missionnaires peu éclairés. Cependant, les exemples ne manquent pas qui prouvent leur bonne foi et
leur honnêteté. Si eux-mêmes tombent malades, n'appellent-ils pas auprès d'eux un collègue qui se
dépensera pour les guérir ? Un grand nombre de chamans se montrent scrupuleux dans l'exercice de
leur art. Ils refusent rarement d'assumer la responsabilité - souvent dangereuse - d'un traitement
médical et, au cours de la cure, ils font preuve de zèle et d'énergie. Les transes sont parfois pénibles.
Beaucoup de chamans se garderaient, sans doute, de les provoquer s'ils ne croyaient en leur efficacité.
[ ... ]
L'apprenti chaman doit passer par une période de retraite au cours de laquelle il observe la
continence et divers interdits alimentaires. Il doit notamment s'abstenir de manger de la viande. [ ... ]
Pendant les périodes de retraite le futur chaman doit boire des infusions d'écorce et les vomir afin
de pouvoir entrer en contact avec les esprits. Il est particulièrement important que, par le truchement
de ces infusions, il entre en rapport avec les « esprits de l'échelle ou des échelons » qui aideront son
âme à quitter son corps et à s'envoler ou qui permettront aux esprits de la forêt de descendre et
d'occuper son corps. Les Akawaio disent qu'en absorbant et en vomissant des infusions d'écorce «
l'esprit de l'écorce ou d'autres esprits peuvent s'installer à l'intérieur du corps ». En effet, « l'écorce
d'arbre vomie devient Imawali. Imawali est un esprit de la forêt et les arbres possèdent cet esprit ».
Le novice doit également s'habituer à boire du jus de tabac et à le vomir à l'occasion. Le tabac
attire les esprits pendant les séances et aide celui du chaman à s'envoler. L'esprit du tabac est
étroitement associé à l'esprit de l'oiseau kumalak, une sorte de milan, qui est le principal auxiliaire du
magicien auquel il prête ses ailes. Le chaman, ivre de jus de tabac, s'élève au-dessus des montagnes,
suivi de l'oiseau kumalak. Tous deux errent ainsi « voyant tout et découvrant tout ». D'autres oiseaux,
surtout ceux qui vivent dans la montagne où dansent les esprits, instruisent le chaman et lui prêtent
leurs ailes pour qu'il puisse venir danser avec eux. Un long bruissement indique que l'esprit du
chaman revient en volant, et un coup sourd sur le sol prouve qu'il atterrit. Au retour de ses
randonnées aériennes, le chaman restitue à son auxiliaire les ailes prêtées. Le novice doit donc essayer
d'établir un contact avec l'esprit kumalak alors qu'il boit du jus de tabac et qu'il chante. En s'imposant
des restrictions alimentaires et en vomissant, le chaman, aminci, devient un support pour les ailes qui
l'emporteront vers le monde des esprits. Les chants qui jouent un rôle si important dans l'exercice de
la profession sont appelés malik, du nom des ornements symbolisant les ailes de l'oiseau kumalak. Ils
décrivent l'envol de l'âme du chaman et ses aventures dans les régions des esprits. Ce sont des «
chants d'ailes » ou des « chants de vol ». Sous la direction du maître le novice apprend les techniques
du métier : boire du jus de tabac, chanter les chants des esprits et agiter le paquet de feuilles dont le
bruissement crée l'illusion de l'approche ou du départ d'un esprit. Ces leçons peuvent avoir lieu dans
la hutte du chaman ou dans la forêt. Parfois elles sont données par l'esprit d'un chaman mort. Lors de
la séance publique qui doit le consacrer chaman, le novice, qui a bu de grandes quantités de jus de
tabac, « meurt », c'est-à-dire que son âme déserte son corps. Son maître qui l'assiste va à la recherche
de son âme et la ramène sur terre. A partir de ce moment le postulant peut « chamaniser » pour son
propre compte. [ ... ]
Dans la tribu des Carib du Barama, le maître prend à sa charge un petit groupe d'élèves qu'il
réunit dans une hutte construite à cet effet. Il commence par leur montrer la fabrication des hochets. Il
leur donne ensuite une forte infusion de tabac qui les plonge dans un état de transe au cours duquel
ils visitent le pays des « esprits des eaux » qu'ils apprendront à invoquer grâce à des chants magiques.
Plus tard, à la suite de danses effrénées qu'ils exécutent sous la double influence de la fumée et du
jus de tabac, les novices entrent en rapport avec les esprits-jaguars et, se sentant eux-mêmes devenir
jaguars, marchent à quatre pattes et rugissent. Il leur faut encore après cela traverser, toujours en
imitant le jaguar, un grand feu qui leur barre la route vers la rivière. Ils y courent, roussis et ivres de
jus de tabac, pour y attraper des poissons et des vers et s'assurer de la sorte le concours des esprits
aquatiques.