très important, il est donc de votre devoir, si vous appartenez à une
confession minoritaire, de dissimuler votre véritable nature pour pouvoir
échapper aux persécutions. Dans les années cinquante et soixante, les
alaouites étaient méprisés, considérés comme de la valetaille : les femmes
alaouites étaient souvent bonnes à tout faire dans les familles de la
bourgeoisie sunnite. Mais il y a eu énormément de mariages mixtes, les
alaouites ont progressivement infiltré la nouvelle bourgeoisie sunnite qui
s'était formée partir de la fin des années soixante-dix. Il faut d'ailleurs
rappeler à ce propos que contrairement à ce qui a été dit, il y a
certainement moins de 70 % de sunnites en Syrie : les chrétiens
représentent 13 % de la population, il y a 11 % d'alaouites, 6 % de druzes
et 15 % de Kurdes - majoritairement sunnites mais à distinguer totalement
des Arabes.
En 1982, Hafez al-Assad réprime durement l'insurrection des Frères
musulmans à Hama, leur siège. Le massacre, qui aura fait selon les
estimations entre 20.000 et 40.000 victimes, a lieu en février mais ne sera
découvert qu'en avril, quand l'ambassadeur de France, en passant dans les
environs, découvre la ville détruite. Les Frères musulmans, qui sont
partisans d'une orthodoxie totale, avaient édicté une fatwa condamnant à
mort les alaouites. Mais il faut savoir qu'en islam, seuls les ouléma
(pluriel de « alim »), les savants de l'islam, peuvent émettre des fatwas -
pas les Frères musulmans. Dans l'islam sunnite, tous les dignitaires
religieux ont toujours été nommés par le pouvoir politique. Les sunnites
considèrent donc tous les autres courants de l'islam comme hérétiques. Mais
le fait d'être chiite ou alaouite n'est pas passible de mort en soi. Ce qui
est puni, ce n'est pas l'hérésie, c'est l'apostasie, c'est-à-dire le fait
de renier sa religion, de naître sunnite et de se convertir ensuite au
chiisme par exemple. Dans ce cas-là, il est du devoir de n'importe quel
musulman de tuer l'apostat. Comme le sunnisme se considère comme
l'aboutissement du monothéisme, tout changement de religion est perçu comme
une régression. Mais les alaouites sont moins éloignés de l'islam que ne le
sont les druzes, par exemple. Ils sont plus proches du judaïsme par exemple
dans la mesure où, comme les juifs, ils croient en l'arrivée du Messie. Il
n'y a pas non plus chez les alaouites de relents de paganisme, rien qui
rappelle la Jahilya, l'ère pré-islamique. Cela est inimaginable dans un tel
contexte, car le Proche-Orient est très profondément religieux.
Vu l'existence historique d'un « réduit alaouite », existe-t-il un risque
d'éclatement de la Syrie ?
Les alaouites sont au pouvoir depuis très longtemps, ils en ont pris
l'habitude. La totalité des officiers syriens est alaouite, mais le vice-
président, par exemple, est sunnite. Il y a eu un brassage important, une
infiltration de la bourgeoisie sunnite - qui ne représente que 25 % des 65
% de sunnites - par les alaouites. Ces gens ne se sentent pas représentés
par les combattants insurgés, et ils ont fait leur fortune avec ce régime.
Les alaouites pourraient créer un État indépendant sur la façade maritime,
mais dans ce cas-là, les sunnites de Damas se retrouveraient enclavés. Dans
la guerre civile en cours, un des éléments de lecture peut être la
religion. Ce régime s'est effectivement présenté comme un rempart contre
les islamistes, notamment des Frères musulmans, pour assurer sa pérennité.
Car en Syrie, les Frères musulmans sont plus dangereux, politiques, voire
plus intelligents qu'en Égypte. Mais à l'heure actuelle, sur leurs deux
dirigeants historiques, l'un - Ali Sadr al-Bayanouni - est toujours en exil
à Londres, et l'autre est bloqué à Homs.
Pensez-vous que le risque de représailles sur les alaouites, si le régime
de Bachar al-Assad s'effondre, soit réel ?
Bachar al-Assad se maintient tant que les Russes le soutiennent. Depuis le