III) A quelles conditions les baisses de prix des marchandises bénéficient-elles aux ménages ?
III-A) Les bénéfices microéconomiques pour les ménages des baisses de prix sont à relativiser.
Les mécanismes microéconomiques vus jusqu'à présent ont en commun de mettre en évidence des effets bénéfiques
des baisses de prix des marchandises en termes d'utilité pour les ménages. Mais cette amélioration de leur bien-être, de
leurs conditions de vie est-elle systématique ? Les modèles microéconomiques mobilisés jusqu'ici tendent en effet à
isoler, à séparer, à analyser toutes choses égales par ailleurs des effets s'exerçant sur la consommation de différents
biens et sur l'offre de travail. Or si on pousse l'analyse en équilibre général reconnue dont V. Pareto a démontré la
nécessité, ces bénéfices peuvent s'avérer illusoires. Pour défendre sa théorie synthétique de la valeur en équilibre
général face à la théorie symétrique de la valeur en équilibre partiel développée par A. Marshall, V. Pareto observe que
la baisse du prix du diamant en 1907 ne s'explique pas sur le marché du diamant, mais comme une répercussion de la
crise financière qui a fait fondre les revenus de la clientèle potentielle. Il est alors vain de s'arrêter à l'effet immédiat de
cette baisse des prix : son impact ne saurait être séparé de l'ensemble des variables qui affectent de façon systémique le
bien-être des ménages.
La perception des baisses de prix est elle-même problématique. Ainsi, la période contemporaine est marquée d'après
les statistiques de l'INSEE par une stabilité des prix, résultant de l'augmentation de prix pour certaines marchandises et
de la diminution pour d'autres, et tout particulièrement dans le secteur des nouvelles technologies. En effet, l'INSEE
adopte implicitement une approche hicksienne du pouvoir d'achat en considérant que le pouvoir d'achat des ménages en
nouvelles technologies est augmenté non seulement par la diminution des prix, mais aussi par l'expansion des capacités
des nouvelles générations d'appareils. C'est l'utilité procurée par la consommation qui fait référence pour mesurer le
pouvoir d'achat et l'évolution des prix (cf. J. Hicks, Valeur et capital, 1939). Il y a un hiatus entre cette mesure et le
pessimisme affiché par les ménages dans les enquêtes d'opinion concernant l'évolution de leur pouvoir d'achat. C'est
sans doute moins l'utilité que le contenu du panier qui sert de référence aux ménages, ce qui renvoie en microéconomie
à l'approche slutskienne du pouvoir d'achat. Les ménages peuvent de plus être plus sensibles aux hausses de prix de
marchandises achetées quotidiennement et/ou difficiles à comprimer (alimentation, logement, chauffage) qu'à la baisse
de biens d'équipement dont les achats sont espacés dans le temps.
III-B) Des effets bénéfiques qui opèrent surtout à court terme ?
C'est bien parce qu'elle approche de façon systémique à une échelle plus souvent macroéconomique les variations de
prix que l'économie politique classique en relativise les effets bénéfiques pour les ménages. A. Smith (Recherches sur la
nature et les causes de la richesse des nations, 1776) distingue ainsi le prix de marché et le prix naturel. Le prix de
marché oscille autour du prix naturel qui permet de rémunérer le travail, la terre et le capital selon les lois naturelles de
la répartition. Ainsi, le prix de marché peut temporairement diverger à la baisse du prix naturel, mais des mécanismes de
rappel le ramènent à terme au niveau du prix naturel. Le salaire naturel tend à être comprimé au niveau du salaire de
subsistance en raison d'un rapport de forces défavorable aux travailleurs, la baisse des prix des marchandises n'a donc
pas d'effet bénéfique durable.
L'ajustement des prix et des salaires peut aussi s'opérer par la démographie. Si l'on suit T. Malthus (Essai sur le
principe de population, 1798), une baisse généralisée des prix augmentant le pouvoir d'achat des travailleurs accélère la
croissance démographique, ce qui devrait à terme exercer une pression sur les ressources et réorienter les prix à la
hausse. Si les deux derniers siècles ont infirmé la thèse de Malthus, il n'en reste pas moins que la transition
démographique a fortement conditionné la baisse du prix réel des marchandises et l'amélioration des conditions de vie.
III-C) Des effets qui dépendent de la classe d'appartenance des ménages.
Les ménages ne sont pas les entités anonymes et désincarnées qu'on étudie au sein du paradigme de l'homo
oeconomicus. L'ensemble des ménages consomment, mais ils se distinguent par l'origine de leur revenu.
Les baisses de prix des marchandises ont ainsi des effets disparates sur les ménages selon leur classe, mis en évidence
par D. Ricardo (Principes de l’économie politique et de l’impôt, 1817). Ainsi, le libre-échange spécialise les nations
selon la logique des avantages comparatifs et permet une diminution des prix. En Angleterre au XIXème siècle,
l'abolition des Corn Laws pouvait abaisser les prix agricoles, ce qui bénéficie aux travailleurs qui les consomment, aux
capitalistes qui peuvent répercuter cette baisse sur les salaires versés, mais pas aux propriétaires fonciers dont la rente
dépend positivement de ces prix. De nos jours, la mondialisation bénéfice en termes de pouvoir d'achat à la population
dans son ensemble, mais pas aux ménages dont les emplois sont menacés par la concurrence internationale.
Selon D. Ricardo, la convergence vers l'état stationnaire se fait par une baisse des prix industriels qui comprime les
profits et lèse donc les capitalistes, a un impact neutre pour les travailleurs dont le salaire est ajusté aux prix et bénéficie
aux rentiers.
Même si la structure socio-économique contemporaine est aujourd'hui différente, le fond de l'analyse de D. Ricardo
reste d'actualité : comme le prix des marchandises rémunère les ménages qui ont contribué à leur production, les baisses
de prix redistribuent les richesses.