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Si l'on accepte le postulat selon lequel un acte de langage est un
acte illocutoire modifiant les droits et les obligations des participants
et établissant une relation interpersonnelle de type nouveau (cf. p.120),
il faut admettre en même temps que cette modification concerne à la
fois l'interlocuteur et le locuteur. Si je modifie la situation de mon
interlocuteur par un acte illocutoire, ce n'est jamais dans l'absolu. C'est
toujours par rapport à la mienne propre. Par exemple, en formulant
une demande à quelqu'un, je transforme sa situation en le plaçant
devant deux alternatives: accepter ma demande ou la refuser. Mais,
par cet acte même, je m'expose à une nouvelle situation: être
personnellement accepté ou refusé. Etre refusé, c'est pour moi perdre
la face. Donc, la raison réelle qui me pousse à recourir à une stratégie
implicite, c'est éventuellement la peur de perdre ma propre face. Par
exemple, en disant "Il fait chaud", je désire que mon interlocuteur
ouvre la fenêtre. Par cet acte, je n'oblige pas mon interlocuteur à réagir
et je ne cours pas le risque d'être refusé, car je n'ai pas émis
explicitement une demande, du moins en apparence. Cette idée de
peur de perdre sa propre face s'appuie principalement sur Flahault qui
écrit: "C'est la peur de cet ébranlement de sa propre identité qui
conduit chacun à éviter la situation qui se noue dans l'illocutoire
explicite, pour lui préférer l'implicite. Celui-ci permet de rester sous
couvert d'un rapport de places dans lequel nous sommes déjà
commodément installés, et offre la possibilité, ou l'illusion de la
possibilité, d'agir sur la place de l'autre sans qu'il soit touché à la
nôtre" (1978 : 52). Cette idée est aussi inspirée de Goffman pour qui
tout contact avec les autres est un engagement: "L'individu a
généralement une réponse émotionnelle immédiate à la face que lui
fait porter un contact avec les autres: il la soigne, il s'y 'attache'...
L'attachement à une certaine face, ainsi que le risque de se trahir ou
d'être démasqué, expliquent en partie pourquoi tout contact avec les
autres est ressenti comme un engagement" (1974 : 10).
En effet, dans les contacts sociaux, l'acteur court constamment le
risque de perdre sa face. Nous avons vu au chapitre 3 (Gagner de la
face) que, pour augmenter la valeur sociale de sa propre face, l'acteur
essaie de fournir au public, au cours d'une représentation, une bonne
image de lui-même et de prendre l'avantage sur son partenaire. En
d'autres termes, l'acteur projette une définition de la situation qui lui
est favorable. Or, peuvent se produire certains événements imprévus
qui viennent contredire ou discréditer cette projection et qui risquent
de jeter sur l'acteur un éclairage défavorable, mettant ainsi sa face en
danger. Dans de telles circonstances, il se voit obligé de recourir à des