Mikaël Glorieux Académie européenne de Théorie du droit

Mikaël Glorieux ACADÉMIE EUROPÉENNE DE THÉORIE DU DROIT
Etudiant Année académique 2003 2004
1er septembre 2004
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Professeur : C. EBERHARD
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Ce devoir pour le cours d’Anthropologie du Droit constitue une occasion intéressante de prendre comme toile de
fond la question de savoir s’il est pertinent de parler ou de prétendre à l’existence d’une « compétence
universelle » dans le chef d’un pays. En 2002, j’avais eu l’occasion d’approcher, dans le cadre de mon cursus
universitaire du DEC d’éthique économique et sociale (UCL), la loi belge dite de « compétence universelle » à
laquelle la revue Politique consacrait un dossier en raison de la polémique suscitée à l’époque
1
. A cette occasion,
j’exprimais un sentiment favorable à une telle compétence, valorisant ce qui m’apparaissait alors comme
d’inestimables traits d’humanité, au-delà des problèmes d’applicabilité ou d’opportunité de la procédure pénale
et, je l’avoue, dans l’ignorance des recherches menées à partir de l’Anthropologie du Droit. Tout entier dans mon
point de vue, j’avais alors retenu comme titre de cet essai : La loi de compétence universelle : un délit
d’humanité, en réponse à un auteur se demandant si la Belgique ne se rendait pas tout simplement coupable
d’« un délit d’immodestie ? »
2
, ouvrant ma réflexion sur l’idée que « toute initiative, même partielle, même
imparfaite, pour réduire les souffrances du monde sera toujours préférable au cynisme de ceux qui les infligent
ou les provoquent et à l’indifférence des autres »
3
. En ces temps de souvenirs et de commémoration du génocide
rwandais (1994-2004), et dans le temps forcément long de mise en place d’une justice -bas et ici ou de
justices qui se veut réparatrice d’harmonie ou sanctionnante (ou un mixe des deux), mon interrogation de
départ se voit relancée et ma réflexion remise sur l’ouvrage : poursuivre et tenter d’approfondir et, ce qui est
important, d’élargir un tant soit peu mes propos en prenant comme fil rouge et, je l’avoue, comme prétexte à une
analyse plus charpentée, la question du lien entre altérité et complexité dans les approches anthropologiques du
phénomène juridique et la manière dont le diatopisme et le dialogisme, sous-tendus par une vision pluraliste du
Droit, vont pouvoir ou non enrichir ma propre réflexion sur le Droit. En cela, j’espère répondre aux exigences de
la démarche d’Anthropologie juridique enseignée au cours.
1
Voyez P. VIELLE et A. SCHAUS (sous la direction de), « La Belgique, justicier du monde ? La loi de
« compétence universelle » sur la sellette », Politique, n°23, février 2002, p. 8-39. Il s’agit de la Loi du 16 juin
1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, modifiée par la loi du 10
février 1999, M.B., 23 mars 1999, modifiée par la loi du 23 avril 2003, M.B., 05 juillet 2003. Cette dernière
modification a considérablement diminué son champ d’application. Au point que certains la considèrent comme
ayant disparu.
2
Voyez l’entretien accordé par B. De Jemeppe, alors Procureur du Roi de Bruxelles, in Politique, n°23, février
2002, p. 11 et 13.
3
C. DEMAN, « L’impunité est-elle soluble dans le droit international », in Politique, n°23, février 2002, p.31.
Ce devoir d’Anthropologie du Droit est envisagé comme prétexte à la poursuite de l’étude d’une problématique
qui a éveillé mon intérêt il y a quelques temps déjà. L’hypothèse de travail présente en arrière-plan de ces pages
peut se résumer de la façon suivante. La Belgique a adopen 1993 une loi dite de « compétence universelle »,
modifiée en 1999, relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire pour les
besoins de la cause, on ne tient pas compte ici de la modification législative de 2003, par ailleurs signalée,
fortement restrictive quant au champ d’application de ladite loi. Sans aller plus loin, on peut dire que cette
législation, le Royaume de Belgique devait l’adopter en raison de ses engagements internationaux dont les
Conventions de Genève de 1949 en sont la plus claire illustration. Sans doute, la Belgique a-t-elle conduit
l’exercice plus loin, au delà de ce à quoi d’autres Etats-parties s’étaient arrêtés, en permettant aux tribunaux
belges de connaître des crimes de génocide et contre l’humanité indépendamment du lieu de la commission de
ces infractions, c’est-à-dire en l’absence de tout lien de rattachement avec la Belgique. Disons d’emblée que je
m’attacherai davantage, sinon complètement, à l’esprit initial qui présidait à l’adoption d’une telle loi par la
Belgique en 1993 ou du moins celui qui ressort de ma lecture de l’article que lui consacre, dans la revue déjà
citée, le professeur David, considéré sauf erreur de ma part comme un des pères spirituels de cette loi plutôt
qu’à la lettre du texte actuel lui coupant singulièrement les ailes. Deux raisons commandent ce choix. D’une part,
et de manière fort simple, nombreux sont ceux qui parmi ses défenseurs considèrent aujourd’hui comme perdu et
enterré le rôle de pionnier dont s’était vêtu la Belgique en adoptant une telle « compétence universelle ». En
effet, la dernière modification législative intervenue en juillet 2003 a eu pour effet de diminuer considérablement
son champ d’application. Notre pays rentrant en quelque sorte dans le rang, faut-il s lors lui consacrer un
article sur base de cette ultime modification (à valeur d’abrogation dans sa portée) quand, d’autre part, la
démarche d’Anthropologie du Droit telle qu’elle nous a été présentée me semble pouvoir soit informer
adéquatement une prétention de « compétence universelle », pour le dire d’une manière, en la situant au cœur
d’un dialogue interculturel, cadre révélateur à mon sens de sa pertinence, soit, au contraire, la convaincre au
mieux d’impertinence paternaliste, au pire d’impérialisme, voire d’une énième tentative néocolonialiste de la
part de l’Occident, sournoisement déguisée sous les traits de la compassion ? A titre d’illustration, on se souvient
du commentaire tenu par le professeur Verhoeven lorsqu’il affirmait qu’au moment de voter cette loi les
« parlementaires n’imaginaient sans doute pas qu’ils écrivaient un nouveau chapitre de la prétention occidentale
à dominer le monde »
4
. Très modestement, et dans l’espoir de ne pas être rendue caduque par défaut d’objet, ma
recherche s’appuiera sur la fiction bienvenue d’une loi non modifiée.
4
J. VERHOEVEN, « Prétentieuse et bricolée », Politique, n°23, février 2002, p. 18.
Ce qui m’intéresse ici, c’est justement de mieux approcher et de voir dans quelle mesure on peut considérer
comme valide une telle prétention une compétence « universelle » qui soit en accord, ou du moins qui ne
heurte pas frontalement, la démarche d’Anthropologie du Droit proposée au cours. En parallèle, il sera
intéressant de questionner les expériences de la justice rendue sur le l’herbe (juridictions gacaca), savant
mélange de modernité et de traditions qui cherche à concilier, dans la recherche d’une harmonie évanouie dans
les horreurs du génocide, la coutume du temps d’avant - mais toujours vivante - et les institutions dites
classiques d’une justice dite moderne. Face à nous, et sur fond de tragédie humaine, deux pays, deux visions du
monde ayant chacun un système de justice, deux volontés de faire œuvre utile en quête, on l’espère, d’un
dialogue vrai aussi nourrissant que réparateur. Ce questionnement se fera bien entendu depuis ma fenêtre
lointaine de la Belgique. On en prend note. Qu’importe finalement, pourvu que, renonçant à être en trompe-l’œil,
elle soit grande (déc)ouverte vers l’extérieur et l’autre dans sa richesse et sa complexité.
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Comme annoncé, on demande aux deux questions posées de nous servir de guide pour ce qui ne pourra que
constituer une première tentative de réponse, à tout le moins une ébauche. Dans un premier temps, on tente de
répondre aux questions posées à partir du matériel théorique dont on dispose avant de voir, dans un second
temps, quels sont les points d’attache pertinents avec notre fil rouge.
1. Comment comprenez-vous le lien entre altérité et complexité dans les approches anthropologiques du
phénomène juridique
5
?
Pour approcher le lien entre altérité et complexité dans les approches anthropologiques du phénomène juridique,
il me semble intéressant d’adopter en premier lieu une approche segmentée de la notion d’altérité. En effet, le
lien que je considère entre les deux notions se comprend plutôt comme un changement de la réalité que l’on
entend désigner par le concept d’altérité. Il ouvre un passage. L’altérité peut rendre compte de la diversité
humaine qui nous entoure dont notre culture juridique européenne rend(ait) compte en adoptant une logique
binaire sous la forme d’appartenance - non appartenance du type national/étranger, privé/public, etc. Mais à
peine posée, cette façon de penser l’altéripose, selon moi, problème : elle place l’individu ou le groupe humain
qui me fait face dans la boîte exiguë d’une appartenance uniforme. Au contraire, on peut se demander
aujourd’hui dans quelle mesure l’altérité n’est pas à décliner au pluriel, qualifiant au passage le continuum de
nos appartenances comme autant de racines de notre présence au monde.
A mon sens, l’altérité peut supposer une double approche qui, sans échapper à un ancrage culturellement fini,
relève davantage de deux modes de pensée antagonistes. Une première façon d’entendre l’altérité serait de
considérer l’autre dans une perspective évolutionniste, qui nécessairement sera hiérarchique. Tous les individus
de l’espèce humaine participent d’un même moule qui doit les orienter nécessairement dans une même direction.
A mêmes causes, mêmes effets. L’observateur, se considérant mieux placé, se situe « au-dessus » du groupe
étudié. Cette position lui permet de comprendre son propre passé, d’expliquer leur présent et de prédire ce que
5
Voyez l’article de C. EBERHARD, « Prérequis épistémologiques pour une approche interculturelle du Droit.
Le défi de l’altérité » ( www.dhdi.org ).
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