Agence FIDES - 23 octobre 2004 Spécial Journée des Missions AFRIQUE : POURQUOI LES RICHES SONT-ILS PAUVRES ? LES TRÉSORS DE L’AFRIQUE GAZ ET PÉTROLE EXPORTÉS DANS LE MONDE ENTIER LES ÉNERGIES RENOUVELABLES UN IMMENSE POTENTIEL AGRICOLE LE TOURISME LE PRODUIT INTÉRIEUR BRUT PROGRESSE, MAIS PAS SUFFISAMMENT LES CHIFFRES DE LA PAUVRETÉ DES CONDITIONS DE VIE À LA LIMITE DE LA SURVIE LANTERNE ROUGE DE LA PLANÈTE L’URGENCE SANITAIRE LE DRAME DE LA FAIM POURQUOI LES RICHES SONT-ILS SI PAUVRES ? LE CERCLE VICIEUX DU SOUS-DÉVELOPPEMENT LE PROBLÈME DE LA DETTE EXTÉRIEURE L’INTERNATIONAL FINANCE FACILITY RÉSOUDRE LES CONFLITS OUBLIÉS CONFRONTATION ENTRE DEUX CAS : LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO ET L’AFRIQUE DU SUD ______________________________________________________________________________________ Agenzia Fides “Palazzo di Propaganda Fide” - 00120 Città del Vaticano - tel. 06 69880115 - fax 06 69880107 - E-mail: [email protected] FIDES SERVICE - FIDESDIENST - AGENCE FIDES - AGENZIA FIDES - AGENCIA FIDES - FIDES SERVICE – FIDESDIENST DOSSIER FIDES AFRIQUE : POURQUOI LES RICHES SONT-ILS PAUVRES ? LES TRÉSORS DE L’AFRIQUE Un immense trésor, fait non seulement de matières premières, mais aussi d’énergies renouvelables, eau, ressources agricoles, tourisme, main d’œuvre, grands marchés pour les investissements étrangers. C’est de l’Afrique que nous parlons : pas seulement du populeux Maghreb, mais de tout le continent, y compris l’Afrique subsahariennes. Pour une fois, essayons d’invertir la perspective : au lieu de partir de la description des maux qui affligent l’Afrique, nous allons en énumérer les richesses. Nous découvrirons que cette liste est étonnamment longue. Fournisseur traditionnel de minerais sur le marché mondial, l’Afrique subsaharienne figure, à elle seule, au premier ou au deuxième rang mondial pour une longue série de matières premières : antimoine, bauxite, chromite, cobalt, diamants, or, manganèse, platine, titane et vanadium, dont elle détient de 23% à 89% des réserves mondiales. Si les grandes réserves minières sont situées en Afrique du Sud, il faut cependant y ajouter aussi la Guinée, riche en bauxite, la République Démocratique du Congo et la Zambie pour le cobalt, le Niger pour l’uranium, l’Angola, le Botswana, la Namibie et encore la République Démocratique du Congo pour les diamants. gaz et pétrole exportés dans le monde entier Le continent africain recèle en outre dans son sous-sol de 6 à 8% des réserves mondiales de charbon, gaz naturel et cuivre, et près de 20% des réserves utilisables d’uranium. L’Algérie, à elle seule, est le cinquième producteur et le quatrième exportateur mondial de gaz naturel. Mais d’autres pays d’Afrique sont également très actifs dans l’extraction et l’exportation du gaz naturel. Sur 133,2 milliards de mètres cubes de gaz produits au cours de l’année 2002 en Afrique, 80,4 provenaient d’Algérie, 22,7 d’Égypte, 17,7 du Nigeria, 5,7 de Libye et 6,7 d’autres pays. Le nouveau gazoduc d’Afrique de l’Ouest, d’une longueur de 617 km, entre Lagos au Nigeria et Takoradi au Ghana, donnera un nouvel élan à l’exploitation des gisements de gaz naturel en Afrique subsaharienne. Quant au pétrole, 11% de la production mondiale provient d’Afrique. D’ici 2015, les États-Unis comptent importer du golf de Guinée 25% de leur pétrole brut, contre 14% actuellement. Le golf de Guinée produit actuellement 3,5 millions de barils par jour, mais il pourrait augmenter sa production jusqu’à 6 millions de barils par jour d’ici la fin de la décennie. D’après les prévisions, d’ici 2010, dans cette seule région, les réserves de pétrole s’élèveront à 80 milliards de barils. Les énergies renouvelables Le continent africain est très riche aussi en sources d’énergies renouvelables. À commencer par l’eau. Un tiers des grands bassins fluviaux du monde se trouvent en Afrique : le bassin du Nil, qui traverse dix pays, celui du Volta, qui en traverse 6, le Niger, partagé entre 11 pays, le lac Tchad (8 pays), le fleuve Congo (9 pays) et le Zambèze (9 pays). Il faut y ajouter de nombreuses cascades et de cours d’eau mineurs. Ces chiffres suffisent pour comprendre que ce continent a un potentiel hydroélectrique considérable, en grande partie inexploité. Seuls 8% de cette extraordinaire source d’énergie renouvelable qu’est l’eau sont en effet utilisés pour produire de l’énergie électrique. En partie parce que manquent les ouvrages 2 FIDES SERVICE - FIDESDIENST - AGENCE FIDES - AGENZIA FIDES - AGENCIA FIDES - FIDES SERVICE – FIDESDIENST nécessaires : sur les 25.400 barrages construits dans le monde, l’Afrique n’en compte que 1272. Un immense potentiel agricole Cet « or bleu » est très précieux aussi pour l’agriculture, autre richesse de l’Afrique. Une meilleure exploitation de l’immense bassin du Niger pour l’irrigation multiplierait les surfaces cultivables dans la région du Sahel, ce qui ferait progresser considérablement la production. Pour le seul Mali, on a calculé que la production de riz pourrait passer de 750 mille tonnes par an à plus de 4 millions de tonnes en améliorant les ouvrages d’irrigation, puisque seuls 10% des 2,2 millions d’hectares de terres agricoles sont actuellement exploités. Au Sénégal, on estime qu’il existe 400.000 hectares potentiellement irrigables. Grâce aux pluies abondantes et bien réparties au cours de l’année, le Sahel a enregistré des récoltes sans précédent pour la saison 2003-2004 : 14,3 millions de céréales, soit 31% de plus que la moyenne des cinq dernières années. Mais l’envers de la médaille de ce résultat a été un effondrement des prix des récoltes qui a mis en difficulté les cultivateurs. En Algérie, au Maroc et en Tunisie également, des récoltes sans précédent ont été enregistrées en 2003. Au Maroc, par exemple, la production de céréales s’est élevée à 81 millions de quintaux, soit 80% de plus que la moyenne des cinq dernières années. Le tourisme Le tourisme, si possible dans le respect des cultures et des traditions locales et de l’environnement, est une autre grande ressource de l’Afrique qui mériterait d’être exploitée de manière plus planifiée et clairvoyante, car elle permet d’attirer de grandes quantités de capitaux de l’étranger. Mais le tourisme a besoin de sécurité et de stabilité politique dans les pays intéressés et il devrait être géré autant que possible au niveau local. Le produit intérieur brut progresse, mais pas suffisamment Au plan macroéconomique, l’année 2004 présente de bonnes perspectives de croissance dans la région du Maghreb, à la suite des politiques fiscales appliquées en Algérie, des réformes économiques en cours au Maroc et en Tunisie, et des résultats prometteurs de la production agricole. On attend aussi à une croissance significative en Afrique occidentale et centrale, et en particulier au Nigeria, grâce à l’augmentation de la production de pétrole brut, qui est toutefois menacée par une insécurité croissante dans le Delta du Niger. En Afrique australe, le Botswana affichera probablement le meilleur taux de croissance grâce à l’augmentation de sa production minière. Dans ce pays, le revenu moyen par habitant est de 3.000 dollars, plus que ceux de l’Inde et du Maroc. La croissance devrait en revanche ralentir dans la Corne d’Afrique, où la Somalie et l’Éthiopie connaissent une situation critique, à la limite de la crise alimentaire. L’économie du Cameroun et celle de la Côte d’Ivoire sont stationnaires après la division du pays consécutive au coup d’État manqué de 2002, qui a eu des effets négatifs sur le développement. Selon les estimations du Fonds monétaire international, le produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique augmentera de 4,8% durant l’année 2004 (contre 3,7% en 2003). Le meilleur résultat est attendu en Angola, avec une croissance du PIB de 11,4%. Bénin, Burkina Faso, Mali, Mozambique, Sénégal, Île Maurice, Rwanda, Seychelles, Tanzanie et Ouganda devraient confirmer l’évolution positive de leur croissance économique de ces dernières années. On prévoit une croissance du PIB de 6% en Ouganda et en République Démocratique 3 FIDES SERVICE - FIDESDIENST - AGENCE FIDES - AGENZIA FIDES - AGENCIA FIDES - FIDES SERVICE – FIDESDIENST du Congo, de 6,3% en Tanzanie, de 4,4% au Cameroun, de 5% au Ghana, de 3% en Côte d’Ivoire. Au Maghreb aussi, le PIB devrait afficher une progression, quoique plus faible qu’en 2003, avec une croissance moyenne pour toute la région de 4,8% pour l’année 2004, contre 5,7% l’année précédente. Le résultat le meilleur est attendu en Tunisie, avec une croissance du PIB de 5,8%, suivie par l’Algérie (3,8%) et le Maroc (3,4%). Malgré l’urgence alimentaire, des signaux positifs se manifestent aussi en Éthiopie (6,7%). Les problèmes politiques ne devraient pas empêcher le Soudan d’enregistrer une croissance de 6,5% de son PIB, malgré la crise humanitaire au Darfour qui pèse sur la situation économique générale du pays. Moins importante, mais toujours positive, sera la croissance économique au Kenya (2,6%), qui souffre d’une baisse du tourisme due à la crainte du terrorisme. LES CHIFFRES DE LA PAUVRETÉ Malgré ses nombreuses richesses en matières premières, énergie, terres cultivables et tourisme, l’Afrique reste marquée par une pauvreté dramatique. Pour faire une comparaison, la richesse produite par tout le continent africain équivaut à celle produite par les Pays-Bas. Un continent de 830 millions d’habitants produit autant de richesses qu’un pays de 20 millions de personnes. Pourtant, la croissance économique africaine se poursuit à un rythme plus élevé que celle de l’Occident, mais pas suffisant pour permettre à la plupart des pays de ce continent d’atteindre les taux de développement établis par les « Objectifs du Millénaire » afin de vaincre la pauvreté d’ici l’an 2015. La croissance économique en Afrique subsaharienne devrait en effet augmenter de 7% par an de plus que son niveau actuel, en considérant que le taux de croissance était de 5% durant la dernière décennie. Des conditions de vie à la limite de la survie Pour une grande partie de la population africaine, les conditions de vie sont extrêmement précaires ; près de la moitié de la population subsaharienne vit en effet avec moins d’un dollar par jour, 450 millions de personnes n’ont pas un accès suffisant à l’eau potable, 4 enfants sur 10 ne vont pas à l’école. À ce propos, les chiffres cités par l’économiste Ferruccio Marzano, professeur d’économie du développement à la Faculté d’économie et commerce de l’Université La Sapienza de Rome sont significatifs : « Alors que le revenu réel par habitant est de 25.500 dollars dans les pays riches – observe Ferruccio Marzano – à égalité de pouvoir d’achat il est d’environ 500 dollars en l’Afrique subsaharienne (dont fait aussi partie l’Afrique du Sud) ». Cela signifie que entre les revenus européens et les revenus africains, le rapport est de 50 à 1. « Toujours d’après les données fournies par la Banque Mondiale – dit encore l’économiste – nous constatons un niveau de pauvreté très élevé dans les pays d’Afrique subsaharienne : la pauvreté absolue (pourcentage de la population qui vit avec moins d’un dollar par jour) concerne plus de 46% des habitants, tandis que la pauvreté relative (pourcentage de la population qui vit avec moins du tiers du revenu moyen par habitant) concerne plus de 50% d’entre eux ». En réalité, toutes ces personnes et leurs familles survivent uniquement grâce à l’autoconsommation. Un autre paramètre important indiqué par Ferruccio Marzano est l’indice du développement humain, calculé d’après les données fournies par le Programme des Nations Unies pour le Développement : « Alors que cet indice est de 0,920 pour les pays riches, il est 4 FIDES SERVICE - FIDESDIENST - AGENCE FIDES - AGENZIA FIDES - AGENCIA FIDES - FIDES SERVICE – FIDESDIENST de 0,464 dans les pays d’Afrique subsaharienne ». Cela signifie que ces pays ont un rythme de développement réel plus lent, qui équivaut à la moitié de celui des pays les plus avancés. Lanterne rouge de la planète L’Afrique reste à la traîne non seulement par rapport aux pays développés, mais aussi par rapport aux pays en développement. En effet, alors que les pays en développement dans leur ensemble voient augmenter le niveau de leurs exportations, celui des pays africains diminue. Le pourcentage des exportations marchandes mondiales de l’Afrique est descendu du 2,8% entre 1988 et 1990 à 2,1% dix ans plus tard, dans la période 1998-2000. Une diminution analogue a été constatée dans les importations, passées de 2,7 à 2,1%. Ce déclin contraste très nettement avec la croissance générale des exportations des pays en développement, passées de 22,7% à 28,1% dans le même temps. En 2000, le revenu réel par habitant en Afrique subsaharienne (en excluant, cette fois, l’Afrique du Sud) était inférieur d’un tiers à celui de l’Asie du Sud, ce qui fait de cette partie de l’Afrique la région la plus pauvre de notre planète. En 1990, la production moyenne par habitant à prix constants y était inférieure à celle enregistrée trente ans plus tôt. Et dans les 15 prochaines années, on prévoit que le nombre de personnes vivant dans la pauvreté la plus absolue en Afrique subsaharienne passera de 315 à 404 millions. L’aide financière internationale publique, durant ces mêmes années, est restée stationnaire ou a diminué dans de nombreux cas. En revanche, les investissements étrangers directs (IED) progressent, encouragés par les privatisations. En 1999, l’Angola et le Niger ont reçu 56% de l’ensemble des IED en Afrique pour un montant de 7,1 milliards de dollars. Les flux de capitaux vers les pays avancés, comme ceux du Mozambique, de l’Ouganda, de la Tanzanie et de l’Éthiopie ont atteint 1 milliard de dollars en 1999. L’urgence sanitaire Du point de vue de l’accès aux ressources primaires, plus de la moitié de la population africaine ne dispose pas d’une source d’eau potable et les 2/3 des habitants ne disposent pas d’un réseau d’assainissement adéquat. Du point de vue sanitaire, on enregistre une situation de grande urgence : l’Afrique compte aujourd’hui 80% des décès dus au sida et 90% des décès dus au paludisme. Plus de deux millions d’enfants meurent chaque année avant d’avoir atteint l’âge d’un an. Au milieu des années 1990, les pays africains dépensaient plus de 25 milliards de dollars par an pour le service de la dette contractée auprès des pays riches et 15 milliards de dollars seulement pour les frais de santé. Le coût économique, outre que social, de l’urgence sanitaire en Afrique est très élevé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a estimé que les pertes économiques dues à la diffusion du paludisme sur le continent africain s’élèvent à 2,2 milliards de dollars par an, alors qu’avec moins de la moitié de cette somme les décès causés par cette maladie pourraient être réduits de moitié. Le sida est devenu, en l’espace de vingt ans, la première cause de mortalité en Afrique. Sur 42 millions de séropositifs dans le monde en 2002, 29,4 millions étaient des Africains, et sur 3,1 millions morts, 2,4 millions étaient des Africains. Sur 1,3 millions d’enfants malades du sida dans le monde, près d’un million sont africains. Dans seize pays d’Afrique, plus d’un adulte sur dix est séropositif. Dans sept de ces pays, au moins un adulte sur cinq vit avec le VIH. Au Botswana, par exemple, plus de 35% des adultes sont séropositifs. À Abidjan, en Côte d’Ivoire, le sida est devenu la première cause de mortalité. L’Afrique du Sud compte le nombre le plus élevé de séropositifs au monde : 5 millions de personnes. Le drame de la faim 5 FIDES SERVICE - FIDESDIENST - AGENCE FIDES - AGENZIA FIDES - AGENCIA FIDES - FIDES SERVICE – FIDESDIENST La situation alimentaire est, elle aussi, dramatique : 26% des Africains souffrent de la faim, et les besoins alimentaires augmentent au rythme d’au moins 3% par an en raison de la croissance démographique. Le cas du Sahel est emblématique de ce point de vue : dans cette région, qui aurait un potentiel agricole immense si elle était convenablement exploitée et irriguée, « un habitant sur deux vit en-dessous du seuil de la pauvreté, et un sur trois affronte quotidiennement les tourments de la faim et de la malnutrition », observe Amadou Toumani Touré, président du Mali. Près de 40 millions d’Africains en Éthiopie, en Érythrée, au Sahel et en Afrique occidentale risquent de mourir de faim, avertit le Programme alimentaire mondial. Face à cette situation difficile, l’amère constatation exprimée par les pères synodaux à l’occasion de l’Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l’Afrique (10 avril - 8 mai 1994), citée par Jean-Paul II dans l’Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa du 14 septembre 1995, reste d’une grande actualité : « Dans presque toutes nos nations, il y a une misère épouvantable, une mauvaise administration des rares ressources disponibles, une instabilité politique et une désorientation sociale. Le résultat est sous nos yeux : misère, guerres, désespoir. Dans un monde contrôlé par les nations riches et puissantes, l’Afrique est pratiquement devenue un appendice sans importance, souvent oublié et négligé par tous ». POURQUOI LES RICHES SONT-ILS SI PAUVRES ? Devant ce tableau en clair-obscur où de grandes ressources s’accompagnent d’urgences sociales et sanitaires dramatiques, il est inévitable de se demander pourquoi les habitants d’un continent aussi riche sont, dans leur grande majorité, aussi pauvres. Pendant longtemps, surtout dans l’opinion publique, deux lectures de ce phénomène se sont affrontées et ont parfois été opposées à dessein. L’une, que nous pourrions appeler positiviste et malthusienne, selon laquelle la difficulté de vaincre la pauvreté est due avant tout à la croissance démographique : d’après cette analyse, aucune croissance économique ne pourrait suffire à assurer la prospérité et le développement d’un continent qui, dans les 50 prochaines années, devrait passer de 830 millions à 1,3 milliards d’habitants. L’autre, de nature historique et politique, attribue principalement au colonialisme puis au néocolonialisme des puissances occidentales la responsabilité d’avoir exploité l’Afrique de façon égoïste, en l’empêchant de se développer et d’acquérir son autonomie. Cette deuxième clé de lecture a souvent été utilisée comme argument à opposer à l’inacceptable mécanicisme malthusien. Le cercle vicieux du sous-développement En réalité, ni la première, ni la deuxième analyse ne peut être considérée comme exhaustive, d’autant plus que, comme l’écrivait le Pape Jean-Paul II dans l’Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa du 14 septembre 1995 : « L’Afrique est un immense continent comportant des situations très diversifiées, et qu’on doit se garder de généraliser, autant dans l’évaluation des problèmes que dans la suggestion des solutions ». En réalité, l’absence de développement ou le développement insuffisant de l’Afrique est la conséquence d’une série d’éléments et de causes concomitantes auxquelles le Pape fait allusion dans ce même document : « l’urbanisation, la dette internationale, le commerce des armes, le problème des réfugiés et des personnes déplacées, les problèmes démographiques et les menaces qui pèsent sur la famille, l’émancipation des femmes, la propagation du SIDA, la survivance en certains lieux de la pratique de l’esclavage, l’ethnocentrisme et les oppositions tribales ». 6 FIDES SERVICE - FIDESDIENST - AGENCE FIDES - AGENZIA FIDES - AGENCIA FIDES - FIDES SERVICE – FIDESDIENST Il faut en outre considérer que du point de vue économique, le sous-développement est un cercle vicieux qu’il est très difficile de rompre, comme l’explique l’économiste Ferruccio Marzano : « En réalité, pour qu’il y ait développement économique, il faut que deux conditions au moins se réalisent de façon stable et continue : qu’à un moment donné de l’histoire se forme un certain surplus entre le produit obtenu et le montant des biens nécessaires à la survie et à la reproduction d’une population donnée ; et qu’en outre, ce surplus soit investi de façon productive, autrement dit dans des conditions telles qu’un nouveau surplus puisse se dégager. On comprend dès lors que, lorsqu’on est pris dans le cercle vicieux du sous-développement, on ne parvient à obtenir aucun surplus à investir et, si on l’obtient dans certains circonstances particulières, on ne parvient pas à l’investir de façon productive ; il faut au contraire que se présentent et perdurent des conditions favorables qui permettent de rompre le cercle vicieux et d’entamer un cercle vertueux, pour que la situation se débloque et que le processus de développement puisse se poursuivre ». Pour aider les pays africains à rompre ce cercle vicieux, le « nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique » (NEPAD) a été lancé : il s’agit d’un accord signé par la communauté internationale, qui prévoit une augmentation des financements en faveur du développement destinés aux pays qui parviennent à mettre en œuvre des pratiques de bonne gouvernance et d’assainissement économique. Le problème de la dette extérieure Mais malgré ces initiatives de la communauté internationale, la dette extérieure continue à étrangler l’économie des pays africains, en créant une nouvelle forme de dépendance vis-à-vis des pays riches. Une grande partie des ressources produites par les pays africains sont en effet « brûlées » seulement pour payer les intérêts de la dette contractée auprès des pays étrangers ou des organismes financiers internationaux. C’est une urgence commune à tous les pays en développement, et pas seulement à ceux d’Afrique, qui voient croître le montant de leur dette de façon exponentielle, comme le montre le tableau suivant : La dette des pays en développement DETTE EXTERIEURE TOTALE PAYS EN DEVELOPPEMENT Dette extérieure totale des pays en développement (en milliards de dollars) Rapport dette extérieure / PIB Rapport dette extérieure / exportations C’est pourquoi, à l’occasion du Jubilé de l’an 2000, le Pape a adressé à maintes reprises un appel pressant aux pays riches pour qu’ils effacent la dette des nations les plus pauvres. L’Église en Italie a répondu à cet appel en s’engageant directement pour éliminer la dette de la Guinée Conakry et de la Zambie vis-à-vis de l’Italie. Cette initiative a induit le parlement italien à approuver la loi 209/2000 qui efface tous les crédits que l’Italie pouvait avoir vis-à-vis des pays dits « IDA-only », c’est-à-dire les pays habilités à recevoir des facilitations de crédits au guichet IDA (International Development Association) de la Banque mondiale. Il s’agit de quatre-vingt pays disposant d’un revenu particulièrement faible. 7 FIDES SERVICE - FIDESDIENST - AGENCE FIDES - AGENZIA FIDES - AGENCIA FIDES - FIDES SERVICE – FIDESDIENST L’International Finance Facility Pour mettre au point de nouvelles solutions concrètes destinées à financer le développement des pays pauvres, s’est tenu le 9 juillet dernier au Vatican un séminaire organisé par le Conseil Pontifical Justice et Paix, avec la participation du chancelier de l’Échiquier de Grande-Bretagne, Gordon Brown, ainsi que des représentants des Nations Unies, de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Partant des thèmes de la Conférence internationale des Nations Unies qui s’est tenue à Monterrey, au Mexique en mars 2002 (« Financing for Development »), l’initiative anglaise de l’ « International Finance Facility » (IFF) a été relancée : il s’agit d’un système destiné à collecter des fonds pour financer les 50 milliards de dollars par an qui manquent afin de réaliser les objectifs de développement du Millénaire d’ici 2015, grâce à l’émission d’obligations sur le marché international des capitaux. Résoudre les conflits oubliés Sur le succès de ces initiatives pèse la grande inconnue des conflits qui ensanglantent de nombreux pays du continent africain et qui restent l’une des principales causes du sousdéveloppement et des urgences humanitaires. La liste serait très longue, d’autant plus que beaucoup de ces conflits ont été volontairement « oubliés » par la communauté internationale. Soudan, Angola, République Démocratique du Congo, Rwanda et Burundi, Liberia, Sierra Leone sont quelques-uns des pays marqués par les conflits, les guerres civiles ou les révoltes qui mettent l’économie à genoux, provoquent des millions de réfugiés et de déplacés, créent des urgences sanitaires dramatiques et enrichissent ceux qui spéculent sur la déstabilisation, à commencer par les marchands d’armes. « La tragédie des guerres qui déchirent l’Afrique – écrit le Pape dans l’Exhortation apostolique post-synodale – a été décrite en des termes incisifs par les Pères du Synode : ‘L’Afrique est depuis plusieurs décennies le théâtre de guerres fratricides qui déciment les populations et détruisent leurs richesses naturelles et culturelles’ ». Ce phénomène douloureux, outre les causes extérieures à l’Afrique, a aussi des causes internes telles que « le tribalisme, le népotisme, le racisme, l’intolérance religieuse, la soif du pouvoir, renforcée par des régimes totalitaires qui bafouent impunément les droits et la dignité de l’homme. Les populations brimées et réduites au silence subissent en victimes innocentes et résignées toutes ces situations d’injustice. Je tiens à joindre ma voix à celle des membres de l’Assemblée synodale – poursuit le Pape – pour déplorer les situations de souffrance indicible provoquées par de nombreux conflits déclarés ou latents et pour demander à ceux qui en ont la possibilité de s’investir totalement pour mettre fin à de telles tragédies ». Le problème des conflits a été au centre des travaux du sommet annuel de l’Union Africaine (UA) qui s’est conclu à Addis-Abeba le 8 juillet dernier, et auquel ont participé 53 chefs d’État et de gouvernement du continent. Lors de cette rencontre, a été présentée la proposition de créer une force militaire d’intervention rapide entièrement africaine, capable d’agir chaque fois que la nécessité s’en présente ; une institution qui, avec le Conseil pour la paix et la sécurité créé en mai dernier (conçu sur le modèle du Conseil de sécurité de l’ONU) devrait représenter un outil suffisamment approprié et souple pour intervenir politiquement et physiquement en tuant les conflits dans l’œuf sur tout le continent. Un exemple de ce qui pourrait devenir cette force multilatérale africaine d’intervention est en cours d’expérimentation dans la région soudanaise du Darfour, où le sommet de l’UA a décidé de dépêcher une task-force chargée de protéger les observateurs civils. Cela pourrait 8 FIDES SERVICE - FIDESDIENST - AGENCE FIDES - AGENZIA FIDES - AGENCIA FIDES - FIDES SERVICE – FIDESDIENST être l’embryon d’un nouveau modèle pour affronter les « conflits oubliés » face à l’immobilisme et au désintérêt de la communauté internationale. DEUX CAS EN CONFRONTATION : LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO ET L’AFRIQUE DU SUD Métaphore des contradictions africaines, voici maintenant le cas de deux pays dont la situation sociale et politique est bien différente, mais qui ont en commun les mêmes immenses richesses en ressources naturelles. Il s’agit de la République Démocratique du Congo, ravagée par de nombreuses années de guerre civile et de l’Afrique du Sud, sortie du drame de l’apartheid et considérée aujourd’hui comme l’une des démocraties les plus solides du continent. La République Démocratique du Congo a une superficie qui est huit fois celle de l’Italie, et un nombre d’habitants assez proche de celui de notre péninsule : 50 millions. L’agriculture contribue au produit intérieur brut à hauteur de 56% (grâce notamment aux exportations de café), mais surtout, ce pays est une vraie « mine » de ressources naturelles : diamants, or, pétrole, uranium, cobalt, cuivre, zinc, étain, et le « stratégique » coltan, qui sert à optimaliser l’utilisation de l’énergie dans les téléphones portables et qui est indispensable dans la production des équipements spatiaux, airbags, avions, fibres optiques, consoles. Malgré toutes ces richesses, en République Démocratique du Congo l’espérance de vie est de 45 ans seulement, le taux de mortalité infantile est très élevé et la pauvreté de la population est dramatique. Cette situation est due en grande partie au fait que ce pays a été ravagé par deux conflits dans les dix dernières années, dont le premier, qui a éclaté en 1996, a été qualifié de « première guerre mondiale d’Afrique », parce qu’il a impliqué une demidouzaine de pays et provoqué de 3 à 5 millions de morts et plus 2 millions de réfugiés et déplacés. L’enjeu ces guerres qui ont duré près de dix ans était précisément ses ressources minières : le Zimbabwe a financé son intervention armée avec les contrats sur le bois et les diamants, tandis que dans les provinces de l’est, le coltan a suscité l’intervention militaire du Rwanda. Les Ougandais ont misé sur l’or et les diamants, outre l’exploitation de la riche forêt tropicale. Les immenses richesses naturelles de la République Démocratique du Congo semblent être sa malédiction depuis le XIXe siècle, où elles suscitèrent les appétits de Léopold II, roi de Belgique, qui fit exterminer plus de cinq millions de Congolais. L’État voisin du Congo-Brazzaville a connu destin analogue, puisque la guerre civile qui a ravagé le pays et ramené au pouvoir Denis Sassou Nguesso était liée au pétrole, dont le Congo-Brazzaville est le quatrième producteur d’Afrique. Le président Pascal Lissouba avait en effet négocié un accord cadre avec la société américaine Occidental petroleum (Oxy) pour 300 millions de dollars. Mais la française Elf, une société dominante aussi bien au CongoBrazzaville que dans l’État voisin du Gabon, s’est immédiatement activée pour éliminer Lissouba avec l’aide de l’Angola et des milices zoulous. Au terme d’un conflit qui a fait plus de 100.000 victimes, Sassu Nguesso, bien vu par les Français mais accusé de crimes contre l’humanité, est revenu au pouvoir. Encore une fois, les puissances néo-coloniales ont « ourdit les trames » des conflits qui se déroulent sur la scène africaine. Toute autre est la situation de l’Afrique du Sud, où se concentrent une grande partie des ressources minières du continent. C’est l’eldorado de l’Afrique, qui affiche 28% de l’ensemble du produit intérieur brut de tout le continent, plus que l’Égypte et le Nigeria mis ensemble. « L’Afrique du Sud est un pays riche. Ce sont des ouvriers noirs qui y ont construit 9 FIDES SERVICE - FIDESDIENST - AGENCE FIDES - AGENZIA FIDES - AGENCIA FIDES - FIDES SERVICE – FIDESDIENST les villes, les routes et les usines. Notre peuple a besoin de logements adéquats, et pas de ghettos comme Soweto. Les travailleurs ont droit à un salaire décent et doivent pouvoir participer aux décisions politiques qui concernent leur vie… La nouvelle Afrique du Sud doit éliminer la haine raciale et les soupçons suscités par l’apartheid, et offrir des garanties de paix, de sécurité et de prospérité à tous ses citoyens. Nous progressons. Notre marche vers la liberté et la justice est irréversible ». Ce sont là les paroles pleines d’espérance prononcées par Nelson Mandela, prix Nobel pour la paix, le 11 février 1990, lors de sa libération après 27 ans d’emprisonnement. Quinze ans plus tard, on a malheureusement l’impression que l’apartheid pour motifs raciaux a fait place à l’apartheid de la pauvreté. En se promenant dans les rues de Johannesburg et du Cap, on peut voir une succession de murs d’enceinte, fils de fer barbelés, gardes armés qui défendent les villas et les maisons fortifiées. Vols, échanges de tirs, assassinats sont à l’ordre du jour. Le chômage touche 40% de la population (sans compter les dizaines de milliers de réfugiés de la région des Grands Lacs, privés de toute assistance) et on y tue pour quelques petites monnaies. D’après Willem de Klerk, président de l’Afrique du Sud de 1989 à 1994 qui a reçu le prix Nobel pour la paix avec Nelson Mandela en 1993, « pour beaucoup, les choses n’ont guère changé : les blancs conservent de grandes maisons, les meilleurs emplois et 80% des terres cultivées. En Afrique du Sud, nous avons besoin de pourparlers, compromis et accords sur les réformes économiques et sociales, comme ceux qui ont été signés il y a dix ans en vue de la transition démocratique ». Dix ans après le « Freedom day » (27 avril 1994), malgré les réformes législatives, la population noire d’Afrique du Sud est toujours au bas de l’échelle sociale : sur les 5,3 millions de chômeurs (31,2% de la population), la plupart sont des noirs ; seuls 9% des jeunes noirs s’inscrivent à l’université et 85% d’entre eux abandonnent leurs études à la suite de problèmes économiques. La pauvreté en Afrique du Sud s’appelle aussi sida : sur 44 millions d’habitants, 5 millions sont contaminés par le virus VIH, et une grande partie d’entre eux sont des noirs. Cette situation sociale dramatique se reflète sur l’économie du pays : dans les premiers mois de 2003, l’économie n’a progressé que de 1,5% et le secteur privé à perdu 400.000 emplois en six ans. Même l’eldorado d’Afrique présente les contradictions de tout le continent africain. (I.I.) (Agence Fides 23/10/2004) 10