
Oui, mais comment évaluer le montant des transactions illégales sur le sol italien ? On imagine mal
un membre de la Camorra, la mafia napolitaine, téléphoner à un statisticien de l'Istat pour lui faire
part de ses gains et de la croissance de son activité ! "Effectivement, c'est pas la bonne méthode",
répond hilare Gian Paolo Oneto.
Après avoir repris son sérieux, il détaille: "Nous allons nous appuyer sur les données de la police et
de la justice qui ont une bonne connaissance du volume et des prix des produits stupéfiants et des
services des prostitués. Nous ferons appel aux ONG qui travaillent avec les drogués et les prostitués."
Avant de retourner à sa besogne, il lâche à la dérobée: "Vous savez, en Italie, nous avons une
tradition dans l'évaluation de l'économie souterraine !"
De son côté, l'un des porte-paroles d'Eurostat s'étonne de la polémique que peut susciter la prise en
compte des revenus de la drogue et de la prostitution dans le calcul du PIB. "Nous ne faisons que
nous conformer aux normes internationales ! Les Etats-Unis les ont mis en application l'année
dernière. Et puis le principe d'inclure les revenus de l'économie illégale était déjà inscrit dans les
textes européens depuis 1995 avec les normes ESA 95. Il n'y a donc rien de nouveau !"
Quoiqu'il en soit, ESA 2010 est une aubaine pour l'Italie, l'un des "hommes malades" de la zone euro.
En treize ans, l'Italie a connu quatre périodes de récession. Et en 2011, le pays a frôlé de près la
faillite suite à l'attaque des marchés et à l'augmentation des taux d'intérêt sur sa dette abyssale, qui
dépasse les 120% de son PIB.
Une aubaine pour le gouvernement italien
Du coup, la prise en compte de l'argent de la drogue et de la prostitution est plutôt une bonne
nouvelle pour le pays... Selon la Banque d'Italie, l'économie criminelle représenterait 10,9% du PIB en
2012. D'après une étude de l'institut italien Demoskopika, le chiffre d'affaires de la 'Ndrangheta a
atteint 53 milliards d'euros en 2013, presque autant que Peugeot et Airbus! Selon les Nations-Unies,
cette fois, les quatre organisations mafieuses ('Ndrangheta, Cosa Nostra, Calabre, Sacra Corona
Unita) dégagent un chiffre d'affaires de 116 milliards d'euros, soit 5,9% du PIB!
Ce fait dire à Giuseppe Di Taranto, économiste et professeur à l'université de Rome, contacté par
Bloomberg, que "Matteo Renzi aura une plus grande marge de manœuvre budgétaire." Il ajoute:
"même si cela est dur à quantifier, il est certain que ça aura un impact positif sur la croissance."
De quoi redonner le sourire au gouvernement italien. Ce dernier a annoncé il y a peu des prévisions
de l'ordre de 0,8% de croissance pour 2014. En comptabilisant les revenus tirés des activités
mafieuses, la croissance pourrait dépasser les 1%, voire même avoisiner les 1,6%. Ce qui ferait de
l'Italie l'un des moteurs de la zone euro !
Et en France ?
Pour l'Insee, il n'est pas question d'inclure l'économie illégale dans le calcul du PIB. Joint par
Challenges, l'organisme public est catégorique: "Nous n'incorporons pas les activités illégales dans
ses estimations, dans la mesure où les circonstances dans lesquelles s'effectuent ces activités
(dépendance des consommateurs de stupéfiants, esclavage sexuel dans certains cas) ne permettent
pas de considérer que les parties prenantes s'engagent toujours librement dans ces transactions."
En France, les activités économiques échappant à l'impôt sont estimées à moins de 10% du PIB selon
une étude du très sérieux institut allemand de veille économique IAW.
L'Insee tient, par ailleurs, à opérer un distinguo entre, d'un côté, l'économie souterraine, interdite, et
de l'autre l'activité dissimulée. Cette dernière (travail au noir dans la construction ou contrebande de
tabac par exemple) "n'est généralement pas de nature illégale, même si elle s'exerce dans un cadre
qui ne respecte pas toutes les dispositions légales." Et d'ajouter: "C'est pourquoi les comptes
nationaux incorporent depuis longtemps dans leurs estimations des redressements pour tenir
compte de l'activité dissimulée. L'ensemble des corrections au titre de l'activité dissimulée
représente 3,4% du PIB français en base 2010."
Une double comptabilité
Pour clarifier la situation, l'Insee assure que la prostitution est partiellement déclarée au fisc. "Les
revenus correspondants sont bien pris en compte par l'Insee dans la mesure du PIB. La prostitution
clandestine, en revanche, en est exclue", précise l'institut de statistiques.