Aubagne d'un côté, et Fos-sur-Mer et Berre de l'autre, sont eux aussi des sortes d'avant-ports
industriels et commerciaux qui étaient "peu", sinon de magnifiques sites, avant que Marseille
n'y étende son ombre et son activité. Ainsi le cœur économique de la cité est hors de la cité, il
s'est déversé sur des villes voisines, au-delà des collines blanches : mais dans des villes à
l'histoire aussi vieille que celle de Marseille, des villes de terres et de mémoire, Aix-en-
Provence, Aubagne, Martigues. Le hors-Marseille n'était pas des villages faciles à absorber,
comme à Paris, mais des cités fières et culturellement bien différentes car terriennes,
foncières, juridiques.
Or le drame de cet ensemble de cités entrelacées de 1,8 million d'habitants, où Marseille pèse
pour une moitié, c'est que l'Etat a cru malin de favoriser, il y a douze ans, plusieurs
communautés de communes concurrentes. Le pays d'Aix descend même si près de Marseille
qu'Aix possède une partie de ses grandes surfaces et profite de leurs taxes ! Ainsi la ville
centre est pauvre et les pourtours, qui vivent de son voisinage, riches. Plus personne ne pense
l'ensemble, ne le lie, n'organise les transports, ne rationalise la construction, la vie culturelle,
l'université, le développement économique. Sauf bien sûr les travailleurs qui circulent entre
les cités sur des routes bondées – les masses salariales échangées entre villes sont équilibrées.
Et si l'Etat a pu favoriser hier une organisation aussi absurde et anti-productive c'est qu'il a
trouvé dans une classe politique professionnelle et familiale, et des enclaves communistes, des
partenaires pour ce morcellement qui permet les réélections par la définition de territoires
limités et stables. Aix, Martigues, Istres, Aubagne pensent Aix, Martigues, Istres, Aubagne. Et
point au-delà. Comme dans Marseille. La sénatrice des quartiers nord pense surtout quartiers
nord, les maires d'arrondissements du centre pensent arrondissements du centre... Et ici où,
dans une population en flux et passage, intégration et conflit, l'art du politique est de tenir un
territoire pour pacifier cette remue d'hommes, ce localisme général du politique prend des
forces extrêmes. Le changement, le projet, comme la République, y cèdent devant la
réélection, l'opposition aux autres et... la transmission du fief.
Aussi à côté de ce morcellement stérilisant, clientéliste, il faut construire un autre étage de
pouvoir où l'on parle projets, transports, universités, recherche, avenir portuaire, filières
technologiques, aménagement du territoire... Mais ce niveau n'existe pas. Le patronat se
désespère, les syndicats se plaignent, les universitaires enragent, mais il ne peut rien se passer,
car chacun cuisine pour son quartier et sa réélection. Il n'y a aucune structure de pouvoir apte
à penser, organiser, diriger, l'ensemble. Je ne dis pas qu'il manque un patron. Un homme fort.
Je dis qu'il manque une organisation horizontale large qui inclut toute la métropole et qui
accumule projets, compétences, valeurs, budget et perspectives. Et cet étage-là, inter-cités,
inter-cultures mais unifié par un seul port, une seule université, une seule mobilité, un seul
marché du travail, cet étage-là doit être élu de telle manière que s'y dégagent des profils
politiques différents, moins familiaux, moins localistes, plus anonymes, permettant mieux la
sélection par la compétence, la parité, la diversité. En gros, ce que les régions ont su faire par
rapport aux élus cantonaux des départements. Il y a là à gagner une structure forte et légitime
d'autorité dont ce territoire a besoin.
Et ces questions ont à voir avec le débat sur les violences des jeunes de banlieues. Car, si on
ne peut lutter à armes égales contre les bandes de jeunes dealers des quartiers qu'avec des
policiers (et des policiers incorruptibles !) et des éducateurs, il y faut aussi des emplois et un
avenir que seul ce nouvel outil politique peut apporter. Mais ce nouvel outil politique,
indispensable, ne sera pas le tout. Car il ne peut être efficace qu'à moyen terme. A court