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Vacances formation 2011 - 29 juillet 2011
Table-ronde réunissant des « créateurs de liens »
1. Introduction par Christine GILBERT
2. Témoignages :
Jean-Marie MALICK, professeur de lettres classiques, initiateur d’un cours sur le bonheur
Christian ZANNE (et Jacques), membres du collectif de défense de La Poste
René PARMENTIER, responsable d’un cinéma associatif
3. Débat
4. Autres initiatives à partager
5. Conclusion par Fabien FAUL
1. Introduction (Christine GILBERT)
Pour nos invités, je vais donner un aperçu de notre cheminement sur la semaine. Thème : le
bonheur est dans la crise. Pourquoi ? La crise on est dedans, c’est notre monde et c’est la
manière dont notre monde vit. Peut-on être heureux là-dedans ?
Crise économique : inquiétude, incertitude, fascination ; valeurs stables, solidarités qui
émergent. L’important c’est de garder son humanité, de vivre ses choix… Quoi qu’on fasse,
quoi qu’on dise, on reste humains. Derrière les dossiers, les chiffres, il y a des personnes…
Réalité politique, vivre ensemble ; donner sens au vivre en commun ; organiser ensemble
nos solidarités (famille, retraite, santé, éducation, etc.). A chaque pas, des questions
philosophiques : à quoi je tiens, à quoi nous tenons ? Comment être frère, juste, solidaire ?
Faire confiance à qui ? jusqu’où ?
Réalité sociale et relationnelle : Rupture/changement, nous sommes imbriqués les uns et
les autres ; il nous faut élargir notre vue. Il y a des possibilités : Dans la Bible, les moments
décisifs sont des moments de crises, qui permettent la découverte de Dieu, la surprise.
Dans ce monde, oui, nous voulons vivre heureux : c’est notre lot commun. La crise est-elle
une opportunité ? Oui, si on ose se lever, y aller. Plus on est en mouvement plus on est
stable, plus on peut avancer dans un monde même liquide.
Autour des 3 expériences de ce soir, quelques questions : comment l’action est née ? Qu’est
ce qu’elle a créé ? Qu’apporte le fait de sortir de l’échange marchand ? Quels échanges en
ont découle ?
2. Témoignages
Jean-Marie Malick (professeur de lettres classiques) : « enseigner » le bonheur
au lycée (Forbach, Moselle)
L’élément déclencheur est une enquête publiée dans un journal sur les Français et le
bonheur : elle met en lumière le triste constat que les Français ne sont pas heureux. Le pays
est très mal placé dans une enquête : 57e place mondiale, après la Russie ! Et des jeunes
français particulièrement pessimistes. Quelque chose cloche ! Vit-on moins bien qu’ailleurs
dans le monde ?
Je vais voir le proviseur, je propose un travail avec les lycéens : on peut être heureux en
France aujourd’hui, « heureux malgré tout ». Le bonheur a mauvaise presse ; pessimisme =
réaliste. Pour Flaubert, il n’y a pas de réel, mais une manière de voir. Je veux amener les
élèves à regarder le monde, pas leur donner de recette, mais leur permettre une prise de
conscience.
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Bonheur à partir de la peinture, de la musique, de la littérature. La question fondamentale
n’est pas : « de quoi j’ai envie ou besoin ? », mais : « qu’est-ce que j’ai qui me rend
heureux ? ». Un postulat : on peut apprendre à être heureux ! C’est une bonne nouvelle,
mais qui vient avec une moins bonne : j’ai des efforts à faire, ce n’est pas donné une fois
pour toutes ! Je peux être heureux et le partager (jamais tout seul !) : quand on est heureux
ça rayonne toujours.
Il y a certainement des tempéraments, mais le bonheur est surtout lié au talent et à la lutte !
Divers exemples nous montrent l’étendue de notre capacité à être heureux, même dans les
situations les plus difficiles :
Alexandre Jollien : philosophe, handicapé de naissance (cordon ombilical autour du cou). Il
s’est lancé dans la philosophie pour mener un combat joyeux : « je dois trouver de la joie
sinon je suis perdu ! »
• Christiane Singer : condamnée par un cancer à une mort imminente (le médecin lui
annonce qu'il lui reste six mois à vivre). Elle écrit un journal au cours de ces mois, pour
« entrer en vie maintenant, tout de suite ».
Concrètement, je propose aux lycéens un rendez-vous hebdomadaire (le mercredi de 13 h à
14 h) en deux temps :
1) Présentation de la pensée d’un philosophe, lecture critique d’un texte littéraire (une
vingtaine de lignes) : Montaigne, Pascal, Sénèque, Epicure, Rousseau, Stendhal, Camus,
Gide, etc.
Ludwig Wittgenstein : « Il faut voir le monde comme un miracle »
Rainer Maria Rilke : « Etre est une splendeur »
Gide : « Les regrets sont stériles. La vie n’est pas à refaire mais à faire. »
Pascal : « L’homme passe infiniment l’homme »
Montaigne : « N’avez-vous pas vécu ? Vous avez fait la plus belle tâche de toute. »
« Ne permet pas que la vie devienne ordinaire »
« Envier le bonheur d’autrui, c’est folie (…) »
« Le bonheur est sur mesure »
2) Analyse d’une œuvre d’art qui m’aide à mieux vivre, me rend heureux :
tableaux : Le retour du fils prodigue (Rembrandt),…
musique classique : Dvorak (Symphonie du Nouveau Monde), Saint-Saëns, Peer-Guynt,
Ravel (Bolero),…
Par ailleurs, je propose aux élèves de faire tous les soirs une reprise rapide de la journée (5
min), en identifiant des points de satisfaction. Cela permet de terminer la journée de façon
positive.
Bilan : ça a très bien marché ; les lycéens étaient au rendez-vous et chacun a, à sa façon,
« changé sa façon de voir la vie ».
Jacques et Christian : collectif de défense de La Poste de Leyr (Meurthe-et-
Moselle)
Le collectif prend naissance à Montenoy, près de Leyr, 900 habitants. Un copain téléphone
pour signaler que les facteurs de Leyr sont mutés à Champagnole et que le bureau de poste
va être fermé. 1400 foyers sur 10 villages sont concernés. Une réunion publique est
organisée : 250 personnes y assistent et très rapidement un noyau se constitue pour mener
différentes actions :
une opération au centre de tri de Champagnole, avec signature d’une pétition, mise en
place de la votation citoyenne (campagne nationale contre la privatisation de la Poste)
• petits-déjeuners postaux
• constitution et dépôt d’un dossier au tribunal administratif, avec l’appui d’un juriste
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« occupation » du bureau de poste pendant 10 jours (ce n’était pas exactement une
occupation : on empêchait le bureau de fermer !)
Mode opératoire : se manifester tous les 6 mois pour faire savoir, être présent,… Après
l’occupation du bureau de poste, les horaires sont maintenus jusqu’aux négociations. Après
deux ans et demi de lutte, le collectif est toujours là, il a remporté plusieurs victoires.
A la fin de la première semaine d’action, on organise un pique-nique et on propose aux
participants de s’inscrire sur une liste pour la semaine suivante. Miraculeusement, 20
personnes se proposent ! Le lundi, on ouvre une liste pour la semaine suivante : 15
personnes inscrites dès le 1er jour ! La poste est maintenue ouverte parce que des personnes
se sont mobilisées. Après avoir montré la liste au responsable du district, les responsables de
La Poste reculaient dès le lendemain.
Deux syndicalistes ont lancé le mouvement et après, ils nous ont laissés prendre nos
responsabilités. C’est important d’être quelques-uns à bien se connaître pour amorcer le
processus ; cela a permis aux gens de se rencontrer et au collectif de démarrer.
L’inattendu advient après : un lien entre une quinzaine de personnes. On ne se rend jamais
assez compte du pouvoir qu’on peut avoir quand on se réunit ! On n’a rien fait tout seul !
Espérer c’est possible, résister c’est possible, mais ça ne se fait pas tout seul !
René Parmentier : cinéma associatif « L’Union » d’Ars-sur-Moselle (Moselle)
Ars-sur-Moselle est un village de 500 habitants. Dans la salle paroissiale d’avant-guerre, on
pouvait faire du théâtre (depuis 1935) et du cinéma (depuis 1958). Invité un dimanche pour
le repas, le curé me dit : « On fait fermer le cinéma : on n’arrive plus à payer le fioul, les
distributeurs,… On va le vendre, vendre la maison et 10 ares de terrain pour payer nos
dettes… » Je me suis écrié : « Ce n’est pas possible, on ne peut pas le fermer ! » Mon beau-
frère (18 ans) : « T’as qu’à faire quelque chose, toi qui est opérateur, nous on ne sait pas ce
qu’il faut faire ! ». C’était en 1974.
On a informé le public en dramatisant la situation. Première réunion : 150 personnes ; c’était
le cirque ! Deuxième réunion mieux organisée : une quinzaine de volontaires proposent de
s’investir -dedans. Le cinéma a bel et bien fermé, mais on a ré-ouvert en ciné-club, avec
projection de copies en 16 mm sur le grand écran… la qualité était très mauvaise. On a fait
du porte à porte pour vendre des cartes de membre honoraire donnant droit à assister aux
projections. Au début, 9 films dans l’année. Puis, on s’est associé au Pax de Metz, en 35 mm
(1975-1977) : on faisait alors entre 1000 et 2000 entrées par an.
Petit à petit, ça a pris de l’ampleur, on a sisté, même à l’arrivée du Kinépolis à Metz en
1995 ! On a continué à fonctionner, car on propose autre chose que les circuits commerciaux
habituels. Ce projet est porté dès le début par une équipe de bénévoles (30 aujourd’hui), en
association loi 1901, à l’écoute du public. C’est un lieu de convivialité. Pour autant, le cinéma
est techniquement impeccable et aussi confortable qu’ailleurs.
Des cartes d’abonnements sont proposées ; les habitués viennent, invitent des amis. Chaque
année : 65 films, 180 séances, 12 000 entrées. Les gens sont contents, ce sont eux nos
meilleurs agents publicitaires. A l’entracte, pas de pop corn, mais des glaces Miko à la
corbeille. En 35 ans, renouvellement dans l’association : tous les ans 3-4 personnes qui
viennent et qui partent. Chacun a sa place ! Ça donne du lien social !
3. Débat
Cinéma associatif
Qu’est devenu le curé ?
Le curé est ravi de la dynamique créée : cinéma, théâtre, marionnettes, salles de réunion
pour la paroisse ; il sera nommé vice-président du cinéma… Ensuite, d’autres curés
s’impliqueront, mais moins directement.
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Et le passage au numérique ?
Avec 12 000 entrées par an et un bénéfice de 10 000 à 20 000 €, on peut réinvestir
régulièrement dans le cinéma. En ajoutant aux bénéfices l’aide du Centre National du
Cinéma, on a presque de quoi passer au numérique.
Qui fait le choix des films ? Y-a-t-il des projections thématiques ?
Notre vocation est de nous appuyer sur la proximité, de proposer des films pour tout le
monde. Seule limitation : depuis 10 ans, on évite les films violents… On essaie de tenir
compte des envies du public et de l’équilibre économique. Pour établir le programme en
équipe, la base est à l’écoute. Le choix se fait aussi en fonction de la disponibilité des films
(nombre de copies qui circulent). On travaille selon les opportunités, en écoutant nos envies
et le public. Le cinéma est classé « Art et Essais » depuis cette année.
En semaine, les films proposés sont plus « de réflexion », à thème, et le week-end plus « de
divertissement ». Pour des thèmes, comme l’écologie, on peut rassembler jusqu’à 100
personnes. Parfois, on arrive à faire venir des réalisateurs pour présenter leurs films : c’est
extrêmement valorisant ! Par exemple, Philippe Claudel est venu présenter « Tous les
soleils » ! Souvent, les réalisateurs viennent gratuitement, se contenant d’un défraiement
pour le transport.
On travaille en partenariat avec 5 autres cinémas de taille modeste (associations ou régies
municipales). Cela nous permet d’être considérés par les distributeurs et d’avoir accès aux
films lors de leur sortie nationale. Ensuite on procède à des rotations entre nous.
Collectif de défense de La Poste
Cette action a-t-elle entraîné la création d’un groupe plus large sur la Meurthe-et-Moselle ?
On a établit un lien avec le Collectif de défense et de développement des services publics 54,
associant des syndicats et des partis politiques… Participation à ce titre à l’Action
Champagnole visant à bloquer un centre de tri. Question : comment on fait si la police
arrive ? Trois syndicalistes participaient et on a été agréablement impressionnés par leur
conduite : étaient là en soutien, sans volonté de récupération. On a continué de participer au
combat, jusqu’à sa disparition. Par la suite, le collectif s’est orienté vers d’autres actions
(hôpital), puis par rapport à tous les services publics.
Participation deux fois aux Etats généraux des services publics. Le journal RESISTER (prix
libre) permet de faire le lien entre les différents mouvements locaux. Très vite, le collectif de
Leyr prend contact avec d’autres groupes (pancartes au bord des routes).
Jean-Marie MALICK
Le cours proposé le mercredi après-midi est-il volontaire ? Combien de temps cela a duré ?
Est-ce que les élèves viennent « gratuitement » ? Votre travail est-il bénévole ?
C’est évidemment un travail bénévole pour moi et qui repose sur le volontariat de la part des
jeunes, sans pour eux aucune obligation d’assiduité ni d’engagement. Mais ce qui n’était au
départ (il y a trois ans) qu’une proposition c’est inscrit dans la durée : très rapidement les
élèves m’ont demandé de continuer !
Problème : ça va s’arrêter, car mon poste de professeur est supprimé. Ma retraite s’est
imposée à moi, pour laisser une jeune collègue garder son poste. Cela a nécessité une
décision rapide et personne ne veut prendre la relève pour le « cours de bonheur ». Je n’ai
pas eu le temps de pérenniser cela…
En terminale, les professeurs se plaignent constamment du manque de culture générale des
élèves, mais il faut dépasser l’incantation ! Ce temps du mercredi permettait aussi cela, en
abordant les mythes et la religion, des éléments de culture qui manquent à certains élèves.
Quelles sont les répercussions sur les autres cours, sur l’ambiance scolaire ?
Existe-t-il « une montée en puissance » des jeunes ? Difficile à dire : la plupart des collègues
n’ont rien dit ! Ma première affiche avait pour titre : « Ici, on apprend tout, sauf à être
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heureux ! » et beaucoup ont rit, sauf le professeur de philosophie. Alors j’ai changé la
formule… C’était en fait aussi de la culture générale. Finalement, le professeur de
philosophie était satisfait : en 2011, un des sujets du Bac portait sur l’art. Mais les élèves
m’ont aussi beaucoup apporté. Au départ, je ne connaissais absolument aucune de leurs
« idoles »… Ils m’ont permis de découvrir divers artistes, notamment Grand Corps Malade,
qui a écrit de très beaux textes.
Envisagez-vous de continuer cela en-dehors du lycée ?
J’interviens déjà à l’Université Populaire (Forbach) et à l’Université du Temps Libre (Metz) :
Etre heureux avec les philosophes grecs, avec le bouddhisme ? Nous avons en Europe tout
ce qu’il nous faut : on tourne toujours autour des mêmes idées…
• 2011 : Montaigne (« J’aime la vie et la culture », « Un art de jouir de la vie »)
• 2012 : Etre heureux avec les écrivains français
Avec les adultes, chacun rédige un article (1/4 heure) de ce qu’il a lu : ça marche très bien…
4. Autres initiatives à partager
Les assises du territoire (diocèse de Cambrai - Nord)
Constat (2005) : les gens du Nord ont une vision pessimiste du territoire. Démarche :
repérer des initiatives porteuses d’avenir en petits groupes locaux, puis mise en commun lors
d’un grand colloque, avec relecture sociologique et théologique. Ce travail a permis aux
groupes qui se sont constitués alors de maintenir les liens et certains d’agir ensemble, autour
de diverses thématiques (logement, etc.). Bien que l’Eglise porte cette démarche, les
initiatives repérées vont bien au-delà des groupes chrétiens.
La scierie de Machet (Meurthe et Moselle), dans le piémont vosgien
Scierie hydraulique, à la fois projet associatif et entreprise d’insertion.
Le Germoir à Ambricourt (Pas de Calais), un projet de l’AFIP Nord Pas de Calais
Rachat en 2004 d’un ancien corps de ferme pour en faire une pépinière d’activités agricoles,
bio et rurales. Le maraîcher peut y cotoyer l’herboriste, le mécanicien agricole ou le fabricant
d’éoliennes familiales : c’est ce partage d’expériences qui fait la force du lieu.
5. Conclusion (Fabien FAUL)
Ces expériences rejoignent notre semaine de formation : il s’agit -aussi de faire œuvre
d’intelligence. On peut y trouver une forme de lecture de ce qu’on est en train de vivre en
ces temps de crise. Regard authentique : qu’est-ce qui est vraiment humain là-dedans ?
Il faut reprendre contact en moi avec ce qui est le plus authentique pour arriver au
bonheur.
faire vivre le bureau de poste : pas d’occupation, demande qu’elle reste ouverte… On
donne du sens.
Faire vivre un cinéma de proximité : donner des critères de discernement et orienter
l’action : là aussi, donner du sens ; les bénéficiaires le sentent : succès, envie de participer.
1) Le bonheur dans ce monde tel qu’il est
Pour que les initiatives prennent racine, il faut de l’intelligence, mais elles procèdent aussi
d’une intuition. Et « l’intuition est intelligente » (Thomas d’Aquin). Elle saisit ce qui est
authentique.
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