la_croix_31_10_11_argentine - Les blogs du CCFD

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le 31 octobre 2011
ENQUÊTE En 2001, le pays se déclarait en défaut de paiement. Depuis, l’économie argentine a pu
rebondir, grâce essentiellement à la hausse des cours des matières premières
L’Argentine, dix ans après sa faillite
BUENOS AIRES De notre envoyé spécial
aston Riva, assassiné par la « répression poli- Gcière lors de la rébellion populaire, le
20 décembre 2001. » Au centre de Buenos Aires, à l’angle de l’avenida de Mayo et de la rue
Tucuari, une plaque de céramique rappelle la mort ici d’un des manifestants de la grave crise qu’a
connue l’Argentine, il y a dix ans. Le pays, bon élève du Fonds monétaire international (FMI), était
alors à bout : depuis 1998, son économie plongeait, le chômage explosait et les files d’attente ne
cessaient de s’allonger devant les soupes populaires. Des émeutes avaient provoqué la mort de 39
personnes, et avaient fait valser les chefs de l’État. À la Casa Rosada, le palais présidentiel, quatre
locataires se succédèrent ainsi en l’espace de dix jours.
Dix ans plus tard, tout semble oublié. L’Argentine connaît depuis 2003 – et exception faite de la
crise internationale de 2009 – une croissance moyenne digne de la Chine, de l’ordre de 8 %. Si de
nombreuses entreprises étrangères ont tiré un trait sur la pampa, refroidie par cette instabilité et par
une insécurité juridique qui rend périlleux les investissements sur les bords du rio de la Plata,
d’autres ont mis le cap au Sud pour profiter de l’embellie. Il y a quelques années, Buenos Aires a
ainsi vu débarquer Starbucks, la chaîne de café de Seattle, qui vend son expresso à 10 pesos pièce
(soit près de 2 €).
Entre-temps, l’Argentine a renoncé à l’orthodoxie financière, dont le pays était devenu un symbole.
Après avoir enchaîné les mesures d’austérité pendant plusieurs années, le pays faisait volte-face fin
2001, avec deux décisions radicales : le défaut, laissant une ardoise de 100 milliards de dollars, et
l’abandon de la parité avec le dollar, l’arme fatale anti-inflation. La méthode, radicale, a d’abord
coûté cher – récession de 11 % en 2002 – mais a permis aux produits locaux de retrouver une
compétitivité perdue depuis des lustres. L’industrie argentine du jouet, par exemple, détient
aujourd’hui 40 % du marché national, contre 10 % il y a dix ans, quand les Chinois raflaient la
mise. S’étant libéré du soutien des institutions internationales, comme le FMI, le gouvernement
péroniste a pris le contre-pied de la rigueur, subventionnant largement de nombreux secteurs pour
venir en aide à la population – comme l’énergie, le transport…
Cette rupture a-t-elle sauvé l’Argentine ? Selon Sofia Devalle, économiste à Cordoba à l’Institut
argentin d’analyse fiscale, « la dévaluation du peso a relancé les exportations argentines, vers le
Brésil notamment, un partenaire commercial très important. De la même façon, la politique de
relance a contribué à stimuler la consommation. Mais ces choix ne sont pas durables. » La
contrepartie de cette injection d’argent public est en effet une forte inflation …
L’Argentine connaît depuis 2003 (sauf en 2009) une croissance moyenne de l’ordre de 8 %.
… qui mine la compétitivité retrouvée, les hausses de salaires annuelles pouvant atteindre 30 %.
Les subventions doivent également suivre ce rythme, ce qui pèse de plus en plus lourd sur le
budget.
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Heureusement pour l’Argentine, une pluie de dollars tombe depuis plusieurs années sur le pays. Les
cours des matières premières flambent, remplissant les caisses de l’État grâce à de fortes taxes sur
les exportations. Celles vers la Chine en pleine expansion explosent, et les prix suivent. La tonne de
soja, par exemple, dont l’Argentine est l’un des principaux producteurs et exportateur mondiaux, est
passée de 200 dollars en 2002, à 500 dollars, il y a peu. Avant de baisser ces dernières semaines
autour de 400 dollars – un prix toujours très élevé.
Reste que le pays n’en a pourtant pas fini avec la crise de 2001. Les Argentins ont de la mémoire :
leur confiance dans le peso et dans leur système bancaire n’est toujours pas revenue. Malgré le
boom, le pays connaît toujours une fuite importante de capitaux et une course permanente au dollar.
Tous les Argentins suivent au jour le jour l’évolution du taux de change de la monnaie argentine
avec le billet vert… Ensuite, le pays demeure encore interdit de financement international. Résultat,
les seuls dollars qu’il récupère sont ceux provenant de ses ventes à l’international. Raison de plus
pour imposer des limitations aux importations. « Le gouvernement explique que cette politique vise
à protéger l’industrie nationale, mais il s’agit aussi de limiter les sorties de dollars du pays »,
explique un homme d’affaires. L’Argentine est ainsi devenue l’un des pays les plus protectionnistes
au monde. Le plan stratégique industriel 2020, présenté en février par la présidente Cristina
Kirshner, prévoit une réduction de 45 % des importations. Alors que l’Europe doit à son tour faire
face à une dette de grande ampleur, à l’heure où la Grèce est plongée dans une crise qui rappelle le
précédent argentin – politique d’austérité, interventions du FMI, colère sociale, etc. –, le printemps
économique austral est mis en avant pour rappeler que tordre le cou à l’orthodoxie économique et
financière peut avoir du bon, malgré les cris d’effroi des experts de Washington et le dépit des
investisseurs, contraints de renégocier et d’enregistrer des pertes sévères. Mais la comparaison est
difficile. La dette est bien plus lourde en Grèce aujourd’hui (150 % du PIB) qu’elle ne l’était il y a
dix ans en Argentine (54 %) et Athènes connaît en outre un lourd déficit budgétaire (10 % du PIB),
ce qui n’était pas le cas de Buenos Aires en 2001 (3 %). La Grèce part donc de bien plus bas et une
dévaluation reviendrait à quitter la zone euro. L’Argentine avait aussi une industrie développée, qui
lui a permis de profiter de la dévaluation, quand la Grèce compte essentiellement sur le tourisme
pour faire tourner son économie nationale. Sans la manne, surtout, que représente pour l’Argentine
la flambée des prix agricoles.
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COMMENTAIRE
Renaissance
JeanCLaude BourBon
Souvenez-vous, c’était il y a tout juste dix ans. L’Argentine, en récession économique et en
plein chaos social, au bord de la faillite financière, avait décidé de ne plus payer ses
créanciers, en tournant le dos à la politique d’austérité que souhaitait lui voir mener le Fonds
monétaire international pour redresser ses comptes. Certains ne manqueront pas de rappeler
que la situation du pays à cette époque ressemble beaucoup à celle de la Grèce aujourd’hui.
La comparaison est tentante, mais guère tenable, notamment parce que le contexte est
radicalement différent.
Difficile pourtant d’ignorer la renaissance de l’économie argentine qui a affiché ces dernières
années un taux de croissance « à la chinoise ». La présidente Cristina Kirchner, qui vient
d’être brillamment réélue, peut ainsi se targuer d’avoir fait reculer le chômage et réduit les
inégalités sociales. La recette ? Elle ne tient pas tant à l’instauration d’un nouveau modèle
économique qu’à cette formidable manne que représente l’envolée du cours des matières
premières, minérales et agricoles, dont le pays est un très grand exportateur et qui lui ont
permis d’engranger des excédents commerciaux confortables.
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Mais cette situation ne perdurera pas forcément, prédisent beaucoup d’économistes. Car le
pays, toujours confronté à une fuite de capitaux, n’en a pas fini avec ses démons
inflationnistes, et n’a toujours pas accès aux financements internationaux.
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REPORTAGE Dans certaines entreprises, les salariés ont repris en main leur outil de
production, comme à l’IMPA, installée au cœur de Buenos Aires
L’Argentine cherche toujours un modèle économique
G. B.
BUENOS AIRES De notre envoyé spécial
Avoir ces machines d’un autre âge à l’arrêt, faute d’électricité, on comprend que l’IMPA n’est pas
vraiment tirée d’affaire… L’Industria Metalurgica y Plastica Argentina a durement subi la crise
argentine à la fin des années 1990. Dès 1998, les salariés ont pris la tête de leur entreprise, initiant le
mouvement des « récupérations d’entreprises », qui se sont multipliées quand l’économie du pays
s’est effondrée. « Nous n’avions pas le choix, l’usine était endettée à hauteur de 6 millions de
pesos, explique Marcello Castillo, président de l’IMPA. C’est-à-dire 6 millions de dollars, car les
deux monnaies étaient liées. Nous allions tout droit vers la fermeture. »
En 1998, l’IMPA était déjà une coopérative. Mais dans la forme seulement. Depuis, l’autogestion
est réelle, et les 52 salariés reçoivent le même salaire – 700 pesos par semaine, soit 120 €. Le
président est élu, pour 3 ans. La première urgence a été la renégociation de la dette, puis
l’apprentissage de la commercialisation, du marketing, pour les métallos plus habitués aux
machines.
Dix ans après la faillite argentine, l’IMPA est toujours debout. Mais pour combien de temps ? Pour
des problèmes juridiques, le courant a été coupé en 2008.
L’entreprise n’est alimentée que grâce à un gros générateur installé au milieu des machines, mais
dont la location et le fonctionnement coûtent très cher. Du coup, le travail s’arrête à 13 heures, alors
que l’usine tournait auparavant 24 heures sur 24. « C’est dommage, car nous avons plus de
commandes, déplore Marcello Castillo. Nous pourrions avoir un chiffre d’affaires supérieur à nos
300 000 pesos (NDLR : 51 000 €) par mois. »
Pour faire face à la compétitivité des concurrents, l’IMPA s’est donc spécialisée dans les petits
volumes que les usines plus importantes ne traitent pas. Grâce à la forte croissance de l’économie
argentine ces dernières années, l’usine a rempli ses carnets de commande. Mais l’inflation grignote
la compétitivité nationale, et le moindre coup de tabac pourrait à nouveau faire déraper la
coopérative.
D’autant que, comme beaucoup de ces entreprises récupérées, l’usine implantée au cœur de Buenos
Aires est dans une situation juridique inconfortable. Souvent, les anciens propriétaires n’ont pas
renoncé à leurs biens et bataillent pour reprendre possession des lieux. Pour l’IMPA, le problème
reste l’endettement… ou peut-être l’immobilier ? En 2008, un juge a prononcé la faillite de l’usine
après la plainte de deux créanciers. Malgré un accord trouvé peu après, la police a été envoyée pour
faire place nette. Avant que les salariés ne reprennent le contrôle…
Du coup, l’IMPA s’est ouverte sur le quartier, pour tisser un lien avec le voisinage, transformant
même certaines salles en lieux d’expression artistique.
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« Nous avons des spectacles tous les soirs en fin de semaine, précise Alicia, une responsables du
centre culturel de l’IMPA. Le tiers des bénéfices est pour nous, le reste pour les artistes. »
Mais la coopérative semble baigner dans un flou tout autant artistique… Son avenir semble fragile,
et à l’usine, on s’étonne du comportement ambigu du pouvoir péroniste, qui se dit proche de ces
« entreprises récupérées », sans pour autant faire grand-chose. « Après deux ans de négociation en
vue d’obtenir une subvention, où tout pouvait capoter, nous avons signé un accord avec le
gouvernement, début septembre, pour un montant de 50 000 dollars, raconte Marcelo. Chaque jour,
je vais à la banque, mais aucun peso n’est encore arrivé. »
En 1998, les salariés de l’IMPA initient le mouvement des « récupérations d’entreprises ».
Celles-ci se sont multipliées quand l’économie argentine s’est effondrée.
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REPÈRES
LES RICHESSES NATURELLES
• L’Argentine possède de nombreuses ressources naturelles dans son sous-sol.
Ces richesses sont les clés du redressement économique entrepris depuis le milieu des années 2000.
• L’Argentine est le sixième pays au monde le plus riche en ressources minières :
or, argent, cuivre, fer, zinc, uranium ou encore lithium. Elles représentent 17 % des recettes de
l’État et 10 % des exportations du pays. Selon les experts, les trois quarts du potentiel minier
argentin sont encore inexploités.
• Malgré la crise de 2001-2002, aucune chute des investissements n’a été observée
dans l’exploration et la production. Le secteur a même été dopé par la multiplication des projets des
grands groupes étrangers, principalement canadiens, américains et australiens, qui bénéficient sur
place de coûts et de taux de change favorable. L’an dernier, 3,5 milliards d’euros ont ainsi été
investis dans le secteur.
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