Histoire des dispositifs de la communication 5
Un texte n'est pas transparent. D'ailleurs, il faut se méfier de la notion de « transparence », car dès
que le mot est utilisé, c'est qu'on souhaite nous cacher quelque chose. La transparence, en
communication, est un leurre absolu.
On doit d'autant plus, ne pas faire abstraction de l'image du texte que le texte est épais, il est
opaque, il résiste.
Exemples de cette opacité:
Maximilien Vox, variations sur le mot « mode », Arts et métiers graphiques, 1957
Le mot « mode » est rigoureusement le même sur toutes les lignes, mais dans la communication, ces
mots sont radicalement différents. C'est la matérialité visuelle de l'écriture: le dessin de la lettre, son
corps, la police de caractère est différente. L'appréhension par un lecteur est différente à chaque
ligne. On joue sur une communication visuelle, qui renvoie à une culture de l'œil.
Pierre Faucheux, « Le graphisme et l'art », Art d'aujourd'hui, 1952
Exercice de style, il prend des mots qu'il 'traduit' à sa façon, dans la police de caractère. Le mot
« force » est par exemple, mis en gras et il prend un caractère rappelant les caractères de bois ayant
servi aux affiches, qui connote alors la révolution industrielle du XIXème siècle. Pour
« archaïsme », il prend un caractère gothique. (La gothique a d'ailleurs été interdite par Hitler en
1942 alors qu'elle était courante dans la culture germanique). A partir d'un mot, il utilise un type de
connotation liée à un dessin. Mais attention, cela ne veut pas dire que la gothique est égale à
l'archaïsme. Il n'y a pas d'équivalence entre une forme et une signification particulière: cela a été
déterminé dans un contexte, dans une situation, par une culture.
Un texte réunit auteur, editor, éditeur, directeur de collection, secrétaire d'édition, correcteur,
illustrateur, maquettiste, graphiste, typographe, claviste, imprimeur, partenaires officiels, mécènes,
fabricants de papier (le papier peut lui aussi beaucoup signifier), … . Chacun va laisser à sa façon
une trace de son intervention. Ces traces sont appelées aussi « marques d'énonciation éditoriales ».
Un texte en fonction de son édition va changer de look mais aussi de sens, car son édition est
connotée. Le protocole éditorial s'impose et prime sur celui de l'auteur. On peut en effet voir
l'intervention de l'éditeur lors de l'étape du tapuscrit. Ce dernier fait appliquer le code éditorial: mise
des guillemets (qui peut casser l'écriture de l'auteur, pourtant), nombres écrits en chiffres romains et
non en lettres, … . A travers cette exemple d'un texte édité, on constate une certaine polyphonie
énonciative.
Dans les génériques de fin de films, on nous donne une
hiérarchie de métiers à lire. Sur la couverture d'un livre,
l'éditeur, l'auteur peuvent s'effacer; le maquettiste est
effacé. Cela est dû à des questions d'ordre social.
Certains corps sociaux ne se sont pas battus pour
apparaître. Les noms dans les génériques sont donc les
fruits d'une bataille sociale. C'est une marque
d'énonciation qui a l'avantage de la clarté. C'est une
question de droit. [cf. Jean-Luc Antonucci, « Jacques
Tati constructeur, Analyse du générique Mon Oncle »
dans Générique & Cinéma].
Les sites internet publient également qui parle et donne donc à voir les marques d'énonciation.
La matérialité, la visualité du texte couplée à la polyphonie énonciative donnent des rapports
de pouvoir dans la communication, qui constitue de l'infra-ordinaire.