INTRODUCTION - Bibliothèque Angellier

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Darwinisme et darwinisme social aux États-Unis
Edmond Krzyzostanek
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
Chapitre 1 :
1) Qu’est ce que le darwinisme ?
2) Le darwinisme aux Etats Unis
Chapitre 2 :
1) Qu’est ce que le darwinisme social ?
a) Naissance d’une théorie : Statique Sociale
b) La théorie spencérienne ou le darwinisme social
2) Darwinisme social aux Etats Unis
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES AUTEURS CITES
INTRODUCTION
La publication de "L'ORIGINE DES ESPECES" suscita une véritable révolution dans le
domaine des sciences biologiques, porta un coup sérieux aux conceptions morale et philosophique du
monde occidental. L'ouvrage de Charles Darwin déclencha une véritable tempête dans la société
victorienne : on alla jusqu'à en brûler des exemplaires et son auteur fut à maintes reprises pourfendu
du haut des chaires. Chose étonnante, certains naturalistes et paléontologistes distingués, tels Richard
Owen en Angleterre et Louis Agassiz aux Etats-Unis, bien qu'ils fussent censés avoir une
connaissance approfondie des preuves avancées par Darwin, prirent rang parmi ses critiques les plus
fanatiques et les plus véhéments. En contrepartie, cependant, d'autres scientifiques, tout aussi
remarquables, parmi lesquels Charles Lyell, Joseph Dalton Hooker, Thomas Henry Huxley ainsi que
l'Américain Asa Gray, reconnurent l'importance capitale de l'ouvrage de Darwin.
L'impact de "L'ORIGINE DES ESPECES" fut tel que très rapidement la théorie qui s'y
trouvait développée ne fut plus connue que sous le nom de DARWINISME. Brièvement, car le sujet
est vaste, très vaste, et modestement – car nul ne saurait se mesurer aux éminents philosophes et
scientifiques qui en ont débattu –, nous nous efforcerons de définir cette théorie puis de traiter de son
influence aux Etats-Unis dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Tout naturellement la théorie de Darwin, qui concernait les animaux (au sens courant du
terme, l'homme en est exclu ou plutôt s'en exclut) et les végétaux, s'appellera DARWINISME
SOCIAL, dès lors qu'elle sera appliquée à l'homme et aux sociétés humaines, ce qui sera fait
essentiellement par Herbert Spencer. Qu'est-ce que le darwinisme ‘social’ ? Quelle a été son
influence aux Etats-Unis ? sont les questions auxquelles nous essaierons de répondre.
I.
1) Qu'est-ce que le darwinisme ?
Le seul nom de Darwin évoque en nous les notions d'"évolution", de "sélection naturelle", de
"descendance avec modifications", de "lutte pour l'existence", de "survie du plus apte", sans oublier
l'idée selon laquelle "l'homme descend du singe". Qu'en est-il vraiment ?
Si, dans le domaine des sciences de la nature, le terme "darwinisme" est avant tout synonyme
de "théorie de la sélection naturelle", on assimile souvent le darwinisme à l' "évolutionnisme", un
évolutionnisme au sens large, diffus et ambigu qu'on opposait, au XIXe siècle, au "fixisme", tout aussi
mal défini. A son corps défendant, car jamais il n'a employé le terme "évolution" – il employait le mot
"développement" dans "L'ORIGINE DES ESPECES" –, Darwin est donc devenu l'une des figures
majeures de l'évolutionnisme. L'originalité de sa théorie, si l'on s'en tenait là, se trouverait alors plus
ou moins diluée dans un courant dont les origines se perdent dans la nuit des temps (Huxley disait de
l'évolution qu'elle était la plus vieille des philosophies). Kohlbrugge, ("WAR DARWIN EIN
ORIGINELLES GENIE" – pages 93 à 111), s'interrogeant sur l'originalité de l’œuvre de Darwin,
dénombrera jusqu'à 199 précurseurs et Darwin lui-même, cédant sous la pression de certains critiques
qui lui reprochaient de n'en avoir pas cité, se livrera à cet exercice fastidieux. Parmi tous ceux qui ont
exposé des thèses sur le changement, le développement, la transformation en général ou qui ont
entrevu l'un quelconque des concepts de base de la théorie darwinienne, on peut citer Empédocle,
Héraclite, Anaxagore, Anaximandre et Lucrèce dans l'Antiquité gréco-latine, des anatomistes et
philosophes de la Renaissance comme Galien, Vanini, Bruno, des philosophes du XVIIIe siècle
comme Diderot et Goethe, sans oublier les évolutionnistes pré-darwiniens, essentiellement Erasmus
Darwin, le grand-père de Charles, et Lamarck.
Darwin n'a donc pas été le premier à parler de modification des espèces animales et
végétales. Il fut cependant le véritable promoteur de la théorie évolutionniste moderne en
proposant un mécanisme plausible pouvant expliquer cette modification : la sélection
naturelle.
Il est prouvé que dès 1837, fin de son voyage autour du monde à bord du H.M.S.
Beagle, Darwin commença à douter de la stabilité et de l'inaltérabilité des espèces. Dès son
retour en Angleterre, il fut amené à mieux saisir l'hypothèse de leur évolution, encore qu'il
envisagea d'abord une "transmutation", autrement dit la transformation brutale d'une espèce
en une autre, et non une évolution. Il était alors encore fort proche du progrès finalisé de ses
prédécesseurs : créations successives, formes de vie d'une durée limitée, de plus en plus
complexes. Seul son "gradualisme" – possibilité pour les espèces d'échapper à leur mort
programmée en se transformant par adaptation – le distinguait de ces derniers.
Comme le fera remarquer D. Kohn ("THEORIES TO WORK BY : REJECTED
THEORIES, REPRODUCTION AND DARWIN'S PATH TO SELECTION" – 1980),
Darwin était
alors avant tout à la recherche d'une théorie de l'évolution fondée sur la génération
(descendance avec modifications), de lois générales de la reproduction où les conditions de
vie affecteraient le système reproducteur en lui fournissant une sorte d'informations sur les
besoins futurs de la progéniture. Il envisageait une sorte de tendance au changement, un élan
génétique, proche en somme des théories lamarckiennes, mais centrée sur l'action indirecte du
milieu sur les organes reproducteurs (cf. : "DARWIN, DARWINISME, EVOLUTIONNISME
– Daniel Becquemont – 1992). Une théorie, comme on peut le constater, fort éloignée de la
théorie finale, centrée sur la sélection naturelle, que lui inspira, en 1838, l'ouvrage intitulé :
"AN ESSAY ON THE PRINCIPLE OF POPULATION" – 1798) de Thomas Malthus,
ecclésiastique et économiste politique du début du XIXe siècle.
Malthus s'intéressait surtout aux populations humaines mais il soulignait que,
conformément à un principe universel de la nature, tous les organismes vivants engendraient
une progéniture pléthorique par rapport au nombre de ceux qui survivraient jusqu'à l'âge
adulte, que "toutes les plantes et les animaux tendent à se multiplier selon une progression
géométrique alors que les moyens de subsistance croissent selon une progression
arithmétique" et qu'il faut donc, pour parvenir à un point d'équilibre, "que cet accroissement
géométrique soit arrêté par la destruction (guerres, famines, épidémies), à certaines périodes
de leur vie".
L'ouvrage de Malthus aida Darwin à comprendre un point important : comment la
sélection opérant parmi les descendants pouvait provoquer la mort des uns et la survie des
autres. Puisque les individus appartenant à une même espèce varient peu entre eux, ceux qui
présentent certaines caractéristiques leur donnant un avantage sur les autres (une aptitude à se
procurer plus facilement de la nourriture ou à échapper aux prédateurs, par exemple)
bénéficient d'une possibilité de survie accrue. Ces variations, et ce qui en résulte, observables
partout, expliquent, selon Darwin, l'évolution biologique ou plutôt ce qu'il appelle "descent
with modification". Tout comme l'homme peut occasionner des changements spectaculaires
chez les animaux domestiques en sélectionnant artificiellement les caractéristiques qu'il veut
voir développées ("L'ORIGINE DES ESPECES" : Chapitre l : "Variation under
domestication"), de même la nature "sélectionne" parmi les individus d'une espèce les plus
aptes à affronter les rigueurs de l'existence, ceux qui sortiront vainqueurs de la "lutte pour la
vie" ("L'ORIGINE DES ESPECES" : Chapitre II : "Variation under Nature"). Etant donné
que les conditions du milieu changent, la sélection naturelle favorise l'apparition de certaines
caractéristiques au sein d'une population qui varie "au hasard" (Darwin entendait par là "ce
que la science n'a pas encore découvert"), les espèces s'adaptent progressivement aux
conditions nouvelles, celles 'qui n'y parviennent pas sont condamnées à disparaître. La nature
garantit "la survie du plus apte" dira Darwin, empruntant l'expression à Herbert Spencer ("A
THEORY OF POPULATION" - Essai paru dans la Westminster Review -1852).
Cette notion de "lutte pour la vie dans la nature" ayant déjà été développée chez
De Candolle ou chez Lyell, on peut se demander ce que Darwin a trouvé de plus chez
Malthus. La réponse est simple et multiple.
1 - L'idée de l'extinction, selon Malthus, n'est pas, comme elle l'est pour Lyell, relative
à l'extinction d'un type spécifique mais à celle d'une large masse d'individus --->
Raisonnement populationniste et non essentialiste .
2 - Aux deux niveaux où la "concurrence" était censée s'exercer, à savoir :
a) entre les conditions de vie et l'espèce considérée
b) entre les diverses espèces occupant un même site géographique, on dirait
aujourd'hui une même "niche écologique"
Malthus en ajoutait une troisième :
c) entre les individus d'une même espèce (Lutte intraspécifique) .
3 - Malthus explique la sélection naturelle, non par des modifications du type mais par
les lois des nombres.
2) Le darwinisme aux Etats-Unis.
On peut imaginer les réactions que suscita la théorie de Darwin dans un monde où
l'existence de Dieu n'avait jusqu'alors jamais été sérieusement mise en cause. Car l'enjeu était
bien celui-là, même si Darwin, sans doute pour ne pas choquer ses contemporains, concluait
son ouvrage en invoquant le Créateur. Pour que les espèces puissent progressivement se
transformer il fallait nécessairement que l'âge de la Terre fût infiniment supérieur à l'âge
"biblique" qu'on lui attribuait alors (L'Archevêque Ussher avançait que le monde avait été
créé en 4004 avant Jésus-Christ !!!) . Bien que Darwin, prudemment, ne traitât pas de
l'Homme dans "L'ORIGINE DES ESPECES", très rapidement sa théorie fut transposée du
monde animal et végétal à l'espèce humaine et l'idée de "l'homme descendant du singe" qui lui
fut attribuée date donc de cette époque (Juin 1860 : controverse publique qui opposa partisans
et adversaires de Darwin et en particulier Wilberforce et Huxley, lors de la réunion annuelle
de la "British Society for the Advancement of Science", à Oxford).
La question de l'évolution divisait les "bien-pensants" et les "mal-pensants" et
l'Angleterre, bien plus que la France, détenait, à l'aube de l'ère victorienne, la palme en
matière d'intolérance religieuse. D'un côté les fondamentalistes, évangélistes, créationnistes et
consorts pour lesquels la théorie darwinienne avait généré une scandaleuse querelle dont
l'enjeu n'était rien moins que l'existence de Dieu. De l'autre, les libéraux, plus nombreux chez
nous, qui, conformément à une tradition philosophique et scientifique allant de Descartes à
Buffon, estimaient que la science se devait d'être objective, se baser sur des preuves tangibles,
et par conséquent exclure Dieu de son champ d'investigation. A leurs côtés nous rangerons
certains membres de l'Eglise anglicane qui, bien avant 1859, se montrèrent prêts à mettre à
jour leur religion afin qu'elle n'entrât pas en contradiction trop flagrante avec les nouvelles
sciences engendrées par les découvertes paléontologiques qui intriguaient. Le plus connu
d'entre eux, Baden Powell, s'inscrivait dans la tradition de la religion naturelle du XVIIIe
siècle fondée sur l'existence d'un Dessein dans la marche de la nature : pas d'intervention
directe de la divinité (Cause Première) ---> Causes secondes appelées plus tard "lois
scientifiques" ---> Possibilité d'évolution des espèces ("THE CONNECTION OF NATURAL
AND DIVINE TRUTH" 1838).
La parution de "L'ORIGINE DES ESPECES" ne souleva pas les mêmes passions
aux Etats-Unis qu'en Angleterre. Une confrontation comme celle qui opposa Huxley à
Wilberforce eût été impossible dans un pays à la veille d'une élection dont le résultat allait
rompre l'Union et provoquer une terrible guerre civile. Bien que la première édition
américaine de l'ouvrage de Darwin fût largement publiée en 1860, l'arrivée de la guerre ne
favorisa pas le développement de cette nouvelle théorie scientifique sauf parmi les
professionnels et quelques intellectuels aux idées avancées.
Ici et là, cependant, s'extrayant des remous de la politique, certains commençaient
à s'intéresser aux idées qui n'allaient pas tarder à transformer la vie intellectuelle du pays. Asa
Gray, botaniste à Harvard et ami de Darwin, rédigea un compte-rendu prudent de
"L'ORIGINE DES
ESPECES" dont un exemplaire de lancement lui avait été envoyé par son auteur. Dans ce
compte-rendu, publié dans l'"American Journal of Science and Arts", faisant preuve d'un
admirable esprit d'anticipation, il annonçait la publication d'une série d'articles destinés à
défendre l'évolution contre les inévitables accusations d'athéisme. Quelques personnes, qui
connaissaient Herbert Spencer, évolutionniste pré-darwinien, s'occupaient déjà à préparer une
campagne populaire en faveur de l'évolutionnisme : Edward Silsbee, modeste habitant de
Salem et promoteur de Herbert Spencer, trouva les deux hommes qui, plus que d'autres,
contribueraient au "remodelage" de la pensée américaine. Le premier, John Fiske, étudiant à
Harvard, inconditionnel de Spencer, se trouva rapidement à la tête du mouvement, aux côtés
d'Asa Gray, qui avait pour but avoué de rendre l'évolution respectable. Le second, Edward
Livingston Youmans, célèbre conférencier scientifique et auteur d'un manuel de chimie
largement répandu dans les établissements scolaires, prit sur lui de contribuer à la diffusion
des ouvrages scientifiques relatifs à l'évolution par l'intermédiaire de la maison d'édition "D.
Appleton and Company".
L'intérêt pour les sciences naturelles devait croître rapidement. Des articles parus dans
des revues religieuses et des magazines populaires prouvent que les lecteurs américains
s'intéressèrent vivement à la controverse sur l'évolution dans les années qui suivirent la
Guerre de Sécession.
De nombreux Américains étaient prêts à accepter le darwinisme d'autant que le
clergé libéral encourageait à l'exégèse et à la modération du fondamentalisme religieux,
n'hésitait pas à inciter à la comparaison des diverses religions existantes. "TEN GREAT
RELIGIONS" de James Freeman Clarke, une étude libérale des croyances du monde, fut édité
vingt-deux fois dans les quinze ans qui suivirent sa première publication en 1871. "WHO
WROTE THE BIBLE" de Washigton Gladden, publié en 1891, est un autre exemple de
vulgarisation dans le domaine de l'exégèse biblique.
Plus que tout autre Américain, John Fiske ressentait le besoin "faustien" de
s'adonner entièrement à la connaissance. Avant l'âge de vingt ans il parlait couramment huit
langues et avait commencé à en étudier six autres. Bien qu'issu d'une famille fort conformiste
de la Nouvelle Angleterre, son orthodoxie se trouva bientôt minée par la Science européenne.
Avant même d'entrer à Harvard il s'était passionné pour "COSMOS" d'Alexander von
Humboldt et l’œuvre de Goethe pour s'intéresser ensuite aux écrivains scientifiques anglais
parmi lesquels Stuart Mill, Buckle, Herschel, Bain, Lyell et Huxley. Lorsque le darwinisme fit
son apparition, avec son impressionnante réponse à l'énigme posée par les espèces, quand
Spencer proposa une interprétation des sciences claire et précise, Fiske avait changé de dieux
depuis longtemps.
Henry Adams, dérouté par la Guerre de Sécession à laquelle il venait de prendre
part, fut à son tour touché par la "grâce" darwiniste. "Il ressentit, comme neuf personnes sur
dix, une instinctive croyance en l'Evolution... La sélection naturelle ramenait à l'évolution
naturelle, et enfin à l'uniformité naturelle. C'était un grand pas en avant. L'Evolution
incessante assortie à un conditionnement uniforme plaisait à tous, sauf aux prêtres et aux
évêques." ("THE EDUCATION OF HENRY ADAMS" New York : Modern Library -1931 pages 225 et 226).
Pour d'autres, plus convaincus des implications optimistes de l'évolution, "L'Origine
des Espèces" devint un oracle que l'on consultait avec le respect généralement réservé à
l'Ecriture Sainte. Charles Loring Brace, travailleur social de premier plan et réformateur, lut
l’ouvrage treize fois pour parvenir à la certitude que l'évolution garantissait la réalisation
finale de la vertu humaine et la perfection de l'homme. "Car si la théorie darwinienne est
vraie, la loi de la sélection naturelle s'applique à toute l'histoire morale de l'humanité ainsi
qu'à son histoire physique. En tant qu'élément le plus faible il est inévitable que le mal soit en
fin de compte anéanti dans la lutte qui l'oppose au bien." ("THE LIFE OF CHARLES
LORING BRACE" Emma Brace -1894"- pages 300 à 303).
Seul, parmi les naturalistes américains de premier plan, Louis Agassiz refusa jusqu'à
sa mort d'adhérer au darwinisme ou à l'évolutionnisme sous quelque forme qu'il se présente.
Lui voyant peu d'avenir, il alla jusqu'à dire qu'il "survivrait à cette manie" ("LOUIS
AGASSIZ" C.F. Holder -1893 - page 181). A sa mort, en 1873, l'Amérique perdit son dernier
éminent opposant à la nouvelle théorie. Même si Agassiz avait vécu plus longtemps, il est
douteux que son influence aurait pu retarder la propagation de la thèse évolutionniste parmi
les scientifiques. Dès avant sa mort, ses propres étudiants désertaient le camp fixiste. L'un
d'entre eux, Joseph Le Conte, estimait que la propre classification des formes animales établie
par Agassiz contenait en filigrane les grandes lignes de la théorie du développement. Peu de
temps après la mort du plus célèbre fixiste américain, un écrivain faisait remarquer que huit
de ses plus éminents élèves à Harvard, y compris son propre fils, étaient devenus des
évolutionnistes relativement connus. En 1874, James Dwight Dana, le doyen des géologues
américains, après une résistance prolongée, adhéra à son tour à la théorie darwinienne dans la
dernière édition de son "MANUAL OF GEOLOGY".
Au début des années 1870, la transformation des espèces et la sélection naturelle
étaient quasi-unanimement reconnues par les naturalistes américains. A la vingt-cinquième
réunion de l'"American Association for the Advancement of Science", le vice-président,
Edward S. Morse, fit un compte-rendu remarquable des preuves étayant l'évolution apportées
par les biologistes américains. La plus impressionnante de ces études fut celle du professeur
Othniel C. Marsh de Yale : c'est lui qui, en 1874, rassemblera une collection remarquable de
fossiles de chevaux dont il retraça le développement au cours des périodes géologiques.
Darwin salua son article comme étant le meilleur support de l'évolution ayant paru dans les
deux décennies qui ont suivi la publication de "L'ORIGINE DES ESPECES".
L’approbation des spécialistes ne pouvait qu’avoir un effet positif dans le monde
universitaire. Le mouvement de réforme alla s'amplifiant et de nombreuses universités
ouvrirent leurs portes à des professeurs prêchant l'évolutionnisme. Ainsi, à Harvard, John
Fiske qui, quelque huit ans auparavant, en tant qu'étudiant, avait été menacé de renvoi s’il
continuait à parler de Comte, généralement considéré comme athée, se vit proposer la chaire
de philosophie positiviste. Ayant depuis longtemps abandonné Comte pour Spencer, il en
profita, bien sûr, pour défendre les théories de Darwin et de Spencer, attirant un public vaste
et enthousiaste.
La création, en 1876, de la John Hopkins University, une institution consacrée à la
recherche et libre de toutes attaches avec une quelconque dénomination religieuse, fit faire un
grand pas en avant à l'enseignement supérieur. Son premier président, Daniel Coit Gilman,
mit dès l'abord en évidence son opposition à tout obscurantisme en invitant Thomas Henry
Huxley, alors en tournée de conférences aux Etats-Unis, à venir prendre la parole lors de
l'inauguration de son établissement.
Les Eglises restaient les dernières citadelles à investir. Si les dénominations
protestantes les plus libérales furent vite acquises à l'évolutionnisme, il n'en fut pas de même
pour un grand nombre de dévots, catholiques ou protestants, et la persistance du
fondamentalisme jusqu'après le début du XXe siècle témoigne du fait que la conquête
darwinienne n'a pas été complète, et ce, bien qu'un chrétien convaincu, Henry Ward Beecher,
soit allé jusqu'à déclarer qu'il était "un fervent chrétien évolutionniste".
II .
1) Qu'est-ce que le darwinisme social ?
L'expression "darwinisme social" prête à polémique. Herbert Spencer à qui on
attribua la paternité de cette théorie appelée parfois "spencérisme", appliquait, ni plus ni
moins, la théorie darwinienne dans ses éléments essentiels – "sélection naturelle", "lutte pour
la vie", "survie du plus apte" (cette dernière expression était d'ailleurs de lui et il l'avait
employée bien avant la parution de "L'ORIGINE DES ESPECES") – à l'homme et aux
sociétés humaines. Pour lui, conformément à ses premiers principes qu'il développa dans
"SOCIAL STATICS" (1851) pour les étoffer ensuite dans "PRINCIPLES OF SOCIOLOGY"
(1855) puis dans "THE MAN VERSUS THE STATE" (1884), il n'existait qu'une seule loi
englobant nature et société et les principes de biologie, de psychologie, les données de
l'éthique, en découlaient uniformément. Certes, tout comme Huxley, Spencer s'inspirait
d'Adam Smith mais alors, que le premier s'appuyait sur la théorie des sentiments moraux se
développant en harmonie avec la division du travail (rejoignant ainsi la thèse centrale de
Darwin dans "THE DESCENT OF MAN" 1871 : "La conscience morale se développe avec le
progrès de la civilisation"), le second réclamait une libre compétition sur le modèle de la lutte
cosmique.
Nous nous efforcerons ici de montrer ce qu'était le "darwinisme social", bien que
Darwin soit demeuré fort réticent à cette extension :
a) par le truchement de l'explication de l'un de ses ouvrages :
"Statique Sociale"
b) par un essai d'explicitation de la pensée de Spencer.
a) Naissance d'une théorie: STATIQUE SOCIALE.
L'ouvrage parut donc en 1851. Traitant de la nature de l'homme, de la société, des
relations entre les individus, des rapports entre les individus et l'état, Spencer tente ici de
corriger la doctrine utilitariste et plus particulièrement benthamienne qui part du principe
fondamental qu'il faut tendre vers "le plus grand bonheur du plus grand nombre". Né au
moment de la grande influence de l'école de Manchester, STATIQUE SOCIALE est un
produit typique de la pensée que Spencer avait développée en participant aux activités des
cercles radicaux à Derby, sa ville natale, et qui avait trouvé sa première expression dans des
essais intitulés ON THE PROPER SPHERE OF GOVERNMENT, publiés dans le
Nonconformist, de 1842 à 1845.
D'emblée, l'ouvrage se veut moralisateur et l'engagement politique y est évident : il
s'agit d'exposer une règle de conduite pour accéder au bonheur. Celle-ci tient en une formule :
"laissez-faire", car si pour Plaute, Bacon et Hobbes "1' homme est un loup pour l'homme", il
est "naturellement bon" pour Spencer. Résolument optimiste, il estime que "la foi dans la
bonté substantielle des choses est le type de foi, le plus élevé". Ceci étant, la société, dont
l'individu constitue l'élément premier, la cellule de base, ira s'améliorant et parviendra au
bonheur absolu un jour ou l'autre. Autrement dit, comme disait Leibniz : "Tout est pour le
mieux dans le meilleur des mondes", ou plutôt tout sera un jour pour le mieux à condition
cependant de diminuer l'action de l'état dont toutes les interventions sont considérées comme
nuisibles : l'assistance par lui octroyée aux indigents est inutile car elle va à l’encontre de la
sympathie naturelle qui lie chacun à son prochain, et elle retarde l’amélioration de la race
humaine en empêchant la « sélection naturelle » et « la survie des plus aptes », il en va de
même en ce qui concerne l’instruction et l’assistance médical, domaines où l'Etat devrait se
garder d'intervenir. D'une logique implacable qui aboutit parfois au surréalisme et au cynisme,
on vient de le voir, STATIQUE SOCIALE est un incessant plaidoyer en faveur des droits de
l'individu, de la femme et des enfants, d'une plus grande liberté d'expression et d'opinion, du
droit de propriété, voire du droit d'ignorer l'Etat si on le veut. Toute l'argumentation s'appuie
sur ce principe premier et essentiel : "la liberté de chacun est limitée par les libertés
identiques de tous", principe que Spencer crut longtemps avoir été le premier à énoncer pour
apprendre ensuite que Kant, l'avait énoncé avant lui mais en l'inversant, à savoir qu'au lieu de
partir de la liberté intangible de l'individu limitée seulement par la liberté identique d'autrui,
son illustre prédécesseur avait d'abord établi les limites à ne pas dépasser pour y insérer
ensuite l'individu. Cette notion de limite à ne pas dépasser qui lui fera dire aussi que :
"quand deux individus entrent en conflit lors de la poursuite de leurs
fins respectives, les mouvements de l'un ne restent libres qu'aussi
longtemps qu'ils n'interfèrent pas avec les mouvements identiques de
l'autre",
et que J. S. Mill reprendra dans ON LIBERTY (1859), illustre comment la doctrine libérale
peut aboutir à l'anarchie, si on la pousse à l'extrême. Dans STATIQUE SOCIALE, H. Spencer
met en avant que la libre manifestation des capacités de chacun, le libre accomplissement de
ses activités ne cessent de tendre vers un état harmonieux optimal ou "equilibrium". Qu'est-ce
que le bonheur, en effet, sinon "un état déterminé de la conscience, le résultat de l'action de
sensations définies après avoir été modifiées par des influences externes ?". Ces "affections
de la conscience" sont comme filtrées par les "facultés" aux pouvoirs réceptif et réactif et le
bonheur s'acquiert grâce à la satisfaction de désirs obtenue par l'entremise de l'exercice
adéquat de ces facultés, c'est "un état de gratification de toutes les facultés". On en retiendra
que pour Spencer l'individu est un ensemble de facultés – les conférences sur la phrénologie à
laquelle il s'était intéressé dès l'âge de treize ans n'ont pas été oubliées – étant entendu que ces
facultés sont des relations fonctionnelles qui varient selon les circonstances.
L'argumentation de Spencer repose sur ce concept de la nature humaine, une
nature humaine changeante qui sans cesse tend à s'adapter aux conditions, a l'opposé de celle
abstraite, rigide et statique que décrivent les utilitaristes. Par conséquent, l'idée que l'on se fait
du bonheur ne peut être universelle et varie indéfiniment non seulement d' une époque à
l'autre, d'un lieu à l'autre, mais aussi d'un individu à l’autre. L'exercice des facultés censées
être génératrices de satisfactions étant variable d'un individu à l'autre, il n'existe pas deux êtres
qui possèdent la même "combinaison d'éléments" et donc les conditions du bonheur varient
indéfiniment. Il en résulte que cette "règle de la moralité sociale" édictée par les utilitaristes,
"le plus grand bonheur du plus grand nombre" perd tout son sens puisque "si l'humanité est
indéfiniment variable, elle ne peut être utilisée comme mesure pour évaluer la vérité morale".
D'où la question : si un code moral ne peut être déduit d'un concept de l'humanité, pourquoi
ne serait-il pas du ressort de l'Etat ou du législateur ?
La réponse de Spencer est claire. L'Etat ne peut avoir cette autorité, il n'est qu'une
institution transitoire, "accidentelle" et "la loi est pour l'homme ce qu'est la cage pour les bêtes
féroces". Prisons, police, tribunaux, tout l'appareil administratif et gouvernemental, n'existent
que parce que le mal existe. L'Etat est un "mal nécessaire" qui n'aura plus sa raison d'être
lorsque la civilisation aura évolué" lorsque l'individu se sera débarrassé de ces tendances
barbares qui, réminiscences du passé, subsistent encore en lui. Au fur et à mesure que la
civilisation avance, la pression gouvernementale diminue : c'est le progrès culturel et politique
qui le démontre, avec l'affirmation graduelle et constante de l'esprit démocratique et
l'augmentation du sentiment altruiste. L'Etat, donc, étant une institution transitoire, ne peut
imposer une loi morale la vraie morale, étant au-dessus des situations particulières, s'adresse à
l'homme idéal, l'homme "moral" pour lequel, donc, les peines et les récompenses n'ont pas de
sens.
A l'abstraction morale des benthamiens, à leur "expediency philosophy" prônant la
réalisation d'une moralité par des moyens particuliers, à l'idée que l'Etat doit gérer une
"bienfaisance positive" par le biais d'interventions directes et normatives, Spencer oppose une
"bienfaisance négative", l'Etat doit se limiter à garantir la liberté de la sphère individuelle en
la protégeant de tout danger externe : s'il dépasse cette fonction, il commet un abus et se
transforme en agresseur. "Aucun gouvernement ne peut avoir une autorité éthique" dira
Spencer. Que fait d'autre Spencer sinon dénier à l'Etat tout droit à l'intervention "positive"
sous prétexte que celle-ci nuirait au mécanisme "naturel" grâce auquel l'individu peut
prétendre accéder au bonheur ? "C'est faire peu de cas de l'état actuel de la société" lui fera
justement remarquer son ami T . H. Huxley. Et où en serions-nous si l'Etat n'était pas
intervenu pour prendre toute une série de mesures tendant à rendre la société plus égalitaire et
plus juste ? Spencer lui-même nuancera plus tard son optimisme des débuts. Dans la note
ajoutée à la fin du chapitre L'évanescence (ou diminution) du mal (édition de 1892), on peut
lire :
"les conclusions auxquelles je suis parvenu devraient largement être
assorties de réserves :
Diverses races humaines, vivant dans des régions peu
favorisées et contraintes à mener une vie misérable, ne peuvent
aucunement s'adapter pour donner un type satisfaisant".
A ce propos la lettre qu'il écrivit à un certain Moncure D. Conway, le 15 août 1900, ne
manque pas de saveur :
"Vous semblez croire, comme je l'ai moi–même cru dans ma jeunesse,
que les hommes sont des êtres humains raisonnables et qu'ils sont
convaincus par toute chose qui leur est démontrée. Tout prouve le
contraire. Un homme est un ballot de passions qui souvent utilisent sa
raison pour obtenir ce qu'elles veu1ent, et le résultat en tous temps et
tous lieux dépend des passions dominantes. On assiste aujourd'hui à
une résurgence inhabituelle des passions qui caractérisent la brute.
Bien plus maintenant qu'il y a quelque vingt ans, les hommes font
montre non pas de ces facultés et sentiments qui les particularisent
comme êtres humains, mais de ceux qu'ils ont en commun avec les
êtres inférieurs. Ils se vantent d'être de plus en plus proches de la
nature du bouledogue" .
Le cheminement vers l'harmonie annoncée en 1851 semble bien avoir
été compromis .
Dans THE FILIATION OF IDEAS (1899), Herbert
Spencer, dressant en quelque sorte un bilan de son activité littéraire,
nous dit, au sujet de STATIQUE SOCIALE :
1 "Lorsque j'ai fait référence à des auteurs qui ont traité
de la morale et de la politique le but recherché, dans ce cas comme
dans d'autres, était de revenir aux faits se rapportant au
comportement humain et d'en tirer directement les conséquences ."
2 "Souhaitant être le plus complet possible, j'ai commencé
par délimiter tout le champ que couvre un système moral"
3 "Le programme présenté au début - un programme
correspondant à celui qui finalement sera adopté dans LES
PRINCIPES DE L' ETHIQUE - faisait état de l'affirmation du droit de
tout individu à revendiquer des gratifications naturelles dans des
limites spécifiques"
4 "Le premier principe affirmait que cette liberté, dans
certaines 1imites, impliquait qu'il était moral d'avoir le bonheur pour
but"
5 "Un autre fait significatif est que toute l'argumentation
se fonde sur le processus de l'Evolution, pour autant que la nature
humaine est concernée. La plasticité morale de l'Homme et
l'adaptation graduelle de sa nature à l'état social y sont constamment
affirmées. S'y trouve aussi une reconnaissance furtive du principe de
la Survie du Plus Apte. Le processus salutaire par lequel chez les
animaux et les humains, l'inférieur disparaît pour permettre au
supérieur de perpétuer la race est avancé ; mais les conséquences
qu'en a tirées Darwin ne sont pas reconnues."
b) La théorie spencérienne ou le darwinisme social :
La référence à l'évolution et à Darwin nous amène à traiter maintenant de ce que
fut la théorie spencérienne. Dans son livre intitulé LA PENSEE HIERARCHIQUE ET
L'EVOLUTION, Patrick Tort nous met en garde contre la confusion courante entre
évolutionnisme et darwinisme .
"Le darwinisme, écrit-il, est une théorie biologique transformiste dont
on peut localiser rapidement le noyau de scientificité original dans le
principe de la descendance modifiée par sélection naturelle.
L'évolutionnisme est une philosophie qui s'est manifestée sous sa
forme la plus systématique dans l'Angleterre industrielle du 19ène
siècle par le truchement principal des oeuvres de Herbert Spencer."
Et il rappelle ensuite qu'après la parution en 1859 de L'ORIGINE DES
ESPECES, Spencer fait référence à la biologie d'une manière plus insistante.
"Si cela est vrai, ajoute-t-il cependant, il ne faut pas oublier pour
autant que les idées-forces de l'évolutionnisme spencérien se sont
déployées sans rupture notable de 1842, date de ses premiers écrits
sur la doctrine libérale, jusqu'en 1896. Son ralliement occasionnel et
sectoriel à la théorie darwinienne a donc, certes, un sens, mais ce
sens n'est nullement celui d'une instauration ou d'une restauration de
sa philosophie."
L’œuvre littéraire immense de Herbert Spencer, et l'éclectisme qui le caractérise (philosophe
dans le plein sens du terme, il s'intéressa à tous les domaines de la connaissance : biologie,
physiologie, astronomie, géologie, botanique, zoologie, psychologie, sociologie...) ne
permettent pas d'exposer ici sa pensée profonde dans les détails. Néanmoins, on peut, sans
prétention, essayer de présenter la doctrine qui fut la sienne et qui sous-tend l'ensemble de son
œuvre.
En quoi consiste donc cette théorie spencérienne de l'évolution dont Patrick Tort
dit qu'elle est une théorie du progrès ? Suffit-il de dire qu'elle est l'héritage du lamarckisme,
que l'un de ces points, le principe de la survivance du plus apte, a inspiré le principe de la
sélection naturelle à Darwin, que Spencer est le véritable inventeur de ce qui plus tard fut
appelé le darwinisme social ? Certes pas.
"Ce qui évolue, c'est ce qui change, et ce qui est le plus immédiatement
vécu comme changement, c'est, intimement lié à l'être subjectif et au
monde, le corps propre." (Patrick Tort : LA PENSEE
HIERARCHIQUE ET L'EVOLUTION)
De même que dans l'embryon se forment graduellement le système nutritif et les organes du
mouvement, de même la société se divise en classe dirigeante (organe du mouvement) et
classe gouvernée (qui produit la nourriture) et Spencer d'ajouter :
"Que ce soit dans le développement de la terre, dans le
développement de la vie à sa surface, dans le développement de la
société, du gouvernement, des manufactures, du commerce, du
langage, de la littérature, des sciences, des arts, on constate la même.
évolution par différenciations successives allant du plus simple au
plus complexe."
Les mêmes lois s'appliquent selon lui, à l'ordre biologique et à l'ordre social :
"A l'aube de l'humanité, un agrégat homogène d'individus :
indifférenciés, à l'autre extrémité de la chaîne, les sociétés
civilisées, et entre les deux, des différenciations progressives dans
l'organisation du politique, de la religion, des mœurs."
Ce passage de l'homogène simple à l'hétérogène complexe, cet organicisme, est la clé de
voûte de la théorie spencérienne.
Son évolutionnisme concernant tout ce qui change, l'organicisme qui le
caractérise ne pouvaient pas s'inscrire dans le cadre d'un découpage dualiste des sciences.
Il n'est donc pas étonnant qu'il en établit en quelque sorte l'unité généalogique, théorie
moniste de l'évolution, et il est évident pour Spencer, que :
"dans cette classe de sciences formée par l'astronomie, la géologie,
la biologie, la psychologie et la sociologie, nous avons un groupe
naturel dont les parties ne peuvent être désunies ni placées dans un
ordre inverse." (En réponse aux critiques adressées par Alexander
Bain à la CLASSIFICATION DES SCIENCES -1864)
On sait qu'Auguste Comte, quant à lui, distinguait six sciences successives : mathématiques,
astronomie, physique, chimie, biologie, et enfin sociologie, qui s'étaient développées dans cet
ordre, et chacune d'elles, l'une après l'autre, selon la complexité de son objet, accédait à la
positivité. Il n'admettait pas qu’aucune discipline scientifique pût exister entre la biologie et la
sociologie et rejetait la psychologie, introspection subjective, dans les ténèbres de la
métaphysique. Spencer, ainsi que John Stuart Mill, pour qui l'homme ne se réduit pas à un
type, à une expression abstraite du tout social, mais peut aussi devenir objet d'analyse, ne
pouvait qu'élargir ce champ d'investigation philosophique en y incluant la psychologie,
science de l'esprit, aux côtés de la biologie, science de la vie organique, toutes deux aussi
importantes l'une que l'autre au regard de la sociologie qui doit sans cesse en tenir compte, De
même, il ne pouvait admettre cette autre tendance réductrice de la pensée comtienne qui
subdivisait en trois états successifs chaque branche de la connaissance (théologique,
métaphysique, positive) . S'inscrivant dans la tradition uniformitariste britannique, il ne voyait
qu'un seul stade théorique de la pensée, estimant, à juste titre, que croire en trois méthodes
successives de raisonner relève de l'absurdité.
En ce qui concerne la morale, Spencer, en accord sur ce point avec tous les partisans
de l'évolutionnisme, estimait que les lois scientifiques de la sociologie nous apprennent que la
société se compose d'individus, et que chaque individu possède, fût-ce à l'état embryonnaire,
une faculté qui le pousse à établir une "relation positive" avec son prochain , Cette notion n'est
au fond rien d'autre que le "fellow-feeling" théorisé par Adam Smith . L'optimisme qui le
caractérisait, et qui contribua largement à sa popularité (Ne prédisait-il pas le retour du
paradis sur terre !) lui faisait voir dans la loi du progrès humain une tendance naturelle -à la
différence de Chalmers qui l'attribuait à la Providence- vers un Bien Universel , Il suffisait,
selon lui, que l'homme s'adaptât au degré de développement pour assurer la bonne marche de
ce progrès. Pour Spencer, mais aussi pour Stuart Mill, le développement de l'intelligence
consiste en une série d'adaptations de l'esprit humain : l'instinct, la mémoire, la raison, les
sentiments, la volonté naissent d'une adaptation, d'un équilibre entre intérieur et extérieur et
tout le mal de l'univers découle de la non-adaptation "de la constitution aux conditions".
Quelques mois après la mort de Herbert Spencer, le 8 décembre 1903, une pétition
signée par quelque cinquante personnalités fut adressée à J. Armitage Robinson, doyen de
l'abbaye de Westminster afin qu'en ce lieu fût élevé un mémorial à la gloire du philosophe. Un
refus catégorique lui fut opposé. Voici un passage de la réponse du doyen qui par ailleurs
avait précisé que "ceci n'est pas seulement le résultat de mon propre jugement, c'est aussi
celui d'experts dont l'avis a été sollicité" :
"Quand je me demande ce qu'il a fait d'important dans les
domaines de la philosophie ou des sciences de la nature, quand je me
demande quelle fut sa contribution à la pensée universelle et dans
quelle mesure son nom y sera rattaché, je ne trouve aucune réponse
satisfaisante. Son système philosophique a suscité les plus sévères
critiques, et ses opinions concernant des branches multiples de la
connaissance, physique autant que métaphysique, sont sévèrement
contestées par des experts. Il fut éminent pour sa génération et
stimulant au plus haut degré. Mais ce qui le caractérise, hormis son
aptitude au travail, ne justifie pas cette haute prétention à un
hommage national qui est à notre époque nécessairement accordé à
très peu d'élus ; et je n'ai pas su trouver la preuve que les résultats
obtenus par H. Spencer soient à même d'être appréciés par la
postérité.”
Certes, on peut douter qu'un représentant de l'église traditionnelle ait pu énoncer un jugement
impartial à l' encontre du non-conformiste en matière de religion, du panthéiste en puissance
qu'était Spencer . Il n'en reste pas moins que Robinson a contribué à ouvrir plus grande la
porte, qu'il prétendait déjà entrebâillée, aux critiques qui n'allaient pas tarder à se multiplier
particulièrement en Grande-Bretagne Ceci dit, pour aussi flatteuse qu'elle puisse être,
l'affirmation que:
"Le verdict de l'histoire sera qu’il appartenait à cette race de
penseurs suprêmement doués qui, par l'audace de leurs
généralisations et de leur impressionnante vision de la vie et de la
pensée ont ouvert à l'humanité de plus vastes horizons intellectuels”
(Hector Macpherson, ami de Spencer)
nous semble indéniable, car accepter cela n'est pas afficher pour autant notre accord
systématique avec toutes les idées de Herbert Spencer.
2) Le darwinisme social aux Etats-Unis :
En 1866, Henry Ward Beecher écrivait à Herbert Spencer :
"Les conditions particulières de la société américaine font que vos écrits sont
beaucoup plus fructueux et influents ici qu'en Europe" ("THE LIFE AND LETTERS OF
HERBERT SPENCER" -page 128 - David Duncan).
Les raisons pour lesquelles les Américains étaient davantage disposés à adhérer
aux idées de Spencer, Beecher ne les donne pas, mais on peut facilement les deviner : la
philosophie de Spencer était admirablement adaptée à la scène américaine: s'appuyant sur la
science, la physique et la biologie, elle était de portée globalisante, rassurante, elle couvrait
un champ assez large pour attirer des agnostiques comme Robert Ingersoll ou des théistes
comme Fiske et Beecher ; offrant une vue globale du monde et unissant tout ce qu'on peut
trouver dans la nature, des protozoaires à la politique, elle ne pouvait que séduire les
intellectuels progressistes à la recherche d'une théorie de l'univers suffisamment structurée et
convaincante pour remplacer la cosmogonie biblique que le darwinisme avait sérieusement
ébranlée .
Les Etats-Unis des années 1860/1870 constituaient le champ d'expérimentation
idéal pour une théorie qui avait à peine fait ses preuves et les Américains, pour qui
"poursuite du bonheur", démocratie et liberté étaient indissociables, ne pouvaient qu'adhérer
aux idées séduisantes du champion du "laissez-faire", du défenseur des droits intangibles de
l'individu face à l'état, qui allait jusqu'à promettre à tous "le paradis sur terre" . Certes, les
Indiens continuaient à se faire décimer, les Noirs, bien que légalement débarrassés de leurs
chaînes, continuaient à souffrir de la ségrégation, mais à l'époque les expressions "génocide",
"égalité sociale" étaient encore exclues du vocabulaire de Monsieur Tout-le-Monde. Et,
après tout, n'était-ce pas l'illustration du principe de la "survie du plus apte" : ironie du sort,
Spencer, qui n'avait rien d'un esclavagiste ni d'un raciste, ne pouvait qu'en bénéficier et sa
théorie acquit une popularité et exerça une influence qu'elle ne méritait sans doute pas. Ainsi,
elle devint rapidement pour les étudiants une référence à partir de laquelle il fut possible de
reconstruire l'intelligentsia du pays. Oliver Wendell Holmes exagérait à peine lorsqu'il
écrivit:
"Aucun écrivain de langue anglaise, à l'exception de Darwin, n'a jamais autant
affecté tout notre mode de pensée relatif à l'univers" ("HOLMES-POLLOCK LETTERS" Cambridge 1941 -Tome I, pages 57 et 58).
A l' époque où la philosophie de Spencer commençait à gagner du terrain aux Etats-Unis, le
transcendantalisme était à son déclin et l'idéalisme philosophique inspiré de Hegel pointait à
peine à l'horizon. Le pragmatisme était à l'état de gestation chez Chauncey Wright et
l'impopulaire Charles Pierce. L'article devenu célèbre de ce dernier, "How to make our ideas
clear" fut publié en 1878, quatorze ans après le premier tome de la "PHILOSOPHIE
SYNTHETIQUE" de Spencer et la -"California Union Address" de William James, qui fit
date parce qu'elle marquait le début de la campagne destinée à rendre le pragmatisme
populaire, ne fut, propagée qu'en 1898 . La "PHILOSOPHIE SYNTHETIQUE" (publiée en
plusieurs volumes après 1864) a fait bien plus qu'occuper le terrain resté vacant entre le
transcendantalisme et le pragmatisme dans l' histoire des idées aux Etats Unis. Bien que
critiqué par certains -pour Emerson, Spencer n'était qu'un "écrivaillon" et William James
décocha ses flèches les plus acerbes à l' "Aristote victorien"-, Herbert Spencer fut pour la
plupart des Américains cultivés un grand homme, un intellectuel de qualité,une figure
éminente dans l'histoire de la pensée.
Celui qui a le plus oeuvré pour la propagation des idées de Spencer fut sans conteste
Edward Livingston Youmans . Déjà gagné au darwinisme, il ne fut pas long à adhérer à la
théorie spencérienne et à partir de 1860, date à laquelle il fut contacté à cette fin par Herbert
Silsby, un ami du philosophe anglais, il ne cessa de s'appliquer à trouver parmi ses
compatriotes les plus en vue des souscripteurs par anticipation aux oeuvres de Spencer, et la
Nouvelle-Angleterre, où il résidait, devint le berceau de l'influence spencérienne . La présence
sur les listes de souscription de noms tels que ceux de George Bancroft, Edward Everett, John
Fiske, Asa Gray, Charles Sumner -qui devait par la suite devenir le social-darwiniste le plus
ardent et le plus convaincant dans le pays et transformer sa chaire à l'université de Yale en
une véritable rampe de lancement des nouvelles idées- témoigne de l'énergie déployée par les
intellectuels de la Nouvelle-Angleterre pour trouver une audience américaine attentive aux
idées de Spencer. Mieux, en 1865, lorsque les bénéfices insignifiants obtenus par la
publication de ses premiers volumes faillirent obliger Spencer à renoncer à son oeuvre, c'est
encore Youmans qui lui sauva la mise en réussissant à collecter les 7 000 dollars manquant
auprès de concitoyens sympathisants.
Un nombre considérable d'Américains connaissaient l’œuvre de Spencer avant même
que fût publiée sa "SYNTHETIC PHILOSOPHY" . En 1864, année de la parution aux EtatsUnis de "SOCIAL STATICS", on pouvait lire dans l' ''Atlantic Monthly" :
"M. Spencer fait déjà autorité sur la scène mondiale… Il est déjà intervenu dans l'existence
studieuse de quelques penseurs qui savent maintenant à quel point notre civilisation doit lutter
pour pouvoir progresser . En Amérique, nous sommes en mesure de confesser combien nous
devons à l’œuvre de M. Spencer, car ici plus vite qu'ailleurs, les masses ont reconnu l'utilité
de ce que quelques-uns ne considèrent que comme une vérité" .
Dans les trois décennies après la Guerre de Sécession; il était impossible d'exercer une
activité dans quelque domaine intellectuel que ce soit si on ne connaissait pas Spencer et ses
idées. Presque tous les philosophes américains, éminents ou non, - notamment William James,
George Howison et James Mc. Cosh- durent faire référence à Spencer à un moment ou à un
autre. Il eut une influence déterminante sur la plupart des fondateurs de la sociologie
américaine, particulièrement sur Lester Ward (qui deviendra cependant l'un de ses critiques
les plus acerbes), Charles H. Cooley, Franklin H. Giddings, Albion W. Small et, bien entendu,
Charles Sumner.
Les éditions Appleton, sous la direction de Youmans, oeuvraient sans cesse dans
l'intérêt de Spencer . De nombreux articles de sa main ou le concernant étaient, en
conséquence, publiés dans les magazines populaires. La génération qui célébra l'héroïsme de
Grant fut aussi celle qui apprécia la pensée de Spencer et Henri Holt écrivit quelques années
plus tard :
"Probablement aucun autre philosophe n'a jamais connu un succès comparable à celui
qu'a connu Spencer de 1870 à 1890 . La plupart des philosophes qui l'ont précédé ont surtout
intéressé des lecteurs qui étaient habitués à étudier la philosophie. Spencer, quant à lui, était
non seulement l'objet de discussions entre tout ce que l'Angleterre et l'Amérique comptaient
comme intellectuels mais attirait aussi un cercle de lecteurs bien plus large qu'aucun autre ait
pu réunir avant lui"
L'impact de Spencer sur l' homme de la rue aux Etats-Unis est impossible à évaluer, on
peut cependant en avoir une vague idée. Le fait que des hommes, célèbres par la suite, fassent
souvent référence à lui dans leurs oeuvres ou leur autobiographie prouve qu'il fut lu par des
personnes provenant de milieux aisés ou moins aisés, par des gens qui, péniblement, dans des
milliers de villes et de hameaux, s'efforçaient de se débarrasser du carcan de l'orthodoxie
religieuse.
Ce qui est sûr, c'est que les ventes des oeuvres de Spencer en Amérique, de 1860,
année de la première publication, jusqu'en 1903, année de sa mort, atteignirent le nombre de
368 755 volumes,. un "chiffre probablement jamais atteint par des ouvrages traitant de sujets
aussi difficiles que la philosophie et la sociologie ("AUTOBIOGRAPHY" -Tome II, Page 113
- Herbert Spencer) . Les personnes qui subirent son influence sont d'autant plus nombreuses
qu'il faut y ajouter toutes celles qui avaient accès aux reproductions que l'on se passait de
main en main ou que l'on trouvait dans les bibliothèques. Certes, il serait ridicule d'affirmer
que tous les lecteurs adhéraient à ses idées et nul doute que la critique n'était pas inexistante.
Un journaliste disait, en 1884, alors que le succès déclinait : "les livres examinant ou réfutant
la théorie de Spencer forment maintenant une imposante bibliographie". Les attaques dont il
fut l'objet sont une autre preuve de l'influence prépondérante qu'exerça Spencer sur la société
américaine.
L'Amérique d'après la Guerre de Sécession, se caractérisant par une rapide expansion,
un esprit de compétition hors du commun, le refus de l'échec, était semblable à une vaste
caricature humaine taillée sur mesures pour "la lutte pour la vie" et "la survie du plus apte". Si
on ajoute à cela que le protestantisme, religion majoritairement pratiquée, renforçait cette
tendance en prônant que la réussite et la fortune étaient un don divin, un témoignage de la
bienveillance de Dieu, il n'est pas surprenant que les "élus", hommes d'affaires et chefs
d'entreprise, aient adhéré (avec un tel enthousiasme) à une doctrine qui les confortait dans leur
position. Le plus connu parmi ces brasseurs d'affaires est sans doute Andrew Carnegie. Très
vite il fut un fervent disciple de Spencer, devint son ami intime et le combla de faveurs. Dans
"The Gospel of Wealth" (1900), il écrivait :
"Le prix que la société doit payer à la loi de la concurrence est aussi élevé que celui
qu'elle paie pour le confort et l'agrément, mais elle en retire des avantages supérieurs à ce que
cela lui coûte car c'est à cette loi que nous devons notre extraordinaire développement
matériel qui s'accompagne de meilleures conditions de vie : mais que cette loi soit favorable
ou non, nous ne pouvons que constater ceci : elle est là, nous ne pouvons l'éviter, on ne lui a
pas trouvé de remplaçant, et bien que cette loi puisse paraître parfois dure pour l'individu, elle
est excellente pour la race, car elle assure la survie des meilleurs dans chaque catégorie".
Ayant lu ce credo du conservatisme, on ne s'étonnera pas que l’œuvre de Carnegie ait
été considérée par certains historiens comme le lien le plus solide qui unissait darwinisme et
capitalisme.
John D. Rockefeller a, lui aussi, beaucoup admiré Spencer . Lors d'une séance de
catéchisme, faisant allusion à la compétition économique, il alla jusqu'à dire:
"La croissance d'une grande entreprise n'est, ni plus ni moins, que l'illustration de la
"survie du plus apte". La Rose américaine ne peut s'épanouir, accompagnée de la splendeur et
du parfum qui font la joie de son admirateur, qu'au détriment des boutons qui l'entourent. Ce
n'est pas une tendance malfaisante dans le domaine des affaires. C'est tout simplement la mise
en pratique d'une loi de la nature et d'une loi divine." (Citation extraite de "OUR
BENEVOLENT FEUDALISM" (1902) -page 29 - William J. Ghent).
Spencer fit un seul et mémorable voyage aux Etats-Unis à l'automne de l'année 1882,
alors qu’il était à l'apogée de la gloire . Lorsqu'il accepta, après maintes tergiversations, une
interview avec ces "messieurs" de la presse, qu'il n'appréciait pas beaucoup, il exprima (et ce
fut une déclaration quelque peu discordante) sa crainte que le tempérament américain ne soit
pas suffisamment développé pour faire le meilleur usage des institutions républicaines
instaurées aux Etats-Unis.
Il ne pensait pas si bien dire : des critiques commençaient à fuser contre le mode de
gouvernement, contre la doctrine de la libre entreprise, contre, somme toute, le darwinisme
social . Les "Grangers", "Greenbackers", "Single Taxers", "Knights of Labour" ainsi que les
syndicalistes, populistes et socialistes utopistes et marxistes, tous réclamaient des réformes et
une intervention étatique plus grande, tous insistaient pour qu'on procédât à une refonte
approfondie de l'ordre social.
CONCLUSION
De 1876 à 1890, en moins de quinze ans, les Etats-Unis s'étaient élevés du quatrième
au premier rang mondial des producteurs d'objets manufacturés. Mais à quel prix ? Alors que
la montée des grandes industries avait eu pour corollaire une ascension fulgurante de la
ploutocratie -le nombre des milliardaires, ceux qu'on appelait "les barons voleurs'" était passé
de trois en 1860 à quarante en 1890-, les faillites des artisans et des petits entrepreneurs
s'étaient accumulées. La "poursuite du bonheur" pourtant promise par la Constitution, était
devenue l'apanage de quelques-uns, un mythe pour la plupart.
Le paupérisme grandissant, les conditions de travail et les horaires on ne peut plus
durs, particulièrement pour les femmes et les enfants, le délabrement croissant des campagnes
et le chômage toujours en extension provoquèrent des jacqueries et des émeutes dont la plus
sanglante fut celle de Haymarket en 1886 .
Le darwinisme-social était sur la voie du déclin, laissant peu à peu la place au
socialisme utopique à la manière d'Edward Bellamy ("LOOKING BACKWARD" paraîtra en
1888 et connaîtra un succès retentissant) ou de William Morris ("NEWS FROM NOWHERE
-1890) .
Il fallut attendre l'accession à la Présidence de Théodore Roosevelt, en 1901 (cette
année-là, l'énorme concentration de richesses entre les mains de quelques-uns connut une
sorte d'apogée lorsque le magnat de la banque, J. P . Morgan, s'associa avec celui de la
sidérurgie, Andrew Carnegie, pour fonder la "U.S. Steel Corporation" dont le capital dépassait
un million de dollars) pour que le gouvernement fédéral prenne conscience des problèmes
sociaux et s'emploie à les résoudre ... en faveur des travailleurs, et non pas, comme ce fut le
cas maintes fois auparavant, pour soutenir les patrons et briser les mouvements revendicatifs à
l'aide de la police ou de l’armée fédérale: le pragmatisme était en marche.
Quant à Herbert Spencer, il suffira sans doute d'ajouter qu'il vécut-encore quelques
années après sa période de gloire. A la fin de sa vie il était conscient du fait que l'esprit du
temps rejetait sa théorie et un de ses amis racontait que, lui rendant visite, il le trouva un jour
"tristement déçu" de voir sa doctrine politique rejetée, l’individualisme désapprouvé et les
idéaux socialistes appréciés.
"Herbert Spencer est un nom avec lequel on jonglait il y a vingt-cinq ans", disait
ironiquement un expert en matière de religion en 1917, "Qui donc s’intéresse à lui
aujourd’hui ?"
INDEX DES AUTEURS CITÉS
ADAMS Henry
AGASSIZ Louis
ANAXAGORE
ANAXIMANDRE
BAIN Alexander
BANCROFT 'George
BECQUEMONT Daniel
BEECHER Henry Ward
BELLAMY Edward
BOWNE Borden P.
BRACE Emma
BRUNO Giordano
BUCKLE Thomas H.
BUFFON Georges
CANDOLLE: Augustin de
CARNEGIE Andrew
CHALMERS Thomas
CLARKE James Freeman
COMTE Auguste
COOLEY Charles H.
DANA James Dwight
DARWIN Charles
DARWIN Erasmus
DEWEY John
DIDEROT Denis
DUNCAN David
EMERSON Ralph W.
EMPEDOCLE
EVERETT Edward
FISKE John
GALIEN
GHENT William J..
GIDDINGS Franklin H.
GLADDEN Washington
GOETHE Wolfgang won
GRAY Asa
HARRIS William T.
HEGEL Friedrich
HERACLITE
HERSCHEL William
HOFSTADTER Richard
HOLMES Olivier Wendell
HOLT Henri
HOOKER Joseph Dalton
HOWISON George
HUMBOLT Alexander von
HUXLEY Thomas Henry
INGERSOLL Robert
JAMES William
KOHLBRUGGE
KOHN D.
LAMARCK Jean-Baptiste
LE CONTE Joseph
LUCRECE
LYELL Charles
Mc COSH James
MALTHUS Thomas
MARSH Othniel C.
MILL John Stuart
MORRIS William
MORSE Edward S.
OWEN Richard
PIERCE Charles
POWELL T . Baden
ROCKEFELLER John D.
ROYCE Josiah
SILSBY Herbert
SMALL Albion W.
SMITH Adam
SPENCER Herbert
SUMNER Charles
TORT Patrick
VANINI Lucilio
WARD Lester
WILBERFORCE Samuel
WRIGHT Chauncey
YOUMANS Edward Livingston
Bibliographie
ADAMS Henry:
BECQUEMONT Daniel
BELLAMY Edward
BRACE Emma
CARNEGIE Andrew
CLARKE James Freeman
DANA James Dwight
DARWIN Charles:
DUNCAN David:
GHENT William J.
GLADDEN Washington
HOFSTADTER Richard
HOLMES Oliver Wendell
HUMBOL T Alexander von
JAMES William
KOHLBRUGGE
KOHN D.
MALTHUS Thomas
MILL John Stuart
MORRIS William
PIERCE Charles
POWELL T Baden
SPENCER Herbert
TORT Patrick
"The Education of Henry Adams" - New-York
- Modern Library (1931)
"Darwin, darwinisme, évolutionnisme" (1992)
"Looking Backward" (1888)
"The Life of Charles Loring Brace" (1894)
"The Gospel of Wealth" (1900)
"Ten Great Religions" (1871)
"Manual of Geology" (1874)
"The Origin of Species" (1859)
"The Descent of Man" (1871)
"The Life and Letters of Herbert Spencer" (1908)
"Our Benevolent Feudalism" (1902)
"Who Wrote the Bible" (1891)
"Social Darwinism in American Thought" (1959)
"Holmes-Pollock Letters" - Cambridge (1941)
"Cosmos" (1845-62)
"California Union Address" (1898)
"War Darwin ein Originelles Genie"
"Theories to Work by : Rejected Theories,
Reproduction and Darwin's Path to Selection"
"An Essay on the Principle of Population" (1798)
"On Liberty" (1859)
"News from Nowhere" (1890)
"How to Make our Ideas Clear" (1878)
"The Connexion of Natural and Divine Truth"
"On the Proper Sphere of Government"
(Nonconformist - 1842-45)
"Social Statics" (1851)
"The Classification of the Sciences" (1864)
"Principles of Sociology" (1876)
"Principles of Ethics" (1879)
"The Man versus The State" (1884)
"The Filiation of ldeas" (1899)
"Synthétic Philosophy " (1864-1879)
"Autobiography".( 1904-publicati6n posthume)
"La Pensée Hiérarchique et l'Evolution" (1982)
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