Prière à Jésus par Grégoire le Sinaïte

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LA PRIERE
DANS LA PHILOCALIE
 Évagre
le Pontique
 Hésykhios le Sinaïte
 Jean de Karpathos
 Marc l'ascète
 Théodore d'Édesse
 Maxime le Confesseur
 Thalassius le Libyen
 Théognostos
 Philothéos le Sinaïte
 Élie de Crète
 Pierre Damascène
 Macaire le Grand
 Syméon le Nouveau Théologien
 Nicétas Sthêthatos
 Théolepte de Philadelphie
 Grégoire le Sinaïte
 Calliste le Patriarche
 Grégoire [Palamas] de Thessalonique
Grégoire le Sinaïte
Saint Grégoire le Sinaïte naquit vers la fin du XIIIème siècle et mourut au
mont Paroria, près de la ville moderne de Burgas, en Bulgarie, le 27
novembre 1346. Ce fut un moine, un théologien, un mystique, et le plus
éminent
des
défenseurs
médiévaux
de
l'hésychasme.
Après s'être fait moine à Chypre, Grégoire rejoignit l'une des communautés
du mont Sinaï. Il parcourut longuement la Terre Sainte et pratiqua
l'hésychasme, dans la ligne tracée par saint Jean Climmaque et par saint
Syméon le Nouveau Théologien. Il s'établit ensuite au mont Athos et y
développa une forme modérée d'hésychasme qui fit de l'Athos l'une des
sources de l'influence hésychaste. Devant les incessantes attaques des Turcs
Ottomans, il s'enfuit vers la mer Noire et, vers 1325, il fonda, au mont
Paroria, un monastère dont l'influence rayonna sur les Balkans.
Sa doctrine hésychaste se trouve dans ses "Cent trente-sept chapitres ou
méditations spirituelles". Elle contribua à la diffusion de l'hésychasme en
Europe comme dans le monde byzantin. Cet hésychasme exprime le but
essentiel de la spiritualité grecque : combler l'immense fossé existant entre
l'existence humaine et la Divinité. Par la prière, l'hésychaste aspire à la plus
haute forme de la communion avec Dieu, sous la forme d'une vision de la
"Divine Lumière", cette "Énergie Incréée", semblable à celle de la
Transfiguration. Pour y parvenir, l'adepte doit passer par une phase d'intense
concentration, tout en contrôlant sa respiration et en répétant sans cesse la
"prière de Jésus". La justification théologique de la doctrine de saint
Grégoire le Sinaïte fut établie par son contemporain, saint Grégoire Palamas.
La Philocalie a retenu de lui, outre ses "Centre trente-sept chapitres"
plusieurs autres petits ouvrages d'une haute portée spirituelle.
Pardonnez-moi, mes Soeurs et mes Frères en Christ qui préférez de cortes
citations : je n'avais pas le droit de "censurer" saint Grégoire...
Citations des "Cent trente-sept chapitres".
99. Celui qui cherche l'hésykhia doit avoir pour fondement d'abord ces cinq
vertus sur lesquelles l'oeuvre s'édifie : le silence, la tempérance, la veille,
l'humilité et la patience; ensuite les trois oeuvres qui plaisent à Dieu : la
psalmodie, la prière, la lecture, et aussi le travail manuel si l'on est faible.
Car les vertus que nous venons de dire, non seulement contiennent toutes les
autres, mais elles s'unissent les unes aux autres. À la première heure, dès
l'aurore, se consacrer au souvenir de Dieu par la prière et l'hésykhia du
coeur, prier continuellement; à la deuxième heure, lire; à la troisième,
psalmodier; à la quatrième, prier; à la cinquième, lire; à la sixième,
psalmodier; à la septième, prier; à la huitième, lire; à la neuvième,
psalmodier; à la dixième, manger; à la onzième, dormir si c'est nécessaire; à
la douzième, psalmodier les vêpres. Bien passer ainsi le stade du jour plaît à
Dieu.
102. Il nous faut parler également de la nourriture. Une livre de pain suffit à
quiconque mène le combat pour l'hésykhia. Boire deux verres de vin pur et
trois d'eau, se nourrir des aliments qu'on a, non ceux que la nature recherche
en son désir, mais user sobrement de tout ce que donne la providence. C'est
une science excellente et concise pour ceux qui veulent mener
rigoureusement leur vie : observer les trois oeuvres qui contiennent les
vertus - je veux dire le jeûne, la veille et la prière - et qui assurent à tous le
soutien le plus solide.
111. Le commencement de la prière intellectuelle est l'énergie, c'est-à-dire la
puissance purificatrice de l'Esprit, et la célébration mystique de
l'intelligence. De même, le commencement de l'hésykhia est l'étude. Le
milieu est la puissance illuminante et la contemplation. Et la fin est l'extase,
le ravissement de l'intelligence auprès de Dieu.
113. La prière, chez les novices, est comme un feu de joie qui monte du
coeur Mais chez les parfaits, elle est comme une lumière active et odorante.
Ou encore, la prière est la prédication des apôtres, l'énergie de la foi, ou
plutôt la foi immédiate, le fondement de ce qu'on espère z, l'amour actif, le
mouvement angélique, la puissance des incorporels, leur oeuvre et leur
réjouissance, l'Évangile de Dieu, la plénitude du coeur, l'espérance du salut,
le signe de la pureté, le symbole de la sainteté, la connaissance de Dieu, la
manifestation du baptême, la purification du bain, les armes de l'Esprit Saint,
l'exultation de Jésus, la joie de l'âme, la pitié de Dieu, le signe de la
réconciliation, le sceau du Christ, le rayon du soleil spirituel, l'étoile
matinale des coeurs, la certitude du christianisme, le signe de l'absolution
divine, la grâce de Dieu, la sagesse de Dieu, ou plutôt le commencement de
la sagesse en soi, la manifestation de Dieu, l'oeuvre des moines, la vie de
ceux qui se consacrent à l'hésykhia, l'origine de l'hésykhia le témoignage de
la vie angélique. Que dire de plus ? Dieu qui accomplit tout en tous, est
prière. Car une est l'énergie du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qui accomplit
tout dans le Christ Jésus.
119. Non seulement la foi, mais aussi la prière active est une grâce. Car la
prière qui agit par l'amour dans l'Esprit montre la vraie foi, celle qui porte la
révélation de la vie de Jésus. Donc en celui qui ne l'éprouve pas agir en lui,
la foi est contraire, morte, sans vie.
Mais qu'on n'aille pas appeler vraiment fidèle celui qui ne croit qu'en parole,
et dont la foi n'est pas mise en couvre par les commandements ou par
l'Esprit. Il faut donc la montrer manifestée par les progrès dans les oeuvres
ou la porter rayonnante, accomplie dans la lumière par les oeuvres. Comme
dit l'Apôtre divin: "Montre-moi ta foi par tes oeuvres, et moi je te montrerai
mes oeuvres par ma foi", signifiant dès maintenant que par les oeuvres des
commandements est manifestée la foi de la grâce, de même que les
commandements sont accomplis et rayonnent par la foi vécue dans la grâce.
Car la racine des commandements est la foi, ou plutôt elle est la source qui
les arrose pour les faire croître, et se divise en deux, la confession et la
grâce, bien qu'elle soit indivisible de nature.
-Citation d'un autre chapitre.
1. Tous ceux qui ont été baptisés en Christ doivent passer par tous les stades
de la vie du Christ. Car ils ont reçu leur puissance. Et à travers les
commandements, ils peuvent les découvrir et les apprendre. La conception
est le gage de l'Esprit. La naissance est l'énergie de la joie. Le baptême est la
puissance purificatrice du feu de l'Esprit. La transfiguration est la
contemplation de la lumière divine. La crucifixion est la mort au monde.
L'ensevelissement est la garde de l'amour divin dans le coeur. La
résurrection est dans l'âme le réveil vivifiant. L'ascension est l'extase vers
Dieu et le ravissement de l'intelligence. Celui qui n'a ni découvert ni senti le
passage par ces stades est encore un enfant dans son corps et son esprit,
quand bien même il serait pour tous un homme comblé d'années et d'actions.
Ce n'est pas strictement un "chapitre sur la prière". Mais c'est si beau...
- Citations d'un traité sur l'hésykhia.
1. Il y a deux modes d'union, ou plutôt deux entrées menant de part et d'autre
à la prière de l'intelligence qui, par l'Esprit agit dans le coeur Par ces deux
modes, ou bien l'intelligence adhérant au Seigneur', selon l'Écriture, reçoit
d'abord la prière dans le coeur, ou bien l'énergie s'éveillant peu à peu dans le
feu de la joie, la prière attire l'intelligence et l'attache à invoquer le Seigneur
Jésus et à s'unir à lui.
Car si l'Esprit agit en chacun comme il veut, ainsi que dit l'Apôtre, il arrive
qu'en certains, une des formes dont nous venons de parler précède l'autre.
Tantôt l'énergie vient dans le coeur lorsque diminuent les passions et se
manifeste la chaleur divine, par l'invocation continuelle de Jésus-Christ, car
notre Dieu est un feu qui consume les passions, dit l'Écriture. Tantôt l'Esprit
attire l'intelligence à lui, l'enserrant dans la profondeur du choeur et
empêchant son mouvement habituel. L'intelligence alors n'est plus une
captive menée vers les Assyriens hors de Jérusalem, mais un changement
bien meilleur la ramène de Babylone en Sion, et elle peut dire, elle aussi,
avec le Prophète : "À Toi, Dieu, revient l'hymne en Sion, et à Toi est portée
la prière en Jérusalem." Et encore : "Quand le Seigneur fera revenir les
captifs de Sion." Et : "Jacob exultera et Israël se réjouira", c'est-à-dire
l'intelligence active et contemplative qui, par l'action, avec l'aide de Dieu,
vainc les passions, et par la contemplation voit Dieu lui-même, autant que
cela lui est possible. Alors l'intelligence, conviée à une table abondante et
réjouie dans les délices divines, chante : "Tu as préparé devant moi une
table, en face des démons et des passions qui me tourmentent."
2. Le matin, dit Salomon, sème ta semence, c'est-à-dire la prière, et que le
soir, ta main ne se relâche pas, afin de ne pas interrompre dans le temps la
continuité de la prière et de ne pas manquer le moment où elle sera exaucée.
Car tu ne sais pas, est-il dit, ce qui réussira, ceci ou cela.
Dès le matin, assis sur un petit banc, fais sortir de la raison l'intelligence,
enserre-la dans le coeur, et garde-la en lui. Péniblement courbé, une vive
douleur à la poitrine, aux épaules et à la nuque, dis avec persévérance dans
ton intelligence ou dans ton âme : "Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi."
Ensuite, à cause de la gêne et de la peine, et peut-être aussi de la continuité
pesante (non à cause de l'unique et continuelle nourriture du triple nom, car
"ceux qui mangent, est-il dit, auront encore faim"), porte l'intelligence sur
l'autre moitié, et dis : "Fils de Dieu, aie pitié de moi." Dis de nombreuses
fois cette moitié. Mais tu ne dois pas, par négligence, changer
continuellement. Les plantes qu'on repique trop souvent ne s'enracinent pas.
Retiens la remontée du souffle, afin de ne pas respirer facilement. Car le
mouvement des souffles qui monte du coeur obscurcit l'intelligence et agite
la pensée. Il la détourne ou même la livre captive à l'oubli, ou bien il la fait
s'occuper d'une chose après l'autre, et elle se retrouve insensiblement dans ce
qu'il ne faut pas.
Si tu vois les impuretés des esprits mauvais ou des pensées monter, ou
prendre forme dans ton intelligence, ne te trouble pas. Et si te viennent sur
les choses de bonnes pensées, n'y attache pas ton attention. Mais autant qu'il
est possible, retiens l'expiration, enferme l'intelligence dans le coeur, et
invoque continuellement, avec persévérance, le Seigneur Jésus. Tu les
brûleras et les repousseras rapidement, les flagellant invisiblement avec le
nom divin. Jean Climaque dit en effet: "Flagelle avec le nom de Jésus ceux
qui te combattent. Il n'est pas d'arme plus forte dans le ciel et sur la terre."
4. "Celui qui est las, dit Jean Climaque, se lèvera pour prier. Puis il se
rassiéra et reprendra courageusement son premier travail." Il parle de ce
que doit faire l'intelligence quand elle est parvenue à la garde du coeur. Mais
il va de soi qu'il parle aussi de la psalmodie. On dit que le grand Barsanuphe
fut un jour interrogé sur la psalmodie, sur la manière de psalmodier, et
l'ancien répondit : "Les Heures et les odes sont des traditions de l'Église, et il
est bon qu'elles nous aient été transmises pour la vie commune. Mais les
moines de Scété ne chantent pas les Heures et n'ont pas d'odes. Ils ont un
travail manuel, une méditation solitaire, et une prière intermittente. Quand tu
te lèves pour prier, dis le Trisagion et le Notre Père. Demande à Dieu de te
délivrer du vieil homme. Et ne t'attarde pas; car c'est tout le jour que ton
intelligence est en prière. L'ancien voulait montrer que la méditation
solitaire, c'est la prière du coeur, et que la prière intermittente, c'est la station
de la psalmodie. Le grand Jean Climaque dit aussi très clairement :
"L'oeuvre de l'hésykhia est l'absence de soucis en tout, puis la prière active
(c'est la station) et en troisième lieu, l'oeuvre indéfectible du coeur." Tel est
le siège de la prière, et donc de l'hésykhia.
5. Les uns enseignent à beaucoup psalmodier; d'autres, peu; d'autres, pas du
tout, mais seulement à prier, à se donner de la peine, à travailler de ses
mains, ou à se repentir, ou à faire quelque autre oeuvre difficile. Quelle est la
différence ?
La réponse est là: ceux qui, après beaucoup de peines et d'années, ont trouvé
la grâce par la vie active, enseignent à autrui comme ils ont appris, et ils ne
veulent pas admettre que d'autres puissent y atteindre en peu de temps par
l'étude, la miséricorde de Dieu et une foi ardente, comme dit saint Isaac.
Trompés par l'ignorance et la présomption, ils les blâment, et affirment
qu'agir autrement qu'eux est une illusion et non une énergie de la grâce. Ils
ne savent pas qu'aux yeux du Seigneur, selon l'Écriture, il est aisé de donner
soudain la richesse au pauvre, et que "le commencement de la sagesse, c'est
d'acquérir la sagesse", la grâce, dit le Proverbe. L'Apôtre reprend aussi ses
disciples qui ignorent la grâce, quand il dit : "Ne savez-vous pas que JésusChrist demeure en vous ? Ou seriez-vous réprouvés", c'est-à-dire incapables
de progresser à cause de votre négligence ? Dans leur incrédulité et leur
suffisance, ils n'admettent pas les oeuvres extraordinaires propres à la prière,
que l'Esprit accomplit singulièrement en certains.
6. Objection. Dis-moi : jeûner, s'abstenir, veiller, demeurer debout, faire des
métanies, pleurer, être pauvre, n'est-ce pas là une action ? Comment peux-tu
dire, en avançant uniquement la psalmodie, que sans vie active il est
impossible de tenir la prière ? Ces choses ne sont-elles pas des actions ?
Réponse. Si la bouche prie et si l'intelligence s'agite, où est l'avantage ?
"L'un édifie et l'autre détruit. On a peiné pour rien." Mais l'intelligence doit
travailler comme le corps. Sinon on serait juste de corps, mais le coeur serait
empli de toute acédie et de toute impureté. L'Apôtre le confirme : "Si je prie
en langue, c'est-à-dire avec la bouche, mon esprit est en prière, et c'est ma
voix, mais mon intelligence est stérile. Je prie avec la bouche. Je prierai
aussi avec l'intelligence." Et : "J'aime mieux dire cinq paroles"... etc.
Témoin Jean Climaque. Voici ce qu'il dit : "Le grand artisan de la grande
prière, de la prière parfaite, l'affirme : J'aime mieux dire cinq paroles avec
mon intelligence, etc."
Il y a beaucoup d'oeuvres, mais elles sont partielles. La grande oeuvre
englobante, la source des vertus, selon Jean Climaque, c'est la prière du
coeur, par laquelle se découvre tout bien. "Il n'y a rien de plus terrible, dit
saint Maxime, que la pensée de la mort, ni rien de plus grand que le
souvenir de Dieu." Il montre ici la transcendance de l'oeuvre. Mais plusieurs,
aveuglés par leur extrême insensibilité et leur ignorance, ont bien peu de foi
et ne veulent même pas entendre qu'il y ait une grâce dans le temps présent.
7. Je pense que ceux qui psalmodient peu font bien. Ils observent la juste
proportion - selon les sages, toute mesure est excellente -, ils n'épuisent pas
toute la puissance de la prière dans la vie active. Ainsi l'intelligence ne se
trouvant pas négligente à la prière, ne se relâche pas devant elle. Mais s'ils
ne psalmodient qu'en partie, ils se déploient le plus possible dans la prière. Il
y a pourtant des moments où, essoufflée par son appel continu et par la
constante concentration, l'intelligence peut prendre un peu de répit et quitter
le resserrement de l'hésykhia pour les étendues de la psalmodie. C'est là
l'ordre le meilleur et l'enseignement des hommes les plus sages.
8. Ceux qui ne psalmodient pas du tout font bien, s'ils sont assez avancés. Ils
n'ont pas besoin de psaumes, mais de silence, de prière continue et de
contemplation, s'il leur a été donné de recevoir la lumière. Ils sont unis à
Dieu et n'ont pas besoin de détacher de lui leur intelligence pour la jeter dans
la confusion. La volonté propre fait tomber l'obéissant, dit Jean Climaque. Et
l'interruption de la prière fait tomber l'hésychaste. Quand elle se sépare du
souvenir de Dieu comme de son époux, leur intelligence devient adultère.
Elle se prend d'amour pour les plus petites choses.
Il n'est pas toujours possible d'enseigner aux autres cet ordre de prière. Aux
simples et aux illettrés qui vivent dans l'obéissance, oui : car l'obéissance,
par l'humilité, participe à toute vertu. Mais à ceux qui n'obéissent pas, qu'ils
soient simples ou savants, on ne donnera pas, afin qu'ils ne soient pas portés
à l'égarement. Celui qui ne suit que lui-même, en effet, ne peut échapper à la
présomption, qui accompagne naturellement l'erreur, comme dit saint Isaac.
Certains, qui ne voient pas le danger des conséquences, n'enseignent que cet
ordre de prière à ceux qu'ils rencontrent, pour que leur intelligence, disentils, se fasse à l'usage et à l'amour du souvenir de Dieu. Mais cela est
inadmissible, surtout avec des moines indépendants. Car leur intelligence est
encore impure, à cause de la négligence et de la suffisance. Elle n'est pas
purifiée par les larmes, et reflète les images mauvaises des pensées plutôt
que la prière, quand les esprits impurs qui sont dans le coeur, troublés par le
nom terrible,, grondent et cherchent à détruire celui qui les flagelle. Si le
moine indépendant écoute, s'il reçoit l'enseignement touchant cette oeuvre et
veut la tenir, il tombera dans l'un de ces deux maux : ou bien il s'évertuera, il
se trompera et ne sera pas guéri. Ou bien il sera négligent, et ne fera aucun
progrès durant toute sa vie.
9. Je dirai moi-même, dans la mesure où je connais un peu la chose par
expérience : lorsque tu demeures dans l'hésykhia, le jour ou la nuit, priant
continuellement Dieu, sans pensées, humblement, et que l'intelligence est
épuisée d'appeler, que le corps est douloureux et que le coeur n'éprouve plus
ni chaleur ni joie, trop concentré par la fréquente invocation de Jésus, qui
donne la résolution et la patience à celui qui combat, alors lève-toi,
psalmodie, seul ou avec ton disciple, ou occupe-toi à méditer une parole, à te
souvenir de la mort, à travailler de tes mains ou avec les autres membres. Ou
bien applique-toi à la lecture, plutôt debout, pour que le corps soit à la peine.
Quand tu es debout à psalmodier seul, dis le Trisagion puis la prière du
Seigneur, avec ton âme ou en esprit, et l'intelligence attentive au coeur. Si
l'acédie te presse, dis encore deux ou trois psaumes et deux tropaires
pénitentiels, sans chanter. Ces tropaires ne se chantent pas, dit Jean
Climaque. La peine du coeur, vouée à la piété, leur suffit en effet pour
apporter la joie, comme dit saint Marc, et la chaleur de l'Esprit leur est
donnée, avec la grâce et la réjouissance. Pendant le psaume, dis aussi la
prière en esprit ou avec ton âme, sans distraction, et l'Alléluia. Tel est l'ordre
des saints Pères, de Barsanuphe, de Diadoque, et des autres. Comme dit le
divin Basile, il faut varier chaque jour les psaumes, pour stimuler la
résolution, et pour que l'intelligence ne soit pas lassée d'avoir à chanter
toujours les mêmes psaumes. Au contraire, il faut lui laisser la liberté, et elle
sera renforcée dans sa résolution. Mais si tu psalmodies en compagnie d'un
disciple fidèle, que ce soit lui qui dise les psaumes. Toi, secrètement attentif et
priant dans ton coeur, garde-toi. Avec l'aide de la prière, méprise toutes les
pensées qui montent du coeur, qu'elles viennent des sens ou de l'intelligence.
L'hésykhia est, en effet, le dépouillement momentané des pensées qui ne
viennent pas de l'Esprit, afin qu'en prêtant attention à ce qu'il y a de bon en
elles, tu ne perdes pas le meilleur disciple fidèle, que ce soit lui qui dise les
psaumes. Toi, secrètement attentif et priant dans ton coeur, garde-toi. Avec
l'aide de la prière, méprise toutes les pensées qui montent du coeur, qu'elles
viennent des sens ou de l'intelligence. L'hésykhia est, en effet, le dépouillement
momentané des pensées qui ne viennent pas de l'Esprit, afin qu'en prêtant
attention à ce qu'il y a de bon en elles, tu ne perdes pas le meilleur.
11. "Tu es un ouvrier, dit Jean Climaque. Ce que tu lis doit regarder l'action.
Cette oeuvre rend superflue toute autre lecture ." Ne cesse de lire des livres
sur l'hésykhia et la prière, tels l'Échelle, saint Isaac, les écrits de saint
Maxime, du Nouveau Théologien, de son disciple Stèthatos, d'Hésychius, de
Philothée le Sinaïte, et de tout ce qui, ailleurs, est du même ordre. Mais
laisse les autres écrits jusqu'à ce que vienne le temps, non qu'il faille les
rejeter, mais ils n'ont pas le même but. Ils portent l'intelligence vers ce qu'ils
cherchent, et ils la détournent de la prière.
Que ta lecture soit solitaire, dite d'une voix sans emphase, sans éloquence
recherchée, sans élégance de langage ou de modulation, sans sortir de toi de
manière passionnée et inconsciente, absent là où tu es, pour plaire à
quelques-uns, et sans être non plus insatiable, car toute mesure est
excellente. Lis sans rudesse, ni lenteur, ni négligence, mais modestement,
doucement, posément, de manière compréhensible et harmonieuse, avec ton
intelligence, ton âme et ta raison. L'intelligence en est confortée. Elle reçoit
en elle la force de prier intensément. Mais dans les conditions contraires dont
nous avons parlé, elle ne peut trouver qu'obscurité, relâchement et trouble. La
raison finit par donner mal à la tête, et elle est épuisée pour la prière.
12. Sois attentif à examiner précisément à toute heure où te porte ta
résolution, si elle mène selon Dieu à ce bien qu'est l'hésykhia pour l'avantage
de l'âme, ou à la psalmodie, ou à la lecture, ou à la prière, ou à l'oeuvre des
vertus semblables, afin de n'être pas dévasté sans le savoir si tu te trouvais
n'être ouvrier que pour la forme, et voulais, dans ton mode de vie et tes
pensées, plaire aux hommes, et non à Dieu.
Car les pièges du malin sont nombreux. Au plus profond du secret, ignoré de
la plupart, il voit le penchant de la résolution, et ne cesse de vouloir dévaster
l'oeuvre sans qu'on le sache, afin que ce qui se fait ne se fasse pas selon
Dieu. Quand bien même mènerait-il contre toi un combat inflexible et
surviendrait-il effrontément, toi, sûr de ta résolution devant Dieu, ne te laisse
absolument pas dévaster, même si l'impulsion de ta volonté, forcée par le
malin, te pousse à t'égarer malgré toi dans la rêverie. Il se peut, et la maladie
aidant, qu'on soit vaincu sans le vouloir. Mais on est vite pardonné et
encouragé par Celui qui connaît les résolutions et les coeurs.
Cette passion, je veux dire la vaine gloire, ne laisse pas le moine avancer
dans la vertu, mais il reste avec ses peines, et il atteint la vieillesse sans
porter de fruits. Elle peut toujours toucher les trois - le novice, le moyen et le
parfait - et les dépouiller de l'oeuvre des vertus.
13. Je dis, pour l'avoir appris, que le moine ne pourra jamais progresser sans
ces vertus : le jeûne, la tempérance, la veille, la patience, le courage,
l'hésykhia, la prière, le silence, le deuil, l'humilité. Car elles s'engendrent et
se gardent les unes les autres. Le désir consumé par le jeûne continuel
enfante la tempérance. La tempérance, la veille. La veille, la patience. La
patience, le courage. Le courage, l'hésykhia. L'hésykhia, la prière. La prière,
le silence. Le silence, le deuil. Le deuil, l'humilité. Réciproquement,
l'humilité enfante le deuil. Et revenant en sens inverse, tu découvriras
comment les filles, à leur tour, enfantent les mères. Entre les vertus, aucune
n'est plus grande que cet enfantement réciproque. Car tous voient alors très
clairement leurs contraires.
Citations de "Comment l'hésychaste doit être assis en prière et ne pas se
hâter de se relever".
Tantôt, la plupart du temps - car c'est pénible -, sois assis sur un banc.
Tantôt, rarement, pour un moment et pour te détendre, allonge-toi sur ta
couche. Tu dois demeurer assis avec patience, à cause de celui qui a dit :
"Persévérez dans la prière", et ne pas te hâter de te relever par négligence,
quand l'appel spirituel de l'intelligence et la longue immobilité te font
souffrir. "Voici, dit le prophète, que m'ont pris les douleurs, comme celle qui
enfante." Mais courbé vers le bas, rassemblant l'intelligence dans le coeur s'il
s'ouvre, appelle à l'aide le Seigneur Jésus. Tu auras mal aux épaules, et
souvent ta tête sera douloureuse. Mais persévère dans la peine et l'amour,
cherchant dans le coeur le Seigneur. Car le Royaume des cieux est aux
violents et les violents s'en emparent. Le Seigneur a montré en vérité
comment nous devions nous donner de telles peines. La patience et la
persévérance en tout enfantent les peines du corps et de l'âme.
Parmi les Pères, les uns demandent de dire toute la prière - "Seigneur JésusChrist, Fils de Dieu, aie pitié de moi" - et les autres, d'en dire la moitié "Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi" -, ce qui est plus facile pour la
faiblesse de l'intelligence. Car nul, seul et de lui-même, ne peut dire dans le
mystère "Seigneur Jésus", purement et parfaitement, sinon par l'Esprit Saint.
Comme l'enfant qui balbutie encore, il est incapable de l'articuler
pleinement. Il ne faut pas alterner souvent les invocations, par négligence,
mais ne le faire que rarement, pour la persévérance.
De même, les uns enseignent à dire la prière avec la bouche, d'autres avec
l'intelligence. Je pense qu'il faut faire les deux. En effet, tantôt l'intelligence
et tantôt la bouche sont prises d'acédie et ne peuvent parler. On doit donc
prier avec les deux, la bouche et l'intelligence. Mais on doit appeler
également calmement et sans trouble, pour que la voix ne vienne pas
brouiller et entraver la perception et l'attention de l'intelligence, jusqu'à ce
que celle-ci, dressée à l'oeuvre, ait progressé et reçu de l'Esprit le pouvoir de
prier totalement et intensément. Alors il n'est pas besoin de parler avec la
bouche. Car on ne le peut même plus. L'intelligence suffit à faire l'oeuvre
tout entière.
Aucun novice ne chasse jamais une pensée que Dieu ne chasse d'abord. Il
appartient aux forts de combattre et de chasser les pensées. Encore ceux-ci
ne les chassent-ils pas d'eux-mêmes. C'est avec Dieu, et revêtus de son
armure, qu'ils mènent le combat contre elles. Quand viennent les pensées,
appelle le Seigneur Jésus, souvent, avec persévérance, et elles s'enfuiront.
Car elles ne supportent pas la chaleur qui de la prière monte dans le coeur, et
elles fuient, comme brûlées par le feu. "Par le nom de Jésus, dit Jean
Climaque, fustige ceux qui te combattent." Car notre Dieu est un feu qui
consume la perversité. Le Seigneur vient vite à l'aide, et rend aussitôt justice
à ceux qui, de toute leur âme, l'appellent jour et nuit.
Mais celui qui n'a pas l'énergie de la prière peut renverser les pensées d'une
autre manière, en imitant Moïse. S'il demeure debout, les mains et les yeux
tournés vers le ciel, Dieu fait fuir les pensées. Puis il s'assied à nouveau, et
se met à la prière avec persévérance. C'est ce que doit faire celui qui n'a pas
encore acquis la force de la prière. Et même celui qui a l'énergie de la prière,
toutes les fois où il affronte les passions du corps, je veux dire l'acédie et la
prostitution, les plus dures et les plus lourdes des passions, doit aussi tendre
les mains pour appeler à l'aide contre elles. Mais pour ne pas tomber dans
l'illusion, il ne doit pas faire cela longtemps, et il s'assied à nouveau de peur
que l'ennemi ne vienne par l'imagination tromper d'en-haut son intelligence,
en lui montrant une prétendue forme de vérité. Car avoir l'intelligence
infaillible en-haut et en-bas, dans le coeur et en tous lieux, et la garder sauve,
n'appartient qu'aux purs et aux parfaits.
"Durant la nuit, dit Jean Climaque, donne beaucoup de ton temps à la
prière, mais peu à la psalmodie." C'est ce que tu dois faire. Quand, là où tu
es assis, tu vois la prière agir et ne pas cesser d'être en mouvement dans le
coeur, ne va pas la laisser et te relever pour psalmodier un moment, si d'ellemême elle ne t'abandonne pas. Délaissant Dieu au-dedans de toi, tu te lèves
pour parler à l'extérieur, tu te détournes de ce qui est élevé vers ce qui est
bas, et tu crées une confusion. Tu troubles l'intelligence hors de son calme.
Car l'hésychaste garde aussi l'action, dès lors qu'il la maintient dans la paix
et la sérénité, comme son nom l'indique. Dieu est paix, au-delà de la
confusion et du bruit. Notre louange, comme notre manière de vivre, doit
être angélique, et non charnelle. Psalmodier en appelant de toutes nos voix
n'est jamais qu'un symbole de l'appel de l'intelligence. La psalmodie nous est
donnée à cause de notre négligence et de notre rusticité, pour nous ramener
vers ce qui est vrai. Ceux qui ne connaissent pas la prière qui est, selon Jean
Climaque, la source des vertus arrosant les plantes, c'est-à-dire les
puissances de l'âme, doivent psalmodier beaucoup, sans mesure, toujours
avec une grande diversité, et ne jamais cesser, jusqu'à ce que cette longue
action pénible les ait menés à la contemplation et qu'ils puissent découvrir la
prière intellectuelle active au-dedans d'eux. Car autre est l'acte de l'hésykhia,
autre celui de la vie commune. Chacun, s'il persévère sur la voie où il a été
appelé, sera sauvé. Aussi, quand je te vois revenir au milieu d'eux, j'ai bien
peur de n'écrire que pour les faibles
Tous ceux qui essaient de vivre la prière à partir de ce qu'ils ont entendu ou
appris ne peuvent que se perdre, s'ils n'ont personne pour les guider. Celui
qui a goûté la grâce doit, selon les Pères, psalmodier avec mesure et se
consacrer surtout à la prière. Mais aux heures de nonchalance, il doit
psalmodier ou lire les actes des Pères. Le navire n'a pas besoin de rames
lorsque le vent tend la voile et que le souffle lui apporte une brise favorable
pour voguer à la surface de la mer saumâtre des passions. Mais quand il est
arrêté, il est tiré par les rames ou par la barque. Si certains, qui aiment la
dispute, avancent que les saints Pères, ou d'autres aujourd'hui, debout toute
la nuit et psalmodiaient continuellement, nous leur répondrons avec
l'Écriture que tout n'est pas parfait en tous, que l'ardeur et la force peuvent
manquer, et que ce qui est petit n'est pas nécessairement petit pour les
grands, ni ce qui est grand n'est pas nécessairement parfait pour les petits.
Il y a trois vertus de l'hésykhia, qu'il faut garder strictement, en examinant à
toute heure si nous vivons toujours en elles et si, trompés par l'oubli, nous ne
marchons pas en dehors. Ce sont la tempérance, le silence, et le blâme de
soi-même, c'est-à-dire l'humilité. Elles se contiennent et se gardent les unes
les autres. D'elles la prière naît et croît continuellement.
Le commencement de la grâce dans la prière n'apparaît pas en tous de la
même manière. Et le partage de l'Esprit, dit l'Apôtre, se révèle et se connaît
sous bien des formes, selon sa volonté. Il se manifeste en nous comme à Élie
le Thesbite. Chez certains, un esprit de crainte, fendant les montagnes des
passions et brisant les rochers, les coeurs durs, vient clouer la chair de
frayeur et la rendre morte. Chez d'autres, un tremblement, ou une exultation
toute immatérielle et essentielle, car ce qui n'a ni être ni substance n'existe
pas (et c'est ce que les Père appellent plus clairement un bondissement)
ébranle le coeur. Chez d'autres enfin, surtout en ceux qui ont progressé dans
la prière, Dieu suscite une brise légère et paisible de lumière, le Christ
demeurant dans le coeur, selon l'Apôtre, et se révélant mystiquement en
esprit. C'est pourquoi Dieu disait à Élie sur le mont Horeb que le Seigneur
n'était ni ici ni là, dans les actions partielles des novices, mais il disait que le
Seigneur était dans la brise légère de lumière, et il montrait la perfection de
la prière.
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