Coommunication interculturelle 8
Protéger sa propre face et la
communication interculturelle
跨文化交际第八讲
面子与跨文化交际
1. INTRODUCTION
On attribue souvent les actes de langage indirects à des marques
de politesse. J.R. Searle, par exemple, souligne à maintes reprises que
c'est la politesse qui est la motivation la plus puissante de
l'indirectivité en matière de conduites langagières: "La motivation
principale, -- sinon la seule -- qui conduit à employer ces formes
indirectes est la politesse" (1982 : 90). De son côté, Ducrot présente
les procédés de l'implicite selon les termes suivants: "Pour telle
personne, à tel moment, dire telle chose, ce serait se vanter, se
plaindre, s'humilier, humilier l'interlocuteur, le blesser, le provoquer...
etc.. Dans la mesure où, malgré tout, il peut y avoir des raisons
urgentes de parler de ces choses, il devient nécessaire d'avoir à sa
disposition des modes d'expression implicite, qui permettent de laisser
entendre sans encourir la responsabilité d'avoir dit" (1980 : 6). Or, la
politesse est-elle le seul principe qui motive les actes de langage
indirects?
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Si l'on accepte le postulat selon lequel un acte de langage est un
acte illocutoire modifiant les droits et les obligations des participants
et établissant une relation interpersonnelle de type nouveau (cf. p.120),
il faut admettre en même temps que cette modification concerne à la
fois l'interlocuteur et le locuteur. Si je modifie la situation de mon
interlocuteur par un acte illocutoire, ce n'est jamais dans l'absolu. C'est
toujours par rapport à la mienne propre. Par exemple, en formulant
une demande à quelqu'un, je transforme sa situation en le plaçant
devant deux alternatives: accepter ma demande ou la refuser. Mais,
par cet acte même, je m'expose à une nouvelle situation: être
personnellement accepté ou refusé. Etre refusé, c'est pour moi perdre
la face. Donc, la raison réelle qui me pousse à recourir à une stratégie
implicite, c'est éventuellement la peur de perdre ma propre face. Par
exemple, en disant "Il fait chaud", je désire que mon interlocuteur
ouvre la fenêtre. Par cet acte, je n'oblige pas mon interlocuteur à réagir
et je ne cours pas le risque d'être refusé, car je n'ai pas émis
explicitement une demande, du moins en apparence. Cette idée de
peur de perdre sa propre face s'appuie principalement sur Flahault qui
écrit: "C'est la peur de cet ébranlement de sa propre identité qui
conduit chacun à éviter la situation qui se noue dans l'illocutoire
explicite, pour lui préférer l'implicite. Celui-ci permet de rester sous
couvert d'un rapport de places dans lequel nous sommes déjà
commodément installés, et offre la possibilité, ou l'illusion de la
possibilité, d'agir sur la place de l'autre sans qu'il soit touché à la
nôtre" (1978 : 52). Cette idée est aussi inspirée de Goffman pour qui
tout contact avec les autres est un engagement: "L'individu a
généralement une réponse émotionnelle immédiate à la face que lui
fait porter un contact avec les autres: il la soigne, il s'y 'attache'...
L'attachement à une certaine face, ainsi que le risque de se trahir ou
d'être démasqué, expliquent en partie pourquoi tout contact avec les
autres est ressenti comme un engagement" (1974 : 10).
En effet, dans les contacts sociaux, l'acteur court constamment le
risque de perdre sa face. Nous avons vu au chapitre 3 (Gagner de la
face) que, pour augmenter la valeur sociale de sa propre face, l'acteur
essaie de fournir au public, au cours d'une représentation, une bonne
image de lui-même et de prendre l'avantage sur son partenaire. En
d'autres termes, l'acteur projette une définition de la situation qui lui
est favorable. Or, peuvent se produire certains événements imprévus
qui viennent contredire ou discréditer cette projection et qui risquent
de jeter sur l'acteur un éclairage défavorable, mettant ainsi sa face en
danger. Dans de telles circonstances, il se voit obligé de recourir à des
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procédés préventifs, correctifs ou défensifs afin de s'éviter une perte
de face ou d'y remédier s'il n'a pas su ou n'a pas pu l'éviter, et cela dans
le but de réimposer une définition de lui-même qui le satisfasse. Il
s'agit là d'un autre trait fondamental de la représentation sociale, car, à
en croire Goffman, "aucune impression ne subsisterait si l'on
n'employait pas des procédés défensifs" (1973a : 22). Dans ce
chapitre, nous allons examiner les stratégies que les Chinois utilisent
pour protéger leur propre face.
2. EVITER DE PERDRE LA FACE
On peut dire que cet évitement d'un risque ou d'un danger est une
réaction préventive et instinctive, aussi bien chez un animal ou que
chez un être humain. Selon Goffman, il y a des possibilités et des
risques inhérents à une co-présence corporelle et ces éventualités ont
toute chance de donner partout naissance à des techniques de gestion
sociale (1988 : 196). Ainsi, l'évitement devrait correspondre à un
phénomène général, propre à chaque société. Or, il convient de
souligner que cette attitude joue un rôle particulier dans la vie des
Chinois. Pour eux dont la culture insiste toujours sur la priorité de
rapports pacifiques entre les êtres humains et qui préfère la prudence à
l'esprit d'aventure, l'évitement constitue non seulement un moyen
efficace pour s'adapter à l'environnement social, mais aussi une
manifestation de sagesse sublime. Ainsi, selon le Taoïsme, doctrine
philosophique chinoise, celui qui évite le danger ne saurait être
considéré comme "lâche", mais plutôt comme "intelligent" et "habile"
dans sa maîtrise de la situation. Certains proverbes chinois expriment
bien cette idée: "Est homme celui qui sait éviter les inconvénients du
moment présent" ([en M] Hao han bu chi yan qian kui.好汉不吃眼前
), "Des trente-six stratagèmes, nul ne vaut la fuite" ([en M] San shi
liu ji zou wei shang ji.三十六计走为上计, c'est-à-dire: de toutes les
stratégies, la meilleure, c'est la fuite). Pour éviter de perdre la face, un
acteur avisé doit donc s'éloigner des sources de danger, attacher les
plus grands soins à ce qu'il expose de lui-même et agir avec prudence.
2.1. S'éloigner des sources de danger
Tout contact social représente pour l'acteur diverses sources de
danger dont celles émanant des partenaires qui semblent les plus
menaçantes pour sa face.
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Stratégie 1 Eviter des interlocuteurs menaçants ou gênants
Comme tout contact peut comporter un risque, la stratégie qui est
choisie par un acteur conscient de son manque de sécurité, c'est
d'écourter toutes les rencontres dangereuses ou de les éviter tout à fait.
Il préfère se replier sur lui-même. Les Chinois de Paris donnent
toujours l'impression aux Français d'être très réservés, sinon renfermés.
On peut apparenter cette attitude à une stratégie d'auto-protection. Au
restaurant même, on peut voir qu'au moment de leur repas, les porteurs
de plats et les demoiselles de chariot, qui se trouvent au plus bas de
l'échelle sociale dans les effectifs du restaurant, se regroupent à une
même table pour éviter le contact avec les chefs cuisiniers et autre
personnel d'encadrement devant qui ils pourraient se sentir mal à l'aise.
Souvent, ils se serrent à 13 ou 14 à une table alors qu'il reste beaucoup
de places ailleurs. "Ici, on peut parler, plaisanter. Là-bas, non" a dit M.
MENG, porteur de plats.
En évitant ce contact, les acteurs de cette catégorie cherchent en
fait à éviter certains interlocuteurs qui pourraient les déstabiliser. En
Chine, dans l'autobus, quelqu'un de valide qui occupe une place assise
et qui voit debout devant lui une femme enceinte ou une personne
âgée, a toujours la possibilité de fermer les yeux ou de regarder
ailleurs pour ne pas céder sa place. Voici un autre exemple dans le
restaurant:
Exemple 81
22 h 30. M. JI, serveur, attend longuement un plat commandé
par son client et qui ne vient toujours pas. Il veut le solliciter auprès
des cuisiniers, mais il n'ose pas, connaissant leur mauvais caractère,
surtout celui de leur chef. JI va alors jusqu'à la porte de la cuisine et
crie assez fort:
JI -- [en T] Ang hiahng, cek ho gai cai ho zhao liao.
(安兄,七号台的菜可以走了: Grand frère Ang, on peut faire
marcher le plat de la table 7).
En faisant semblant de parler à Ang, porteur de plats, JI a fait en
sorte d'être entendu des cuisiniers sans avoir à leur adresser la parole.
Si, pour un acteur de statut bas, les interlocuteurs malveillants
sont à éviter, de même un acteur de position sociale supérieure évitera
les échanges langagiers avec ses subalternes afin que l'écart social soit
respecté, sauf s'il se sent obligé de réduire cette distance pour une
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raison ou pour une autre. M. CAO, porteur de plats, m'a raconté que,
peu après son arrivée au restaurant, il avait essayé d'établir une
relation familière avec les chefs cuisiniers en leur parlant en
cantonnais, mais ceux-ci ne lui répondaient qu'en mandarin. Un refus
de familiarité peut correspondre à une forme d'auto-protection chez les
supérieurs, car elle connote une situation d'égalipouvant signifier
pour eux un rabaissement.
Une autre version de l'évitement avec un interlocuteur
compromettant, c'est de se débarrasser de liens gênants qu'on peut
avoir avec lui. Dans un film chinois des années 70, on parle d'un
étudiant chinois d'origine paysanne dont le père vient le voir au
campus, mais il dit à ses camarades qu'il s'agit d'un voisin de la famille.
Voici un autre exemple, pris au restaurant:
Exemple 82
Un jour, M. CAO me demande de présenter sa soeur (la femme
de M. LEI) au patron d'un petit atelier de couture pour une éventuelle
embauche. Ce patron avait précédemment travaillé comme cuisinier
pour la cuisine cantonnaise de notre restaurant et avait conservé une
assez bonne relation avec moi.
CAO -- [en M] Ni jiu shuo shi wo mei mei, bu yao shuo shi lao lei de
tai tai.
(你就说是我妹妹,不要说是老雷的太太: Tu diras que c'est
ma soeur, et surtout pas que c'est la femme de Lao LEI).
Moi -- [en M] Wei shen me?
(为什么: Pourquoi?)
CAO -- [en M] Yin wei lao lei zai can guan mei mian zi.
(因为老雷在餐馆没面子: Parce que Lao LEI n'a pas de face au
restaurant).
Ce phénomène de se débarrasser de ses réels liens de parenté
peut s'expliquer par la conception du lien de sang qui veut que les
Chinois s'identifient à un réseau de relations sont partagés à la fois
l'honneur et le déshonneur.
Stratégie 2 Ecarter du public les gens incompatibles
avec sa propre représentation
Il s'agit d'une autre forme de stratégie d'évitement consistant à
écarter ceux qui risquent de perturber ou de détruire l'image qu'on veut
donner de soi, en particulier s'ils ont la compétence de la déceler.
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