dit, cela a plus de crédibilité. Les
occidentaux sont réconfortés par ce genre de discours : « Voyez de vous-même même là-bas
il y a des gens qui pensent juste, c’est à dire comme nous !!! ».
Dernièrement aussi, les nouvelles de la musulmane nigérienne accusée d’adultère font la
une des informations télévisées occidentaux, les organisations féminines et autres
s’unissent pour sauver cette femme de la Sharria islamique. Au - delà du fait que pour
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