Heureusement pour l’Argentine, une pluie de dollars tombe depuis plusieurs années sur le pays. Les
cours des matières premières flambent, remplissant les caisses de l’État grâce à de fortes taxes sur
les exportations. Celles vers la Chine en pleine expansion explosent, et les prix suivent. La tonne de
soja, par exemple, dont l’Argentine est l’un des principaux producteurs et exportateur mondiaux, est
passée de 200 dollars en 2002, à 500 dollars, il y a peu. Avant de baisser ces dernières semaines
autour de 400 dollars – un prix toujours très élevé.
Reste que le pays n’en a pourtant pas fini avec la crise de 2001. Les Argentins ont de la mémoire :
leur confiance dans le peso et dans leur système bancaire n’est toujours pas revenue. Malgré le
boom, le pays connaît toujours une fuite importante de capitaux et une course permanente au dollar.
Tous les Argentins suivent au jour le jour l’évolution du taux de change de la monnaie argentine
avec le billet vert… Ensuite, le pays demeure encore interdit de financement international. Résultat,
les seuls dollars qu’il récupère sont ceux provenant de ses ventes à l’international. Raison de plus
pour imposer des limitations aux importations. « Le gouvernement explique que cette politique vise
à protéger l’industrie nationale, mais il s’agit aussi de limiter les sorties de dollars du pays »,
explique un homme d’affaires. L’Argentine est ainsi devenue l’un des pays les plus protectionnistes
au monde. Le plan stratégique industriel 2020, présenté en février par la présidente Cristina
Kirshner, prévoit une réduction de 45 % des importations. Alors que l’Europe doit à son tour faire
face à une dette de grande ampleur, à l’heure où la Grèce est plongée dans une crise qui rappelle le
précédent argentin – politique d’austérité, interventions du FMI, colère sociale, etc. –, le printemps
économique austral est mis en avant pour rappeler que tordre le cou à l’orthodoxie économique et
financière peut avoir du bon, malgré les cris d’effroi des experts de Washington et le dépit des
investisseurs, contraints de renégocier et d’enregistrer des pertes sévères. Mais la comparaison est
difficile. La dette est bien plus lourde en Grèce aujourd’hui (150 % du PIB) qu’elle ne l’était il y a
dix ans en Argentine (54 %) et Athènes connaît en outre un lourd déficit budgétaire (10 % du PIB),
ce qui n’était pas le cas de Buenos Aires en 2001 (3 %). La Grèce part donc de bien plus bas et une
dévaluation reviendrait à quitter la zone euro. L’Argentine avait aussi une industrie développée, qui
lui a permis de profiter de la dévaluation, quand la Grèce compte essentiellement sur le tourisme
pour faire tourner son économie nationale. Sans la manne, surtout, que représente pour l’Argentine
la flambée des prix agricoles.
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COMMENTAIRE
Renaissance
Souvenez-vous, c’était il y a tout juste dix ans. L’Argentine, en récession économique et en
plein chaos social, au bord de la faillite financière, avait décidé de ne plus payer ses
créanciers, en tournant le dos à la politique d’austérité que souhaitait lui voir mener le Fonds
monétaire international pour redresser ses comptes. Certains ne manqueront pas de rappeler
que la situation du pays à cette époque ressemble beaucoup à celle de la Grèce aujourd’hui.
La comparaison est tentante, mais guère tenable, notamment parce que le contexte est
radicalement différent.
Difficile pourtant d’ignorer la renaissance de l’économie argentine qui a affiché ces dernières
années un taux de croissance « à la chinoise ». La présidente Cristina Kirchner, qui vient
d’être brillamment réélue, peut ainsi se targuer d’avoir fait reculer le chômage et réduit les
inégalités sociales. La recette ? Elle ne tient pas tant à l’instauration d’un nouveau modèle
économique qu’à cette formidable manne que représente l’envolée du cours des matières
premières, minérales et agricoles, dont le pays est un très grand exportateur et qui lui ont
permis d’engranger des excédents commerciaux confortables.