Darwinisme et darwinisme social aux États-Unis Edmond Krzyzostanek TABLE DES MATIERES INTRODUCTION Chapitre 1 : 1) Qu’est ce que le darwinisme ? 2) Le darwinisme aux Etats Unis Chapitre 2 : 1) Qu’est ce que le darwinisme social ? a) Naissance d’une théorie : Statique Sociale b) La théorie spencérienne ou le darwinisme social 2) Darwinisme social aux Etats Unis CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE INDEX DES AUTEURS CITES INTRODUCTION La publication de "L'ORIGINE DES ESPECES" suscita une véritable révolution dans le domaine des sciences biologiques, porta un coup sérieux aux conceptions morale et philosophique du monde occidental. L'ouvrage de Charles Darwin déclencha une véritable tempête dans la société victorienne : on alla jusqu'à en brûler des exemplaires et son auteur fut à maintes reprises pourfendu du haut des chaires. Chose étonnante, certains naturalistes et paléontologistes distingués, tels Richard Owen en Angleterre et Louis Agassiz aux Etats-Unis, bien qu'ils fussent censés avoir une connaissance approfondie des preuves avancées par Darwin, prirent rang parmi ses critiques les plus fanatiques et les plus véhéments. En contrepartie, cependant, d'autres scientifiques, tout aussi remarquables, parmi lesquels Charles Lyell, Joseph Dalton Hooker, Thomas Henry Huxley ainsi que l'Américain Asa Gray, reconnurent l'importance capitale de l'ouvrage de Darwin. L'impact de "L'ORIGINE DES ESPECES" fut tel que très rapidement la théorie qui s'y trouvait développée ne fut plus connue que sous le nom de DARWINISME. Brièvement, car le sujet est vaste, très vaste, et modestement – car nul ne saurait se mesurer aux éminents philosophes et scientifiques qui en ont débattu –, nous nous efforcerons de définir cette théorie puis de traiter de son influence aux Etats-Unis dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Tout naturellement la théorie de Darwin, qui concernait les animaux (au sens courant du terme, l'homme en est exclu ou plutôt s'en exclut) et les végétaux, s'appellera DARWINISME SOCIAL, dès lors qu'elle sera appliquée à l'homme et aux sociétés humaines, ce qui sera fait essentiellement par Herbert Spencer. Qu'est-ce que le darwinisme ‘social’ ? Quelle a été son influence aux Etats-Unis ? sont les questions auxquelles nous essaierons de répondre. I. 1) Qu'est-ce que le darwinisme ? Le seul nom de Darwin évoque en nous les notions d'"évolution", de "sélection naturelle", de "descendance avec modifications", de "lutte pour l'existence", de "survie du plus apte", sans oublier l'idée selon laquelle "l'homme descend du singe". Qu'en est-il vraiment ? Si, dans le domaine des sciences de la nature, le terme "darwinisme" est avant tout synonyme de "théorie de la sélection naturelle", on assimile souvent le darwinisme à l' "évolutionnisme", un évolutionnisme au sens large, diffus et ambigu qu'on opposait, au XIXe siècle, au "fixisme", tout aussi mal défini. A son corps défendant, car jamais il n'a employé le terme "évolution" – il employait le mot "développement" dans "L'ORIGINE DES ESPECES" –, Darwin est donc devenu l'une des figures majeures de l'évolutionnisme. L'originalité de sa théorie, si l'on s'en tenait là, se trouverait alors plus ou moins diluée dans un courant dont les origines se perdent dans la nuit des temps (Huxley disait de l'évolution qu'elle était la plus vieille des philosophies). Kohlbrugge, ("WAR DARWIN EIN ORIGINELLES GENIE" – pages 93 à 111), s'interrogeant sur l'originalité de l’œuvre de Darwin, dénombrera jusqu'à 199 précurseurs et Darwin lui-même, cédant sous la pression de certains critiques qui lui reprochaient de n'en avoir pas cité, se livrera à cet exercice fastidieux. Parmi tous ceux qui ont exposé des thèses sur le changement, le développement, la transformation en général ou qui ont entrevu l'un quelconque des concepts de base de la théorie darwinienne, on peut citer Empédocle, Héraclite, Anaxagore, Anaximandre et Lucrèce dans l'Antiquité gréco-latine, des anatomistes et philosophes de la Renaissance comme Galien, Vanini, Bruno, des philosophes du XVIIIe siècle comme Diderot et Goethe, sans oublier les évolutionnistes pré-darwiniens, essentiellement Erasmus Darwin, le grand-père de Charles, et Lamarck. Darwin n'a donc pas été le premier à parler de modification des espèces animales et végétales. Il fut cependant le véritable promoteur de la théorie évolutionniste moderne en proposant un mécanisme plausible pouvant expliquer cette modification : la sélection naturelle. Il est prouvé que dès 1837, fin de son voyage autour du monde à bord du H.M.S. Beagle, Darwin commença à douter de la stabilité et de l'inaltérabilité des espèces. Dès son retour en Angleterre, il fut amené à mieux saisir l'hypothèse de leur évolution, encore qu'il envisagea d'abord une "transmutation", autrement dit la transformation brutale d'une espèce en une autre, et non une évolution. Il était alors encore fort proche du progrès finalisé de ses prédécesseurs : créations successives, formes de vie d'une durée limitée, de plus en plus complexes. Seul son "gradualisme" – possibilité pour les espèces d'échapper à leur mort programmée en se transformant par adaptation – le distinguait de ces derniers. Comme le fera remarquer D. Kohn ("THEORIES TO WORK BY : REJECTED THEORIES, REPRODUCTION AND DARWIN'S PATH TO SELECTION" – 1980), Darwin était alors avant tout à la recherche d'une théorie de l'évolution fondée sur la génération (descendance avec modifications), de lois générales de la reproduction où les conditions de vie affecteraient le système reproducteur en lui fournissant une sorte d'informations sur les besoins futurs de la progéniture. Il envisageait une sorte de tendance au changement, un élan génétique, proche en somme des théories lamarckiennes, mais centrée sur l'action indirecte du milieu sur les organes reproducteurs (cf. : "DARWIN, DARWINISME, EVOLUTIONNISME – Daniel Becquemont – 1992). Une théorie, comme on peut le constater, fort éloignée de la théorie finale, centrée sur la sélection naturelle, que lui inspira, en 1838, l'ouvrage intitulé : "AN ESSAY ON THE PRINCIPLE OF POPULATION" – 1798) de Thomas Malthus, ecclésiastique et économiste politique du début du XIXe siècle. Malthus s'intéressait surtout aux populations humaines mais il soulignait que, conformément à un principe universel de la nature, tous les organismes vivants engendraient une progéniture pléthorique par rapport au nombre de ceux qui survivraient jusqu'à l'âge adulte, que "toutes les plantes et les animaux tendent à se multiplier selon une progression géométrique alors que les moyens de subsistance croissent selon une progression arithmétique" et qu'il faut donc, pour parvenir à un point d'équilibre, "que cet accroissement géométrique soit arrêté par la destruction (guerres, famines, épidémies), à certaines périodes de leur vie". L'ouvrage de Malthus aida Darwin à comprendre un point important : comment la sélection opérant parmi les descendants pouvait provoquer la mort des uns et la survie des autres. Puisque les individus appartenant à une même espèce varient peu entre eux, ceux qui présentent certaines caractéristiques leur donnant un avantage sur les autres (une aptitude à se procurer plus facilement de la nourriture ou à échapper aux prédateurs, par exemple) bénéficient d'une possibilité de survie accrue. Ces variations, et ce qui en résulte, observables partout, expliquent, selon Darwin, l'évolution biologique ou plutôt ce qu'il appelle "descent with modification". Tout comme l'homme peut occasionner des changements spectaculaires chez les animaux domestiques en sélectionnant artificiellement les caractéristiques qu'il veut voir développées ("L'ORIGINE DES ESPECES" : Chapitre l : "Variation under domestication"), de même la nature "sélectionne" parmi les individus d'une espèce les plus aptes à affronter les rigueurs de l'existence, ceux qui sortiront vainqueurs de la "lutte pour la vie" ("L'ORIGINE DES ESPECES" : Chapitre II : "Variation under Nature"). Etant donné que les conditions du milieu changent, la sélection naturelle favorise l'apparition de certaines caractéristiques au sein d'une population qui varie "au hasard" (Darwin entendait par là "ce que la science n'a pas encore découvert"), les espèces s'adaptent progressivement aux conditions nouvelles, celles 'qui n'y parviennent pas sont condamnées à disparaître. La nature garantit "la survie du plus apte" dira Darwin, empruntant l'expression à Herbert Spencer ("A THEORY OF POPULATION" - Essai paru dans la Westminster Review -1852). Cette notion de "lutte pour la vie dans la nature" ayant déjà été développée chez De Candolle ou chez Lyell, on peut se demander ce que Darwin a trouvé de plus chez Malthus. La réponse est simple et multiple. 1 - L'idée de l'extinction, selon Malthus, n'est pas, comme elle l'est pour Lyell, relative à l'extinction d'un type spécifique mais à celle d'une large masse d'individus ---> Raisonnement populationniste et non essentialiste . 2 - Aux deux niveaux où la "concurrence" était censée s'exercer, à savoir : a) entre les conditions de vie et l'espèce considérée b) entre les diverses espèces occupant un même site géographique, on dirait aujourd'hui une même "niche écologique" Malthus en ajoutait une troisième : c) entre les individus d'une même espèce (Lutte intraspécifique) . 3 - Malthus explique la sélection naturelle, non par des modifications du type mais par les lois des nombres. 2) Le darwinisme aux Etats-Unis. On peut imaginer les réactions que suscita la théorie de Darwin dans un monde où l'existence de Dieu n'avait jusqu'alors jamais été sérieusement mise en cause. Car l'enjeu était bien celui-là, même si Darwin, sans doute pour ne pas choquer ses contemporains, concluait son ouvrage en invoquant le Créateur. Pour que les espèces puissent progressivement se transformer il fallait nécessairement que l'âge de la Terre fût infiniment supérieur à l'âge "biblique" qu'on lui attribuait alors (L'Archevêque Ussher avançait que le monde avait été créé en 4004 avant Jésus-Christ !!!) . Bien que Darwin, prudemment, ne traitât pas de l'Homme dans "L'ORIGINE DES ESPECES", très rapidement sa théorie fut transposée du monde animal et végétal à l'espèce humaine et l'idée de "l'homme descendant du singe" qui lui fut attribuée date donc de cette époque (Juin 1860 : controverse publique qui opposa partisans et adversaires de Darwin et en particulier Wilberforce et Huxley, lors de la réunion annuelle de la "British Society for the Advancement of Science", à Oxford). La question de l'évolution divisait les "bien-pensants" et les "mal-pensants" et l'Angleterre, bien plus que la France, détenait, à l'aube de l'ère victorienne, la palme en matière d'intolérance religieuse. D'un côté les fondamentalistes, évangélistes, créationnistes et consorts pour lesquels la théorie darwinienne avait généré une scandaleuse querelle dont l'enjeu n'était rien moins que l'existence de Dieu. De l'autre, les libéraux, plus nombreux chez nous, qui, conformément à une tradition philosophique et scientifique allant de Descartes à Buffon, estimaient que la science se devait d'être objective, se baser sur des preuves tangibles, et par conséquent exclure Dieu de son champ d'investigation. A leurs côtés nous rangerons certains membres de l'Eglise anglicane qui, bien avant 1859, se montrèrent prêts à mettre à jour leur religion afin qu'elle n'entrât pas en contradiction trop flagrante avec les nouvelles sciences engendrées par les découvertes paléontologiques qui intriguaient. Le plus connu d'entre eux, Baden Powell, s'inscrivait dans la tradition de la religion naturelle du XVIIIe siècle fondée sur l'existence d'un Dessein dans la marche de la nature : pas d'intervention directe de la divinité (Cause Première) ---> Causes secondes appelées plus tard "lois scientifiques" ---> Possibilité d'évolution des espèces ("THE CONNECTION OF NATURAL AND DIVINE TRUTH" 1838). La parution de "L'ORIGINE DES ESPECES" ne souleva pas les mêmes passions aux Etats-Unis qu'en Angleterre. Une confrontation comme celle qui opposa Huxley à Wilberforce eût été impossible dans un pays à la veille d'une élection dont le résultat allait rompre l'Union et provoquer une terrible guerre civile. Bien que la première édition américaine de l'ouvrage de Darwin fût largement publiée en 1860, l'arrivée de la guerre ne favorisa pas le développement de cette nouvelle théorie scientifique sauf parmi les professionnels et quelques intellectuels aux idées avancées. Ici et là, cependant, s'extrayant des remous de la politique, certains commençaient à s'intéresser aux idées qui n'allaient pas tarder à transformer la vie intellectuelle du pays. Asa Gray, botaniste à Harvard et ami de Darwin, rédigea un compte-rendu prudent de "L'ORIGINE DES ESPECES" dont un exemplaire de lancement lui avait été envoyé par son auteur. Dans ce compte-rendu, publié dans l'"American Journal of Science and Arts", faisant preuve d'un admirable esprit d'anticipation, il annonçait la publication d'une série d'articles destinés à défendre l'évolution contre les inévitables accusations d'athéisme. Quelques personnes, qui connaissaient Herbert Spencer, évolutionniste pré-darwinien, s'occupaient déjà à préparer une campagne populaire en faveur de l'évolutionnisme : Edward Silsbee, modeste habitant de Salem et promoteur de Herbert Spencer, trouva les deux hommes qui, plus que d'autres, contribueraient au "remodelage" de la pensée américaine. Le premier, John Fiske, étudiant à Harvard, inconditionnel de Spencer, se trouva rapidement à la tête du mouvement, aux côtés d'Asa Gray, qui avait pour but avoué de rendre l'évolution respectable. Le second, Edward Livingston Youmans, célèbre conférencier scientifique et auteur d'un manuel de chimie largement répandu dans les établissements scolaires, prit sur lui de contribuer à la diffusion des ouvrages scientifiques relatifs à l'évolution par l'intermédiaire de la maison d'édition "D. Appleton and Company". L'intérêt pour les sciences naturelles devait croître rapidement. Des articles parus dans des revues religieuses et des magazines populaires prouvent que les lecteurs américains s'intéressèrent vivement à la controverse sur l'évolution dans les années qui suivirent la Guerre de Sécession. De nombreux Américains étaient prêts à accepter le darwinisme d'autant que le clergé libéral encourageait à l'exégèse et à la modération du fondamentalisme religieux, n'hésitait pas à inciter à la comparaison des diverses religions existantes. "TEN GREAT RELIGIONS" de James Freeman Clarke, une étude libérale des croyances du monde, fut édité vingt-deux fois dans les quinze ans qui suivirent sa première publication en 1871. "WHO WROTE THE BIBLE" de Washigton Gladden, publié en 1891, est un autre exemple de vulgarisation dans le domaine de l'exégèse biblique. Plus que tout autre Américain, John Fiske ressentait le besoin "faustien" de s'adonner entièrement à la connaissance. Avant l'âge de vingt ans il parlait couramment huit langues et avait commencé à en étudier six autres. Bien qu'issu d'une famille fort conformiste de la Nouvelle Angleterre, son orthodoxie se trouva bientôt minée par la Science européenne. Avant même d'entrer à Harvard il s'était passionné pour "COSMOS" d'Alexander von Humboldt et l’œuvre de Goethe pour s'intéresser ensuite aux écrivains scientifiques anglais parmi lesquels Stuart Mill, Buckle, Herschel, Bain, Lyell et Huxley. Lorsque le darwinisme fit son apparition, avec son impressionnante réponse à l'énigme posée par les espèces, quand Spencer proposa une interprétation des sciences claire et précise, Fiske avait changé de dieux depuis longtemps. Henry Adams, dérouté par la Guerre de Sécession à laquelle il venait de prendre part, fut à son tour touché par la "grâce" darwiniste. "Il ressentit, comme neuf personnes sur dix, une instinctive croyance en l'Evolution... La sélection naturelle ramenait à l'évolution naturelle, et enfin à l'uniformité naturelle. C'était un grand pas en avant. L'Evolution incessante assortie à un conditionnement uniforme plaisait à tous, sauf aux prêtres et aux évêques." ("THE EDUCATION OF HENRY ADAMS" New York : Modern Library -1931 pages 225 et 226). Pour d'autres, plus convaincus des implications optimistes de l'évolution, "L'Origine des Espèces" devint un oracle que l'on consultait avec le respect généralement réservé à l'Ecriture Sainte. Charles Loring Brace, travailleur social de premier plan et réformateur, lut l’ouvrage treize fois pour parvenir à la certitude que l'évolution garantissait la réalisation finale de la vertu humaine et la perfection de l'homme. "Car si la théorie darwinienne est vraie, la loi de la sélection naturelle s'applique à toute l'histoire morale de l'humanité ainsi qu'à son histoire physique. En tant qu'élément le plus faible il est inévitable que le mal soit en fin de compte anéanti dans la lutte qui l'oppose au bien." ("THE LIFE OF CHARLES LORING BRACE" Emma Brace -1894"- pages 300 à 303). Seul, parmi les naturalistes américains de premier plan, Louis Agassiz refusa jusqu'à sa mort d'adhérer au darwinisme ou à l'évolutionnisme sous quelque forme qu'il se présente. Lui voyant peu d'avenir, il alla jusqu'à dire qu'il "survivrait à cette manie" ("LOUIS AGASSIZ" C.F. Holder -1893 - page 181). A sa mort, en 1873, l'Amérique perdit son dernier éminent opposant à la nouvelle théorie. Même si Agassiz avait vécu plus longtemps, il est douteux que son influence aurait pu retarder la propagation de la thèse évolutionniste parmi les scientifiques. Dès avant sa mort, ses propres étudiants désertaient le camp fixiste. L'un d'entre eux, Joseph Le Conte, estimait que la propre classification des formes animales établie par Agassiz contenait en filigrane les grandes lignes de la théorie du développement. Peu de temps après la mort du plus célèbre fixiste américain, un écrivain faisait remarquer que huit de ses plus éminents élèves à Harvard, y compris son propre fils, étaient devenus des évolutionnistes relativement connus. En 1874, James Dwight Dana, le doyen des géologues américains, après une résistance prolongée, adhéra à son tour à la théorie darwinienne dans la dernière édition de son "MANUAL OF GEOLOGY". Au début des années 1870, la transformation des espèces et la sélection naturelle étaient quasi-unanimement reconnues par les naturalistes américains. A la vingt-cinquième réunion de l'"American Association for the Advancement of Science", le vice-président, Edward S. Morse, fit un compte-rendu remarquable des preuves étayant l'évolution apportées par les biologistes américains. La plus impressionnante de ces études fut celle du professeur Othniel C. Marsh de Yale : c'est lui qui, en 1874, rassemblera une collection remarquable de fossiles de chevaux dont il retraça le développement au cours des périodes géologiques. Darwin salua son article comme étant le meilleur support de l'évolution ayant paru dans les deux décennies qui ont suivi la publication de "L'ORIGINE DES ESPECES". L’approbation des spécialistes ne pouvait qu’avoir un effet positif dans le monde universitaire. Le mouvement de réforme alla s'amplifiant et de nombreuses universités ouvrirent leurs portes à des professeurs prêchant l'évolutionnisme. Ainsi, à Harvard, John Fiske qui, quelque huit ans auparavant, en tant qu'étudiant, avait été menacé de renvoi s’il continuait à parler de Comte, généralement considéré comme athée, se vit proposer la chaire de philosophie positiviste. Ayant depuis longtemps abandonné Comte pour Spencer, il en profita, bien sûr, pour défendre les théories de Darwin et de Spencer, attirant un public vaste et enthousiaste. La création, en 1876, de la John Hopkins University, une institution consacrée à la recherche et libre de toutes attaches avec une quelconque dénomination religieuse, fit faire un grand pas en avant à l'enseignement supérieur. Son premier président, Daniel Coit Gilman, mit dès l'abord en évidence son opposition à tout obscurantisme en invitant Thomas Henry Huxley, alors en tournée de conférences aux Etats-Unis, à venir prendre la parole lors de l'inauguration de son établissement. Les Eglises restaient les dernières citadelles à investir. Si les dénominations protestantes les plus libérales furent vite acquises à l'évolutionnisme, il n'en fut pas de même pour un grand nombre de dévots, catholiques ou protestants, et la persistance du fondamentalisme jusqu'après le début du XXe siècle témoigne du fait que la conquête darwinienne n'a pas été complète, et ce, bien qu'un chrétien convaincu, Henry Ward Beecher, soit allé jusqu'à déclarer qu'il était "un fervent chrétien évolutionniste". II . 1) Qu'est-ce que le darwinisme social ? L'expression "darwinisme social" prête à polémique. Herbert Spencer à qui on attribua la paternité de cette théorie appelée parfois "spencérisme", appliquait, ni plus ni moins, la théorie darwinienne dans ses éléments essentiels – "sélection naturelle", "lutte pour la vie", "survie du plus apte" (cette dernière expression était d'ailleurs de lui et il l'avait employée bien avant la parution de "L'ORIGINE DES ESPECES") – à l'homme et aux sociétés humaines. Pour lui, conformément à ses premiers principes qu'il développa dans "SOCIAL STATICS" (1851) pour les étoffer ensuite dans "PRINCIPLES OF SOCIOLOGY" (1855) puis dans "THE MAN VERSUS THE STATE" (1884), il n'existait qu'une seule loi englobant nature et société et les principes de biologie, de psychologie, les données de l'éthique, en découlaient uniformément. Certes, tout comme Huxley, Spencer s'inspirait d'Adam Smith mais alors, que le premier s'appuyait sur la théorie des sentiments moraux se développant en harmonie avec la division du travail (rejoignant ainsi la thèse centrale de Darwin dans "THE DESCENT OF MAN" 1871 : "La conscience morale se développe avec le progrès de la civilisation"), le second réclamait une libre compétition sur le modèle de la lutte cosmique. Nous nous efforcerons ici de montrer ce qu'était le "darwinisme social", bien que Darwin soit demeuré fort réticent à cette extension : a) par le truchement de l'explication de l'un de ses ouvrages : "Statique Sociale" b) par un essai d'explicitation de la pensée de Spencer. a) Naissance d'une théorie: STATIQUE SOCIALE. L'ouvrage parut donc en 1851. Traitant de la nature de l'homme, de la société, des relations entre les individus, des rapports entre les individus et l'état, Spencer tente ici de corriger la doctrine utilitariste et plus particulièrement benthamienne qui part du principe fondamental qu'il faut tendre vers "le plus grand bonheur du plus grand nombre". Né au moment de la grande influence de l'école de Manchester, STATIQUE SOCIALE est un produit typique de la pensée que Spencer avait développée en participant aux activités des cercles radicaux à Derby, sa ville natale, et qui avait trouvé sa première expression dans des essais intitulés ON THE PROPER SPHERE OF GOVERNMENT, publiés dans le Nonconformist, de 1842 à 1845. D'emblée, l'ouvrage se veut moralisateur et l'engagement politique y est évident : il s'agit d'exposer une règle de conduite pour accéder au bonheur. Celle-ci tient en une formule : "laissez-faire", car si pour Plaute, Bacon et Hobbes "1' homme est un loup pour l'homme", il est "naturellement bon" pour Spencer. Résolument optimiste, il estime que "la foi dans la bonté substantielle des choses est le type de foi, le plus élevé". Ceci étant, la société, dont l'individu constitue l'élément premier, la cellule de base, ira s'améliorant et parviendra au bonheur absolu un jour ou l'autre. Autrement dit, comme disait Leibniz : "Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes", ou plutôt tout sera un jour pour le mieux à condition cependant de diminuer l'action de l'état dont toutes les interventions sont considérées comme nuisibles : l'assistance par lui octroyée aux indigents est inutile car elle va à l’encontre de la sympathie naturelle qui lie chacun à son prochain, et elle retarde l’amélioration de la race humaine en empêchant la « sélection naturelle » et « la survie des plus aptes », il en va de même en ce qui concerne l’instruction et l’assistance médical, domaines où l'Etat devrait se garder d'intervenir. D'une logique implacable qui aboutit parfois au surréalisme et au cynisme, on vient de le voir, STATIQUE SOCIALE est un incessant plaidoyer en faveur des droits de l'individu, de la femme et des enfants, d'une plus grande liberté d'expression et d'opinion, du droit de propriété, voire du droit d'ignorer l'Etat si on le veut. Toute l'argumentation s'appuie sur ce principe premier et essentiel : "la liberté de chacun est limitée par les libertés identiques de tous", principe que Spencer crut longtemps avoir été le premier à énoncer pour apprendre ensuite que Kant, l'avait énoncé avant lui mais en l'inversant, à savoir qu'au lieu de partir de la liberté intangible de l'individu limitée seulement par la liberté identique d'autrui, son illustre prédécesseur avait d'abord établi les limites à ne pas dépasser pour y insérer ensuite l'individu. Cette notion de limite à ne pas dépasser qui lui fera dire aussi que : "quand deux individus entrent en conflit lors de la poursuite de leurs fins respectives, les mouvements de l'un ne restent libres qu'aussi longtemps qu'ils n'interfèrent pas avec les mouvements identiques de l'autre", et que J. S. Mill reprendra dans ON LIBERTY (1859), illustre comment la doctrine libérale peut aboutir à l'anarchie, si on la pousse à l'extrême. Dans STATIQUE SOCIALE, H. Spencer met en avant que la libre manifestation des capacités de chacun, le libre accomplissement de ses activités ne cessent de tendre vers un état harmonieux optimal ou "equilibrium". Qu'est-ce que le bonheur, en effet, sinon "un état déterminé de la conscience, le résultat de l'action de sensations définies après avoir été modifiées par des influences externes ?". Ces "affections de la conscience" sont comme filtrées par les "facultés" aux pouvoirs réceptif et réactif et le bonheur s'acquiert grâce à la satisfaction de désirs obtenue par l'entremise de l'exercice adéquat de ces facultés, c'est "un état de gratification de toutes les facultés". On en retiendra que pour Spencer l'individu est un ensemble de facultés – les conférences sur la phrénologie à laquelle il s'était intéressé dès l'âge de treize ans n'ont pas été oubliées – étant entendu que ces facultés sont des relations fonctionnelles qui varient selon les circonstances. L'argumentation de Spencer repose sur ce concept de la nature humaine, une nature humaine changeante qui sans cesse tend à s'adapter aux conditions, a l'opposé de celle abstraite, rigide et statique que décrivent les utilitaristes. Par conséquent, l'idée que l'on se fait du bonheur ne peut être universelle et varie indéfiniment non seulement d' une époque à l'autre, d'un lieu à l'autre, mais aussi d'un individu à l’autre. L'exercice des facultés censées être génératrices de satisfactions étant variable d'un individu à l'autre, il n'existe pas deux êtres qui possèdent la même "combinaison d'éléments" et donc les conditions du bonheur varient indéfiniment. Il en résulte que cette "règle de la moralité sociale" édictée par les utilitaristes, "le plus grand bonheur du plus grand nombre" perd tout son sens puisque "si l'humanité est indéfiniment variable, elle ne peut être utilisée comme mesure pour évaluer la vérité morale". D'où la question : si un code moral ne peut être déduit d'un concept de l'humanité, pourquoi ne serait-il pas du ressort de l'Etat ou du législateur ? La réponse de Spencer est claire. L'Etat ne peut avoir cette autorité, il n'est qu'une institution transitoire, "accidentelle" et "la loi est pour l'homme ce qu'est la cage pour les bêtes féroces". Prisons, police, tribunaux, tout l'appareil administratif et gouvernemental, n'existent que parce que le mal existe. L'Etat est un "mal nécessaire" qui n'aura plus sa raison d'être lorsque la civilisation aura évolué" lorsque l'individu se sera débarrassé de ces tendances barbares qui, réminiscences du passé, subsistent encore en lui. Au fur et à mesure que la civilisation avance, la pression gouvernementale diminue : c'est le progrès culturel et politique qui le démontre, avec l'affirmation graduelle et constante de l'esprit démocratique et l'augmentation du sentiment altruiste. L'Etat, donc, étant une institution transitoire, ne peut imposer une loi morale la vraie morale, étant au-dessus des situations particulières, s'adresse à l'homme idéal, l'homme "moral" pour lequel, donc, les peines et les récompenses n'ont pas de sens. A l'abstraction morale des benthamiens, à leur "expediency philosophy" prônant la réalisation d'une moralité par des moyens particuliers, à l'idée que l'Etat doit gérer une "bienfaisance positive" par le biais d'interventions directes et normatives, Spencer oppose une "bienfaisance négative", l'Etat doit se limiter à garantir la liberté de la sphère individuelle en la protégeant de tout danger externe : s'il dépasse cette fonction, il commet un abus et se transforme en agresseur. "Aucun gouvernement ne peut avoir une autorité éthique" dira Spencer. Que fait d'autre Spencer sinon dénier à l'Etat tout droit à l'intervention "positive" sous prétexte que celle-ci nuirait au mécanisme "naturel" grâce auquel l'individu peut prétendre accéder au bonheur ? "C'est faire peu de cas de l'état actuel de la société" lui fera justement remarquer son ami T . H. Huxley. Et où en serions-nous si l'Etat n'était pas intervenu pour prendre toute une série de mesures tendant à rendre la société plus égalitaire et plus juste ? Spencer lui-même nuancera plus tard son optimisme des débuts. Dans la note ajoutée à la fin du chapitre L'évanescence (ou diminution) du mal (édition de 1892), on peut lire : "les conclusions auxquelles je suis parvenu devraient largement être assorties de réserves : Diverses races humaines, vivant dans des régions peu favorisées et contraintes à mener une vie misérable, ne peuvent aucunement s'adapter pour donner un type satisfaisant". A ce propos la lettre qu'il écrivit à un certain Moncure D. Conway, le 15 août 1900, ne manque pas de saveur : "Vous semblez croire, comme je l'ai moi–même cru dans ma jeunesse, que les hommes sont des êtres humains raisonnables et qu'ils sont convaincus par toute chose qui leur est démontrée. Tout prouve le contraire. Un homme est un ballot de passions qui souvent utilisent sa raison pour obtenir ce qu'elles veu1ent, et le résultat en tous temps et tous lieux dépend des passions dominantes. On assiste aujourd'hui à une résurgence inhabituelle des passions qui caractérisent la brute. Bien plus maintenant qu'il y a quelque vingt ans, les hommes font montre non pas de ces facultés et sentiments qui les particularisent comme êtres humains, mais de ceux qu'ils ont en commun avec les êtres inférieurs. Ils se vantent d'être de plus en plus proches de la nature du bouledogue" . Le cheminement vers l'harmonie annoncée en 1851 semble bien avoir été compromis . Dans THE FILIATION OF IDEAS (1899), Herbert Spencer, dressant en quelque sorte un bilan de son activité littéraire, nous dit, au sujet de STATIQUE SOCIALE : 1 "Lorsque j'ai fait référence à des auteurs qui ont traité de la morale et de la politique le but recherché, dans ce cas comme dans d'autres, était de revenir aux faits se rapportant au comportement humain et d'en tirer directement les conséquences ." 2 "Souhaitant être le plus complet possible, j'ai commencé par délimiter tout le champ que couvre un système moral" 3 "Le programme présenté au début - un programme correspondant à celui qui finalement sera adopté dans LES PRINCIPES DE L' ETHIQUE - faisait état de l'affirmation du droit de tout individu à revendiquer des gratifications naturelles dans des limites spécifiques" 4 "Le premier principe affirmait que cette liberté, dans certaines 1imites, impliquait qu'il était moral d'avoir le bonheur pour but" 5 "Un autre fait significatif est que toute l'argumentation se fonde sur le processus de l'Evolution, pour autant que la nature humaine est concernée. La plasticité morale de l'Homme et l'adaptation graduelle de sa nature à l'état social y sont constamment affirmées. S'y trouve aussi une reconnaissance furtive du principe de la Survie du Plus Apte. Le processus salutaire par lequel chez les animaux et les humains, l'inférieur disparaît pour permettre au supérieur de perpétuer la race est avancé ; mais les conséquences qu'en a tirées Darwin ne sont pas reconnues." b) La théorie spencérienne ou le darwinisme social : La référence à l'évolution et à Darwin nous amène à traiter maintenant de ce que fut la théorie spencérienne. Dans son livre intitulé LA PENSEE HIERARCHIQUE ET L'EVOLUTION, Patrick Tort nous met en garde contre la confusion courante entre évolutionnisme et darwinisme . "Le darwinisme, écrit-il, est une théorie biologique transformiste dont on peut localiser rapidement le noyau de scientificité original dans le principe de la descendance modifiée par sélection naturelle. L'évolutionnisme est une philosophie qui s'est manifestée sous sa forme la plus systématique dans l'Angleterre industrielle du 19ène siècle par le truchement principal des oeuvres de Herbert Spencer." Et il rappelle ensuite qu'après la parution en 1859 de L'ORIGINE DES ESPECES, Spencer fait référence à la biologie d'une manière plus insistante. "Si cela est vrai, ajoute-t-il cependant, il ne faut pas oublier pour autant que les idées-forces de l'évolutionnisme spencérien se sont déployées sans rupture notable de 1842, date de ses premiers écrits sur la doctrine libérale, jusqu'en 1896. Son ralliement occasionnel et sectoriel à la théorie darwinienne a donc, certes, un sens, mais ce sens n'est nullement celui d'une instauration ou d'une restauration de sa philosophie." L’œuvre littéraire immense de Herbert Spencer, et l'éclectisme qui le caractérise (philosophe dans le plein sens du terme, il s'intéressa à tous les domaines de la connaissance : biologie, physiologie, astronomie, géologie, botanique, zoologie, psychologie, sociologie...) ne permettent pas d'exposer ici sa pensée profonde dans les détails. Néanmoins, on peut, sans prétention, essayer de présenter la doctrine qui fut la sienne et qui sous-tend l'ensemble de son œuvre. En quoi consiste donc cette théorie spencérienne de l'évolution dont Patrick Tort dit qu'elle est une théorie du progrès ? Suffit-il de dire qu'elle est l'héritage du lamarckisme, que l'un de ces points, le principe de la survivance du plus apte, a inspiré le principe de la sélection naturelle à Darwin, que Spencer est le véritable inventeur de ce qui plus tard fut appelé le darwinisme social ? Certes pas. "Ce qui évolue, c'est ce qui change, et ce qui est le plus immédiatement vécu comme changement, c'est, intimement lié à l'être subjectif et au monde, le corps propre." (Patrick Tort : LA PENSEE HIERARCHIQUE ET L'EVOLUTION) De même que dans l'embryon se forment graduellement le système nutritif et les organes du mouvement, de même la société se divise en classe dirigeante (organe du mouvement) et classe gouvernée (qui produit la nourriture) et Spencer d'ajouter : "Que ce soit dans le développement de la terre, dans le développement de la vie à sa surface, dans le développement de la société, du gouvernement, des manufactures, du commerce, du langage, de la littérature, des sciences, des arts, on constate la même. évolution par différenciations successives allant du plus simple au plus complexe." Les mêmes lois s'appliquent selon lui, à l'ordre biologique et à l'ordre social : "A l'aube de l'humanité, un agrégat homogène d'individus : indifférenciés, à l'autre extrémité de la chaîne, les sociétés civilisées, et entre les deux, des différenciations progressives dans l'organisation du politique, de la religion, des mœurs." Ce passage de l'homogène simple à l'hétérogène complexe, cet organicisme, est la clé de voûte de la théorie spencérienne. Son évolutionnisme concernant tout ce qui change, l'organicisme qui le caractérise ne pouvaient pas s'inscrire dans le cadre d'un découpage dualiste des sciences. Il n'est donc pas étonnant qu'il en établit en quelque sorte l'unité généalogique, théorie moniste de l'évolution, et il est évident pour Spencer, que : "dans cette classe de sciences formée par l'astronomie, la géologie, la biologie, la psychologie et la sociologie, nous avons un groupe naturel dont les parties ne peuvent être désunies ni placées dans un ordre inverse." (En réponse aux critiques adressées par Alexander Bain à la CLASSIFICATION DES SCIENCES -1864) On sait qu'Auguste Comte, quant à lui, distinguait six sciences successives : mathématiques, astronomie, physique, chimie, biologie, et enfin sociologie, qui s'étaient développées dans cet ordre, et chacune d'elles, l'une après l'autre, selon la complexité de son objet, accédait à la positivité. Il n'admettait pas qu’aucune discipline scientifique pût exister entre la biologie et la sociologie et rejetait la psychologie, introspection subjective, dans les ténèbres de la métaphysique. Spencer, ainsi que John Stuart Mill, pour qui l'homme ne se réduit pas à un type, à une expression abstraite du tout social, mais peut aussi devenir objet d'analyse, ne pouvait qu'élargir ce champ d'investigation philosophique en y incluant la psychologie, science de l'esprit, aux côtés de la biologie, science de la vie organique, toutes deux aussi importantes l'une que l'autre au regard de la sociologie qui doit sans cesse en tenir compte, De même, il ne pouvait admettre cette autre tendance réductrice de la pensée comtienne qui subdivisait en trois états successifs chaque branche de la connaissance (théologique, métaphysique, positive) . S'inscrivant dans la tradition uniformitariste britannique, il ne voyait qu'un seul stade théorique de la pensée, estimant, à juste titre, que croire en trois méthodes successives de raisonner relève de l'absurdité. En ce qui concerne la morale, Spencer, en accord sur ce point avec tous les partisans de l'évolutionnisme, estimait que les lois scientifiques de la sociologie nous apprennent que la société se compose d'individus, et que chaque individu possède, fût-ce à l'état embryonnaire, une faculté qui le pousse à établir une "relation positive" avec son prochain , Cette notion n'est au fond rien d'autre que le "fellow-feeling" théorisé par Adam Smith . L'optimisme qui le caractérisait, et qui contribua largement à sa popularité (Ne prédisait-il pas le retour du paradis sur terre !) lui faisait voir dans la loi du progrès humain une tendance naturelle -à la différence de Chalmers qui l'attribuait à la Providence- vers un Bien Universel , Il suffisait, selon lui, que l'homme s'adaptât au degré de développement pour assurer la bonne marche de ce progrès. Pour Spencer, mais aussi pour Stuart Mill, le développement de l'intelligence consiste en une série d'adaptations de l'esprit humain : l'instinct, la mémoire, la raison, les sentiments, la volonté naissent d'une adaptation, d'un équilibre entre intérieur et extérieur et tout le mal de l'univers découle de la non-adaptation "de la constitution aux conditions". Quelques mois après la mort de Herbert Spencer, le 8 décembre 1903, une pétition signée par quelque cinquante personnalités fut adressée à J. Armitage Robinson, doyen de l'abbaye de Westminster afin qu'en ce lieu fût élevé un mémorial à la gloire du philosophe. Un refus catégorique lui fut opposé. Voici un passage de la réponse du doyen qui par ailleurs avait précisé que "ceci n'est pas seulement le résultat de mon propre jugement, c'est aussi celui d'experts dont l'avis a été sollicité" : "Quand je me demande ce qu'il a fait d'important dans les domaines de la philosophie ou des sciences de la nature, quand je me demande quelle fut sa contribution à la pensée universelle et dans quelle mesure son nom y sera rattaché, je ne trouve aucune réponse satisfaisante. Son système philosophique a suscité les plus sévères critiques, et ses opinions concernant des branches multiples de la connaissance, physique autant que métaphysique, sont sévèrement contestées par des experts. Il fut éminent pour sa génération et stimulant au plus haut degré. Mais ce qui le caractérise, hormis son aptitude au travail, ne justifie pas cette haute prétention à un hommage national qui est à notre époque nécessairement accordé à très peu d'élus ; et je n'ai pas su trouver la preuve que les résultats obtenus par H. Spencer soient à même d'être appréciés par la postérité.” Certes, on peut douter qu'un représentant de l'église traditionnelle ait pu énoncer un jugement impartial à l' encontre du non-conformiste en matière de religion, du panthéiste en puissance qu'était Spencer . Il n'en reste pas moins que Robinson a contribué à ouvrir plus grande la porte, qu'il prétendait déjà entrebâillée, aux critiques qui n'allaient pas tarder à se multiplier particulièrement en Grande-Bretagne Ceci dit, pour aussi flatteuse qu'elle puisse être, l'affirmation que: "Le verdict de l'histoire sera qu’il appartenait à cette race de penseurs suprêmement doués qui, par l'audace de leurs généralisations et de leur impressionnante vision de la vie et de la pensée ont ouvert à l'humanité de plus vastes horizons intellectuels” (Hector Macpherson, ami de Spencer) nous semble indéniable, car accepter cela n'est pas afficher pour autant notre accord systématique avec toutes les idées de Herbert Spencer. 2) Le darwinisme social aux Etats-Unis : En 1866, Henry Ward Beecher écrivait à Herbert Spencer : "Les conditions particulières de la société américaine font que vos écrits sont beaucoup plus fructueux et influents ici qu'en Europe" ("THE LIFE AND LETTERS OF HERBERT SPENCER" -page 128 - David Duncan). Les raisons pour lesquelles les Américains étaient davantage disposés à adhérer aux idées de Spencer, Beecher ne les donne pas, mais on peut facilement les deviner : la philosophie de Spencer était admirablement adaptée à la scène américaine: s'appuyant sur la science, la physique et la biologie, elle était de portée globalisante, rassurante, elle couvrait un champ assez large pour attirer des agnostiques comme Robert Ingersoll ou des théistes comme Fiske et Beecher ; offrant une vue globale du monde et unissant tout ce qu'on peut trouver dans la nature, des protozoaires à la politique, elle ne pouvait que séduire les intellectuels progressistes à la recherche d'une théorie de l'univers suffisamment structurée et convaincante pour remplacer la cosmogonie biblique que le darwinisme avait sérieusement ébranlée . Les Etats-Unis des années 1860/1870 constituaient le champ d'expérimentation idéal pour une théorie qui avait à peine fait ses preuves et les Américains, pour qui "poursuite du bonheur", démocratie et liberté étaient indissociables, ne pouvaient qu'adhérer aux idées séduisantes du champion du "laissez-faire", du défenseur des droits intangibles de l'individu face à l'état, qui allait jusqu'à promettre à tous "le paradis sur terre" . Certes, les Indiens continuaient à se faire décimer, les Noirs, bien que légalement débarrassés de leurs chaînes, continuaient à souffrir de la ségrégation, mais à l'époque les expressions "génocide", "égalité sociale" étaient encore exclues du vocabulaire de Monsieur Tout-le-Monde. Et, après tout, n'était-ce pas l'illustration du principe de la "survie du plus apte" : ironie du sort, Spencer, qui n'avait rien d'un esclavagiste ni d'un raciste, ne pouvait qu'en bénéficier et sa théorie acquit une popularité et exerça une influence qu'elle ne méritait sans doute pas. Ainsi, elle devint rapidement pour les étudiants une référence à partir de laquelle il fut possible de reconstruire l'intelligentsia du pays. Oliver Wendell Holmes exagérait à peine lorsqu'il écrivit: "Aucun écrivain de langue anglaise, à l'exception de Darwin, n'a jamais autant affecté tout notre mode de pensée relatif à l'univers" ("HOLMES-POLLOCK LETTERS" Cambridge 1941 -Tome I, pages 57 et 58). A l' époque où la philosophie de Spencer commençait à gagner du terrain aux Etats-Unis, le transcendantalisme était à son déclin et l'idéalisme philosophique inspiré de Hegel pointait à peine à l'horizon. Le pragmatisme était à l'état de gestation chez Chauncey Wright et l'impopulaire Charles Pierce. L'article devenu célèbre de ce dernier, "How to make our ideas clear" fut publié en 1878, quatorze ans après le premier tome de la "PHILOSOPHIE SYNTHETIQUE" de Spencer et la -"California Union Address" de William James, qui fit date parce qu'elle marquait le début de la campagne destinée à rendre le pragmatisme populaire, ne fut, propagée qu'en 1898 . La "PHILOSOPHIE SYNTHETIQUE" (publiée en plusieurs volumes après 1864) a fait bien plus qu'occuper le terrain resté vacant entre le transcendantalisme et le pragmatisme dans l' histoire des idées aux Etats Unis. Bien que critiqué par certains -pour Emerson, Spencer n'était qu'un "écrivaillon" et William James décocha ses flèches les plus acerbes à l' "Aristote victorien"-, Herbert Spencer fut pour la plupart des Américains cultivés un grand homme, un intellectuel de qualité,une figure éminente dans l'histoire de la pensée. Celui qui a le plus oeuvré pour la propagation des idées de Spencer fut sans conteste Edward Livingston Youmans . Déjà gagné au darwinisme, il ne fut pas long à adhérer à la théorie spencérienne et à partir de 1860, date à laquelle il fut contacté à cette fin par Herbert Silsby, un ami du philosophe anglais, il ne cessa de s'appliquer à trouver parmi ses compatriotes les plus en vue des souscripteurs par anticipation aux oeuvres de Spencer, et la Nouvelle-Angleterre, où il résidait, devint le berceau de l'influence spencérienne . La présence sur les listes de souscription de noms tels que ceux de George Bancroft, Edward Everett, John Fiske, Asa Gray, Charles Sumner -qui devait par la suite devenir le social-darwiniste le plus ardent et le plus convaincant dans le pays et transformer sa chaire à l'université de Yale en une véritable rampe de lancement des nouvelles idées- témoigne de l'énergie déployée par les intellectuels de la Nouvelle-Angleterre pour trouver une audience américaine attentive aux idées de Spencer. Mieux, en 1865, lorsque les bénéfices insignifiants obtenus par la publication de ses premiers volumes faillirent obliger Spencer à renoncer à son oeuvre, c'est encore Youmans qui lui sauva la mise en réussissant à collecter les 7 000 dollars manquant auprès de concitoyens sympathisants. Un nombre considérable d'Américains connaissaient l’œuvre de Spencer avant même que fût publiée sa "SYNTHETIC PHILOSOPHY" . En 1864, année de la parution aux EtatsUnis de "SOCIAL STATICS", on pouvait lire dans l' ''Atlantic Monthly" : "M. Spencer fait déjà autorité sur la scène mondiale… Il est déjà intervenu dans l'existence studieuse de quelques penseurs qui savent maintenant à quel point notre civilisation doit lutter pour pouvoir progresser . En Amérique, nous sommes en mesure de confesser combien nous devons à l’œuvre de M. Spencer, car ici plus vite qu'ailleurs, les masses ont reconnu l'utilité de ce que quelques-uns ne considèrent que comme une vérité" . Dans les trois décennies après la Guerre de Sécession; il était impossible d'exercer une activité dans quelque domaine intellectuel que ce soit si on ne connaissait pas Spencer et ses idées. Presque tous les philosophes américains, éminents ou non, - notamment William James, George Howison et James Mc. Cosh- durent faire référence à Spencer à un moment ou à un autre. Il eut une influence déterminante sur la plupart des fondateurs de la sociologie américaine, particulièrement sur Lester Ward (qui deviendra cependant l'un de ses critiques les plus acerbes), Charles H. Cooley, Franklin H. Giddings, Albion W. Small et, bien entendu, Charles Sumner. Les éditions Appleton, sous la direction de Youmans, oeuvraient sans cesse dans l'intérêt de Spencer . De nombreux articles de sa main ou le concernant étaient, en conséquence, publiés dans les magazines populaires. La génération qui célébra l'héroïsme de Grant fut aussi celle qui apprécia la pensée de Spencer et Henri Holt écrivit quelques années plus tard : "Probablement aucun autre philosophe n'a jamais connu un succès comparable à celui qu'a connu Spencer de 1870 à 1890 . La plupart des philosophes qui l'ont précédé ont surtout intéressé des lecteurs qui étaient habitués à étudier la philosophie. Spencer, quant à lui, était non seulement l'objet de discussions entre tout ce que l'Angleterre et l'Amérique comptaient comme intellectuels mais attirait aussi un cercle de lecteurs bien plus large qu'aucun autre ait pu réunir avant lui" L'impact de Spencer sur l' homme de la rue aux Etats-Unis est impossible à évaluer, on peut cependant en avoir une vague idée. Le fait que des hommes, célèbres par la suite, fassent souvent référence à lui dans leurs oeuvres ou leur autobiographie prouve qu'il fut lu par des personnes provenant de milieux aisés ou moins aisés, par des gens qui, péniblement, dans des milliers de villes et de hameaux, s'efforçaient de se débarrasser du carcan de l'orthodoxie religieuse. Ce qui est sûr, c'est que les ventes des oeuvres de Spencer en Amérique, de 1860, année de la première publication, jusqu'en 1903, année de sa mort, atteignirent le nombre de 368 755 volumes,. un "chiffre probablement jamais atteint par des ouvrages traitant de sujets aussi difficiles que la philosophie et la sociologie ("AUTOBIOGRAPHY" -Tome II, Page 113 - Herbert Spencer) . Les personnes qui subirent son influence sont d'autant plus nombreuses qu'il faut y ajouter toutes celles qui avaient accès aux reproductions que l'on se passait de main en main ou que l'on trouvait dans les bibliothèques. Certes, il serait ridicule d'affirmer que tous les lecteurs adhéraient à ses idées et nul doute que la critique n'était pas inexistante. Un journaliste disait, en 1884, alors que le succès déclinait : "les livres examinant ou réfutant la théorie de Spencer forment maintenant une imposante bibliographie". Les attaques dont il fut l'objet sont une autre preuve de l'influence prépondérante qu'exerça Spencer sur la société américaine. L'Amérique d'après la Guerre de Sécession, se caractérisant par une rapide expansion, un esprit de compétition hors du commun, le refus de l'échec, était semblable à une vaste caricature humaine taillée sur mesures pour "la lutte pour la vie" et "la survie du plus apte". Si on ajoute à cela que le protestantisme, religion majoritairement pratiquée, renforçait cette tendance en prônant que la réussite et la fortune étaient un don divin, un témoignage de la bienveillance de Dieu, il n'est pas surprenant que les "élus", hommes d'affaires et chefs d'entreprise, aient adhéré (avec un tel enthousiasme) à une doctrine qui les confortait dans leur position. Le plus connu parmi ces brasseurs d'affaires est sans doute Andrew Carnegie. Très vite il fut un fervent disciple de Spencer, devint son ami intime et le combla de faveurs. Dans "The Gospel of Wealth" (1900), il écrivait : "Le prix que la société doit payer à la loi de la concurrence est aussi élevé que celui qu'elle paie pour le confort et l'agrément, mais elle en retire des avantages supérieurs à ce que cela lui coûte car c'est à cette loi que nous devons notre extraordinaire développement matériel qui s'accompagne de meilleures conditions de vie : mais que cette loi soit favorable ou non, nous ne pouvons que constater ceci : elle est là, nous ne pouvons l'éviter, on ne lui a pas trouvé de remplaçant, et bien que cette loi puisse paraître parfois dure pour l'individu, elle est excellente pour la race, car elle assure la survie des meilleurs dans chaque catégorie". Ayant lu ce credo du conservatisme, on ne s'étonnera pas que l’œuvre de Carnegie ait été considérée par certains historiens comme le lien le plus solide qui unissait darwinisme et capitalisme. John D. Rockefeller a, lui aussi, beaucoup admiré Spencer . Lors d'une séance de catéchisme, faisant allusion à la compétition économique, il alla jusqu'à dire: "La croissance d'une grande entreprise n'est, ni plus ni moins, que l'illustration de la "survie du plus apte". La Rose américaine ne peut s'épanouir, accompagnée de la splendeur et du parfum qui font la joie de son admirateur, qu'au détriment des boutons qui l'entourent. Ce n'est pas une tendance malfaisante dans le domaine des affaires. C'est tout simplement la mise en pratique d'une loi de la nature et d'une loi divine." (Citation extraite de "OUR BENEVOLENT FEUDALISM" (1902) -page 29 - William J. Ghent). Spencer fit un seul et mémorable voyage aux Etats-Unis à l'automne de l'année 1882, alors qu’il était à l'apogée de la gloire . Lorsqu'il accepta, après maintes tergiversations, une interview avec ces "messieurs" de la presse, qu'il n'appréciait pas beaucoup, il exprima (et ce fut une déclaration quelque peu discordante) sa crainte que le tempérament américain ne soit pas suffisamment développé pour faire le meilleur usage des institutions républicaines instaurées aux Etats-Unis. Il ne pensait pas si bien dire : des critiques commençaient à fuser contre le mode de gouvernement, contre la doctrine de la libre entreprise, contre, somme toute, le darwinisme social . Les "Grangers", "Greenbackers", "Single Taxers", "Knights of Labour" ainsi que les syndicalistes, populistes et socialistes utopistes et marxistes, tous réclamaient des réformes et une intervention étatique plus grande, tous insistaient pour qu'on procédât à une refonte approfondie de l'ordre social. CONCLUSION De 1876 à 1890, en moins de quinze ans, les Etats-Unis s'étaient élevés du quatrième au premier rang mondial des producteurs d'objets manufacturés. Mais à quel prix ? Alors que la montée des grandes industries avait eu pour corollaire une ascension fulgurante de la ploutocratie -le nombre des milliardaires, ceux qu'on appelait "les barons voleurs'" était passé de trois en 1860 à quarante en 1890-, les faillites des artisans et des petits entrepreneurs s'étaient accumulées. La "poursuite du bonheur" pourtant promise par la Constitution, était devenue l'apanage de quelques-uns, un mythe pour la plupart. Le paupérisme grandissant, les conditions de travail et les horaires on ne peut plus durs, particulièrement pour les femmes et les enfants, le délabrement croissant des campagnes et le chômage toujours en extension provoquèrent des jacqueries et des émeutes dont la plus sanglante fut celle de Haymarket en 1886 . Le darwinisme-social était sur la voie du déclin, laissant peu à peu la place au socialisme utopique à la manière d'Edward Bellamy ("LOOKING BACKWARD" paraîtra en 1888 et connaîtra un succès retentissant) ou de William Morris ("NEWS FROM NOWHERE -1890) . Il fallut attendre l'accession à la Présidence de Théodore Roosevelt, en 1901 (cette année-là, l'énorme concentration de richesses entre les mains de quelques-uns connut une sorte d'apogée lorsque le magnat de la banque, J. P . Morgan, s'associa avec celui de la sidérurgie, Andrew Carnegie, pour fonder la "U.S. Steel Corporation" dont le capital dépassait un million de dollars) pour que le gouvernement fédéral prenne conscience des problèmes sociaux et s'emploie à les résoudre ... en faveur des travailleurs, et non pas, comme ce fut le cas maintes fois auparavant, pour soutenir les patrons et briser les mouvements revendicatifs à l'aide de la police ou de l’armée fédérale: le pragmatisme était en marche. Quant à Herbert Spencer, il suffira sans doute d'ajouter qu'il vécut-encore quelques années après sa période de gloire. A la fin de sa vie il était conscient du fait que l'esprit du temps rejetait sa théorie et un de ses amis racontait que, lui rendant visite, il le trouva un jour "tristement déçu" de voir sa doctrine politique rejetée, l’individualisme désapprouvé et les idéaux socialistes appréciés. "Herbert Spencer est un nom avec lequel on jonglait il y a vingt-cinq ans", disait ironiquement un expert en matière de religion en 1917, "Qui donc s’intéresse à lui aujourd’hui ?" INDEX DES AUTEURS CITÉS ADAMS Henry AGASSIZ Louis ANAXAGORE ANAXIMANDRE BAIN Alexander BANCROFT 'George BECQUEMONT Daniel BEECHER Henry Ward BELLAMY Edward BOWNE Borden P. BRACE Emma BRUNO Giordano BUCKLE Thomas H. BUFFON Georges CANDOLLE: Augustin de CARNEGIE Andrew CHALMERS Thomas CLARKE James Freeman COMTE Auguste COOLEY Charles H. DANA James Dwight DARWIN Charles DARWIN Erasmus DEWEY John DIDEROT Denis DUNCAN David EMERSON Ralph W. EMPEDOCLE EVERETT Edward FISKE John GALIEN GHENT William J.. GIDDINGS Franklin H. GLADDEN Washington GOETHE Wolfgang won GRAY Asa HARRIS William T. HEGEL Friedrich HERACLITE HERSCHEL William HOFSTADTER Richard HOLMES Olivier Wendell HOLT Henri HOOKER Joseph Dalton HOWISON George HUMBOLT Alexander von HUXLEY Thomas Henry INGERSOLL Robert JAMES William KOHLBRUGGE KOHN D. LAMARCK Jean-Baptiste LE CONTE Joseph LUCRECE LYELL Charles Mc COSH James MALTHUS Thomas MARSH Othniel C. MILL John Stuart MORRIS William MORSE Edward S. OWEN Richard PIERCE Charles POWELL T . Baden ROCKEFELLER John D. ROYCE Josiah SILSBY Herbert SMALL Albion W. SMITH Adam SPENCER Herbert SUMNER Charles TORT Patrick VANINI Lucilio WARD Lester WILBERFORCE Samuel WRIGHT Chauncey YOUMANS Edward Livingston Bibliographie ADAMS Henry: BECQUEMONT Daniel BELLAMY Edward BRACE Emma CARNEGIE Andrew CLARKE James Freeman DANA James Dwight DARWIN Charles: DUNCAN David: GHENT William J. GLADDEN Washington HOFSTADTER Richard HOLMES Oliver Wendell HUMBOL T Alexander von JAMES William KOHLBRUGGE KOHN D. MALTHUS Thomas MILL John Stuart MORRIS William PIERCE Charles POWELL T Baden SPENCER Herbert TORT Patrick "The Education of Henry Adams" - New-York - Modern Library (1931) "Darwin, darwinisme, évolutionnisme" (1992) "Looking Backward" (1888) "The Life of Charles Loring Brace" (1894) "The Gospel of Wealth" (1900) "Ten Great Religions" (1871) "Manual of Geology" (1874) "The Origin of Species" (1859) "The Descent of Man" (1871) "The Life and Letters of Herbert Spencer" (1908) "Our Benevolent Feudalism" (1902) "Who Wrote the Bible" (1891) "Social Darwinism in American Thought" (1959) "Holmes-Pollock Letters" - Cambridge (1941) "Cosmos" (1845-62) "California Union Address" (1898) "War Darwin ein Originelles Genie" "Theories to Work by : Rejected Theories, Reproduction and Darwin's Path to Selection" "An Essay on the Principle of Population" (1798) "On Liberty" (1859) "News from Nowhere" (1890) "How to Make our Ideas Clear" (1878) "The Connexion of Natural and Divine Truth" "On the Proper Sphere of Government" (Nonconformist - 1842-45) "Social Statics" (1851) "The Classification of the Sciences" (1864) "Principles of Sociology" (1876) "Principles of Ethics" (1879) "The Man versus The State" (1884) "The Filiation of ldeas" (1899) "Synthétic Philosophy " (1864-1879) "Autobiography".( 1904-publicati6n posthume) "La Pensée Hiérarchique et l'Evolution" (1982)