Nouvelle organisation de l’Afrique
LE double crime, consommé par un tyran en délire, excita dans la Mauritanie une
indignation générale. Ptolémée était plus faible que méchant: lorsqu’il eut cessé
de vivre, on oublia ses vices pour ne se rappeler que les vertus de son père :
d’ailleurs on n’en sentit que plus vivement le joug que la prudence d’Auguste et de
Tibère avait rendu si léger. Ces dispositions à la révolte inspirèrent à un certain
AEdémon, affranchi de Ptolémée, l’audacieux dessein de succéder à son maître.
Sous prétexte de le venger, il soulève les Maures, recrute parmi eux une armée,
et ravage une partie de la province romaine. Mais Lucius Paulinus
s’avance contre ce nouvel ennemi, le bat en plusieurs rencontres,
traverse en vainqueur toute la Mauritanie et franchit la double
barrière de l’Atlas. Cette marche triomphante au delà des Alpes
africaines fut regardée comme un exploit extraordinaire, car
aucun général n’avait encore porté ses armes aussi loin. Ce ne fut
pas cependant Paulinus, mais son successeur Hasidius Géta, qui eut l’honneur de
terminer sous le règne du faible Claude une guerre allumée par les fureurs de
Caligula, et d’ajouter un autre royaume à la vaste étendue des possessions
romaines. L’Afrique septentrionale était donc entièrement subjuguée, depuis la
vallée du Nil jusqu’au grand Océan. Pour assurer sa conquête, l’empereur
partagea la Mauritanie en deux grandes provinces: la première prit son nom de
Tingis, aujourd’hui Tanger, et s’appela Mauritanie Tingitane; c’est le Maroc; la
seconde fut nommée Mauritanie Césarienne, parce qu’elle avait pour capitale
Julia Caesarea, résidence des derniers rois numides (aujourd’hui Cherchell): elle
comprenait nos provinces actuelles d’Alger, Oran et Titteri. Césarée de
Mauritanie fut élevée par Claude au rang de colonie romaine, l’an 43 de Jésus-
Christ; Tingis l’avait été longtemps auparavant par Auguste.
La nouvelle de cet heureux événement, qui semblait garantir à tout jamais
la sécurité des établissements romains en Afrique, se répandit avec rapidité
dans les différentes parties de l’empire. Chacun eut hâte de le mettre à profit
et de venir recueillir sa part des richesses que la féconde terre d’Afrique
prodiguait à tous ceux qui les lui demandaient par l’agriculture ou par le
commerce. Une multitude d’émigrés volontaires y affluèrent de l’Italie, de
l’Espagne et des Gaules. Les villes de la côte, les établissements de l’intérieur,
s’accrurent et s’enrichirent par ces émigrations. Dans la Mauritanie Tingis
surtout reçut de cette affluence d’étrangers une grande impulsion; les historiens
citent aussi Lixos, ville alors très commerçante, située au delà du détroit, sur
l’océan Atlantique, mais qui n’a point laissé d’héritière de ses richesses et de son
nom.
Les obstacles intérieurs qui à plusieurs reprises entravèrent la prospérité
de l’Afrique, avaient à peu près disparu; ses maux ne lui vinrent plus désormais
que de la métropole, c’est-à-dire de l’ambition et de la rapacité des gouverneurs
que Rome lui envoyait. Les impôts, déjà si lourds sous Caligula et Claude,
devinrent accablants sous Néron. Il fit périr les six plus riches propriétaires de
l’Afrique pour confisquer leurs immenses possessions, et annexer ainsi au
domaine impérial les champs fertiles qui nourrissaient Rome. L’anarchie qui
succéda à la tyrannie de Néron faillit être plus fatale encore à l’Afrique. Sa
chute et sa mort laissaient l’empire sans maître. Le sénat songeait à rétablir la
république; les armées voulaient un empereur, et chacune d’elles prétendait
s’arroger le droit de le nommer; de leur côté, les gouverneurs de province, ne
sentant plus le frein de l’autorité centrale, s’abandonnaient à tous les caprices
d'une ambition déréglée.
Dès les derniers temps du règne de ce monstre, l’Espagne et les Gaules
avaient vu leurs gouverneurs se révolter; l’Afrique suivit leur exemple. Le
propréteur Macer, qui en était le chef militaire, excité par une ancienne
maîtresse de Néron. Crispinilla, leva des troupes pour son propre compte, et
commença par retenir dans le port de Carthage les bâtiments chargés de porter
à Rome le subside annuel qui assurait la subsistance de la multitude. On ignore si
Macer avait dessein de se frayer un chemin à l’empire, ou seulement de se créer
en Afrique une puissance indépendante. Quoi qu’il en soit, au lieu de s’attacher le
peuple en diminuant les impôts sous lesquels on succombait, il les augmenta, et fit
gémir toute la province sous une tyrannie beaucoup plus dure que celle dont il
avait annoncé vouloir la délivrer. Un tel état de choses amena un soulèvement
général, et Galba fut invité à passer sur-le-champ en Afrique, s’il ne voulait voir
la colonie lui échapper. Le nom de Galba y était populaire; il en avait été
gouverneur, et s’était distingué par un grand amour de la discipline et de l’ordre.
Les ressources de Macer étant trop faibles pour exiger l’envoi d’une armée,
Gabla se contenta d’écrire à Trébonius, intendant de la province, de réprimer ces
tentatives de révolte. Celui-ci réunit quelques troupes, auxquelles se joignirent
en foule les habitants opprimés. La lutte ne fut pas longue, les soldats de Macer
l’abandonnèrent; et tous, colons ou indigènes, aidèrent également à sa ruine. Sa
mort ne coûta presque aucun effort au vainqueur. (An 68 de Jésus-Christ.)
L’année suivante, l’anarchie impériale recommença. Trois empereurs, Galba,
Othon et Vitellius, se disputaient le monde tous trois périrent de mort violente;
un quatrième concurrent, l’heureux Vespasien, resta enfin maître de cette
pourpre tant de fois contestée. La possession de l’Afrique et de l’Égypte, ces
deux greniers de Rome, était toujours le point décisif de la question. L’Afrique
souffrit peu de ces sanglantes querelles, mais, de même qu’au temps des
discordes civiles de la république, les débris des partis vaincus vinrent tour à
tour lui demander asile. Les partisans de Vitellius s’y réfugièrent en grand
nombre, et y tramèrent d’impuissants complots qui n’eurent d’autre résultat que
de coûter la vie au proconsul Pison. Ce gouverneur, compromis par des démarches
imprudentes, n’eut pas le courage d’aller jusqu’à la révolte ouverte il fut mis à
mort par ordre de Vespasien. Cet incident n’eut aucune influence sur la
prospérité de l’Afrique, raffermie par l’administration éclairée de l’empereur (Au
commencement de ce règne, la seule Mauritanie césarienne comptait treize
colonies romaines, trois municipes libres; la Numidie et l’ancienne province
romaine, ou Afrique proprement dite (régences de Tunis et de Tripoli), en
comptaient un bien plus grand nombre encore. Les habitants de ces cités
jouissaient des droits de citoyens romains: à la vérité, quelques-uns de ces
privilèges remontaient aux temps de la république, mais la politique impériale les
avait de plus en plus multipliés. Ainsi les forces de l’empire, au lieu d’être
concentrées dans une seule ville, se trouvaient disséminées dans les colonies: ces
colonies étaient de deux sortes, civiles et militaires; les premières sur la côte,
les secondes dans l’intérieur. Elles étaient habilement distribuées, de manière à
pouvoir se porter secours en cas de danger; c’est ce qui explique comment une
seule légion suffisait à la garde d’une immense ligne de côtes. En état de résister
par elles-mêmes à un coup de main, ces colonies n’avaient besoin d’assistance que
dans le cas où, la révolte devenant générale, les Barbares attaquaient avec de
grandes masses et sur plusieurs points à la fois.).
Du règne de Vespasien à celui d’Adrien , entre lesquels parurent
successivement trois bons princes , Titus, Nerva et Trajan , et un seul mauvais,
Domitien (de l’an 70 jusqu’à l’an 117 de Jésus-Christ) aucun événement important
ne se passa en Afrique. Sous Adrien, une multitude de Juifs y furent
transportés comme esclaves, ou bien y passèrent volontairement, après la
destruction définitive de leur patrie; ils y retrouvèrent un grand nombre de
leurs compatriotes que la ruine de Jérusalem, sous Titus, y avait jetés un demi-
siècle auparavant. Depuis longtemps la Judée entretenait un grand commerce
avec l’Afrique; et, bien avant sa dispersion entière, des hommes de cette race
s’étaient établis à Cyrène et ailleurs. L’élément juif, favorisé vraisemblablement
par sa parenté avec une partie des populations primitives, y acquit une grande
influence; le mosaïsme se propagea rapidement parmi les indigènes, et s’y est
maintenu jusqu’à nos jours malgré les nombreuses vicissitudes qu’a traversées ce
pays.
Aucun prince n’avait encore montré pour la prospérité générale de l’empire
une activité aussi constante et aussi éclairée que le fit Adrien. Durant les vingt
et une années qu’il occupa le trône, il parcourut presque continuellement ses
vastes états, travaillant à la destruction des abus et à la bonne administration de
la justice. Il visita l’Afrique la dixième année de son règne, l’an 129 de J.-C.,
apporta de grandes améliorations au gouvernement de cette province, et s’acquit
l’amour des populations par la sagesse de ses réformes. Un incident fortuit lui
attira surtout les bénédictions de ces peuples superstitieux. Privée de pluie
depuis cinq ans, l’Afrique était pour ainsi dire devenue stérile : les récoltes
nouvelles dépérissaient sur pied, les greniers étaient vides; une famine générale
la désolait. A l’arrivée de l’empereur, le ciel se chargea de nuages, et la pluie
tomba par torrents. Cet heureux hasard fut regardé comme une protection des
dieux, et l’on en fit honneur à la divinité de César.
Quelques mouvements insurrectionnels eurent lieu parmi les Maures sous
le gouvernement d’Adrien, mais de si peu d’importance et de si courte durée, que
son successeur crut pouvoir diminuer le nombre des troupes d’occupation et
remettre l’autorité tout entière aux mains du magistrat civil. Cette réforme,
fondée sur le désir d’alléger les charges de la province, produisit un effet
contraire à celui ‘qu’on en attendait une révolte générale éclata dans la
Mauritanie; il fallut de nouveau mettre les garnisons au complet, et rétablir
l’autorité militaire. Jusque-là ces Barbares avaient borné leurs excursions aux
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