Cours bonus Sfeir a

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Transcription Antoine Sfeir – séquence 1
Evaluer une situation complexe, que sont les relations internationales en
tout cas, mérite de se poser quelques questions : qui ? Qui sont les
protagonistes ? Quand ? Aujourd’hui puisque c’est l’actualité. Comment ? Ça
c’est plus difficile. Est-ce que l’on peut se contenter de ce qu’on regarde
à la TV ou de ce qu’on lit dans les journaux ? Et je crois que c’est là la
difficulté puisqu’il faut aller chercher à la fois dans l’histoire, dans
l’ethnologie, bien entendu aussi dans les sciences de la religion. Les deux
exemples que nous allons prendre aujourd’hui pour illustrer la difficulté
d’établir un état des lieux qui nous amène à prendre des décisions idoines,
les deux exemples, ce seront la Syrie et bien entendu l’actualité du jour,
c’est-à-dire l’offensive dite des djihadistes en Iraq.
Alors, précisément avant tout, je crois qu’il faut bien se situer dans ce
qui se passe en Syrie. La révolte populaire, civile, a commencé en 2011,
c’est-à-dire déjà quand même depuis quelques années, et on a cru que l’on
avait affaire réellement à un soulèvement populaire. Puis tout d’un coup,
on a vu apparaitre des groupes armés qui venaient d’ailleurs. C’est là où
c’est intéressant, parce que d’ailleurs on a appelé ça, les islamistes ou
les salafistes. Déjà, il faudrait peut-être définir les deux termes. En
définissant ces deux termes, on donne à ce conflit, un caractère que l’on
n’attendait pas, c'est-à-dire un caractère religieux. En effet, dans
l’islam, nous avons des extrêmes, ce que l’on appelle l’islam radical
communément. Les islamistes qui couvrent des courants d’idées et de pensées
plutôt étatiques, c'est-à-dire qu’ils visent les rouages de l’Etat, ils
veulent prendre le pouvoir, on l’a vu en Egypte avec les Frères Musulmans,
on l’a vu également en Tunisie avec les Frères Musulmans. Ils veulent
uniquement un califat établi sur des frontières. Les salafistes ne sont pas
du tout dans ce genre de réflexion. « Salaf » en arabe veut dire tout
simplement « le vrai, le pur, l’originel », autrement dit ce sont tous ceux
qui pensent que le salut est de vivre exactement comme le Prophète Mohammed
vivait au VIIe siècle avec ses premiers compagnons, dans une pureté
doctrinale totale. Mais alors, sans frontière ! Puisque toute l’humanité
nous a dit le Prophète, a en quelque sorte comme vocation de se soumettre
à Dieu – sens du mot islam d’ailleurs – de se soumettre à Dieu. Donc par
cette phrase, le Prophète a donné à l’islam un caractère universel. Donc
toute l’humanité, un jour ou l’autre, va devenir soumise à Dieu – Muslim ou
Muslimum au pluriel : le sens du mot islam. Les salafistes n’ont pas la
notion de frontière. Quand un djihadiste français, anglais, tchétchène,
belge, va en Syrie combattre, il est dans la droite ligne de ce en quoi il
croit, de son dogme, et donc il n’est pas en dehors de sa loi. Il est en
dehors de la loi de la République mais pas de la sienne, en tant que
croyant. Donc, on ferme la parenthèse, on revient au conflit qu’il y a eu.
Cette révolte populaire s’est avérée tout simplement être une guerre
civile, une guerre civile entre un pouvoir vieux, usé, quarante ans, qui
ne mérite aucune empathie certes, puisque c’est une dictature, mais en même
temps, on a vu apparaitre plusieurs groupes, soit islamistes soit
salafistes, qui voulaient prendre le pouvoir sur le terrain, ce qui est
toujours encore le cas. Mais néanmoins, ça s’est doublé donc par un conflit
confessionnel, confessionnel entre qui ? Bien entendu entre les extrêmes et
les modérés, mais également entre deux grandes branches de l’Islam, les
deux parmi les trois, les deux grandes branches de l’Islam: le sunnisme
(85% des musulmans dans le monde) et les chiites, les partisans de Ali, Ali
étant le cousin et le gendre du Prophète. Au départ, c’était une guerre de
succession tout simplement, comment on a fait un coup d’état contre le
quatrième calife, le quatrième successeur du Prophète, Ali. Mais ça s’est
transformé en différence dogmatique. Aujourd’hui le sunnite considère qu’il
est l’aboutissement du monothéisme. Autrement dit, un sunnite qui change de
religion ou qui choisit de ne pas en avoir, devient naturellement un
apostat, donc tout musulman a le droit de le tuer. Tandis que dans le
chiisme, ils attendent le messie, donc on est dans tout à fait une autre
démarche à la fois spirituelle et quotidienne quand on vit sa religion.
Autre différence essentielle : il se trouve dans le chiisme,
l’interprétation, l’effort d’interprétation, interprétation de quoi, du
coran, récitation, donc tradition orale transformée 20 ans après la mort du
Prophète, en une récitation écrite. C’est devenu le livre saint de l’Islam,
et bien entendu doublement immuable puisque c’est Dieu qui parle et c’est
un livre, écrit. Dans le sunnisme, tout effort d’interprétation s’est
arrêté à la fin du XIe siècle. On peut dire que depuis la fin du XIe
siècle, l’Islam sunnite est dogmatiquement figé et il n’y a pas eu depuis
lors, des changements, des tentatives puisqu’il n’y a plus de califat, le
dernier ayant disparu en 1924 avec Atatürk en Turquie. Néanmoins, dans le
chiisme, l’effort d’interprétation n’a jamais disparu. C’est toujours le
même qui nous a amené les constitutionnalistes en Iran en 1906 et en 1910,
c’est toujours le même qui nous a amené Khomeiny en 1979 à Téhéran. Et
aujourd’hui la remise en question du rôle des religieux et des mollâs,
c’est toujours le même effort d’interprétation. Voilà deux différences
parmi d’autres, dogmatiques entre le chiisme et le sunnisme qui en font
quasiment deux religions différentes. Cette guerre aujourd’hui qui existe
entre les deux est également une guerre stratégique.
Tout d’abord la Syrie. Dans mon enfance, on me disait toujours au ProcheOrient, « Il ne peut pas y avoir de guerre au Proche-Orient sans l’Egypte
ayant la plus grande armée, mais il ne peut pas y avoir de paix sans la
Syrie ». La Syrie a géographiquement – et la géographie détermine
l’Histoire – géographiquement et stratégiquement une position centrale :
elle contrôle à la fois les frontières avec le Liban, la Jordanie, Israël
et la Palestine. Tout régime fort à Damas a une puissance de nuisance qui
sort de l’ordinaire, qui est extraordinaire. Et c’est toujours le cas
aujourd’hui. On le voit au Liban avec les attentats entre chiites et
sunnites. On le voit avec les menaces en Jordanie, de la présence de plus
d’un millions, dans le camp de Zaatari, pas loin de la frontière avec la
Syrie, de réfugiés syriens. Donc tout cela, montre à quel point la Syrie a
une véritable position stratégique vis-à-vis de la Turquie et des kurdes
syriens à la frontière turque. C’est pour cela qu’aujourd’hui la guerre en
Syrie a à la fois comme enjeu, un enjeu stratégique, un enjeu ethnique –
parce que l’on dit que les alaouites sont plus proches des perses que des
arabes, c’est encore la guerre entre la Perse et les arabes – un enjeu
confessionnel et un enjeu géopolitique, on vient de le voir. La situation
est réellement tendue. On verra comment la France, l’Europe, l’Occident en
général s’est trompé là-dessus. Bien entendu, on nous oblige à choisir
entre la peste et le choléra ; mais on n’a pas à choisir. Le régime est là
depuis plus de 40 ans maintenant mais ceux qui sont venus combattre au
départ étaient de vrais démocrates qui n’avaient plus de place sur le
terrain, face à ceux que les pays étrangers comme le Qatar et l’Arabie
Saoudite ont armés. Le Qatar a armé les frères musulmans donc les
islamistes et l’Arabie Saoudite arme et arme toujours les salafistes.
N’oublions pas que nous parlons des alliés stratégiques de l’Occident.
Qatar et Arabie Saoudite. Attention, on y reviendra.
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