Journal de la Société de Biologie Clinique page 31 EFFETS DE LA CHLOROQUINE SUR LA THYROIDE DE RAT GANGBO F1, KINDE- GAZARD D2, DJROLO F3, OLATUNDJI S1, FANOU B1, DARBOUX R 1 1 Département de Biologie humaine, Faculté des Sciences de la Santé; 01 BP 188, Cotonou, Bénin Département de Parasitologie - Mycologie, Faculté des Sciences de la Santé ; 01 BP 188, Cotonou, Bénin 3 Département d’Endocrinologie, Faculté des Sciences de la Santé ; 01 BP 188, Cotonou, Bénin 2 RESUME Depuis les observations de Marine vers les années 1950, le goitre colloïde est considéré comme étant le résultat de l’accumulation de colloïde après l’arrêt de la stimulation de la glande préalablement hyperplasique. Nous avons injecté ou administré par voie orale, 1mg de chloroquine à des rats Wistar pendant 1 ou 3 jours. D’autres rats ont d’abord reçu le 6 – Propyl - 2 Thiouracil (0,25%) dans leur alimentation avant l’administration de la chloroquine. Les rats ont été pesés ainsi que leur thyroïde. Les coupes histologiques ont été traitées au PAS. Nous avons observé une augmentation des poids moyen absolu et relatif, un goitre colloïde et parfois des dépôts de substance fibrinoide. Ces observations font suggérer un blocage de l’endocytose par la chloroquine. L'usage de la chloroquine au long cours pourrait être impliqué dans la pathogénie du goitre dans les régions d'endémie palustre. Mots clés : chloroquine, goitre expérimental, goitre colloïde. SUMMARY : Chloroquine effects on Wistar rat thyroid Since Marine's observations some 50 years ago, it has been generally accepted that colloid goiters result from colloid repletion of originally hyperplastic goiters after cessation of the goitrogenic stimulus. We have injected or give by oral administration 1 mg of chloroquine to Wistar rats a day for one or three days. Additional groups of animals were fed an a diet containing 0.25% 6 – Propyl - 2 Thiouracil before chloroquine injection. Rat weight and thyroid weight were measured. Histologic sections were prepared and stained with periodic acid Schiff. The mean absolute and relative thyroid weights was increased. Histological examination of the thyroids revealed colloid goiter and fibrinoid deposit. These results indicate that administration of chloroquine blocked thyroid endocytosis. Long term use of chloroquine would be involved in pathogenisis of goitre in endemic malaria area. Key words : chloroquine, experimental goiter, colloid goiter. INTRODUCTION Il est connu que la chloroquine induit des effets secondaires de gravité variable à type de troubles digestifs, porphyrie aiguë, rétinopathies, etc. [11]. Le goitre colloide peut être expérimentalement induit par l’arrêt de la stimulation de la glande thyroïde préalablement hyperplasique [6-7], l’administration de molécules comme la Dyphenylthiohydantoin [5]. Dans plusieurs pays tropicaux, la chloroquine étant l’une des molécules antipaludiques disponibles pour la prise en charge du paludisme, il importe de se préoccuper du goitre induit par la chloroquine. Cette étude expérimentale avait pour objectifs d’étudier les modifications induites par la chloroquine administrée avec ou sans traitement préalable au PTU et de comparer les effets induits par la chloroquine en fonction des voies d’administration intra péritonéale versus gavage. CADRE Nos travaux se sont déroulés au Laboratoire d’Histologie de l’Unité de Formation et de Recherche en Médecine de la Faculté des Sciences de la Santé de Cotonou au Bénin. MATERIEL Le matériel animal était constitué de rats de souche Wistar, acclimatés aux conditions d’élevage de l’Animalerie de l’Unité de Biologie Humaine de la FSS. Nous avions utilisé les molécules suivantes : La chloroquine : il s’agit de la Nivaquine® 100mg/2mL (RPR Pharma spécialité du Laboratoire Rhône-Poulen) achetée sur place ; elle est composée de 100 mg de chloroquine base sous forme de sulfate, 2,2 mg de sulfite de sodium et 1,5 mg de sulfite de potassium et de l’eau pour la préparation injectable ; elle a été diluée dans de l’eau distillée stérile et administrée à la dose de 5 mg/kg/jour. Le PTU (Sigma, Switzeland lot 99H2509 FW170.2) généreusement offert par le Laboratoire d’Histologie de Journal de la Société de Biologie Clinique, 2005; N° 009 : 31-36 Journal de la Société de Biologie Clinique page 32 l’Université Catholique de Louvain (UCL, Bruxelles, Belgique) a été utilisé à raison de 0,25% dans la ration alimentaire. METHODE Le groupe I est constitué d’un groupe de 6 rats n’ayant reçu aucun traitement. Le groupe IIa est constitué de 18 rats. Ils ont été répartis en trois lots de 6 rats ayant reçu 5 mg/kg/jour de chloroquine en injection intrapéritonéale en une seule fois (J1). Ils ont été disséqués respectivement 24 heures, ou 7 jours ou 21 jours après, soit à J2, à J8 et à J22. Le groupe IIb est constitué de 18 rats. Ils ont été répartis en trois lots de 6 rats ayant reçu 5 mg/kg/jour de chloroquine en injection intrapéritonéale pendant trois jours successifs (J1 à J3). Ils ont été disséqués respectivement 24 heures, ou 7 jours ou 21 jours, soit à J 4, à J10 et à J24. Le groupe III est constitué de 24 rats. Ils ont été répartis en quatre lots de 6 rats ayant reçu 5 mg/kg/jour de chloroquine par gavage soit une fois (J1) ; soit pendant 3 jours (J1 à J3) ; soit pendant 7 jours (J1 à J7) ; ou pendant 21 jours (J1 à J21). Tous les rats de ce groupe ont été disséqués 24 heures après, soit à J2, à J4, à J8 et à J22. Le groupe IV est constitué de 12 rats ayant reçu du PTU pendant 10 jours (J1 à J10); après 2 jours de suspension du PTU (J 11 à J12), les rats ont été répartis en deux lots de 6 et ont reçu 5 mg/kg/jour de chloroquine en injection intrapéritonéale en une fois (J13) ou pendant trois jours (J13 à J15). Tous les rats de ce groupe ont été disséqués 24 heures après, soit à J14 et à J16. La technique de dissection était la suivante : tous les rats ont été sacrifiés 24 heures après la fin du traitement. Ils ont d’abord été pesés, puis anesthésiés par inhalation de chloroforme. Le ventricule droit a été cathéterisé ; la trachée et la thyroïde prélevées en bloc et les deux lobes de la thyroïde disséqués dans du sérum physiologique, séchés sur papier buvard, pesés et fixés dans du formol tamponné à 10%. Nous avons calculé pour chacun des sous groupes de rats : le poids moyen absolu, le poids moyen de la thyroïde et le poids relatif moyen (rapport du poids moyen glandulaire au poids moyen corporel). Les résultats ont été exprimés en valeur moyenne ± l’erreur standard. L’analyse statistique a été réalisée avec les tests de Student et de Fisher grâce au logiciel SPSS afin de comparer les effets entre les différents traitements. L’étude histologique a consisté à enrober les pièces thyroidiennes à la paraffine ; à les couper avec une épaisseur de 5 m sur un microtome rotatif (AO Scientific Instruments 820) ; ces coupes de thyroïde ont été traitées au PAS (Périodic Acid Schiff), observées sur un microscope photonique de marque Olympus BX - 41 muni d’une caméra (JVC, 1/2 pouces) aux grossissements 100 et 400 et les images transférées sur un logiciel de traitement d’images (Adobe Photoshop Image). RESULTATS 1- Effets de la chloroquine injectée par voie intra péritonéale (groupe IIa et groupe IIb) Sur le poids de la glande Après l’administration d’une dose unique, le poids glandulaire absolu a augmenté; cette augmentation est précoce dès la 24ème heure puis le poids diminue au 7ème jour sans revenir à la normale et reste stable jusqu'au 21ème jour (Figure 1). Les différences ne sont pas significatives. Après l’administration de chloroquine pendant 3 jours, le poids de la glande a augmenté (Figure 1). Après une augmentation modeste à 24 heures, le poids de la glande retourne aux valeurs contrôles au 7ème jour, puis remonte au 21ème jour. Les différences de poids observées ne sont pas significatives. Après l’administration pendant 1 jour, le poids relatif a augmenté après 24 heures et après 7 jours ; il est comparable à celui du contrôle après 21 jours. Les différences ne sont pas significatives. Après 3 jours de chloroquine, le poids relatif a augmenté après 24 heures ; il amorce une diminution après 7 jours et une nouvelle augmentation après 21 jours. Les différences ne sont pas significatives. Observations histologiques Lorsque la chloroquine a été administrée en une fois et que l’on a disséqué le rat : 1 jour après, les follicules étaient larges, leurs cellules épithéliales aplaties. 7 jours après, les follicules étaient larges, les cellules épithéliales hautes, et le colloïde dense ; 21 jours après, les follicules étaient plus petits que ceux observés après 7 jours (Figures 2 et 3). Lorsque la chloroquine a été administrée pendant 3 jours et que l’on a disséqué le rat : au bout de 24 heures, les follicules étaient bordés de cellules aplaties ou cubiques. Journal de la Société de Biologie Clinique, 2005; N° 009 : 31-36 Journal de la Société de Biologie Clinique page 33 Au bout de 7 jours ou au bout de 21 jours, les follicules étaient larges avec des cellules épithéliales cubiques bas. 2- Effets de la chloroquine administrée par gavage (groupe iii) Sur le poids de la glande Après administration d’1 mg de chloroquine, le poids absolu de la glande a augmenté de façon continue après un jour, 3 jours et 7 jours de traitement. Après 21 jours, le poids de la glande est comparable à celui des rats contrôle. (Figure 4). Les différences ne sont pas significatives. Le poids relatif a augmenté après l’administration de chloroquine pendant 1 jour, 3 jours et 7 jours de traitement. Après 21 jours de traitement, ce poids est sensiblement égal à celui des rats contrôle. Les différences ne sont pas significatives. Observations histologiques Après l’administration d’1 mg de chloroquine par gavage pendant un jour, les follicules étaient plus larges que ceux des rats contrôle ; ils étaient bordés par des cellules cubiques bas. Lorsque les rats ont été disséqués après 3 jours et 7 jours, les larges follicules étaient nombreux et bordés de cellules aplaties (Figures 5) ; après 21 jours, les follicules larges étaient également nombreux, leurs cellules aplaties et le tissu interstitiel modifié par la présence de dépôt fibrinoïde, notamment autour des artères (Figures 6). 3- Effets du PTU suivi ou non d’un traitement a la chloroquine (groupe IV) Sur le poids de la glande Le poids glandulaire absolu de la glande de rat soumis à 10 jours de PTU, a triplé, comparé à celui des rats contrôle (Figure 7). Les différences sont significatives. Le poids relatif a augmenté après le traitement au PTU avec ou sans chloroquine. Les différences avec les thyroïdes de rats contrôles sont significatives. Observations histologiques Après 10 jours de traitement au PTU, les cellules épithéliales étaient hautes, la lumière folliculaire étroite et contenant peu de colloïde, les vaisseaux sanguins dilatés et le tissu interstitiel abondant (Figure 8). Lorsque la chloroquine a été administrée pendant 1 jour et 3 jours aux rats prétraités au PTU, les lumières folliculaires étaient encore larges, l’assise épithéliale cubique haute (Figure 9). DISCUSSION Le traitement du rat avec la chloroquine entraîne une augmentation du poids de la glande thyroïde et l'aspect histologique est celui d'un goitre colloïde caractérisé principalement par cellules folliculaires aplaties et une lumière folliculaire large. Par contre, le traitement du rat avec du PTU entraîne également une augmentation du poids de la glande thyroïde; l'aspect histologique est celui d'un goitre hyperplasique caractérisé principalement par une vasodilatation, une augmentation de la hauteur des cellules folliculaires et une lumière folliculaire étroite. Dans le goitre colloïde décrit dans la littérature, le poids de la glande thyroïde est moindre que celui des goitres hyperplasique, en cours d’involution [4] ; mais il reste supérieur à celui d’une thyroïde normale [2-3-9]. Dans notre étude, le poids de la glande après traitement à la chloroquine était supérieur au poids normal et inférieur à celui du goitre hyperplasique. Il est clairement établi que le PTU et le perchlorate entraînent une hypertrophie de la glande thyroïde, une augmentation du nombre de follicules, une hyper vascularisation, une diminution du contenu en iode de la glande [2-3-9], associée à un taux bas des hormones thyroïdiennes libres T 3 et T4. Dans notre étude, l’administration du PTU a induit un goitre hyperplasique : nos résultats sont donc conformes à ceux de la littérature [2-39]. Le PTU agit alors sur la glande en stimulant l’endocytose. L’élargissement des lumières folliculaires et la diminution des hauteurs de l’épithélium observées après administration de chloroquine semblent être en faveur de l’inhibition de l’endocytose qui normalement devrait être stimulée par le PTU (groupe IV). L’augmentation du poids glandulaire est probablement liée à un déséquilibre entre une endocytose bloquée et une exocytose prépondérante de la thyroglobuline [10]. L’hypothèse de déséquilibre exocytose prépondérante – endocytose bloquée pourrait être validée si l’on couplait les observations en microscopie optique et celles en microscopie électronique, ce qui n’a pu être réalisé dans le contexte de travail qu’est le nôtre mais qui mérite d’être fait. En effet, on pourrait rechercher une augmentation du volume des lysosomes, ce qui traduirait une accumulation de la chloroquine. Le goitre colloïde décrit dans la littérature est formé de larges follicules à épithélium aplati avec une hauteur épithéliale et un volume relatif de l’épithélium réduits ; le volume relatif du colloïde, le rayon moyen des lumières Journal de la Société de Biologie Clinique, 2005; N° 009 : 31-36 Journal de la Société de Biologie Clinique page 34 poids absolu folliculaires, le nombre total de follicules et le contenu glandulaire en iode 127 sont significativement accrus [2-9]. Nous pouvions également évoquer le goitre colloïde, puisqu’il existait une augmentation du poids absolu de la glande d’environ 45% par rapport aux valeurs contrôles et de larges follicules à épithélium aplati ; selon nos travaux antérieurs, la chloroquine a entraîné une diminution de la T4 libre de plus de 90 % à un jour et de plus de 60 % à 10 jours et que l’administration de l’iode n’avait guère varié cette diminution (non publiés). D’autres agents comme les immunoglobulines particulières dirigées contre les récepteurs de la TSH [8] pourraient être incriminées puisqu’un dépôt fibrinoïde a été observé après 21 jours de traitement à la chloroquine, dans notre étude. Certains auteurs ont observé une diminution des hormones thyroïdiennes T 3 et T4 après avoir administré 50 mg de chloroquine par kg par jour pendant 7, 14 et 21 jours ; mais ils n’ont pas décrit les effets morphologiques induits par la chloroquine sur la glande thyroïde [12]. L’administration de la chloroquine par gavage et en intra péritonéale ont induit des résultats similaires ; mais en plus on observait des dépôts de substance fibrinoide lorsque le produit était administré par gavage. La chloroquine est la molécule la plus utilisée pour la prévention et le traitement du paludisme. Les zones d'endémie palustre sont également des zones où sévit la carence iodée, notamment le goitre endémique. Nos observations laissent envisager que l'utilisation au long cours de la chloroquine à titre prophylactique pourrait être impliquée dans la pathogénie du goitre endémique dans les régions d'endémie palustre. Nos résultats ouvrent donc d’autres perspectives de recherche axées sur la chloroquine mais également sur d’autres molécules antipalustres. 0,025 0,02 0,015 0,01 0,005 0 j 21 iss -d 3j 7j Ch iss -d 3j 1j Ch iss -d j 3j 21 Ch iss -d 1j 7j Ch ss i -d 1j j Ch s1 dis 1j- Ch ô ntr Co le type de traitement Figure 1 : Effets de la chloroquine en Ip sur le poids absolu Figure N°2 : Thyroïde d’un rat n’ayant reçu aucun traitement Figure N°3 : Thyroïde d’un rat ayant reçu une injection de chloroquine en Ip et disséqué 24 heures après Journal de la Société de Biologie Clinique, 2005; N° 009 : 31-36 Journal de la Société de Biologie Clinique page 35 0,03 poids absolu 0,025 0,02 0,015 0,01 0,005 0 Ch Ch Ch Ch j j j 21 7 3 1 j le rô nt Co type de traitement Figure 4: Effets de la chloroquine administrée par gavage sur le poids absolu Figure N°5 : Thyroïde d’un rat ayant reçu 1mg de chloroquine par gavage pendant 21 jours (X 400) Figure 6 : Détails du dépôt fibrinoïde (flèches) autour de l’artère thyroïdienne d’un rat ayant reçu 1 mg de chloroquine par gavage pendant 21 jours (X 400) Figure 8 : Thyroïde de rat ayant reçu du PTU pendant 10 jours Figure 9 : Thyroïde de rat ayant reçu du PTU pendant 10 jours plus 1 mg de chloroquine Journal de la Société de Biologie Clinique, 2005; N° 009 : 31-36 Journal de la Société de Biologie Clinique page 36 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. 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