Catherine Bousquet. Mourir pour un crapaud… Un authentique

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Catherine Bousquet. Mourir pour un crapaud… Un authentique drame scientifique,
Éditions le Pommier, 2011
Voilà un ouvrage exemplaire, qui se dévore comme un roman policier tout en relatant
des faits historiquement vrais et en introduisant le lecteur, sans qu’il ne s’en rende compte tant
le style est alerte et toujours facile à comprendre, dans les débats les plus actuels de la
génétique !
La structure même du livre est celle d’un roman policier, s’ouvrant sur la mort
tragique, en 1926, du célèbre biologiste autrichien Kammerer. Il s’en suit une enquête aussi
minutieuse que passionnante pour tenter de comprendre ce drame. Nous sommes ainsi
plongés dans l’univers scientifique, mais aussi politique et social des années 1920, dans les
laboratoires de zoologie en Autriche bien sûr, mais aussi aux heures de la génétique naissante
en Grande-Bretagne et aux USA, avec également le béhaviorisme de Watson outre
Atlantique, Pavlov et Lyssenko dans la Russie de Staline. Et dans les thèses lamarckiennes
qui tentent encore de s’opposer aux processus darwiniens. C’est de l’histoire des sciences
vivante, palpitante même.
Pour moi, « l’affaire Kammerer » était juste un des exemples de fraude scientifique
que je citais volontiers dans mes cours « Science et Société » : de l’encre de Chine au lieu des
brosses copulatrices que Kammerer affirmait apparues après des générations durant lesquelles
il avait forcé des alytes terrestres à se reproduire dans l’eau, présence qu’il interprétait comme
l’illustration de l’hérédité des caractères acquis…
Après avoir lu ce livre de Catherine Bousquet, tout ce que je croyais s’effondre. Il est
plus que probable que ce n’est pas Kammerer qui a injecté cette encre de Chine : mais qui ?
Dans quel but ? L’enquête avance, de chapitre en chapitre et ouvre plusieurs hypothèses
tandis qu’émerge le personnage de Kammerer, hors du commun, attachant, travailleur hors
pair ; certes plongé dans des difficultés matérielles et dans des conquêtes et désillusions
féminines, mais toujours brillant dans ses écrits et conférences qui ont assuré son succès
jusqu’à sa brutale disparition… Succès largement dû aux enjeux politiques et idéologiques de
ses thèses.
Un livre admirable donc, jusque dans sa chute qui expose de façon simple et
convaincante les perspectives nouvelles de la génétique qui permettent aujourd’hui
d’interpréter différemment les résultats minutieusement publiés par Kammerer : non plus par
l’hérédité des caractères acquis, mais par l’épigénétique ! C’est la thèse d’AlexanderVargas
(biologiste du développement au Chili), publiée dans le Journal of Experimental Zoology (3
septembre 2009) et dans Science (4 septembre 2009).
Et Catherine Bousquet oeuvre ainsi contre le dogmatisme, véritable coupable de la
mort de Kammerer : lutte salutaire tant ce fléau continue à habiter la communauté scientifique
(et au-delà !). Elle-même se garde bien de terminer par la seule apologie de l’épigénétique, en
soulignant in fine que Stephen Jay Gould avait déjà émis des hypothèses pour interpréter les
résultats de Kammerer dans un contexte darwinien, par le processus d’assimilation génétique
mis en évidence par Waddington.
Au total, c’est un livre à ne pas rater, où l’observation passionnée d’animaux est portée
par des hypothèses et interprétations dont les enjeux sont aussi idéologiques que scientifiques,
à l’image renouvelée de la vie et de la mort de Kammerer : « un authentique drame
scientifique » !
Pierre Clément
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