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Le passé et l’avenir des sciences humaines en éducation
médicale au Canada
Monica Kidd (étudiante en médecine), Memorial University of Newfoundland, St. John’s
Introduction
Cet article a pour but de présenter l’étude systématique des programmes canadiens
d’enseignement des sciences humaines en médecine, en questionnant des experts.
J’espère donner un aperçu de la situation des sciences humaines en éducation médicale au
Canada et proposer des sujets où il y aurait lieu de pousser plus loin le développement et
la recherche.
La compassion constitue la raison d’être souvent citée de l’enseignement des sciences
humaines en médecine. Sans une perspective humaniste, le patient pourrait facilement
être représenté et traité comme étant ni plus ni moins qu’un regroupement d’organes
malades. Cette dépersonnalisation de la santé et de la maladie est sans doute la raison
pour laquelle certains auteurs démontrent autant de passion lorsqu’ils définissent les
sciences humaines en médecine comme étant « un mouvement plus ou moins organisé
d’individus et de groupes de praticiens, de soignants, d’analystes et de théoriciens, avec
des expériences, des aptitudes, des perspectives et des intérêts différents qui se
questionnent sur l’humanisme et la santé» (Traduction) (Pattison 2003). Les sciences
humaines en médecine sont parfois définies de façon générale comme étant les
disciplines qui contribuent à la compréhension de la condition humaine, notamment: la
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philosophie, l’éthique, l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, la littérature et les arts
visuels.
Différents arguments ont été invoqués quant à l’efficacité de l’enseignement des sciences
humaines. L’histoire de la médecine permet d’initier un sentiment d’humanisme et
d’encourager la pensée critique quant au progrès médical (Ahlezén et Stolt 2003). La
créativité a la capacité d’aider l’étudiant à mieux comprendre les besoins du malade,
particulièrement s’il n’a pas le même bagage culturel, religieux ou ethnique (Charon et al.
1995). Plus spécifiquement, les événements antérieurs survenus aux médecins peuvent
servir de miroir aux étudiants, les aidant à mieux évaluer l’influence de ce qu’on appelle
l’enseignement informel (Coulehan et Williams 2001; Hafferty 1998; Lempe et Seale
2004). De plus, la littérature médicale peut favoriser le raisonnement moral et éthique des
étudiants, freiner l’orgueil médical démesuré et améliorer la communication entre les
soignants et les patients (Rachman 1998).
Bien que l’éthique médicale, les habiletés de communication et la compassion aient
auparavant été enseignées au chevet des patients, ce n’est qu’en 1972 que l’étude de la
littérature médicale vient
influencer la pratique clinique et a été intégrée au sein des programmes des facultés de
médecine aux États-Unis (Charon et al. 1995). Dix années plus tard, près du tiers des
facultés de médecine américaines avaient fait place à la littérature médicale dans leurs
programmes d’enseignement (Charon et al. 1995). En 1998, l’ American Association of
Medical Colleges avait réitéré le besoin d’inclure une formation en sciences humaines.
Elle a d’ailleurs établi quatre grands principes : les médecins doivent être altruistes, bien
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formés, habiles et aient un sens des responsabilités (AAMC 1998). Suite au rapport du
Comité de l’enseignement du General Medical Council en 1993, les facultés de médecine
britanniques ont apporté d’importants changements à leurs programmes d’enseignement
et, peu de temps après, divers organismes nationaux ont été constitués afin d’alimenter le
mouvement (Kirklin 2003). En 1999, six ans après la publication du rapport, le Nuffield
Trust, organisation philanthropique, a créé le Centre for Arts and Humanities in Health
and Medicine à l’Université Durham. En 2002, l’ Association for Medical Humanities a
été constituée avec pour mandat de servir de tribune nationale aux universitaires
travaillant dans ce domaine.
Méthodologie
J’ai dressé une liste des experts clés en sciences humaines en envoyant des invitations par
courriel à partir des sites Web de chacune des 17 facultés de médecine canadiennes, leur
demandant le nom des responsables de l’enseignement des sciences humaines en
médecine de leur université. Cette méthode a porté fruit pour 14 des facultés de
médecine. Entre juillet 2005 et janvier 2006, j’ai interviewé les experts clés (entrevue de
20 à 30 minutes enregistrée et retranscrite ). L’entrevue comprenait, entre autres, les
questions retrouvées au Tableau 1. J’ai ensuite étudié les données à l’aide de la théorie à
base empirique (Berg 1995). Je n’ai pas cherché à confirmer les réponses des experts par
une consultation auprès des étudiants ou en révisant des documents universitaires. Mon
intérêt premier visait uniquement des objectifs en lien avec les enseignants, leur approche
et leur vision, plutôt que les résultats de leur enseignement. Mon devis de recherche a été
approuvé par le Comité d’éthique à la recherche (Human Investigations Committee) de
la Memorial University of Newfoundland (demande numéro 05.154).
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Résultats et discussion
I. Description du projet de recherche
Ma définition personnelle des sciences humaines en médecine est large et englobe
minimalement les textes narratifs, les arts visuels, l’anthropologie, l’histoire et le
journalisme. Ces domaines encouragent la réflexion et la pensée critique quant aux
aspects biologiques et psychologiques chez l’humain. Toutefois, je n’ai pas partagé cette
définition avec les experts. Je leur ai plutôt demandé de me donner leur définition des
sciences humaines en médecine. L’idée était d’en connaître le plus possible sur la pensée
personnelle de chaque enseignant en sciences humaines. Ceci a rendu difficile une
comparaison directe entre les différents programmes canadiens de sciences humaines en
médecine. En effet, à titre d’exemple, un programme d’hématologie pouvait inclure des
conférences sur la pathophysiologie de divers problèmes cliniques ainsi que des cours sur
la démarche clinique (qui peuvent inclure ou non une discussion sur le contexte social du
patient) ainsi que des discussions sur les représentations culturelles de différentes
maladies. Pour certains enseignants , la discussion des aspects non cliniques de
l’hématologie était une science humaine médicale, tandis que d’autres ne partagaient pas
cet avis. Par conséquent, au lieu de faire une comparaison point par point, la section
suivante présentera un aperçu de la diversité des méthodes d’enseignement des sciences
humaines en médecine au Canada. Les facultés de médecine sont nomméesdans cette
section (bien que mes sources soient demeurées anonymes) car l’information est
essentiellement publique.
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Le programme de sciences humaines médicales à l’ University of British Columbia fait
actuellement partie d’un cours intitulé « le Docteur, le patient et la société » (« Doctor,
Patient and Society » - DPAS). Ce cours a vu le jour au milieu des années 90, en réaction
aux exigences de l’agrément des facultés de médecine et suite au changement vers un
processus d’apprentissage par problèmes. Le cours DPAS est un programme obligatoire
enseigné au cours des deux premières années du programme de médecine. Le cours
comprend l’enseignement de l’éthique dans les soins de santé, l’épidémiologie, la
médecine sexuelle, l’anthropologie clinique et la violence familiale. Ces sujets sont
présentés par le biais de conférences, de tutorats, de travail en petits groupes, de
rencontres avec des patients et de mises en situation (menées par des médecins, des
résidents et d’autres professionnels de la santé). L’histoire de la médecine est un sujet
qui a récemment été retiré du programme de la UBC.
La Faculté de médecine de l’University of Calgary ne compte aucun programme
obligatoire en sciences humaines médicales, mais son programme facultatif d’histoire de
la médecine a vu le jour au début des années 80 grâce à l’initiative d’un clinicien
intéressé par l’histoire médicale. Des enseignements d’une durée totale de 60 heures sont
proposés aux étudiants, à l’extérieur des heures normales de cours. Ils sont donnés par
des médecins et des professeurs du département d’histoire de l’université. Normalement,
seuls les étudiants de première année y participent. Tous doivent compléter un projet de
recherche qui est ensuite présenté et évalué à la fin de l’année.
La Faculté de médecine et des sciences dentaires de l’University of Alberta, à Edmonton,
a pour sa part et ce, depuis 2005, inclus les sciences humaines médicales au sein des
cours en « sciences sociales médicales ». Elle a engagé un coordonnateur chargé
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