1
Eve HERPIN
L’IMPACT DU RELIGIEUX DANS LE
FONCTIONNEMENT POLITIQUE ET
SOCIAL DU NIGERIA ACTUEL
Mémoire de DEA «Etudes africaines» option anthropologie juridique
et politique sous la direction de Monsieur Moustapha DIOP
Université Paris I Panthéon-Sorbonne
UFR des Etudes Internationales et Européennes
Septembre 2004
2
Eve HERPIN
L’IMPACT DU RELIGIEUX DANS LE
FONCTIONNEMENT POLITIQUE ET
SOCIAL DU NIGERIA ACTUEL
Anthropologie juridico-religieuse et dynamique d’une société complexe
3
INTRODUCTION GENERALE
I. Sujet. L’implication du religieux dans le fonctionnement politique et social du Nigeria.
Il s’agira d'une part, d’étudier comment le fait religieux est instrumentalisé pour permettre
l’appropriation violente des ressources nationales et d’autre part, montrer comment le fait
religieux peut permettre le retour à une cohésion nationale.
II. Pourquoi le Nigeria ? Le Nigeria est malheureusement peu connu ou, s’il l’est,
c’est au travers de sa mauvaise réputation : lourd passé historique, longues dictatures
militaires, coups d’Etat successifs, corruption généralisée, grande criminalité, etc. Ce pays
semble donc à première vue, caractérisé par la violence. Alors pourquoi s’y intéresser ? Trois
raisons l’expliquent. L’une est personnelle, j’y ai vécu mes six premières années. J’en ai gardé
un très bon souvenir mais celui-ci est forcément faussé, partiellement hors de la réalité, ou
plutôt peu objectif puisqu’il est celui d’un enfant. Mon intention est donc de redécouvrir le
Nigeria avec l’œil cette fois, de l’anthropologue. La seconde raison est plus générale: c’est
l’extrême richesse de ce pays, son dynamisme à toute épreuve et la fierté de son peuple qui
m’ont donné l’envie de m’intéresser à ce véritable sous-continent. La troisième et dernière
raison est le fait que le Nigeria me semble être un parfait terrain d’expérience pour
4
appréhender la géopolitique mondiale actuelle : celle d’une opposition Occident - Orient ou ce
«choc des civilisations»
1
dont on entend souvent parler aujourd’hui.
Né de partages et d’assemblages coloniaux arbitraires, le géant nigérian est la seule
fédération africaine à avoir maintenu son unité après le départ du colonisateur britannique, au
prix de graves convulsions dont la moindre n’est pas la guerre civile qui a divile pays en
1967-1970 du fait de la tentative de sécession du «Biafra», qui a ému l’opinion internationale.
L’exploitation de gisements pétroliers importants lui a permis de se poser en puissance
régionale, tout en le soumettant à un boom économique suivi d’une crise d’autant plus grave
que sa population s'accroît et que la fièvre de l’or noir l’a conduit à gliger une agriculture
jadis florissante. Comme dans beaucoup de pays pétroliers, ces processus ont provoqué une
déstructuration profonde de la société nigériane, marquée par l’exode rural, une expansion
démesurée des villes, une corruption généralisée et un clivage croissant entre une minorité
privilégiée contrôlant la redistribution de la rente pétrolière et menant un train de vie
ostentatoire et une masse de plus en plus pauvre, aujourd'hui frappée par la crise du marché et
du pétrodollar local - le Naira -, les mesures de réajustement structurel imposées par le F.M.I.,
le chômage, l’inflation. Cette situation désastreuse est aggravée par l’incapacité du pays à se
donner des institutions politiques stables
2
. Après presque un demi-siècle d’indépendance, dont
60% du temps a été régi par les dictatures militaires, la démocratie (ou «democrazy» selon les
Nigérians) tarde à s’instaurer.
III. Difficultés rencontrées. La première difficulté a été la délimitation spatiale de la
monographie. La question s’est posée de savoir s’il était intéressant de limiter l’étude à la
région Nord, celle-ci étant actuellement en pleine (re)conversion ou d’étudier le Nigeria dans
son ensemble. Finalement, j’ai opté pour l’analyse du Nigeria dans son entier. Ce choix est
justifié par la volonté de tenter de trouver des hypothèses de solutions permettant le retour à
une cohésion sociale nationale. Pour cela, l’observation des antagonismes et mécanismes
existant à travers l’ensemble du pays s’imposait. La seconde difficulté que j’ai rencontrée est
liée à l’enquête de terrain : point d’ «observation participante» selon l’expression de
Malinowski
3
. L’organisation compliquée, le niveau de sécurité et le temps nécessaire à un
1
HUNTINGTON S., Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob (éd.), 1997.
2
Voir la place des institutions publiques en 2004 dans le classement africain, Annexe n° 4.
3
MALINOWSKI B., Les Argonautes du Pacifique occidental, Paris, Gallimard, 1963.
5
séjour sur place ont limité mes entretiens. Ceux-ci se sont réduits à la rencontre avec des
spécialistes du Nigeria (Marc Antoine de Montclos par exemple ou l’ex Ambassadeur de
France au Nigeria), des fidèles d’églises évangéliques (lors d’un séjour au Gabon). Une
tentative auprès de l’Ambassade du Nigeria à Paris a été rapidement écourtée devant le peu de
disponibilité des fonctionnaires présents. Enfin, la troisième difficulté concerne la sensibilité
du sujet religieux. Il est en effet délicat d’aborder de front ce thème et certaines réponses
apparaissent difficilement traduisibles en langage scientifique (ou rationnel).
IV. Une étude dynamique de la société nigériane. L'Afrique est connue pour être
le continent de l'instant. Une partie non négligeable des formes sociales et culturelles s'inspire
de cette organisation de la vie et de cette logique de l'immédiateté. Dans cette idée il convient
de procéder à une étude dynamique de ces sociétés. L'analyse du phénomène anthropologique
requiert tout d'abord une présentation générale de la structure choisie, pour ensuite se
concentrer sur l'un des aspects de cette réalité sociale, celui qui nous paraît le plus
déterminant.
Il s'agit de définir l'angle sous lequel la société en question va effectivement être examinée
pour mieux préciser la diffusion de l'Autorité dont elle dispose et son impact sur la population.
Population qu'il nous faut préciser, pour déterminer à qui s'adresse le pouvoir qu'on évoquera.
En effet, «l'univers de la jeune Haoussa mariée à 14 ans, à Katsina dans l'extrême nord du
Nigeria à la frontière du Niger, est bien différent de l'état d'esprit du golden boy déchu qui
s'impatiente dans sa Beetle chauffée à blanc sur une bretelle d'autoroute d'un faubourg de
Lagos»
4
. Pays de contrastes aux 250 ethnies, le Nigeria se divise grossièrement en trois
groupes, dominant chacun une des trois gions imposées par le carcan colonial le long du
«Y» dessiné par le fleuve Niger et son affluent la Bénoué : les Haoussa au nord (33%), les
Yorouba au sud-ouest (21%) et les Ibo au sud-est (18%). Il ne faut cependant pas oublier les
minorités de la Middle Belt (Birom de Jos, Tiv de la Bénoué, Nupé de l'Etat du Niger, Idoma
du Plateau etc.), extrêmement actives dans le processus nationaliste et indépendantiste du
pays. Mais ne résumer la vie politique et l'avenir du Nigeria qu'en un clivage fondé sur des
oppositions tribales
5
serait bien trop réducteur.
4
MONTCLOS (de) M.A., Le Nigéria, University of Ibadan, Karthala-IFRA, 1994, p. 5.
5
Voir carte des ethnies, Annexe n° 1.
1 / 154 100%