Darwin n'a donc pas été le premier à parler de modification des espèces animales et
végétales. Il fut cependant le véritable promoteur de la théorie évolutionniste moderne en
proposant un mécanisme plausible pouvant expliquer cette modification : la sélection
naturelle.
Il est prouvé que dès 1837, fin de son voyage autour du monde à bord du H.M.S.
Beagle, Darwin commença à douter de la stabilité et de l'inaltérabilité des espèces. Dès son
retour en Angleterre, il fut amené à mieux saisir l'hypothèse de leur évolution, encore qu'il
envisagea d'abord une "transmutation", autrement dit la transformation brutale d'une espèce
en une autre, et non une évolution. Il était alors encore fort proche du progrès finalisé de ses
prédécesseurs : créations successives, formes de vie d'une durée limitée, de plus en plus
complexes. Seul son "gradualisme" – possibilité pour les espèces d'échapper à leur mort
programmée en se transformant par adaptation – le distinguait de ces derniers.
Comme le fera remarquer D. Kohn ("THEORIES TO WORK BY : REJECTED
THEORIES, REPRODUCTION AND DARWIN'S PATH TO SELECTION" – 1980),
Darwin était
alors avant tout à la recherche d'une théorie de l'évolution fondée sur la génération
(descendance avec modifications), de lois générales de la reproduction où les conditions de
vie affecteraient le système reproducteur en lui fournissant une sorte d'informations sur les
besoins futurs de la progéniture. Il envisageait une sorte de tendance au changement, un élan
génétique, proche en somme des théories lamarckiennes, mais centrée sur l'action indirecte du
milieu sur les organes reproducteurs (cf. : "DARWIN, DARWINISME, EVOLUTIONNISME
– Daniel Becquemont – 1992). Une théorie, comme on peut le constater, fort éloignée de la
théorie finale, centrée sur la sélection naturelle, que lui inspira, en 1838, l'ouvrage intitulé :
"AN ESSAY ON THE PRINCIPLE OF POPULATION" – 1798) de Thomas Malthus,
ecclésiastique et économiste politique du début du XIXe siècle.
Malthus s'intéressait surtout aux populations humaines mais il soulignait que,
conformément à un principe universel de la nature, tous les organismes vivants engendraient
une progéniture pléthorique par rapport au nombre de ceux qui survivraient jusqu'à l'âge
adulte, que "toutes les plantes et les animaux tendent à se multiplier selon une progression
géométrique alors que les moyens de subsistance croissent selon une progression
arithmétique" et qu'il faut donc, pour parvenir à un point d'équilibre, "que cet accroissement
géométrique soit arrêté par la destruction (guerres, famines, épidémies), à certaines périodes
de leur vie".
L'ouvrage de Malthus aida Darwin à comprendre un point important : comment la
sélection opérant parmi les descendants pouvait provoquer la mort des uns et la survie des
autres. Puisque les individus appartenant à une même espèce varient peu entre eux, ceux qui
présentent certaines caractéristiques leur donnant un avantage sur les autres (une aptitude à se
procurer plus facilement de la nourriture ou à échapper aux prédateurs, par exemple)
bénéficient d'une possibilité de survie accrue. Ces variations, et ce qui en résulte, observables
partout, expliquent, selon Darwin, l'évolution biologique ou plutôt ce qu'il appelle "descent
with modification". Tout comme l'homme peut occasionner des changements spectaculaires
chez les animaux domestiques en sélectionnant artificiellement les caractéristiques qu'il veut
voir développées ("L'ORIGINE DES ESPECES" : Chapitre l : "Variation under
domestication"), de même la nature "sélectionne" parmi les individus d'une espèce les plus
aptes à affronter les rigueurs de l'existence, ceux qui sortiront vainqueurs de la "lutte pour la
vie" ("L'ORIGINE DES ESPECES" : Chapitre II : "Variation under Nature"). Etant donné
que les conditions du milieu changent, la sélection naturelle favorise l'apparition de certaines
caractéristiques au sein d'une population qui varie "au hasard" (Darwin entendait par là "ce
que la science n'a pas encore découvert"), les espèces s'adaptent progressivement aux
conditions nouvelles, celles 'qui n'y parviennent pas sont condamnées à disparaître. La nature