Notes de cours, M. Maesschalck
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HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
DES TEMPS MODERNES
(FILO 1470)
Notes de Marc Maesschalck
(2003-2004)
Fragments d'une chronologie générale
Avant d'entamer un premier survol de l'histoire de la philosophie
des temps moderne pour y saisir les multiples figures de la conscience
critique, il faut avoir repéré le trajet déjà parcouru et procéder à un
balisage. Les repères que nous allons indiquer sont très symboliques et
par même aussi subjectifs. Ils n'ont pas la prétention d'une grande
pertinence historique. Leur objectif est plutôt de suggérer un horizon de
pensée, simplement pour rappeler la différence historique, la succession
des époques qui ont fourni à de multiples penseurs un contexte
référentiel autre que le nôtre. Or chacune des pensées que nous
aborderons se sont élaborées et définies en fonction des enjeux qu'elles
percevaient dans un temps qui nous échappe aujourd'hui en grande
partie. Nous ne pouvons conjurer cette absence et, de toute manière,
c'est nous-mêmes qui déciderons du montant de notre dette, sans
disposer de véritables indices de mesure. Cependant le passé peut être
détourné, récupéré, utilisé à titre d'autorité, de valeur symbolique ou de
repoussoir. Tous ces modes de récupération signifient la mort d'une
pensée de l'histoire dans sa différence, dans son absence. Qu'il soit
présenté comme bien ou mal, comme vrai ou faux, le passé est alors
soumis à des intérêts présents. Mais le passé ne prend pas parti pour
nous. Il peut nous aider à penser, à critiquer, non par une concordance
secrète des problèmes, mais par les moyens humains qu'il a mis en
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oeuvre pour assurer sa destinée. Au point de vue de l'effort humain, le
passé peut se réclamer du grand genre de l'Analogue. Mais il s'agit d'une
analogie de proportions qui réaffirme la différence au sein du rapport
allégué pour le rapprochement. Le penseur d'aujourd'hui, un Jacques
Derrida ou un Stanislas Breton, par exemple, se situe en fonction de
notre temps, comme un penseur de l'Antiquité, Platon ou Aristote, se
situait en fonction de son temps. Mais la manière elle-même de se situer
est différente, et l'analogie repose seulement sur l'affirmation d'un effort
propre à l'homme pour se situer face au défi de son temps ou pour
ratifier une existence qui s'apparaît à soi-même comme problématique.
Penser l'histoire revient alors à se mettre en quête d'un tel effort, selon
les coordonnées que nous pouvons repérer aujourd'hui pour chacune de
ces époques. L'image reste toujours tronquée, déformée, mais ce travail
a le mérite de préférer une certaine fragmentation à une unité purement
artificielle. Planter un décor, même très sommaire, poser quelques
balises d'un itinéraire rapide, c'est déjà distinguer les fragments d'un
passé apparaissent toujours déformés, les efforts des collectivités
humaines pour affirmer leur sens de l'existence.
Nous marquerons d'abord les limites de quatre grands fragments: au
VIIe siècle avant Jésus-Christ, la naissance de la pensée philosophique,
en Ionie (Asie Mineure), proche des Cyclades l'on a retrouvé les
traces de l'une des plus vieilles civilisations du bassin méditerranéen; en
313 après Jésus-Christ, la conversion au christianisme de l'empereur
Constantin et l'érection de cette religion au rang de culte officiel de
l'Imperium romanum; en 1277, les condamnations successives, et
isolées, de propositions issues de la pensée de Thomas d'Aquin, dans les
universités de Paris et d'Oxford
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; en 1637, la publication du Discours
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Refus surtout des méthodes donnant à la rationalité un statut critique
indépendant, par sa capacité naturelle de concevoir les formes
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de la méthode de Descartes, symbole de l'esprit moderne produisant ses
propres règles pour se guider à travers le monde, conscient des illusions
qui le menace s'il ne cherche à assurer, dans toutes les directions,
scientifique, morale, religieuse et politique, son autonomie; en 1893,
l'Encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII, inauguration de la
doctrine sociale de l'Église, mais aussi réplique d'une pensée chrétienne
officielle en retard sur les défis de son temps, le communisme, le
libéralisme et les mouvements populaires, pensée qui défend le
corporatisme face aux mouvements ouvriers cherchant leur
indépendance dans la fondation de syndicats autonomes, pensée d'un
Pape qui se voudra héros du Néothomisme, pourfendeur de la
modernité, à une époque commencent à se dessiner les cadres de
l'autonomie des savoirs. Nous avons ainsi distingué l'Antiquité, le
substantielles. On peut y voir une résistance à la métaphysique de la
substance importée d'Aristote, mais c'est d'abord le statut de la raison, que
suppose l'élaboration d'une métaphysique, qui est en cause, face à
l'augustinisme anthropologique et politique dominant. La contradiction est
présente à l'intérieur même de la pensée de Thomas et, selon Przywara, à
l'intérieur de celle d'Augustin. (Cfr PRZYWARA E., Ur-Haltung des
Geistes, Johannes Verlag, Einsiedeln, 1970). On peut voir dans l'effort
théologique une subalternatio de l'esprit humain à la science que Dieu a de
lui-même, mais le fait même de définir la scientificité de la théologie
montre la force de la raison et sa volonté d'instaurer un tribunal l'esprit
humain régit selon les lois qu'il s'est donné. Maintenant que la méthode soit
métaphysique et qu'elle endosse les préjugés cosmologiques d'Aristote sur
univers fini et limité, ce sera le problème des modernes en quête d'un autre
rapport au fait du monde, grâce à un système d'idéalités dominant l'autorité
des apparences phénoménales et des représentations mentales, c'est-à-dire
produisant les conditions mêmes d'apparition des phénomènes; un rapport
au monde essentiellement formel. Mais il faut bien se rendre compte qu'il
ne s'agit que d'un autre système d'idéalités, fort des avantages qui ont
justifié son instauration mais comportant ses propres apories: distance par
rapport au langage ordinaire, tendance à l'uniformisation, ambiguïté du
statut de la représentation, etc.
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Moyen Age, la Renaissance et la Modernité, ainsi d'ailleurs que l'origine
incertaine de ce qu'on nomme période contemporaine. Nous allons
maintenant donner quelques dates symboliques pour chacune des
périodes citées.
Antiquité
Nous retiendrons d'abord deux "dates-charnières":
- 399, la mort de Socrate, début de l'Antiquité classique pour la
philosophie, celle des Platon et des Aristote;
- 146, la Grèce est une province romaine, la philosophie va se
latiniser progressivement, avec Cicéron, Horace et Marc Aurèle, par
exemple, puis, plus tard, les Pères latins. Le Grec, de son côté va
devenir progressivement le symbole de l'empire et de l'Église d'Orient.
Quelques dates maintenant, attachées à la fondation des grandes
écoles philosophiques:
- 405, l'école mégarique avec Euclide; - 387, l'Académie de Platon; -
335, le Lycée d'Aristote; - 306, le Jardin d'Epicure; - 300, le Portique de
Zénon de Sittium. En - 63, Cicéron est consul à Rome. Notons encore
que l'expansion du christianisme et la formation de sa pensée doctrinale
amènent à distinguer la philosophie païenne, la pensée chrétienne (elle-
même grecque, latine, mais aussi Syriaque, Kopte, etc.) et la
philosophie juive. Ainsi, en 41 après Jésus-Christ, le philosophe juif
Philon d'Alexandrie; du côté des Pères latins, l'Apologie de Justin en
150 et les Apologétiques de Tertullien en 197; du côté des Pères grecs,
les Stromates de Clément d'Alexandrie en 179 et l'arrivée d'Origène
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dans la même métropole en 203; enfin du côté des philosophes païens
néo-platoniciens, Plotin arrive à Rome en 244 et Porphyre, son disciple,
en 263. Le début des invasions qui conduiront à la prise de Rome, en
410, est situé aux alentours de l'an 258.
Moyen Age
Nous voulons d'abord indiquer quelques grandes dates à trois
niveaux. Au niveau politique: l'arrêt de l'expansion arabe à Poitiers en
732; le sacre de Charlemagne en 800 et l'action réformatrice de Bernard
de Clairvaux, comme père de l'Europe, en 1115. Au niveau culturel,
ensuite: l'action d'Alcuin au niveau de l'éducation, symbole du
renouveau culturel dans l'Europe des Carolingiens en 793; le travail des
encyclopédistes arabes (Ikhwân al Safâ) en 904; Robert Grosseteste,
signe du rayonnement d'Oxford en 1200; au début du XIIIe siècle,
apogée de la pensée scolastique. Au niveau des traductions, enfin: du
grec vers l'arabe, en utilisant les versions syriaques, à partir de 832 à
Bagdad, puis de l'Arabe au latin dès 1145 par Gundissalinus. Reste à
situer quelques grands auteurs et à distinguer cette fois le monde latin et
le monde arabe. Du côté latin, les Confessions de saint Augustin en 400,
les Consolations de Boèce en 524, la pensée de Boèce diffusée à la fin
du Xe siècle est à l'origine du renouveau de la pensée médiévale centrée
sur les problèmes du langage, la fameuse querelle des universaux,
interviennent les noms de Guillaume de Champaux (1108), Roscelin
(1110), Anselme (1093) et Abelard (condamné par le concile de
Soissons en 1121). Il faut noter aussi Scot Erigène (846), témoin de
l'essor de la pensée d'Outre-Manche (
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) dont est venue la renaissance
culturelle de l'Europe au IXe et au Xe siècle et Pierre Lombard, dont les
Sentences (1148) ont suscité les commentaires des grands penseurs du
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Jean Scot Erigène est originaire d'Irlande.
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