Plan du cours Introduction – Petite poétique de l'infra-ordinaire On ne le voit pas, on n'y pense pas et pourtant, ça communique! Éléments d'énonciation éditoriale Qui communique et qui a le pouvoir dans la parole? Formes instituantes dans la presse quotidienne A travers quoi communique-t-on? Quel est le poids de la forme dans la communication? L'exemple Ouest France, « cordon bleu » des quotidiens régionaux L'image du texte dans la publicité La typographie comme maîtresse servante Pour avoir accès au sens, la typographie disparaît à nos yeux. Un média doit donc pour bien fonctionner s'effacer devant ce qu'il donne à voir. « Je suis des yeux des lignes sur le papier, à partir du moment où je suis pris par ce qu'elles signifient, je ne les vois plus . […] L'expression s'efface devant l'exprimé, et c'est pourquoi son rôle médiateur peut passer inaperçu » Gaston Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception. Technologies intellectuelles: outils, mémoire et médias Mallarmé évoque, en parlant de la poésie, la notion de « technologie intellectuelle ». Les médias informatisés comme dispositifs d'écriture Ils sont institués par l'écriture; ce ne sont pas des images et du son: on y a accès par un clavier, dispositif écriture et par un écran, dispositif de lecture. Un logiciel est même constitué par une structure langagière. Quelques principes préalables sur les dispositifs d'information et de communication La matérialité Sans sa matérialité, le texte n'existe pas. Internet est un leurre: si je coupe l'électricité, il n'y a plus de texte; on a accès au texte à l'aide d'un écran. La polyphonie énonciative – effet choral La dimension infra-ordinaire Les trois quarts des processus de communication sont tellement intégrés qu'on n'y pense pas. Il faut comprendre les cadres de la communication pour trouver sa place en tant que « manipulé » et « manipulateur » et s'affranchir de ces places afin d'être libre. Il faut être capable d'analyser les prémisses à partir desquelles on communique. Histoire des dispositifs de la communication 1 Introduction: Petite poétique de l'infra-ordinaire L'expression « infra-ordinaire » est un emprunt à Georges Perec, qui avait écrit Approche de quoi. L'éditeur l'avait alors renommé par « infra-ordinaire », terme jugé meilleur pour un titre et qui apparaissait dans la préface. « Il faut qu'il y ait derrière l'événement, un scandale, une figure, un danger. […] Comment interroger, décrire [l'habituel]? […] Nous dormons notre vie d'un quotidien sans rêves. […] Comment parler de ces choses communes, les traquer, les débusquer, [...] leur donner un sens, une langue, qu'elles parlent enfin de ce qu'il est, de ce que nous sommes? […] Qu'y a-t-il sous votre papier peint? [et d'autres, ces questions sont triviales mais essentielles! Pour recréer l'événement, interroger ce qui va de soi]» Georges Perec, Infra-ordinaire. Accélération des processus de communication qui font que les nouvelles générations oublient ce qu'il s'est passé il y a quelques années. Mémoire courte. Le mot « bonjour » rentre dans les probabilités sociales, mais ce qui est moins attendu, c'est qu'on y prête attention, qu'on l'interroge, qu'on le salue, « qu'on lui dise 'tiens toi, salut!' » (Georges Perec). Omniprésence de l'infra-ordinaire Combien de fois dit-on « bonjour » par jour? L'oubli du mot est donc paradoxal puisqu'il est omniprésent et banal. Finalement pour que ce mot existe, il faut qu'il disparaisse. Apparaît alors un paradoxe: disparaître pour exister, paradoxe essentiel de la communication quotidienne et des médias. Cela amène à se poser de nombreuses questions. Dans Bilbo le Hobbit, J.R.R Tolkien s'interroge sur les objets du quotidien qui permet et engage la communication dont nous ne faisons pas attention à travers le dialogue initial entre Bilbo et Gandalf. « Nous entendons caractériser ainsi, comme obstacles de la pensée scientifique, des habitudes toutes verbales » Gaston Bachelard, La formation de l'esprit scientifique, 1938. Bachelard qualifie les mots d'obstacles. Les mots n'ont pourtant pas vocation à être des obstacles mais plutôt à dévoiler, dans notre culture. Nous avons l'habitude de considérer les mots comme des outils. « La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. » Quand on rend compte du monde, le vocabulaire utilisé va, en partie mais fatalement, caché autre chose. En effet, choisir un mot, un terme n'est pas anodin. Ce choix va être déterminant dans la définition et l'appréhension et la compréhension de l'objet. Par exemple, le système nazi s'est d'abord construit avec l'épuration du langage; la langue nazie avait réduit l'allemand à un certain nombre de mots. C'est l'idée développée et étudiée par Victor Klemperer dans LTI, la langue du IIIème Reich. « L'opinion pense mal; elle ne pense pas: elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion, il faut d'abord la détruire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur les questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes.[...] Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit. » Gaston Bachelard, La formation de l'esprit scientifique. Histoire des dispositifs de la communication 2 Le langage est construit: pas seulement la linguistique mais aussi le langage corporel, le rapport au corps et le regard. Il y a des différences sur la manière de dire « bonjour » entre les pays du Nord (Angleterre, par exemple) et les pays du Sud (le Mexique, par exemple), elles sont culturelles: la manière dont on salue est totalement intégrée à notre conscience infra-ordinaire. « Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la science, c'est spirituellement rajeunir.» Gaston Bachelard, La formation de l'esprit scientifique. Pour comprendre le mot « bonjour », ce à quoi il correspond, son intérêt, ses enjeux, il y a la nécessité de sortir de l'opinion que je porte dessus. Notre langage est chargé d'histoire, de culture et nous sommes foncièrement marqués par cela, chacun en est porteur. « Il n'y a pas de lecture objective, il ne peut y avoir que de lecture subjective et du coup, la seule solution qu'on puisse avoir est de donner à l'autre à lire son propre système de lecture. » Roland Barthes, Sur Racine. Exemple des glyphes Mayas: Il s'agit d'une écriture-peinture de dimension iconique. Il existe trois sortes d'écritures: l'écriture alphabétique, l'écriture consonantique et l'écriture peinture; ces trois écritures offrent aux hommes des visions radicalement différentes. Pour décrypter cette écriture, il a donc fallu faire une immersion dans la culture maya. Il s'agit d'une écriture-peinture de la nuit, c'est-à-dire d'une écriture obscure, « ak'ab ts'ib ». « Écrire dans la conception maya, [...] c'est masquer le réel » Michel Boccara. Dans la culture occidentale, écrire est une manière de lutter contre les mots-obstacles. Les mayas ne vont pas lutter contre ça, c'est le lecteur (le chamane, pas n'importe quel lecteur!) qui va interpréter le texte en faisant passer de l'eau de vie dessus, le livre se retrouve alors « re-vitaliser ». (Les Egyptiens avaient des pratiques analogues, mais nous aussi... .) Le chamane va interpréter le texte, il ne sera pas dans un rapport dénotatif du texte, l'interprète est fondamental: l'écriture maya est polysémique. Dans la philosophie maya, celui qui avait la chance de pouvoir écrire et lire (le scribe puis chamane, ceux, en somme, qui appartiennent à la caste des prêtres et des dirigeants), a la possibilité de se trouver en échange direct avec la mort. Les enjeux fondamentaux de l'écriture ne sont alors pas les mêmes que les nôtres. Pour la comprendre, il faut avant tout sortir de notre propre mode de pensée. Histoire des dispositifs de la communication 3 Éléments d'énonciation éditoriale La miniature est un des gîtes de la grandeur. Gaston Bachelard. La théorie de « l'énonciation éditoriale » repose sur trois piliers: les propriétés qui donnent à voir le texte - « l'image du texte » L'image du texte permet concrètement à l'écriture d'exister aux yeux du lecteur. les propriétés qui cachent le texte - « l'infra-ordinaire » les propriétés énonciatives du texte, le fameux « qui parle? » - constat d'une « polyphonie énonciative » Il n'y a pas de communication entre les hommes qui soit en dehors de processus que l'on peut appréhender matériellement: c'est un principe de la théorie de l'énonciation éditoriale. Cette théorie est donc matérialiste. Les Sumériens ont élaboré des supports plus grands pour écrire qu'un simple rectangle tenant dans la main, ils ont également joué sur les formes et ont créé des espaces coniques, quadrangulaires: en fonction de la forme du support, le type de texte était différent. La forme même du support renseignait sur le document auquel on avait accès. Autre exemple: la contraction du langage est née du support téléphonique. Le support est un facteur déterminant du contenu. Les faits sont têtus: sans support et sans matière, sans « dessins », il n'est pas plus de texte que d'écriture – fut-elle la trace fugitive de la lumière irisant l'écran. Emmanuel Souchier, Cahier de Méthodologie, « L'image du texte ». Nous n'avons, d'ailleurs, même pas de pensée sans écriture dans notre société. De cette idée, découle la notion d'intertextualité puisqu'il existe une histoire de la pensée, donc il y a entrecroisement des textes. L'intertextualité est l'idée qu'un texte n'est pas le fruit d'un seul auteur. « Nous ne faisons que nous entre-gloser » Michel de Montaigne : nous empruntons aux autres ce que nous croyons être. Tous les textes sont traversés par l'histoire, la culture, des références communes. → Peut-on alors faire abstraction de cette image du texte? La langue est réflexive: avec la langue, on peut dire le monde, enfin en partie. Néanmoins elle exclue l'ensemble des autres sens de l'être humain. Un peintre ne peint pas avec des mots: il donne à voir un univers sensible que la langue ne donne pas à voir. C'est la dimension matérielle visuelle graphique qui me donne un certain nombre d'informations. Nos sens sont actifs à des niveaux de langage qui sont distincts de la seule langue. Les langages ne sont pas réductibles à la seule langue. La dimension visuelle d'un texte, son image fait partei du contenu du texte, de ce qu'il veut dire, de son langage, même s'il n'utilise pas la langue. Dans tous les processus d'écriture, l'homme écrit noir sur blanc. « L'homme poursuit noir sur blanc » Stéphane Mallarmé, Crise de vers. Le texte ainsi considéré présente une résistance physique, matérielle, une présence sociale et idéologique qui s'expriment à travers l'histoire et la culture. Emmanuel Souchier, Cahiers de méthodologie, « L'image du texte. Pour une théorie de l'énonciation éditoriale ». Histoire des dispositifs de la communication 4 Un texte n'est pas transparent. D'ailleurs, il faut se méfier de la notion de « transparence », car dès que le mot est utilisé, c'est qu'on souhaite nous cacher quelque chose. La transparence, en communication, est un leurre absolu. On doit d'autant plus, ne pas faire abstraction de l'image du texte que le texte est épais, il est opaque, il résiste. Exemples de cette opacité: Maximilien Vox, variations sur le mot « mode », Arts et métiers graphiques, 1957 Le mot « mode » est rigoureusement le même sur toutes les lignes, mais dans la communication, ces mots sont radicalement différents. C'est la matérialité visuelle de l'écriture: le dessin de la lettre, son corps, la police de caractère est différente. L'appréhension par un lecteur est différente à chaque ligne. On joue sur une communication visuelle, qui renvoie à une culture de l'œil. Pierre Faucheux, « Le graphisme et l'art », Art d'aujourd'hui, 1952 Exercice de style, il prend des mots qu'il 'traduit' à sa façon, dans la police de caractère. Le mot « force » est par exemple, mis en gras et il prend un caractère rappelant les caractères de bois ayant servi aux affiches, qui connote alors la révolution industrielle du XIXème siècle. Pour « archaïsme », il prend un caractère gothique. (La gothique a d'ailleurs été interdite par Hitler en 1942 alors qu'elle était courante dans la culture germanique). A partir d'un mot, il utilise un type de connotation liée à un dessin. Mais attention, cela ne veut pas dire que la gothique est égale à l'archaïsme. Il n'y a pas d'équivalence entre une forme et une signification particulière: cela a été déterminé dans un contexte, dans une situation, par une culture. Un texte réunit auteur, editor, éditeur, directeur de collection, secrétaire d'édition, correcteur, illustrateur, maquettiste, graphiste, typographe, claviste, imprimeur, partenaires officiels, mécènes, fabricants de papier (le papier peut lui aussi beaucoup signifier), … . Chacun va laisser à sa façon une trace de son intervention. Ces traces sont appelées aussi « marques d'énonciation éditoriales ». Un texte en fonction de son édition va changer de look mais aussi de sens, car son édition est connotée. Le protocole éditorial s'impose et prime sur celui de l'auteur. On peut en effet voir l'intervention de l'éditeur lors de l'étape du tapuscrit. Ce dernier fait appliquer le code éditorial: mise des guillemets (qui peut casser l'écriture de l'auteur, pourtant), nombres écrits en chiffres romains et non en lettres, … . A travers cette exemple d'un texte édité, on constate une certaine polyphonie énonciative. Dans les génériques de fin de films, on nous donne une hiérarchie de métiers à lire. Sur la couverture d'un livre, l'éditeur, l'auteur peuvent s'effacer; le maquettiste est effacé. Cela est dû à des questions d'ordre social. Certains corps sociaux ne se sont pas battus pour apparaître. Les noms dans les génériques sont donc les fruits d'une bataille sociale. C'est une marque d'énonciation qui a l'avantage de la clarté. C'est une question de droit. [cf. Jean-Luc Antonucci, « Jacques Tati constructeur, Analyse du générique Mon Oncle » dans Générique & Cinéma]. Les sites internet publient également qui parle et donne donc à voir les marques d'énonciation. La matérialité, la visualité du texte couplée à la polyphonie énonciative donnent des rapports de pouvoir dans la communication, qui constitue de l'infra-ordinaire. Histoire des dispositifs de la communication 5 Formes instituantes dans la presse quotidienne → Comment les cadres instituants vont formater la communication? La presse quotidienne est un espace de communication qui est infra-ordinarisé. « Pour parvenir à mes yeux, pour que j'aie pu la lire, l'écriture d'un texte aura forcément emprunté les voies de la typographie, celles de la mise en page ou celles encore de la mise en forme. Ainsi se sera-t-elle donnée à lire à travers sa forme même. Et c'est en cela que l'écriture m'informe. Et en cela également -puisque la forme est instituante- qu'elle me forme. Voici le pouvoir essentiel de la forme -en ce qu'elle est l'essence même de l'information. […] Autrement dit, l'écriture m'informe en sa forme même. Et mon regard, historiquement, par apprentissage et habitude -en sa forme-, peu à peu s'est formé en la « mémoire de l'oubli ». Si donc la forme m'informe, elle me forme aussi. Et c'est sur ce socle d'apprentissage et de coutume que s'enracinent les processus de communication. » Emmanuël Souchier, « La mémoire de l'oubli. Pour une poétique de infra-ordinaire ». La forme texte est un objet circulant socialement, qui est appropriée de telle manière que l'on ne la voit plus. On remarque qu'un poème est un poème grâce à sa mise en page, par exemple. La forme est l'essence même de l'information. Ainsi, on peut parler d'habitus, comme le fait Bourdieu, mais attention, il ne s'agit pas d'habitus social. « Je suis des yeux des lignes sur le papier, à partir du moment où je suis pris par ce qu'elles signifient, je ne les vois plus . […] L'expression s'efface devant l'exprimé, et c'est pourquoi son rôle médiateur peut passer inaperçu » Gaston Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception. L'écriture et la forme ne sont pas scindables. C'est la forme qui permet l'accès à l'écriture. Analyse de deux unes de l'Yonne Républicaine → Comment fait-on pour affirmer une parole? On fixe un espace et un temps: l'Yonne comme lieu et Républicaine, quotidien régional issu de la Résistance pour le temps. Toute parole prononcée (texte ou photo) dans ce cadre là sera une parole tributaire de cette définition et qui aura à rendre compte sous un point de vue légal sous cette identité. Sur ce média qui a une matérialité, la parole journalistique s'exprime entre la première et la quatrième de couverture: c'est l'espace d'information, qui a une validité. L'information n'est valable dans cet espace qu'à une certaine date. Le lendemain, ces informations perdent toute validité. Ce média se donne une limite. => Deux dates: Républicaine et la date du jour, et deux espaces: le département de l'Yonne et le journal. L'ensemble des éléments constitutifs de la une est élaboré avec un lieu: publicités locales en tête et bas de page de une. Cet ancrage permet de distinguer le type de lecteur et le rapport du lecteur au journal. Le lecteur aura dans le lieu auquel il vit, un rapport équivalent où son lieu est représenté. Histoire des dispositifs de la communication 6 => Équivalence entre lecteur-cet espace et entre lecteur-espace de vie. Dans un premier temps, nous sommes dans l'espace de vie quotidienne alors que dans l'autre espace, il s'agit d'un espace sémiotique. A travers cette forme, on constitue un repère d'espace symbolique pour l'ensemble de la population à laquelle elle s'adresse. => Représentation d'un univers idéologique où chacun peut retrouver ses points de repères, qui sont fondamentaux. La mort d'un quotidien dans une région est donc une véritable catastrophe: il n'y a plus les outils du « vivre ensemble ».Ce journal donne tous les jours de l'information sur le lieu où on vit mais il institue aussi un type de rapport collectif. On parle d'idéologie qui est un système d'idées, de valeurs partagées dans un certain espace et un certain temps. Michel Meulo, Livre, édition L'oeil 9: il explique ce qu'est un média livre. Le livre tel qu'il est, se distingue du rouleau car il s'inscrit dans la visée idéologique de la chrétienté naissante qui va changer le regard que nous portons sur le temps et la temporalité. Chez les Grecs, le temps est circulaire; aujourd'hui, notre vision du temps est linéaire. Du passage du rouleau au codex, toute la mentalité de la civilisation a changé. Il y a une relation entre la relation fondamentale d'une civilisation et le support médiatique de cette relation. Le livre est un objet né pour être ouvert avec la première page et fermé avec la dernière de couverture. Il y a la création d'un espace clos. Le journal annonce donc tout d'abord son énonciation avec son titre et sa logotypie. On entre symboliquement dans un espace et on en sort. La quatrième de couverture est construite en croix avec quatre pavés. Il y a donc quatre temps: en haut à gauche, la météo qui a un rapport fondamental au temps, celle-ci est inscrite sur deux espaces: l'Yonne et la France. Les deux représentations sont sur fond bleu (ce qui paraît bizarre pour l'Yonne qui n'est pas entourée d'eau).Cela ne renvoie pas à des référents géographiques: l'Yonne est représentée plus grosse que la France. Cela fonctionne à l'aide du calibrage: représentations au même calibre alors que ces deux espaces n'ont pas la même taille. On observe de constants rappels du temps: météo aujourd'hui, demain et hier. Sous le pavé de la météo, il y a l'horoscope, qui est issu d'un temps circulaire. La date en une renvoie à une valeur de validité, d'une seule journée. L'horoscope renvoie à une continuité, c'est une nouvelle valeur. Les quatre pavés ancrent le lecteur dans le temps et l'espace (météo, horoscope, « marie conseille » et plat du jour, publicité du temps). => Technique intellectuelle permettant à l'homme de réguler un temps circulaire et de s'y inscrire par rapport à un temps qu'il joue au quotidien et qu'il fuit. L'écriture est née en même temps que le cadastre: la nécessité à réguler l'espace du vivre-ensemble est née en même temps que la nécessité d'écriture, langage symboliquement permettant de passer le temps de la parole. Le passage de la société de l'oral à l'écrit va changer la temporalité: l'écriture permet, contrairement à l'oral, la maitrise du temps ou plutôt son passage et la circulation dans la société. L'écriture permet à l'homme en tant que technique de communication de croire maitriser le temps et de croire pouvoir circuler dans le temps et l'espace. Ainsi les deux bornes du journal (la page une et la quatrième) mettent en ordre le temps et l'espace du monde dans lequel l'homme va circuler. L'homme balise son temps, il rationalise l'espace, il se trouve des repères de sécurité. Le carnet est la partie du journal la plus lue. Dans les enquêtes faites, on constate que le geste le plus fréquent est celui qui va vers le carnet. Pourquoi? Cela renvoie au vivre-ensemble, cette notion appelle à la vie et à la mort, donc aux naissances et aux décès. Cela pose la question du rapport de l'homme avec la vie et la mort. C'est donc normal que cela intéresse l'homme. Histoire des dispositifs de la communication 7 → A partir de quoi se constitue l'idéologie dans laquelle on vit et dont on est fatalement tributaire? Le journal est ainsi organisé: la Une l'international dans l'espace local l'Yonne/ la région départemental/régional le carnet du jour espace de la mort le local par cantons le petit lieu du lecteur les sports l'espace du sport les faits du jour:France/International la Der national/international l'histoire dans l'espace local Dans la rubrique « Local », en têtière, on note la répétition: nom du canton et carte. Cela permet au lecteur de trouver l'information qu'il cherche. Ce système de signalétique peut aussi être retrouvé sur Internet. Le quotidien donne à lire ces têtières, qui font appel à des repères appris enfant. Ces repères visuels, ce rapport au territoire paraît naturel, alors qu'en fait, ils sont culturels, évidemment appris. Quand le lecteur va chercher sa rubrique, il va refaire ce parcours. Le lecteur va physiquement aller à travers le journal, il va physiquement repérer le logo qui va l'attirer vers le centre où il veut aller. Le parcours que le lecteur fait, sans s'en rendre compte, est un parcours qu'il a fait au quotidien, il se trouve dans son quotidien. => Le journal établit une équivalence entre les pages du journal et le territoire géographique du lecteur: territoire symbolique et territoire géographique du lecteur. Le forme est une écriture de la mémoire collective. La structure dans le théâtre de mémoire est une structure commune: le lieu, le parcours, les images. L'articulation se fait sur le fait qu'historiquement, on a délégué notre mémoire aux médias. Dans un média donné, dans un lieu et moment donné, la mémoire collective de ce lieu s'élabore, ex: l'école, le journal. L'éducation autant que les médias ont un rôle analogue de structuration des mentalités. Ce sont des objets qui pratiqués au quotidien, permettent de structurer notre regard et notre rapport au monde: nous sommes dans les cadres instituants de la communication. Le parcours du lecteur dans le journal est évident: son journal ne lui ment pas, il lui représente le lieu dans lequel il vit; il est symboliquement le lieu que le lecteur se représente: la crédibilité du quotidien est donc fondée. La loi de la proximité se donne donc à lire à travers la forme même du journal. Le lecteur sait physiquement à travers l'espace du journal où se trouve sa rubrique grâce au parcours qu'il aurait fait inconsciemment, il sait où se trouvent ses espaces de vie dans son journal. Ce qu'il fait, arpenter l'espace dans lequel il vit, il le fait symboliquement dans son journal. Le quotidien élabore une relation affective ainsi extrêmement prégnante. Ancré dans ses représentations, le lecteur retrouve son propre quotidien, d'où la quatrième de couverture avec ce qu'il va manger aujourd'hui, par exemple. Le lecteur ici est chez lui: il est intimement ancré dans un espace qui lui est propre.Le journaliste se retrouve dans cet espace acquis au lecteur. C'est le lecteur qui est propriétaire de l'information. Il est la force sourde, silencieuse de l'ensemble de l'information infra-ordinaire. Valeur anthropologique et institutionnelle, autre que politique. Histoire des dispositifs de la communication 8 Cette « structure structurée et structurante » conditionne la nature du regard porté sur le monde. L'information qui est en dernière partie du quotidien est une information qui est complètement préformatée par le discours du local. Le regard porté par le lecteur local sur l'international est une jumelle avec lequel le lecteur regarde l'international avec son petit point de vue. A travers sa forme, il institue l'identité locale et tisse le lien social. L'Yonne Républicaine a ces deux fonctions essentielles au-delà de son rôle d'organe d'information. Rôle fondamental de ce type de média dans la structuration de l'imaginaire collectif. En cela, le média est un espace imaginaire où se joue symboliquement la scène de la vie quotidienne. Le quotidien est ce qu'il a de plus difficile à découvrir. Maurice Blanchot, La parole quotidienne Histoire des dispositifs de la communication 9 L'image du texte dans la publicité Publicité de la Golf, Volkswagen, slogan « Niet », chiffon rouge sur lequel il y a une clé à molette et un outil pour remonter un pneu. Économie du linguistique Il faut donner toutes les informations nécessaires à la bonne compréhension du document: le corpus, le contexte, la source d'énonciation, la date technique, le registre … La façon dont est faite la campagne va changer l’attitude du lecteur et c’est ce que l’on va convoquer à l’intérieur d’un document publicitaire. Il faut s’intéresser au contexte historique et culturel. La mise en contexte, en situation, procède d’un choix: elle est toujours un acte d’interprétation. Dans cette publicité, il y a un appel du champ publicitaire/marchand au champ historique. Le champ politique est convoqué au sein du publicitaire comme élément d’argumentation. Au moment où l’affiche sort, c’est l’époque de la chute du mur de Berlin. Il y a un imaginaire iconographique mais qui fait partie du background et c’est sur cela que les publicistes vont travailler. Tout le monde a en tête la chute du mur au moment de la pub ; la mise en contexte est extrêmement lourde. La lecture de l’image peut être totalement différente d'une époque à l'autre. Il y a des publicités qui jouent su un événement et du coup, six mois après, elle est obsolète. Il faut constituer les outils adaptés : il n’y a pas de réponse en soi adaptée pour toutes les questions. L’analyse se fait dans un aller-retour permanent. Il faut faire preuve d’un éclectisme méthodologique en fonction des problématiques posées. La description des langages symboliques qui sont mis en place : il y a du texte, de l’image et du mixte (la typographie et le logotype). Il y a au moins trois niveaux minimum. La description est un temps mais ce n’est pas celui qu’il faut exposer, il va falloir expliquer une rhétorique. Il faut être dans l’analyse rhétorique de l’image, il faut établir le discours dans le contexte de communication. Il y a une économie extrême du texte, avec le seul mot « Niet. ». En pied de page se trouvent diverses mentions. La loi Toubon est passée et oblige les pubs à traduire les mots étrangers. On est à peine dans l’émergence d’Internet, il y a donc l’adresse « 36-15 VW ». En bas à droite il y a « Golf » et « Volkswagen ». Le message linguistique est double : question de la typographie. Si on change ne serait-ce que la police cela signifie autre chose ; il n’y a pas de degré zéro de la signification. La marque, l’identité est la signature en quelque sorte. La signature repose sur plusieurs choses : prénom nom. Golf – Volkswagen. Il y a valeur symbolique de signature reprise de manière très puissante par le publiciste, tel un contrat ou une lettre, ou un document ? La typographie a sa signification. C’est une empreinte formelle de l’énoncé. On joue sur la même forme typographique. Il y a une délégation identitaire de la parole à travers l’espace et la mise en page. Une délégation identitaire entre plusieurs auteurs (Golf, Volkswagen, DDB Needham) met à jour un système de délégation de paroles, on passe plusieurs étapes imaginaires de parole. Il y a donc un triangle énonciatif. Il y a une transmission symbolique de la voix. Le slogan est des plus laconiques. Il est percutant: « Niet. ». Il faut faire un retour sur le contexte : typographique, famille de l’Univers (une des grandes familles de caractère). Histoire des dispositifs de la communication 10 linguistique : le but est de fonder une négation universelle (on présuppose que le public français connaît le mot). le publicitaire joue sur le prescriptif historique (propagande) et sur le mélange des genres. On convoque la pratique de la propagande. Il y a un ancrage d’une rhétorique de la négation: il faut ancrer la négation dans la polysémie de l’image. D’un point de vue iconique il faut penser aux capitales et aux points, à la situation spatiale. Il y a une culture publicitaire, nous ne sommes pas naïfs face à la publicité comme nos grandsparents. Il y a une histoire du geste à travers la publicité. Ici, on voit qu'il y a un jeu de la marque avec le thème de la panne impossible. Volkswagen s’oppose à toute idée de la panne. On va ainsi rappeler culturellement un certain type d’image. Rhétorique de l'image: le spectacle de la panne On peut constater une mise en contexte, un effet de réel et une spectacularisation. Dans la rue, le cadre est le panneau d’affichage c’est donc un espace singulier commun à tous les médias. L’homme a inventé la notion de l’écran, la pensée de l’écran c’est extraire de l’univers sensible un espace singulier qui va être destiné à exprimer ce nouveau langage qu’est l’écriture. L’écriture a de la signification à partir du moment où elle est délimitée. Les cadres sont des signes organisateurs : ils servent à capter notre attention. L’utilisation d’un cadre fait partie d’un acte de communication. Il tend à se faire oublier malgré son importance dans la construction du sens. Le cadre est un signe à proprement parler. Il doit être le plus efficace possible en disparaissant. Le cadre a pour vertu de disparaître de nos yeux, de la situation de communication. Le cadre est un des processus de fonctionnement de tous les processus de communication. La puissance de l'infra-ordinaire réside dans sa disparition. C'est un « signe sournois qui se cache pour montrer ». La création des images est la conséquence d'une invention aussi prodigieuse sans doute que celle de l'outil ou du langage,et qui les ignore l'une et l'autre: celle de l'écran. Anne-Marie Christin, L'image écrite. L'homme aurait ainsi besoin d'un écran pour faire vivre le cadre et le contenu. La publicité Golf avec « Niet » pour slogan est une publicité pour affiches. La publicité est mise en « cadre », cela montre où est l'expression. Le dessin formel du cadre dit « c'est là l'espace de l'écriture, de la communication ». Roland Barthes parle d'« effet de réel »: c'est le leurre de la publicité. Avec la photographie, les hommes regardent les images différemment: le réel apparaît. La photographie donne à voir ce que le peintre ne donnait jamais à voir, qu'il ne prenait pas en compte, tels que les détails. Il y a donc eu un changement du regard au XIXème siècle. La publicité renvoie à l'ex-drapeau de l'URSS. Il y a des équivalences analogiques entre des objets. Pour la clé à molette: l'icône: Photographie d'un outil. Le lecteur définit donc le contexte. La lecture appelle un type de contexte. L'index: Dans le contexte de l'affiche, c'est une photographie d'un outil qui évoque le marteau figuré sur le drapeau de l'URSS. Le symbole: Dans le contexte de l'affiche, c'est la photographie d'un outil qui évoque le marteau figuré sur le Histoire des dispositifs de la communication 11 drapeau de l'URSS et qui symbolise une notion abstraite: la classe ouvrière. Cette publicité utilise six figures de rhétorique visuelle: 1. Transformation: valeur des outils (symbolique, opératifs) – renvoie à un historique 2. Déplacement des objets dans l'espace De la partie supérieure gauche noble du drapeau (du côté de la hampe vers le centre prosaïque de la scène) vers le centre prosaïque de la scène. Chute de l'étoile vers le logo: transformation analogique du symbole d'un idéal idéologique à une marque industrielle. 3. Réduction et augmentation: taille des objets Le symbole est petit, ramassé, dense, fait moins du 12e du drapeau; alors que l'objet prosaïque est grand, déployé, expansif et fait plus de la moitié de l'affiche. 4. Inversion: en gaucher miroir des objets Les outils sont inversés en gaucher miroir. Analogiquement, les valeurs symboliques sont inverséesrenversées en valeurs prosaïques. 5. Substitutions (effacement et ajout): étoile et logotype La substitution de l'étoile symbolique par le logotype entérine un renversement des valeurs de l'histoire par celles du monde marchand. La figure de la substitution des emblèmes de l'URSS par le logotype de la firme Volkswagen pose une équivalence d'identités: pays = firme; il y a un glissement symbolique d'identité par un jeu graphique. Les questions que cela pose sont: Quand peut-on jouer sur sa marque identité? Au nom de quoi peut-on jouer avec sa marque identité, sachant que nous existons à travers la marque identité? 6. Négation: ensemble des attributs et valeurs du drapeau Symboles, objets, matières, couleurs, tailles, valeurs, usages, … au-delà l'ensemble des représentations et pratiques liées au drapeau et à son histoire. La figure de la négation, ancrée dans l'image par le texte même (Niet), cristallise l'ensemble des procédés rhétoriques mis en place dans la publicité. Symboles niés, objets encrassés, matières souillées, couleurs salies, tailles dégradées, valeurs abîmées, usages dégradés, … . C'est l'ensemble des représentations et pratiques liées au drapeau et à son histoire qui sont réfutés. La rhétorique publicitaire prend pied de manière radicale contre le politique et l'historique. Par la forme du support (la taille du drapeau réduite aux proportions de l'affiche), c'est l'histoire qui se plie au modèle publicitaire. Ces figures élaborent une rhétorique générale, comme on pourrait le faire dans un texte. Il existe une croyance que le signe, c'est la chose. C'est le cratylisme théorie naturaliste du langage selon laquelle les noms ont un lien direct avec leur signification, Cratyle, personnage de Platon croyait que le mot est la chose. Exemples: les semelles votives Ce sont des chaussures mises dans le tombeau du défunt. On peut lire sur les semelles: « Que tes ennemis soient foulés par tes sandales ». la Stèle d'Horus L'eau coulant sur cette stèle va se charger des valeurs symboliques de l'écriture pour guérir des Histoire des dispositifs de la communication 12 blessés d'animaux néfastes. Dans les chambres funéraires, le défunt, particulièrement vulnérable, n'accédera à la survie que si toutes les précautions sont prises pour repousser la menace de l'interminable cortège formé par les êtres hostiles; aussi les hiéroglyphes représentant les créatures potentiellement dangereuses, hommes ou animaux, doivent être neutralisés par divers procédés: on les supprime, on leur substitue un signe inoffensif, on les mutile, on les perce de flèches et de couteaux » Pascal Vernus. Il y aurait un pouvoir potentiel de l'écriture et du dessin: la représentation est le représentant. Le logotype est une marque verbale, un sceau, une empreinte verbale. Il a une fonction abréviative. Cela vient du verbe tuptein, qui est l'action de frapper en grec et du logos, qui veut dire discours, parole. C'est la représentation de l'identité d'un collectif. La rhétorique de la négation de la publicité se fait par la chute du symbole du coin gauche sacré au centre. Ce n'est plus un drapeau mais un tissu sali. Il y a donc avilissement du symbole. Toute cette rhétorique visuelle ne dit qu'une chose « Niet » au niveau linguistique et visuelle, pour le triomphe de la marque. C'est donc une rhétorique complexe qui œuvre autour de la négation. On peut parler de rhétorique de la négation. « L'image est un texte aussi »: elle s'interprète en fonction d'un texte. Ici, « Niet » accompagne et commande cette rhétorique de la négation. Cette publicité constitue un moment historique au niveau de la pratique publicitaire. Elle affiche un discours politique dans la publicité et non sur la politique. Volkswagen fait sauter un tabou du milieu publicitaire. On peut s'interroger sur deux champs interprétatifs de l'image Est-ce une publicité ou un discours d'ordre politique? La publicité étant sortie pendant la Guerre Froide, il est légitime de se poser cette question. S'agit-il d'un mélange des genres ou un signe des temps? Histoire des dispositifs de la communication 13 Les médias informatisés comme dispositifs d'écriture La clé USB est une matière mémoire que personne ne peut lire, dont personne n'a accès, ce qui est radicalement différent d'écritures sur un papier, par exemple. Les médias informatisés sont des outils. Ils sont caractérisés par le phénomène d'externalisation de la mémoire. La caractéristique principale des outils depuis la Préhistoire est l'externalisation de la mémoire. Entre les médias informatisés et les outils techniques, il se passe un moment essentiel. A l'articulation du XII et XIIIème siècle, le texte qui est pratiqué par des professionnels est appris par cœur. Ils peuvent alors le donner à un lecteur qui ne connait pas le texte. On sort alors la linéarité du texte pour une spatialité. La mémoire du lecteur est déléguée aux supports médiatiques. Le média va visuellement porter la mémoire, il donne à lire aux lecteurs l'ensemble de ces processus. Les médias informatisés sont des outils de mémoire, leur fonction essentielle consiste à transformer un certain nombre de pratiques, d'usages, d'informations, à les stocker et à les rendre accessibles par la lecture et l'écriture. Les médias sont des outils qui disposent de la mémoire, d'une mémoire singulière, riche, mais qui, quand elle se trouve sur un support de matière mémoire est totalement inaccessible à l'homme. Entre une clé USB, qui est une matière mémoire et l'homme, il faut un dispositif technique, une source d'énergie, … pour avoir accès à la mémoire. C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que l'homme a nécessité de mettre en place entre la mémoire de son écriture, de sa culture, un matériel concret. L'homme n'a plus directement accès à sa mémoire. Naît donc une industrie du traitement de sa mémoire. Une des questions de fond de notre civilisation repose sur le stockage et le retraitement de notre mémoire, donc de notre culture. Ici image d’une tablette sumérienne qui a traversé le temps, support d’écriture qui a traversé l’histoire – alors que je ne peux accéder à une clé USB, plus de présence de la mémoire humaine… ? Je ne peux lire une clé USB. Nous avons à situer les médias informatises dans l’histoire longue des outils et celle des médias. Ces objets sur lesquels nous travaillons sont des outils, mais aussi des outils particuliers puisque des médias. Comme outils, ils sont caractérisés par le phénomène d’externalisation de la mémoire humaine. En tant que médias ils sont dédiés à la communication et en tant que tels, ils sont porteurs de représentations et imaginaires des communications sociales. L’usage de ces dispositifs est dépendant de l’apprentissage, de la circulation de la mémoire d’usage dans la société et des langages qui en permettent l’appréhension. Ces dispositifs sont placés en littératie, c’est à dire dans une culture de l’écriture. La caractéristique principale des outils est l’externalisation de la mémoire : en créant un outil, l’homme déplace la mémoire individuelle vers un dispositif, porteur de la mémoire du geste, si bien que ceux qui viendront derrière pourront se le réapproprier. Entre les médias informatisés et les outils et dispositifs techniques, il se passe quelque chose de fondamental vers le 12ème - 13ème siècle : le texte, notamment religieux, est appris par cœur afin qu’on puisse le lire (impossible sinon, linéralité du texte, un seul bloc). Il faut avoir la mémoire du texte pour pouvoir le lire et le donner à l’autre. Apprentissage préalable donc, qui passe par le corps, par le geste (Se balancer pour apprendre un texte par cœur est une pratique ancienne, le corps apprend par les gestes, les sonorités – exemple des enfants dans les écoles coraniques). On va sortir de la linéralité du texte pour entrer Histoire des dispositifs de la communication 14 dans la spatialité : on met des titres, on fait des paragraphes, on met de la ponctuation. L’apprentissage est dédié au support médiatique ; le média va visuellement porter la mémoire de celui qui le faisait avec lui. Ces outils de mémoire doivent transformer des pratiques, des usages d’information, doivent les stocker et les rendent accessibles via la lecture et l’écriture. Ces outils disposent d’une mémoire riche et singulière, mais lorsque cette mémoire est sur un support de matière-mémoire, elle est totalement inaccessible à l’homme. Qui peut lire une clé USB ? Il faut un dispositif technique, des logiciels, pour avoir accès à un système d’écriture et à une mémoire : c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité. L’homme met aujourd’hui en place une industrie de lecture de sa propre mémoire. Exemple : années 60, la NASA enregistre sur bandes magnétiques toutes ses données météo. Aujourd’hui, il ne reste plus rien. Il y va de notre mémoire collective mais aussi de notre culture…. Histoire des dispositifs de la communication 15