L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX EN EGYPTE STATUT
JURIDIQUE ET PRATIQUE
Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh
Praxis juridique et religion, 6,1989,10-41
www.sami-aldeeb.com
saldeeb@bluewin.ch
En tant que chrétien de Palestine, j'ai beaucoup hésité avant d'écrire cette étude. Certains y
verront un moyen pour attaquer l'Égypte. D'autres croiront que je suis à la solde d'Israël. Tous
deux cependant ont tort. Je considère cette étude dans l'intérêt de l'Égypte. Le médecin qui
diagnostique le mal de son patient le fait pour son bien. Si Égypte veut sauvegarder la
cohésion nationale et éviter une plongée dans le khomeinisme, elle doit réviser son système
éducatif. Je continue à croire que la chute du Shah et la montée du khomeinisme ont été
causées par le système éducatif iranien. En deuxième lieu, ceux qui seraient tentés d'utiliser
les renseignements contenus dans cette étude contre Égypte feraient mieux d'en tirer une
leçon de courage pour faire une recherche similaire sur le système israélien qui engendre la
haine raciale du parti de Meir Kahane et d'autres membres de la Knesset. La paix au Proche-
Orient nécessite non seulement l'abandon des armes matérielles mais aussi et avant tout
l'abandon des armes idéologiques tant du côté arabe que du côté israélien. Une telle recherche
fait encore terriblement défaut (*).
La présente étude repose sur l'examen des manuels scolaires cités ci-dessous.
Cycle primaire:
1ère année: 2ème année
1. La lecture arabe nouvelle, 2 volumes, sans date 5. La lecture arabe nouvelle, 1987/88
2. Éducation religieuse islamique, 1985/86 6. Éducation religieuse islamique, 1986187
3. Éducation religieuse chrétienne, 1987/88 7. Éducation religieuse chrétienne, 1987.
4. Éducation religieuse chrétienne de l'Institut de 8. Éducation religieuse chrétienne de l'IERC, 1982
l'éducation religieuse chrétienne du Caire, sans date.
3ème année 4ème année
9. Lecture et textes à apprendre par cœur (qira'ah 13. Lecture et poésies, 1987
wa-mahfuzat) 14. Éducation religieuse islamique, 1987
10. Éducation religieuse islamique, 1986/87 15. Éducation religieuse chrétienne, 1986/87
11. Éducation religieuse chrétienne, 1987 16. Mon livre d'enseignement chrétien de I'IERC, 1980
12. Mon livre d'enseignement chrétien de l'1ERC.
sans date.
5ème année 6ème année
17. Lecture et poésies, 1986/87 21. Lecture et poésies, 1984/85
18. Éducation religieuse islamique, 1986/87 22. Éducation religieuse musulmane, 1983
19. Éducation religieuse chrétienne, 1987 23. Éducation religieuse chrétienne, 1983/84
20. Éducation religieuse chrétienne de l'IERC. 1982 24. Éducation religieuse chrétienne de l'IERC, 1987
Cycle préparatoire
1ère année 2ème année
25. La lecture, 1987/88 30. La lecture
26. Les textes littéraires, 1986/87 31. Les textes littéraires nouveaux. 1987
27. Éducation religieuse musulmane, 1987/88 32. Éducation religieuse musulmane, 1987188
28. Livre de lecture pour les musulmans: Umar 33. Livre de lecture pour les musulmans:
Ibn AI-Khattab, 1987 Khadijah Bint Khuwaylid, 1986
29. Éducation religieuse chrétienne 34. Éducation religieuse chrétienne, 1986/87
3ème année
35. La lecture, 1987/88
36. Les textes littéraires, 1987
37. Guide du musulman, 1985
38. Livre de lecture pour les musulmans: Muhammad, 1986
39. Éducation religieuse chrétienne, 1985
Cycle secondaire:
1ère année 2ème année
40. La lecture, 1987 45. La lecture, 1987
41. La littérature et les textes, 1985 46. La littérature et les textes, 1985/86
42. Éducation religieuse musulmane, 1986/87 47. Éducation religieuse musulmane, 1987!88
43. Livre de lecture pour les musulmans: 48. Livre de lecture pour les musulmans:
La liberté dans l'islam, 1986187 La famille en droit musulman, 1987
44. Éducation religieuse chrétienne, 1984/85 49. Éducation religieuse chrétienne, 1985
3ème année
50. La lecture, 1986
51. La littérature et les textes, 1985
52. De la direction de l'Islam (pour musulmans), 1986187
53. La personnalité du musulman (pour musulmans), 1987
54. Éducation religieuse chrétienne, 1984
I. L'ENSEIGNEMENT GÉNÉRAL EN EGYPTE
En Égypte, il y a un enseignement général qui mène aux études universitaires et un
enseignement technique ou professionnel. L'enseignement général se divise principalement en
deux catégories: l'enseignement civil (madani) et l'enseignement azharite des écoles de
l'Azhar, le centre islamique le plus important au monde.
1. L'enseignement civil
L'enseignement «civil» est donné par des écoles gouvernementales ou par des écoles privées.
Il se divise en trois cycles: primaire (six ans), préparatoire (trois ans) et secondaire (trois ans
aussi). Cet enseignement est ouvert à tous les étudiants tant musulmans que chrétiens.
Les écoles privées sont soit nationales, fondées par les chrétiens d'Égypte, soit d'origine
étrangère. Ces dernières appelées souvent «écoles des langues» dépendaient d'états comme la
France, l'Angleterre, l'Italie, l'Allemagne et les États-unis. Mais elles furent soumises à l'état
égyptien après l'attaque tripartite menée par la France, l'Angleterre et Israël en 1956. Elles
sont actuellement régies par la loi 31 de 1986 qui excepte les écoles où étudient les enfants du
corps consulaire et celles établies en accord avec un état étranger. L'église catholique compte
le plus grand nombre de ces écoles, avec 159 écoles dans lesquelles sont inscrits quelque
125000 élèves dont près de 60% sont musulmans et 40% chrétiens (85% d'orthodoxes et 15%
de catholiques).
La nationalité égyptienne est requise tant de la personne morale qui dirige l'école privée (art
19) que de son directeur (art 20). Le programme suivi est celui établi pour les écoles
gouvernementales, mais ces écoles peuvent enseigner les mathématiques et les sciences en
langue étrangère en conformité avec le programme officiel. D'autres matières peuvent être
ajoutées au programme après accord du ministère de l'éducation et de l'enseignement. Ce
ministère contrôle les livres non-officiels (art 50 et 51), supervise les examens et accorde les
certificats de fin d'étude pour chaque étape (art 62). Il peut en outre s'opposer à la nomination
d'un enseignant (art 65). L'enseignement dans ces écoles est payant et le corps enseignant est à
la charge des écoles. Il existe cependant des écoles privées chrétiennes «subventionnées» par
l'état. Ces écoles donnent un enseignement gratuit et les enseignants sont à la charge de l'état
(art 113-122).
Le système des écoles privées est fortement critiqué par les auteurs égyptiens musulmans.
Sa`id Isma`il Ali parle de l'empire des écoles de langues
1
. Malgré tout les écoles privées
chrétiennes représentent un intérêt certain pour les communautés chrétiennes du fait que les
écoles gouvernementales n'assurent pas d'une manière adéquate l'enseignement religieux
chrétien comme nous le verrons plus loin. Le nombre élevé d'étudiants musulmans qui y sont
inscrits démontre que le service rendu par ces écoles est très apprécié en Égypte et même
préféré au système gouvernemental/ azharite. Certaines de ces écoles reprochent cependant au
système de recrutement établi par le ministère de l'éducation de les empêcher de remplir leur
mission envers la communauté chrétienne. En effet, elles doivent se baser dans les cycles
primaires et préparatoires sur l'âge des élèves, et dans le cycle secondaire sur l'âge des élèves
et le total des notes (art 10 de la loi 139 de 1981). Certains «gouvernorats» compliquent
encore le système en assurant eux-mêmes et non les écoles, les admissions des élèves. D'autre
part des recommandations (obligatoires) du ministre, suivi de ses subordonnés, demandent
d'accepter tel ou tel élève sans y avoir droit. Bien entendu ce sont les chrétiens qui sont
sacrifiés, étant donné le grand nombre de musulmans qui se présentent. Les écoles chrétiennes
ne réclament nullement de n'être ouvertes qu'aux seuls chrétiens - contrairement à l'Azhar-
mais réclament un certain pourcentage qui soit réservé à leur choix. Cela a toujours été refusé
par le ministère sous prétexte d'égalité des chances.
Signalons enfin les difficultés financières des écoles chrétiennes non subventionnées. Elles
perçoivent des élèves des scolarités infimes en comparaison des écoles «nouvelles» ou
«lucratives» (facilement dans le rapport de 1 à 10). Ces scolarités ne suffisent même pas à
payer les salaires des professeurs. Des demandes de redressement de scolarités sont faites tous
les ans et sont laissées à la fantaisie des zones (divisions administratives scolaires) qui
pratiquent une politique néfaste au bien des écoles pour pouvoir mener à bien leur che
éducative. Sans parler des tracasseries et de l'ingérence des autorités gouvernementales dans
les plus petits détails empoisonnant l'atmosphère à longueur d'année.
2. L'enseignement azharite
La loi 103 de 1961 (complétée par le décret présidentiel no 250 de 1975) charge l'Azhar de
donner un enseignement pré-universitaire (et universitaire) qui ne se limite pas à
l'enseignement religieux
2
. Le programme d'enseignement est établi par une commission mixte
(*) Nombreux sont ceux qui prétendent qu'Israël est un État mocratique. Mais en fait il y a très peu d'études
sérieuses et approfondies sur le système israélien en comparaison avec le grand nombre d'études critiques sur les
pays arabes et musulmans. Je signale ici l'absence d'une étude sérieuse sur l'impact de la religion sur le système
juridique israélien. Nous avons fait une telle étude sur Égypte (thèse de doctorat): L'impact de la religion sur
l'ordre juridique. Cas de Égypte, non-musulmans en pays d'islam, Fribourg/Suisse, Ed. universitaires, 1979. Je
signale aussi notre étude intitulée La définition internationale des droits de l'homme et l'islam, in La revue
générale de droit international public, 3, 1985. Une étude similaire sur le système israélien fait défaut.
1
Sa'id Isma'il `Ali, Mihnat al-ta`lim fi Masr, 1984, 183 (Kitab al-ahâli, 4).
2
La réforme de l'enseignement de l'Azhar aurait été motivée par une volonté politique de préparer des
enseignants connaissant la religion islamique capables d'aider les pays islamiques africains où Israël avait essayé
composée de l'Azhar et des différents organismes étatiques qui s'occupent de l'enseignement
pré-universitaire et universitaire.
L'enseignement pré-universitaire est divien trois cycles: primaire (six ans), préparatoire
(trois ans) et secondaire (quatre ans au lieu de 3 dans les écoles «civiles»). Il est gratuit et
réservé aux seuls étudiants musulmans, égyptiens ou étrangers (art 58 et 63 du décret). Il
insiste sur les matières religion et langue arabe
3
.
3. Chiffres
Le tableau suivant donne une idée du nombre d'écoles, de classes et d'étudiants pour l'année
scolaire 1985/1986. Les chiffres entre parenthèses renvoient au système azharite
4
:
Nombre d'écoles de classes et d'étudiants
Primaire: // (822) 136649 (5366) 6002850 (231400)
Préparatoire: // (522) 51444 (2688) 2135007 (95511)
Secondaire: 668 (294) 14262 (2061) 569366 (61487)
Dans la présente étude, nous aborderons seulement l'enseignement général civil du fait qu'il
est très difficile d'acquérir les manuels d'enseignement des écoles azharites ou des écoles
professionnelles et techniques. Malgré cette limitation, le champ de notre étude couvre la
majorité du système éducatif égyptien qui fixe les années d'études obligatoires à 9 ans (six
primaires et trois préparatoires), appelées «enseignement de base» (art 4 de la loi 139 de
1981). Avant de voir le système de l'enseignement religieux, il importe de tracer son cadre
législatif et les principes sur lesquels il se base.
Il. RELIGION ET ENSEIGNEMENT RELIGIEUX SONT RÉGIS PAR LES
CONSTITUTIONS ET LOIS ÉGYPTIENNES
1. L'islam, religion d'état
Toutes les constitutions qu'a connues Égypte déclarent que l'islam est la religion de l'état à
l'exception de la constitution provisoire de la république arabe unie de 1958 en raison de
l'absence d'une telle clause dans la constitution syrienne. Cette clause figurait à l'art 140 de la
première constitution de 1923 et à l'art 138 de la deuxième constitution de 1930. Elle a été
inspirée par certaines constitutions européennes qui font mention d'une religion en tant que
religion d'état.
de s'implanter avec ses experts (Ahmad Isma`il Guha, Nizam al-ta`lim fi Masr, Le Caire. Dar al-nahdah al-
`arabiyyah, 1987, 480; Sa`id Isma'il `Ali, Innahum yukharribun al-ta'lim, Le Caire, Kitab al-alahi 1986, 166-167
(Kitab al-ahali, 9).
3
L'enseignement universitaire de l'Azhar est aussi limité aux étudiants musulmans, égyptiens ou étrangers (art
196 du décret) et seuls les musulmans égyptiens ou étrangers peuvent y enseigner (art 155 et 186 du décret). Les
étudiants proviennent des écoles pré-universitaires azharires. Ceux qui viennent des écoles «civiles» doivent
passer des examens d'équivalence (art 197). En plus de la matière de spécialisation, l'étudiant suit un
enseignement religieux islamique. L'université de l'Azhar a des branches à Sohag, à Mounoufiyyah et à Asiout.
Le nombre de ses étudiants universitaires est d'environ 90000 (contre environ 470000 étudiants dans l'ensemble
des autres universités égyptiennes: International handbook of universities, 10ème éd. Berlin/New York, WDG.
1986, 275-281.
4
Ces chiffres sont repris de Ahmad Isma'il Guha, Nizam al-ta`lim fi Masr, Le Caire, Dar an-nahdah al-
`arabiyyah, 1987, 235, 260, 319-20:472, 475 et 478.
Avec la révolution de 1952, la disposition fut placée au début de la constitution: art 3 de la
constitution de 1956; art 5 de la constitution de 1964; art 2 de la constitution de 1971. Cette
dernière a franchi un pas décisif puisque l'art 2 dit: «L'islam est la religion de l'état et la
langue arabe est sa langue officielle; les principes de la loi islamique constituent une source
principale de législation». Une modification constitutionnelle entrée en vigueur le 22 mai
1980 remplace l'article indéfini par un article défini, faisant des principes de la loi islamique,
«la source principale» au lieu de «une source principale» de la législation
5
.
2. La liberté religieuse
La première constitution égyptienne de 1923 affirmait en son art 12 que «la liberté de
croyance est absolue». L'art 13 garantit la liberté des cultes «en conformité avec les usages en
Égypte et à condition qu'ils ne soient pas contraires à l'ordre public et aux mœurs». Ces deux
dispositions ont été reprises par la constitution de 1930 (art 12 et 13). Les constitutions de
1956 (art 43) et de 1964 (art 34) ont inclus ces deux libertés dans le même article. La
constitution de 1958 n'a pas parlé de liberté de religion et de culte mais l'art 10 précise que
«les libertés publiques sont garanties dans les limites de la loi». L'art 46 de la constitution de
1971 en vigueur dit sans restriction: «L'état garantit la liberté de croyance et la liberté de
l'exercice du culte».
Ces dispositions sont doublées d'autres écartant toute discrimination pour raison de religion.
L'art 3 de la constitution de 1923 déclare: «tous les Égyptiens égaux devant la loi. Ils jouissent
également des droits civils et politiques et sont également soumis aux charges et devoirs
publics, sans aucune distinction de race, de langue ou de religion». Une disposition similaire
se trouve dans toutes les autres constitutions égyptiennes.
3. Implication de l'islam religion d'état
La liberté de religion et de culte est limitée par le fait que l'islam est une religion d'état. Il
constitue en fait la référence pour déterminer «les usages», l'ordre public, les moeurs et la
loi», termes qu'on trouve dans les dispositions citées dans le deuxième paragraphe.
Pendant les travaux de la première constitution, un cheikh a demandé que la liberté de religion
et de culte ne soit garantie que dans les limites des religions reconnues «de façon à ne pas
permettre la création d'une nouvelle religion comme dans le cas une personne prétendrait
être le Mahdi chargé d'un nouveau message». Lors des travaux de la constitution de 1953, qui
n'a jamais vu le jour, 'Abdel-Qadir 'Odeh s'exprime: «Je ne suis pas contre la liberté de
croyance mais je ne permets pas que ces croyances - non reconnues par l'islam - soient
pratiquées, faute de quoi, nous aurons des gens qui adorent les vaches, sans pouvoir les
interdire en raison de la constitution». Selon lui, si un musulman égyptien devient bouddhiste,
il doit être considéré comme apostat passible de la peine de mort et ses biens doivent être
confisqués
6
.
Sans trop entrer dans les détails, relevons les points suivants
a. L'islam ne reconnaît qu'un certain nombre de groupes religieux appelés Ahl AI-Kitàb, gens
du livre. Il s'agit de gens qui ont une religion révélée et un livre sacré, adorant un seul Dieu
5
Pour les travaux préparatoires relatifs aux dispositions constitutionnelles voir Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh.
L'impact de la religion sur l'ordre juridique. Cas de Égypte, Fribourg (Suisse), éd. universitaire, 1979, 126-131.
6
Id., p. 266.
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