Ainsi, lorsque j'ai commencé ma carrière voici 35 ans, l'administration
française des PTT n'avait à l'époque pas le moindre doute quant à la
légitimité de sa position, ni quant à sa façon de considérer les
utilisateurs non comme des clients, mais plutôt comme des assujettis.
Approchant désormais du terme de cette même carrière, je constate que
partout dans le monde, les structures des opérateurs de
télécommunications sont en profonde rénovation. En France même, France
Télécom conserve son rôle de leader en raison de l'ampleur de son
activité passée, de sa bonne réputation auprès du public et de sa volonté
de s'adapter au nouvel environnement en changeant de façon drastique sa
culture d'entreprise, mais doit faire face à l'agressivité de nouveaux
venus qui proposent des solutions intéressantes aux entreprises comme au
grand public. Tout ceci se traduit par une baisse des tarifs, un meilleur
confort et une qualité accrue pour la clientèle, mais aussi par une
course incessante visant à l'introduction de nouvelles technologies. Il
faut cependant préciser que jusqu'à présent, cette concurrence a surtout
porté sur les terminaux, les services et de nouvelles applications telles
que le téléphone portable, et commence tout juste dans les
infrastructures fixes.
Bien entendu, cette évolution des structures ne saurait être la même dans
tous les pays. La concurrence totale n'est possible que dans la mesure où
l'on dispose d'une infrastructure solide et très complète, permettant
d'offrir des services à tous les usagers, tant urbains que ruraux, et en
profitant pendant un certain temps de la péréquation tarifaire nécessaire
au subventionnement de l'équipement des zones les plus reculées par les
profits réalisés dans les services plus rentables.
En effet, l'esprit de concurrence ne doit en aucun cas faire disparaître
le concept de service universel, c'est à dire la possibilité pour tous
d'accéder aux service de base indispensables au développement
professionnel et à la vie sociale. De même, la concurrence ne doit pas
avoir pour résultat de gaspiller les ressources rares que sont les
fréquences radioélectriques et, dans le cas des satellites, les positions
sur l'orbite géostationnaire.
En tant qu'ingénieur, cependant, je dois répéter que cette évolution
réglementaire n'a été rendue possible que grâce au progrès technique, qui
en constitue la condition indispensable. Par exemple, au début de ma
carrière, nous utilisions les transistors au germanium, fruit des travaux
de trois chercheurs des Laboratoires Bell, Baudeen, Brattain et
Shockley, et mis au point en 1948. L'utilisation de ces transistors
constituait un progrès en permettant de remplacer les logiques câblées
utilisant des relais électro-mécaniques, qui avaient permis le
développement des services téléphoniques commutés, par un "hardware"
beaucoup plus simple. Pour la petite histoire, je rappelle que c'est un
entrepreneur américain de pompes funèbres, Almon Strowger, qui a conçu le
premier système de téléphone automatique assurant le secret des
communications. Strowger avait en effet été traumatisé par le fait que
l'épouse de son principal concurrent, opératrice du téléphone dans leur
petite ville, orientait systématiquement les clients éplorés vers
l'entreprise de son mari. Voilà donc un bon exemple de l'influence
positive que peut avoir le marché sur l'évolution de la technologie.