Darwinisme et darwinisme social aux États-Unis
Edmond Krzyzostanek
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
Chapitre 1 :
1) Qu’est ce que le darwinisme ?
2) Le darwinisme aux Etats Unis
Chapitre 2 :
1) Qu’est ce que le darwinisme social ?
a) Naissance d’une théorie : Statique Sociale
b) La théorie spencérienne ou le darwinisme social
2) Darwinisme social aux Etats Unis
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES AUTEURS CITES
INTRODUCTION
La publication de "L'ORIGINE DES ESPECES" suscita une véritable révolution dans le
domaine des sciences biologiques, porta un coup sérieux aux conceptions morale et philosophique du
monde occidental. L'ouvrage de Charles Darwin déclencha une véritable tempête dans la société
victorienne : on alla jusqu'à en brûler des exemplaires et son auteur fut à maintes reprises pourfendu
du haut des chaires. Chose étonnante, certains naturalistes et paléontologistes distingués, tels Richard
Owen en Angleterre et Louis Agassiz aux Etats-Unis, bien qu'ils fussent censés avoir une
connaissance approfondie des preuves avancées par Darwin, prirent rang parmi ses critiques les plus
fanatiques et les plus véhéments. En contrepartie, cependant, d'autres scientifiques, tout aussi
remarquables, parmi lesquels Charles Lyell, Joseph Dalton Hooker, Thomas Henry Huxley ainsi que
l'Américain Asa Gray, reconnurent l'importance capitale de l'ouvrage de Darwin.
L'impact de "L'ORIGINE DES ESPECES" fut tel que très rapidement la théorie qui s'y
trouvait développée ne fut plus connue que sous le nom de DARWINISME. Brièvement, car le sujet
est vaste, très vaste, et modestement car nul ne saurait se mesurer aux éminents philosophes et
scientifiques qui en ont débattu , nous nous efforcerons de définir cette théorie puis de traiter de son
influence aux Etats-Unis dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Tout naturellement la théorie de Darwin, qui concernait les animaux (au sens courant du
terme, l'homme en est exclu ou plutôt s'en exclut) et les végétaux, s'appellera DARWINISME
SOCIAL, dès lors qu'elle sera appliquée à l'homme et aux sociétés humaines, ce qui sera fait
essentiellement par Herbert Spencer. Qu'est-ce que le darwinisme ‘social’ ? Quelle a été son
influence aux Etats-Unis ? sont les questions auxquelles nous essaierons de répondre.
I .
1) Qu'est-ce que le darwinisme ?
Le seul nom de Darwin évoque en nous les notions d'"évolution", de "sélection naturelle", de
"descendance avec modifications", de "lutte pour l'existence", de "survie du plus apte", sans oublier
l'idée selon laquelle "l'homme descend du singe". Qu'en est-il vraiment ?
Si, dans le domaine des sciences de la nature, le terme "darwinisme" est avant tout synonyme
de "théorie de la sélection naturelle", on assimile souvent le darwinisme à l' "évolutionnisme", un
évolutionnisme au sens large, diffus et ambigu qu'on opposait, au XIXe siècle, au "fixisme", tout aussi
mal défini. A son corps défendant, car jamais il n'a employé le terme "évolution" il employait le mot
"développement" dans "L'ORIGINE DES ESPECES" , Darwin est donc devenu l'une des figures
majeures de l'évolutionnisme. L'originalité de sa théorie, si l'on s'en tenait là, se trouverait alors plus
ou moins diluée dans un courant dont les origines se perdent dans la nuit des temps (Huxley disait de
l'évolution qu'elle était la plus vieille des philosophies). Kohlbrugge, ("WAR DARWIN EIN
ORIGINELLES GENIE" pages 93 à 111), s'interrogeant sur l'originalité de l’œuvre de Darwin,
dénombrera jusqu'à 199 précurseurs et Darwin lui-même, cédant sous la pression de certains critiques
qui lui reprochaient de n'en avoir pas cité, se livrera à cet exercice fastidieux. Parmi tous ceux qui ont
exposé des thèses sur le changement, le développement, la transformation en général ou qui ont
entrevu l'un quelconque des concepts de base de la théorie darwinienne, on peut citer Empédocle,
Héraclite, Anaxagore, Anaximandre et Lucrèce dans l'Antiquité gréco-latine, des anatomistes et
philosophes de la Renaissance comme Galien, Vanini, Bruno, des philosophes du XVIIIe siècle
comme Diderot et Goethe, sans oublier les évolutionnistes pré-darwiniens, essentiellement Erasmus
Darwin, le grand-père de Charles, et Lamarck.
Darwin n'a donc pas été le premier à parler de modification des espèces animales et
végétales. Il fut cependant le véritable promoteur de la théorie évolutionniste moderne en
proposant un mécanisme plausible pouvant expliquer cette modification : la sélection
naturelle.
Il est prouvé que dès 1837, fin de son voyage autour du monde à bord du H.M.S.
Beagle, Darwin commença à douter de la stabilité et de l'inaltérabilité des espèces. Dès son
retour en Angleterre, il fut amené à mieux saisir l'hypothèse de leur évolution, encore qu'il
envisagea d'abord une "transmutation", autrement dit la transformation brutale d'une espèce
en une autre, et non une évolution. Il était alors encore fort proche du progrès finalisé de ses
prédécesseurs : créations successives, formes de vie d'une durée limitée, de plus en plus
complexes. Seul son "gradualisme" possibilité pour les espèces d'échapper à leur mort
programmée en se transformant par adaptation le distinguait de ces derniers.
Comme le fera remarquer D. Kohn ("THEORIES TO WORK BY : REJECTED
THEORIES, REPRODUCTION AND DARWIN'S PATH TO SELECTION" 1980),
Darwin était
alors avant tout à la recherche d'une théorie de l'évolution fondée sur la génération
(descendance avec modifications), de lois générales de la reproduction les conditions de
vie affecteraient le système reproducteur en lui fournissant une sorte d'informations sur les
besoins futurs de la progéniture. Il envisageait une sorte de tendance au changement, un élan
génétique, proche en somme des théories lamarckiennes, mais centrée sur l'action indirecte du
milieu sur les organes reproducteurs (cf. : "DARWIN, DARWINISME, EVOLUTIONNISME
Daniel Becquemont 1992). Une théorie, comme on peut le constater, fort éloignée de la
théorie finale, centrée sur la sélection naturelle, que lui inspira, en 1838, l'ouvrage intitulé :
"AN ESSAY ON THE PRINCIPLE OF POPULATION" 1798) de Thomas Malthus,
ecclésiastique et économiste politique du début du XIXe siècle.
Malthus s'intéressait surtout aux populations humaines mais il soulignait que,
conformément à un principe universel de la nature, tous les organismes vivants engendraient
une progéniture pléthorique par rapport au nombre de ceux qui survivraient jusqu'à l'âge
adulte, que "toutes les plantes et les animaux tendent à se multiplier selon une progression
géométrique alors que les moyens de subsistance croissent selon une progression
arithmétique" et qu'il faut donc, pour parvenir à un point d'équilibre, "que cet accroissement
géométrique soit arrêté par la destruction (guerres, famines, épidémies), à certaines périodes
de leur vie".
L'ouvrage de Malthus aida Darwin à comprendre un point important : comment la
sélection opérant parmi les descendants pouvait provoquer la mort des uns et la survie des
autres. Puisque les individus appartenant à une même espèce varient peu entre eux, ceux qui
présentent certaines caractéristiques leur donnant un avantage sur les autres (une aptitude à se
procurer plus facilement de la nourriture ou à échapper aux prédateurs, par exemple)
bénéficient d'une possibilité de survie accrue. Ces variations, et ce qui en résulte, observables
partout, expliquent, selon Darwin, l'évolution biologique ou plutôt ce qu'il appelle "descent
with modification". Tout comme l'homme peut occasionner des changements spectaculaires
chez les animaux domestiques en sélectionnant artificiellement les caractéristiques qu'il veut
voir développées ("L'ORIGINE DES ESPECES" : Chapitre l : "Variation under
domestication"), de même la nature "sélectionne" parmi les individus d'une espèce les plus
aptes à affronter les rigueurs de l'existence, ceux qui sortiront vainqueurs de la "lutte pour la
vie" ("L'ORIGINE DES ESPECES" : Chapitre II : "Variation under Nature"). Etant donné
que les conditions du milieu changent, la sélection naturelle favorise l'apparition de certaines
caractéristiques au sein d'une population qui varie "au hasard" (Darwin entendait par "ce
que la science n'a pas encore découvert"), les espèces s'adaptent progressivement aux
conditions nouvelles, celles 'qui n'y parviennent pas sont condamnées à disparaître. La nature
garantit "la survie du plus apte" dira Darwin, empruntant l'expression à Herbert Spencer ("A
THEORY OF POPULATION" - Essai paru dans la Westminster Review -1852).
Cette notion de "lutte pour la vie dans la nature" ayant déjà été développée chez
De Candolle ou chez Lyell, on peut se demander ce que Darwin a trouvé de plus chez
Malthus. La réponse est simple et multiple.
1 - L'idée de l'extinction, selon Malthus, n'est pas, comme elle l'est pour Lyell, relative
à l'extinction d'un type spécifique mais à celle d'une large masse d'individus --->
Raisonnement populationniste et non essentialiste .
2 - Aux deux niveaux où la "concurrence" était censée s'exercer, à savoir :
a) entre les conditions de vie et l'espèce considérée
b) entre les diverses espèces occupant un même site géographique, on dirait
aujourd'hui une même "niche écologique"
Malthus en ajoutait une troisième :
c) entre les individus d'une même espèce (Lutte intraspécifique) .
3 - Malthus explique la sélection naturelle, non par des modifications du type mais par
les lois des nombres.
2) Le darwinisme aux Etats-Unis.
On peut imaginer les réactions que suscita la théorie de Darwin dans un monde
l'existence de Dieu n'avait jusqu'alors jamais été sérieusement mise en cause. Car l'enjeu était
bien celui-là, même si Darwin, sans doute pour ne pas choquer ses contemporains, concluait
son ouvrage en invoquant le Créateur. Pour que les espèces puissent progressivement se
transformer il fallait nécessairement que l'âge de la Terre fût infiniment supérieur à l'âge
"biblique" qu'on lui attribuait alors (L'Archevêque Ussher avançait que le monde avait été
créé en 4004 avant Jésus-Christ !!!) . Bien que Darwin, prudemment, ne traitât pas de
l'Homme dans "L'ORIGINE DES ESPECES", très rapidement sa théorie fut transposée du
monde animal et végétal à l'espèce humaine et l'idée de "l'homme descendant du singe" qui lui
fut attribuée date donc de cette époque (Juin 1860 : controverse publique qui opposa partisans
et adversaires de Darwin et en particulier Wilberforce et Huxley, lors de la réunion annuelle
de la "British Society for the Advancement of Science", à Oxford).
La question de l'évolution divisait les "bien-pensants" et les "mal-pensants" et
l'Angleterre, bien plus que la France, détenait, à l'aube de l'ère victorienne, la palme en
matière d'intolérance religieuse. D'un côté les fondamentalistes, évangélistes, créationnistes et
consorts pour lesquels la théorie darwinienne avait généré une scandaleuse querelle dont
l'enjeu n'était rien moins que l'existence de Dieu. De l'autre, les libéraux, plus nombreux chez
nous, qui, conformément à une tradition philosophique et scientifique allant de Descartes à
Buffon, estimaient que la science se devait d'être objective, se baser sur des preuves tangibles,
et par conséquent exclure Dieu de son champ d'investigation. A leurs côtés nous rangerons
certains membres de l'Eglise anglicane qui, bien avant 1859, se montrèrent prêts à mettre à
jour leur religion afin qu'elle n'entrât pas en contradiction trop flagrante avec les nouvelles
sciences engendrées par les découvertes paléontologiques qui intriguaient. Le plus connu
d'entre eux, Baden Powell, s'inscrivait dans la tradition de la religion naturelle du XVIIIe
siècle fondée sur l'existence d'un Dessein dans la marche de la nature : pas d'intervention
directe de la divinité (Cause Première) ---> Causes secondes appelées plus tard "lois
scientifiques" ---> Possibilité d'évolution des espèces ("THE CONNECTION OF NATURAL
AND DIVINE TRUTH" 1838).
La parution de "L'ORIGINE DES ESPECES" ne souleva pas les mêmes passions
aux Etats-Unis qu'en Angleterre. Une confrontation comme celle qui opposa Huxley à
Wilberforce eût été impossible dans un pays à la veille d'une élection dont le résultat allait
rompre l'Union et provoquer une terrible guerre civile. Bien que la première édition
américaine de l'ouvrage de Darwin fût largement publiée en 1860, l'arrivée de la guerre ne
favorisa pas le développement de cette nouvelle théorie scientifique sauf parmi les
professionnels et quelques intellectuels aux idées avancées.
Ici et là, cependant, s'extrayant des remous de la politique, certains commençaient
à s'intéresser aux idées qui n'allaient pas tarder à transformer la vie intellectuelle du pays. Asa
Gray, botaniste à Harvard et ami de Darwin, rédigea un compte-rendu prudent de
"L'ORIGINE DES
ESPECES" dont un exemplaire de lancement lui avait été envo par son auteur. Dans ce
compte-rendu, publié dans l'"American Journal of Science and Arts", faisant preuve d'un
admirable esprit d'anticipation, il annonçait la publication d'une série d'articles destinés à
défendre l'évolution contre les inévitables accusations d'athéisme. Quelques personnes, qui
connaissaient Herbert Spencer, évolutionniste pré-darwinien, s'occupaient déjà à préparer une
campagne populaire en faveur de l'évolutionnisme : Edward Silsbee, modeste habitant de
Salem et promoteur de Herbert Spencer, trouva les deux hommes qui, plus que d'autres,
contribueraient au "remodelage" de la pensée américaine. Le premier, John Fiske, étudiant à
Harvard, inconditionnel de Spencer, se trouva rapidement à la tête du mouvement, aux côtés
d'Asa Gray, qui avait pour but avoué de rendre l'évolution respectable. Le second, Edward
Livingston Youmans, célèbre conférencier scientifique et auteur d'un manuel de chimie
largement répandu dans les établissements scolaires, prit sur lui de contribuer à la diffusion
des ouvrages scientifiques relatifs à l'évolution par l'intermédiaire de la maison d'édition "D.
Appleton and Company".
L'intérêt pour les sciences naturelles devait croître rapidement. Des articles parus dans
des revues religieuses et des magazines populaires prouvent que les lecteurs américains
s'intéressèrent vivement à la controverse sur l'évolution dans les années qui suivirent la
Guerre de Sécession.
De nombreux Américains étaient prêts à accepter le darwinisme d'autant que le
clergé libéral encourageait à l'exégèse et à la modération du fondamentalisme religieux,
n'hésitait pas à inciter à la comparaison des diverses religions existantes. "TEN GREAT
RELIGIONS" de James Freeman Clarke, une étude libérale des croyances du monde, fut édité
vingt-deux fois dans les quinze ans qui suivirent sa première publication en 1871. "WHO
WROTE THE BIBLE" de Washigton Gladden, publié en 1891, est un autre exemple de
vulgarisation dans le domaine de l'exégèse biblique.
Plus que tout autre Américain, John Fiske ressentait le besoin "faustien" de
s'adonner entièrement à la connaissance. Avant l'âge de vingt ans il parlait couramment huit
langues et avait commencé à en étudier six autres. Bien qu'issu d'une famille fort conformiste
de la Nouvelle Angleterre, son orthodoxie se trouva bientôt minée par la Science européenne.
Avant même d'entrer à Harvard il s'était passionné pour "COSMOS" d'Alexander von
Humboldt et l’œuvre de Goethe pour s'intéresser ensuite aux écrivains scientifiques anglais
parmi lesquels Stuart Mill, Buckle, Herschel, Bain, Lyell et Huxley. Lorsque le darwinisme fit
son apparition, avec son impressionnante réponse à l'énigme posée par les espèces, quand
Spencer proposa une interprétation des sciences claire et précise, Fiske avait changé de dieux
depuis longtemps.
Henry Adams, dérouté par la Guerre de Sécession à laquelle il venait de prendre
part, fut à son tour touché par la "grâce" darwiniste. "Il ressentit, comme neuf personnes sur
dix, une instinctive croyance en l'Evolution... La sélection naturelle ramenait à l'évolution
naturelle, et enfin à l'uniformité naturelle. C'était un grand pas en avant. L'Evolution
incessante assortie à un conditionnement uniforme plaisait à tous, sauf aux prêtres et aux
évêques." ("THE EDUCATION OF HENRY ADAMS" New York : Modern Library -1931 -
pages 225 et 226).
Pour d'autres, plus convaincus des implications optimistes de l'évolution, "L'Origine
des Espèces" devint un oracle que l'on consultait avec le respect généralement réservé à
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